Yann Saïz

L’histoire de Manon Ciaravola/Ganio/Saiz/Daniel

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Troisième fois pour ce ballet avec une distribution que j’attendais avec impatience. Un de mes plus beaux souvenirs de cette année était Onéguine avec Isabelle Ciaravola et Mathieu Ganio, et c’est pourquoi j’avais hâte de les revoir dans une histoire encore plus tragique.

Isabelle Ciaravola est une Manon très naïve, inconsciente de sa beauté. Elle séduit et attire sans le vouloir tous les regards sur elle, public comme personnages. Ciaravola a la capacité de capter l’audience sur scène et dans la salle. Moi qui avait peur de me lasser du ballet et de trouver le temps long, elle m’a fait oublier les moments plus mous, car elle ne perd jamais de vue son rôle. Elle vous tient, car on sent que la Manon qu’elle propose n’est pas un personnage si simple, à la double facette amoureuse/vénale. En face d’elle, Des Grieux. Mathieu Ganio incarne à merveille ce jeune garçon fougueux, qui va déployer son amour à mesure d’une variation de profil. On a l’impression de regarder un moment très intime, où Manon découvre tous les traits de ce jeune soldat. Elle le dévisage avec une certaine admiration, on sent le personnage impressionné et honoré devant une telle déclaration.

La scène de la chambre reste – avec le dernier pas de deux – mon passage préféré.
Ciaravola et Ganio savent mettre toute la passion d’un premier amour dans ce pas de deux. Chaque pas est une découverte de l’autre, chaque toucher est un frisson. La légèreté de Manon qui s’envole dans les bras de Des Grieux est un moment de grâce dont on ne peut se lasser.

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Le deuxième acte confirme l’importance du personnage de Lescaut incarné ce soir avec brio par Yann Saiz. Il incarne un frère protecteur mais habité par l’argent et le jeu. L’homme à la morale légère multiplie les oeillades aux jeunes femmes qui l’entourent, tout en se rangeant dans les bras de sa maîtresse, dansée ce soir par la charmante Nolween Daniel. La variation de l’ivresse montre un Yann Saiz solide techniquement et surtout, très drôle. La salle rit beaucoup, il joue à la fois des regards complices au public sans oublier les courtisanes sur la scène.

Ciaravola domine la scène dans la variation de Manon. Elle s’impose en femme maîtresse de son destin, mais hélas c’est dans le non-choix et la fourberie qu’elle se perd. Ciaravola hésite et change sa façon de danser suivant le partenaire qu’elle regarde. Son style est à la fois très graphique, grâce à ces jambes – ahh ces jambes ! – et souple, avec une aisance, presque indécente.

De retour dans la chambre de Des Grieux, Manon est très troublée, Ciaravola montre déjà des aspects de la déchéance de Manon. Si son côté vénale perdure en voulant emporter les diamants, elle ne comprend pas tout de suite la situation délicate et d’urgence dans laquelle elle se trouve. La tragédie qui commence par la mort de son frère en est d’autant plus fort que le décalage est grand. Je suis suspendu aux regards de ce couple qui commence sa descente aux enfers.

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Au troisième acte, je passe sur les deux premières scènes que j’apprécie de moins en moins et qui semblent durer une éternité, pour arriver au dernier pas de deux, qui fut de toute beauté. Ciaravola pratique un relâchement tel, c’est avec une confiance sans égale qu’elle laisse Mathieu Ganio mener la danse. il tente dans un dernier instant de la faire danser, pour la faire vivre. La flamme de leur amour brûle d’une façon encore plus intense, même si la fin est inévitable. De nouveau, très émue de redécouvrir une fois encore cette histoire, peut être encore plus car j’ai fait découvrir ce ballet à M***, qui a partagé mon émotion.

Très belle soirée, pause à présent avant la matinée des adieux de Clairemarie Osta le 13 février.

