Youssef Bouchikhi

Système Castafiore : Renée en botaniste dans les plans hyperboles

Renée dort dans du chloroforme. Elle n’est pas encore morte, elle est maintenue en vie. Le décor est blanc, des images sont projetées dessus. Un même discours est répété en anglais sur l’état de la patiente. Des hommes apparaissent, la lumière rend leurs visages invisibles. Sont-ils médecins ? Peut-être. Nous allons plonger maintenant dans le cortex de la jeune femme.

castafiore_renee7

« Qu’est-ce que je fais dans ton jardin? » Renée arrive dans un jardin, des créatures apparaissent. Renée danse au milieu de toutes sortes d’animaux, caméléon, oiseaux, et autres créatures peu identifiables. Les danseurs s’échappent des modules qui forment le décor, comme des haies bien taillées, et reprennent la chorégraphie où en sont ceux déjà présents sur le plateau. La danse est fluide, faite de bulles d’air. Le noir se fait sur les visages, place aux fantômes dont la jeune femme essaye de se souvenir.

castafiore_renee2

Les personnages parlent, en premier cette jeune femme. Elle essaye de se souvenir, de reconstituer le puzzle pendant ce temps de latence entre la vie et la mort. Mais rien n’y fait. La diction est ponctuée de gestes qui ne sont en rien du mime. Les voix sont retravaillées, ce sont des collages sonores. Elles viennent d’ailleurs. Les textes sont plutôt passionnants, ouvrent à une vraie réflexion, et pourtant petit à peu, il y a trop de choses sur la scène. Les arts visuels noient le propos, on se perd dans des images un peu vaines, bien que très bien montées, mais la fusion entre les arts ne se fait pas. L’émotion ne vient pas, et très vite on se lasse. La magie ne l’emporte pas, et on reste un peu coi devant ce spectacle qui pourtant promettait de belles choses. Un titre un peu long, qui perd le spectateur, malgré une belle danse et un joli fil rouge.

La page de Chaillot, clic

Merci à Youssef B. pour la place

Roméo et Juliette, mise en scène de Baptiste Belleudy

Il en faut du talent et de l’intelligence pour monter Roméo et Juliette de Shakespeare. Il faut que le spectateur soit ému par cet amour premier entre deux êtres, qu’il croit à la haine profonde entre deux familles, qu’il croit que seule la mort est l’issue de cet amour impossible et enfin qu’il rit, car le texte est truffé de bons mots. Hier soir, direction la Cité des Arts, pour découvrir un Roméo et Juliette monté dans un lieu bien particulier, La Tour Vagabonde. Si vous êtes déjà allés à Londres, vous êtes certainement passé devant le théâtre du Globe. Cette tour en est une réplique parfaite et c’est avec des yeux d’enfants qu’on entre dans ce petit théâtre.

La tour vagabonde

La pièce est finement mise en scène. Tous les ressorts du lieu sont bien utilisés. Les trois étages créent des espaces différenciés, très utiles pour la scène du balcon. Les combats à l’épée sont magnifiés et se font jusque dans les airs. Le bal des Capulets est bien chorégraphié, mêlant la joie de cette fête et la tradition d’un bal. Les enchaînements des scènes se font en chantant, ce qui vous donne des frissons, tant les voix sont bien travaillées. Ainsi à la mort de Tybalt, le Lacrimosa était d’une beauté sans pareille. Les lumières sont également très bien pensées. Plein feux lors des combats, notes bleutées dans la cellule de Frère Laurent. La traduction utilisée ici (Jean Sarment) est excellente. Les scène sont drôles, on rit de bon cœur, grâce aux jeux de mots de Mercutio et Benvollio. Il y a tout ce qu’on veux trouver dans une bonne mise en scène de la pièce de jeunesse de Shakespeare. La temporalité s’envole, on est dans le temps de l’amour. C’est une vraie fête et le public vibre complètement avec les comédiens.

Parlons-en justement des comédiens ! On est absorbé par leur jeunesse. Juliette (Anne-Solenne Hatte) est d’une beauté juvénile, Roméo (Baptiste Belleudy) découvre l’amour à mesure qu’il lit sur ce visage pur. Mercutio (Paul Gorostidi, soit dit en passant, je suis de l’avis de la nourrice..) et Benvollio (Stéphane Peyran) sont de vrais bon compagnons, railleurs sans manquer d’honneur. La nourrice de Juliette (Sylvy Ferru) nous fait nous tordre de rire, sans oublier de rester tendre avec sa petite protégée. Tybalt (Sylvain Mossot) est un félin aux griffes acérées. C’est admirablement joué, sans prétention, mettant en valeur le texte sans en faire des tonnes. Chanteurs, danseurs, ces comédiens savent tout faire et avec un vrai talent. C’est un plaisir intense de voir cette troupe donner autant d’émotions. On en ressort complètement ému, après avoir rit et frémit. Du vrai bonheur ! Si vous aimez Shakespeare, les histoires d’amour, l’humour, les combats à l’épée, allez voir cette pièce. Le lieu, l’ambiance, tout est réuni pour passer une excellente soirée !

Saluts Roméo et Juliette le 23 mars 2013

Après le spectacle, n’hésitez pas à vous rendre dans la petite auberge à côté du théâtre. On y dégustera vin chaud et raclette, normal, le projet de cette tour vient de Suisse. On pourra discuter de la pièce avec les comédiens, l’ambiance est bon enfant et très sympathique. Merci à Youssef B. pour cette jolie découverte. Il en parlera vendredi dans sa chronique sur France 2.

