Two Cigarettes in the dark, Pina Bausch

L’Opéra de Paris a ouvert sa saison en invitant une des plus belles compagnie au monde, le Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch. La compagnie dirigée aujourd’hui par Lutz Förster présente une pièce de 1985, Two Cigarettes in the dark. Les décors de Peter Pabst montre une scène aseptisée, au murs blancs, troués par des univers aquatique, tropical et désertique. Retour sur la soirée du 6 septembre avec Ruth Amarante, Mechthild Grossman, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Dominique Mercy, Julie Shanahan, Franko Schmidt, Michael Strecker, Aida Vainieri, Anna Wehsarg, Tsai-Chin Yu.

Two cigarettes in the dark (Saison 2014-2015)

« Entrez s’il vous plaît, mon mari est à la guerre. »

Du haut de l’amphithéâtre, quelques minutes avant la pièce, les jambes serrées entre les strapontins de l’amphithéâtre, les spectateurs échangent sur la beauté du Sacre ou la grandeur d‘Orphée et Eurydice. Ils veulent revoir la danse, mais ils vont découvrir toute la splendeur du travail de Pina Bausch. Son regard sur l’humain, sur la violence ou l’amour. En route pour l’aventure que Pina Bausch nous livre à travers cette pièce de 2h15.

Une femme entre, elle danse. On croirait voir quelques bribes du Sacre ou de Café Müller. Ses grands bras laissent deviner un sein quand ils montent au-dessus de sa tête. Les pleurs de Julie nous rappellent Kontakthof. « Arrête de pleurer ». La première partie de la pièce va révéler la violence faite aux corps, particulièrement au corps des femmes. Les gestes de tendresse se transforment en gestes violents. Dominique Mercy remet sa mèche en donnant une gifle, presque par inadvertance. Une femme est violée contre un mur, une autre est baisée sur une chaise, récompensée par un baiser, une femme est nourrie par des graines comme un animal. Quelques ricanements résonnent, d’autres quittent la salle. Ils manquent ce moment de tendresse qui suit entre ces deux hommes. Le calme se refait, les traces de rouge à lèvres se dessinent qui attirent. Pourtant on reste dans une ambiance très sombre, la scène suivante montre une femme qui court, une casserole attachée au dos. La douceur des amants s’adonnant à des baisers est tranchée par un coup de fusil.

« Tue- moi dit-elle, et il l’a tua. Et lorsqu’elle fut enfin tuée, elle dit continue ».

Cette première partie de la pièce est un choc. Sa succession de scènes, la violence des gestes du quotidien, la solitude des êtres errants dans ce décor dépouillé offre une vision de l’être humain très noire. La poésie de la danse de Julie clôt cette première partie, mais il n’en reste pas moins la force du propos qui vient de se déployer sous nos yeux. Avec peu de mots, et peu de danse, Pina Bausch semble nous dire tout avec plus de clarté que tant d’autres. A l’entracte, on sort encore plein de ce désespoir, comme on pouvait sortir avec une grande joie de 1980.

Dominique Mercy Two Cigarettes in the dark © IkAubert

La deuxième partie est plus douce, tout comme la voix de Ruth Amarante. « Je suis une petite douce mignonne chose ». Une femme est agacée par cet autre qui lui rentre dedans et qui surtout regarde au même endroit qu’elle. Les jeux se troublent, la luminosité est faible. Les histoires deviennent tantôt hilarantes, tantôt complètement angoissantes. Ainsi quand Mechthild Grossman raconte cette histoire de couple complètement alcoolisé, on hésite entre le rire et le malaise. Pourtant il m’a semblé que c’est bien dans cette deuxième partie que les danseurs montrent tout le génie de Pina Bausch. Dominique Mercy est sans aucun doute le plus captivant. Il se déplace sur la scène avec un charisme tel, qu’il occupe l’espace comme personne. Coupes de champagne, hache, clefs jetés au sol, se baigner dans un aquarium, faire du toboggan sur une planche et fumer une cigarette. La farandole finale est au sol, les personnages avancent sans finalement pouvoir échapper aux 4 murs. Ils s’y cognent, mais continuent ce balancier. Un homme se fond dans le décor en se recouvrant de peinture blanche. Au final, ils marchent vers le public, les bras ouverts, comme un cadeau.

Difficile de mettre des mots sur cette pièce de Pina Bausch, comme sur les autres d’ailleurs. Tout y est dit avec tant de clarté, avec tant de finesse, qu’il n’y a parfois pas besoin d’en dire plus que ce que l’on voit. C’est avec ce genre de pièce que l’expression « spectacle vivant » prend tout son sens. Le tanztheater de Pina Bausch se vit, sur scène comme dans la salle. On comprend mieux dès lors pourquoi certains spectateurs sont mal à l’aise et sortent. J’ai vécu samedi soir 2h intenses. J’ai ri, j’ai frissonné, je me suis reconnue dans la solitude et dans l’étrangeté, mais aussi dans la violence et la tendresse. Two Cigarettes in the dark devient l’un de mes plus beaux souvenirs de Pina Bausch avec 1980 et Kontakthof. Une grande oeuvre.

Ruth Amarante et Julie Shanahan © IkAubert

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