  • Distribution du 26 avril 2012, 19h30
Manon Isabelle Ciaravola
DesGrieux Mathieu Ganio
Lescaut Yann Saïz
La Maîtresse de Lescaut Nolwenn Daniel
Monsieur de G. M. Eric Monin
Madame Amélie Lamoureux

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Danse-Opéra, Une saison à l’Opéra, Danses avec la plume

 

Séance de travail Roméo et Juliette, premier coup de foudre

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Je n’avais jamais vu ce ballet. En « vrai » je veux dire. Des dizaines et des dizaines de fois en DVD par contre. C’est donc plein d’attentes que je m’étais inscrite pour la séance de
travail. Hélas l’Arop et son « merveilleux » site m’avait éliminée des « élus » pour pouvoir y assister. Le petit rat n’allait pas en rester là. Pire qu’un conflit entre Montaigu et Capulet, il
fallait que j’assiste à cette séance de travail. Lundi une belle âme pensa à moi et j’obtenais le saint Graal pour pénétrer les lieux. Mais pourquoi cette séance de travail avait elle été un tel bazar à organiser? 3 classes de primaires, 2 classes de lycéens (à vrai dire je ne sais pas trop quel âge avaient ces jeunes gens qui ont passé plus de temps à regarder leurs sms et à se les montrer car voir le drame qui se déroulait sous leurs yeux..).

Tout le monde connaît l’histoire de Roméo et Juliette. Deux familles opposées, une guerre qui réveillent les passions, deux jeunes gens qui tombent passionnément amoureux, mais dont l’amour est impossible au vue de la guerre qui déchire leur famille respective.

Vincent Chaillet répétant Tybalt/ Photo Julien Benhamou

© Julien Benhamou

J’ai été complètement happée par le drame et ce non seulement grâce à la danse, mais aussi au jeu de comédiens des danseurs. Je donne tout de suite une mention spéciale à Agnès Letestu, qui fut une grande tragédienne et qui m’a beaucoup émue à la fois dans l’amour passion, mais surtout dans la tragédie.

C’est un ballet qui est très particulier car ce n’est pas un ballet classique. Ici pas de tutus, pas de Tchaïkowsky, ou Minkus. La musique de Prokofiev est très narrative, prend des couleurs particulières à chaque variation. Elle donne un aspect différent à la danse. La partition me semble complexe, pleine de mystères. Elle mène Roméo à Juliette et réciproquement. Elle raconte des sentiments, tout comme la danse, chaque geste, chaque note est une phrase beaucoup plus que dans un ballet « classique ».

« Deux illustres maisons, d’égale dignité

Dans la belle Vérone où nous plaçons la scène,

Enflamment à nouveau leur antique querelle,

Et de leur propre sang les citoyens se souillent. »

On est plongé d’entrée dans une ambiance très sombre. Le ballet est construit comme un film fait de flashbacks et de visions. Cela renforce la trame narrative. On assiste à un enterrement. Le décor est posé. Des visages sombres. La fin est déjà là, toute annoncée dans cet enterrement.

Roméo apparaît accompagné de ses compagnons, cousins et autres personnages appartenant à la famille des Montaigu. Roméo est dansé par Florian Magnenet que je trouve d’emblée très léger et à l’aise d’un point de vue technique mais un peu trop scolaire.

« Amoureux ?

– Dépourvu…

D’amour ?

– Des faveurs de celle que j’aime. »

Eve Grinsztajn apparaît sous les traits de Rosaline. Elle est parfaite dans le rôle de séductrice sans trop en faire. Elle émeut Roméo par un jeu de bas de jambes très gracieux. Elle le soutient du regard tout en le laissant à distance. Les amis de Roméo tentent de l’éloigner de celle qu’ils considèrent comme un corbeau caché sous l’apparence d’un cygne, car Rosaline n’aime pas Roméo.

Les Capulet entrent et commence le premier combat entre les deux familles. C’est très beau. Les duels sont parfaitement réglés. Le maniement des épées m’impressionne (pour avoir eu l’occasion d’en soulever une, je peux vous dire que ce n’est pas si léger..). Dans cette guerre, il n’y a pas que les hommes qui se battent les femmes sont prises à parti. Elles sont même parfois monnaie d’échange pour cesser un duel qui deviendrait trop dangereux. On est dans un film de cape et d’épée, tous les danseurs révèlent leurs qualités de comédien. Un prêtre met fin à cette querelle.