Le site de la compagnie Les mille Chandelles, clic

Roméo et Juliette, à partir du 20 mars et jusqu’en juillet.
Avec : Géraldine Azouelos, Baptiste Belleudy, Jonathan Bizet, Axel Blind, Gaspard Caens, Raphëlle Cambray, Laurent Evuort, Sylvy Ferru, Clémence Fougea, Thomas Gauthier, Jean-Luc Gillier, Paul Gorostidi, Anne-Solenne Hatte, Robin Laporte, Bernard Métraux, Sylvain Mossot, Françoise Muxel, Stéphane Peyran, Dominic Rouvillé, Frederico Santacroce, Jean-Laurent Silvi, Louis Yerli.

Artifact… sublime…

Artifact-Johan-Persson.jpg

© Johan Persson

Des moments suspendus comme j’en ai vécus hier soir, il y en a peu… Sortir d’un ballet avec une telle sensation de plénitude et de joie, c’est quelque chose de formidable. Artifact de Forsythe est un enchantement et je garde encore en mémoire, la musique et quelques unes des deux milles combinaisons de mouvements qui composent le ballet.

Artifact, pièce maîtresse du chorégraphe, commence comme dans un songe. Une femme, moitié vieille sorcière, moitié fée, parle. Step inside, step ouside, see, saw, do
you remember, will you forget, the rocks, the dust…
Ces mots vous hantent encore quand vous en sortez. Un autre personnage étrange fait son apparition, un homme avec un mégaphone, qui parle mais on ne comprend pas tout ce qu’il dit. Au milieu des deux conteurs, une figure lunaire, va donner le pas. Elle est une sorte d’idéal, avec son vocabulaire qu’elle va dicter à la troupe. Elle est intouchable dans son habit de Lune. On ne sait pas où l’on est, on ne connaît pas l’histoire que l’on va nous raconter. On se laisse porter par une scénographie surprenante, aux lumières tantôt éblouissantes, tantôt trop faibles pour distinguer les corps. Forsythe joue avec les codes du théâtre et de la danse, il fait répéter à ses deux acteurs les règles du ballet. Il crée cet univers dans lequel les corps deviennent des objets, des productions d’une activité humaine, des « artefact ». Les corps se transforment sous l’influence de cette danse, qui pousse la technique classique à son paroxysme.

artifact_2-Pascal-Gely-CDDS.jpg

© Pascal Gély CDDS

Les mouvements d’Artifact se déclinent à la fois sur un plan collectif, où le groupe fait corps, et produit un mouvement général et sur les individus eux mêmes, qui sont
soumis à des mouvements parfois violent et exceptionnels en même temps. Les lignes se font et se défont. Forsythe casse les rythmes, les reforment, poursuit le piano, bouscule le violon. Le rideau s’ouvre et se ferme, dérange le regard du spectateur, qui ne sait plus où regarder, sans éprouver pour autant une sensation désagréable, mais plutôt un manque, l’envie terrible d’être derrière ce rideau et de continuer de voir ces corps bouger. Le bruit des chaussons sur le sol, qui eux aussi s’accordent parfaitement, donne l’impression d’une seule unité. Les danseurs sont liés par cette chorégraphie, pas un ne peut se détacher de cette énergie. On sent d’ailleurs le bonheur des danseurs à être sur scène avec avoir ces gestes dans leurs corps. La danse de Forsythe est merveilleuse car elle sait utiliser le langage classique en le brisant complètement, en le rendant exponentiel. Les dos se meuvent, les muscles bougent, c’est une ode à la beauté du corps qui est faite sur scène. Après la Chaconne de Bach, on est complètement ébahi au fond de son siège, un grand sourire aux lèvres. Y*** et moi ne bougeons pas de notre premier rang, enchantés et
émerveillés de notre soirée.

Après l’entracte (on aurait franchement pu s’en passer…), retour dans notre univers magique, mais cette fois, les danseurs sont encore en tenue de répétition, notre
sorcière-fée s’essouffle à répéter les mots, notre homme au mégaphone tente d’en placer une et un décor se construit et se déconstruit. Les corps sont comme des électrons libres, et vont ça et là avec un vocabulaire de gestes qui rappellent les deux premières parties. Tout se détruit une fois encore et se reconstruit. Le décor bâti, les danseurs peuvent à nouveau évoluer dans cet espace, où les corps vont devenir des ombres sur un fond blanc.

Artifact-3-Johan-Persson.jpg

© Johan Persson

Les mains qui claquent, le piano de Margot Kazimirska, pianiste exceptionnelle qui donne la pulsation, qui joue elle aussi à poursuivre les mouvements ou à les esquiver. Encore des lignes, mais toujours différentes, et ce personnage lunaire, qui dicte des ports de bras, qui évolue librement dans ce groupe habité par son énergie interne.

Le rideau se referme, avec une poésie rare. Seule la danse peut procurer de telles émotions, seule la danse sait me faire entrevoir l’intangible. Artifact est un ballet fabuleux, dansé avec une belle maîtrise par le Ballet Royal de Flandres. J’espère qu’à l’Opéra on aura la chance de revoir Artifact Suite, qui est au répertoire, et qui reprend en partie la chorégraphie du premier ballet. C’est un bonheur infini de voir de telles oeuvres dans sa vie.

 

 

Chorégraphie William Forsythe

Décor, lumière, costumes William Forsythe

Musique Eva Crossmann-Hecht, Jean-Sebastien Bach et montage sonore de William Forsythe

Avec les danseurs du Ballet Royal de Flandre

Et les artistes invités Margot Kazimirska, Kate Strong, Nicholas Champion

Production Ballet Royal de Flandre

Coréalisation Festival d’Automne à Paris