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© JMC

On change de décor, on est dans la suite de Juliette fille de Capulet. C’est le seul décor un peu plus joyeux. Letestu se montre tout de suite comme une Juliette parfaite. Ses bas de jambes sont présentés élégamment à chaque pas. Son jeu est impeccable, elle incarne à merveille cette adolescente de quatorze ans qui joue à cache-cache avec ses amis, quand sa mère ( interprétée ce soir par Stéphanie Romberg ) entre pour lui annoncer le bal du bal et surtout son futur mariage avec Paris.

« Le valeureux Paris vous voudrait pour femme. […]

Lisez le livre de son visage, et les délices

Que la beauté y trace de sa plume. […]

Et en le possédant, [vous] ne serez pas diminuée. »

 

A la fête des Capulet, s’introduisent Roméo et ses amis. J’ai adoré la danse des chevaliers, je ne me lasse pas de la puissance de la musique. Emmanuel Thibaut en Mercutio est décidément brillant. Trop même, tout cela semble bien trop facile pour lui. Le rôle lui va comme un gant, jeune héros, bondissant d’aventures en aventures. Du coup j’ai hâte d’y voir Heymann ! Bullion en Tybalt c’est comment vous dire un pléonasme. Fougueux, insolent, haineux, Bullion ne laisse aucun pas ni regard au hasard. On sent que ses nerfs peuvent lâcher à tout moment à la simple vue d’un Montaigu. Les danses commencent, je suis une nouvelle fois absolument charmée par cet ensemble harmonieux.

« Celles dont les pieds

Ne sont pas affligés de cors vont vous faire faire

Un petit tour de danse. […]

Jouez du talon, jeunes filles. « 

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© JMC

Dans le bal, c’est sur un simple regard que Roméo et Juliette tombent amoureux. Les regards deviennent de plus en plus complices. Les pas de danse se délient et se complexifient comme les sentiments s’enrichissent. Le couple fonctionne bien même si je ne suis pas convaincue par Magnenet en Roméo. Il lui manque quelque chose dans son jeu. Bizaremment il est peut être un peu trop juvénile. Il lui manque un peu de gravité, je ne l’ai pas senti envahi par un sentiment puissant. Cela ne s’est pas assez répercuté dans sa danse. Agnès Letestu est elle complètement soumise à ce coup de foudre, chaque pas évolue vers une passion plus forte. Au baiser Juliette semble plus éprise que jamais, elle s’abandonne complètement.

« Mes lèvres sont toutes prêtes, deux rougissants pèlerins,

À guérir d’un baiser votre souffrance. […]

Et que mon pêché

S’efface de mes lèvres grâce aux tiennes.

– Il s’ensuit que ce sont mes lèvres

Qui portent le pêché qu’elles vous ont pris.

– Le pêché, de mes lèvres ? Ô charmante façon

De pousser à la faute ! Rends-le moi ! « 

La dernière scène de l’acte I est celle du balcon. L’ambiance est douce, c’est la nuit, Juliette est sur son balcon en chemise de nuit. Roméo apparaît et leur dialogue est tout en
délicatesse. Je sens encore Magnenet fragile sur le jeu « d’acteurs » mais tout à fait solide dans sa danse. Il faudrait qu’il se lâche plus car il a vraiment en face de lui une partenaire idéale qui s’éprend de lui comme on s’éprend d’un premier véritable amour. Agnès Letestu se jette à corps perdu dans les bras de son partenaire. Elle est lumineuse. Malgré mes voisins qui ne cessent de parler, la scène est très émouvante. J’ai rarement vu un pas de deux comme celui là. Tous les pas sont des déclarations d’amour, chaque geste raconte une histoire. Chaque baiser augmente en intensité comme si à chaque fois cela devait être le dernier. Chaque mouvement gagne en amplitude à mesure que l’amour naît entre ces deux êtres. Je savais que c’était beau, mais en « vrai » c’est une vraie découverte !

« Ô Roméo,

Si tu m’aimes, proclame-le d’un cœur bien sincère, […]

Je suis trop éprise »

Après l’entracte, il est temps de passer aux choses sérieuses. Sur une place Roméo rêve de sa Juliette. « Roméo aime à nouveau, il est aimé. » Mercutio et Benvollio (interprété par
Yann Saïz) se jouent de lui en se déguisant en femmes. C’est très drôle. La nourrice arrive pour donner un billet à Roméo mais elle doit d’abord passer entre les mains des deux compères qui la taquinent allègrement. S’ensuit la danse des drapeaux, assez impressionnante. Un variation entre les trois amis qui me plaît beaucoup aussi. Après la lecture de la lettre, Magnenet se lâche un peu plus et me laisse entrevoir ce qu’il est capable de faire. Mais de retour chez le prêtre pour le mariage, je le sens encore un peu coincé et mal à l’aise. Oh ce n’est qu’une répétition, il a encore le temps de s’épanouir dans ce rôle.

« Ô Roméo, Roméo, le brave Mercutio est mort. […]

Tybalt est tué! »

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La mort de Mercutio est l’occasion de voir une dernière fois les bonds d’Emmanuel Thibaut. Sa mort à laquelle ses amis ne croient pas au début est une farce qui tourne à la tragédie. Roméo venge Mercutio d’un coup d’épée dans le coeur de Tybalt. Je suis plus touchée par Tybalt que Roméo. Je crois que pour les balletomanes assises à côté de moi, ce soir notre Roméo c’est Stéphane Bullion ! Il est bien plus tragique que Magnenet. Il est plus dans l’histoire, dans la trame de la pièce.

« Roméo a tué Tybalt, et il est banni. […]

– Oh, Dieu ! La main de Roméo a versé le sang de Tybalt ? »

Deuxième entracte, on entre au troisième acte qui m’a paru un peu long. Surtout au début. Le pas de deux de la chambre est très beau, il me semble très difficile, mais Letestu et Magnenet s’en sortent bien. J’ai aussi aimé le conflit qui oppose Juliette et ses parents. C’est très fort et très théâtral et encore une fois Agnès Letestu ne perd pas une minute son rôle. Il y a des passages très puissants dans cet acte. J’ai été envoûtée par le retour de Tybalt et de Mercutio qui hantent la conscience de Juliette. La scénographie est superbe, les lumières bleutés nous plongent dans l’esprit de l’héroïne tiraillée entre l’amour et l’honneur. C’est bien entendu l’amour qui l’emporte et il faut dès lors trouver le plan pour retrouver son cher Roméo.

« Ce « banni », ce seul mot : « banni »

A tué dix mille Tybalt. « 

La scène de la ruse entre Frère Laurent et Juliette se joue sur deux plans. Au premier Agnès Letestu, qui écoute les paroles du prêtre. Au second, une autre Juliette qui danse la future scène. Ça marche assez bien, l’effet a du charme.

« Accepte d’épouser Paris. […]

Eloigne la nourrice de ta chambre,

Prends cette fiole et, une fois au lit,

Bois la liqueur qui y est distillée […]

Ni souffle ni chaleur n’attesteront que tu vis. « 

Ce qui suit est une tragédie complète. Je suis très émue par la mort de Juliette qui à son réveil ne trouve qu’un mort à la place de son amant. Le corps encore chaud et les gouttes de poison ne suffiront pas à la tuer, le poignard est la seule issue pour rejoindre son amour.

« Ô poignard, bienvenu,

Ceci est ton fourreau. ( Elle se poignarde.) Repose là,

Pour que je puisse mourir.

(Elle tombe et meurt sur le corps de Roméo). « 

 

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© Agathe Poupeney/ Fedephoto

Le ballet s’achève sur cette double mort. J’en suis toute retournée. Je vais voir ce ballet le 28 et le 30 avril, mais je crois que les places à 5€ vont être mes meilleures amies pour
pouvoir revoir ce ballet. Je vous le conseille mille fois.

J’ai passé une soirée délicieuse et ce n’était qu’une répétition. J’ai hâte de le voir avec une salle comble.

  • Distribution du 8 avril 2011

 

Juliette Agnès Letestu
Roméo Florian Magnenet
Tybalt Stéphane Bullion
Mercutio Emmanuel Thibault
Benvolio Yann Saïz
Pâris Yannick Bittencourt
Rosaline Eve Grinsztajn

 

Serguei Prokofiev Musique
Rudolf Noureev Chorégraphie et mise en scène
(Opéra national de Paris, 1984)
Ezio Frigerio Décors
Ezio Frigerio et Mauro Pagano Costumes
Vinicio Cheli Lumières

 

  •  Bonus vidéo