Stéphane Phavorin

Soirées Roland Petit

Deux soirées, deux soirs de suite, deux ambiances. La première le mardi 26 mars et la deuxième, le mercredi 27 sorte de bonne intuition pour une date de nomination.

Le rendez-vous est une pièce que j’aime beaucoup par son aspect cinématographique. Au premier rang de l’orchestre, on a l’impression d’être seul au monde à vivre ce drame digne d’un film. La musique et le chant, d’abord, comme un générique de vieux film en noir et blanc, les danseurs ensuite, qui apparaissent déjà plus comme des comédiens que dans un ballet traditionnel. Le film commence, on ne lâche pas le personnage principal du regard. Le jeune homme part vers son destin, en compagnie d’un bossu, ami qui ne se révèlera pas chanceux. La valse qui les emmène vers la plus belle fille du monde, est un passage une fois encore très prenant. On oscille entre la comédie musicale et une pantomime qui fait avancer l’histoire. Hugo Vigliotti se montre un brillant partenaire. Danse, expression, technique, tout y est et sa joie de danser transperce l’écran. Nicolas Le Riche se montre comme il y a deux ans, admirable et juste dans ce rôle. Sa jeunesse et sa fraîcheur sont incomparables. Eleonora Abbagnato est la plus belle fille du monde, il ne faut pas en douter. Sublimée par ses talons, sa robe qui forge une silhouette de rêve, le jeune homme ne pouvait qu’être dupé.
Le lendemain, distribution différente mais non moins intéressante. Amandine Albisson se révèle très juste dans le rôle de la plus belle fille du monde. Quant à Alexandre Gasse, il ne démérite pas. Sa technique est franchement impeccable et son interprétation encore un peu timide me convainc, par sa sincérité. Il n’imite personne et veut s’imposer. On découvre bien le potentiel de soliste de ce jeune garçon.

Nicolas LeRiche et Eleonora Abbagnato dans Le Rendez-Vous de Roland Petit

Le rendez vous le 26 : avec Nicolas Le Riche, Eleonora Abbagnato, Hugo Vigliotti, Stéphane Phavorin.
Le rendez vous le 27 : avec Alexandre Gasse, Amandine Albisson, Hugo Vigliotti, Stéphane Phavorin.

Deux soirées mais une seule distribution dans Le Loup. Là encore, dans un autre domaine cinématographique, cette pièce est très visuelle. On est dans l’univers de la Belle et la Bête. Les gestes de la danseuse ressemblent tant à ceux de Josette Day dans le film de Cocteau, qu’on lit immédiatement l’amour qui s’empare d’elle pour cet être à l’humanité cachée mais bien plus grande que celles des hommes et femmes qui l’entourent. Les femmes apparaissent souvent plus cruelles que les hommes chez Roland Petit. La bohémienne est de cette catégorie d’héroïnes, qui tuent, comme par plaisir. Sabrina Mallem, est brillante dans l’exercice. Séductrice, délicieuse et cynique à la fois. L’interprétation de Stéphane Bullion et Emilie Cozette est très juste comme il y a deux ans. La musique de Dutilleux les porte, c’est très narratif et on se laisse vite emmener dans la naissance des sentiments entre ces deux êtres. La séduction, la méfiance, le doute, la passion, l’amour raisonnable, tout y est et c’est une vraie carte du Tendre que parcourent nos deux héros. La chorégraphie du pas de deux est pleine de petits détails qui rendent une fois encore cette oeuvre, facile à suivre,tout en gardant des exigences techniques incroyables.

Le Loup, avec : Emilie Cozette, Stéphane Bullion, Sabrina Mallem et Christophe Duquenne.

Aurélie Dupont dans Carmen

Carmen… La nouvelle de Mérimée est déjà un chef d’œuvre, la musique de Bizet semble écrite pour la danse. Quand il crée Carmen, Roland Petit voit là encore son ballet comme un film avec un décor et des accessoires très forts visuellement. Les chaises de la scène de la taverne, déjà utilisées à bon escient dans Le jeune homme et la mort, signe l’identité de la pièce.

Deux Carmen et deux spectacles complètement différents. Aurélie Dupont est une Carmen noble,parfois trop pour moi.Le travail des bas de jambes est impeccable, les jambes sont montées à 90°, les positions cinquième, ouvertes au maximum, comme une provocation érotique sont là, et bizarrement, je ne me laisse pas séduire. Trop aristocratique, manque de noirceur malgré la perruque. La surprise est du côté de Karl Paquette, délicieusement espagnol et complètement étonnant. Voilà l’homme caliente qu’il nous fallait pour compenser la froideur de sa partenaire. C’est un Don José faillible, aveuglé. Côté seconds rôles, c’est très réussi. Allister Madin comme François Alu sont des chefs gitans qui n’hésitent pas à exagérer le caractère filou de leur personnage (et les mains posées sur les fesses de ces demoiselles en sont une bonne occasion)
Une étoile en chasse une autre. Ou plutôt deux même. Nicolas Le Riche, c’est Don José. C’est évident, c’est Roland Petit qui souffle les pas dans ses jambes et qui donne le regard juste à l’espagnol. Abbagnato avait déjà travaillé le rôle, mais pas comme cela. Là, c’est magique. On retiendra deux moments : la sensualité du pas de la chambre et la corrida entre Carmen et Don José. A en avoir des frissons. La suite, c’est la nomination. Elle devait arriver à la première et puis on ne sait pour quelle raison obscure, dont seul l’Opéra a le secret, il a fallu attendre le 27 pour que la belle soit couronnée. Trop tard certains diront. Il n’empêche que ce soir, Eleonora a montré qu’elle en avait encore sous la pointe. C’est une interprète à la technique encore admirable. L’interprétation de Carmen était belle, la salle l’a suivie dans un silence quasi religieux. Ovation méritée pour cette nomination tant attendue. Encore bravo.
J’espère que mon ami F***qui était pour la première fois à Garnier n’a pas été déçu du voyage, mais j’ai un peu regardé ses yeux et je ne le crois pas.

Nomination Eleonora

Merci à JMC pour la soirée du 26 du spectacle au dîner ! C’était une excellente soirée !
Merci à Julien Benhamou pour les photos reçues.

Séance de travail Balanchine

Retour à Garnier pour la première fois de la saison, cela ne pouvait pas se passer facilement ! Outre le défilé des Galeries Lafayettes qui occupait le quartier, mes lunettes sans qui je suis complètement dans le flou, avaient décidé de divorcer. Chouette, aller voir un spectacle sans lunettes…. Certes, il n’y a pas de sur-titres, et je connais les chorégraphies, mais quand même ! Bref, j’ai passé une soirée dans le flou ou les yeux collés à mes jumelles seul moyen pour moi de voir la danse ! Chers danseurs, hier dans mes yeux vous étiez tous doublés, ce qui avait un effet grandiloquent. Parlons plutôt des ballets que vous pourrez voir à partir de lundi prochain au Palais Garnier.

Le programme est composé de trois ballets, tous trois très différents.

Le premier est Sérénade. C’est un ballet qui a été créé en 1934. C’est une des premières créations « outre-atlantique », peu de temps avant la fondation du NYC Ballet. Pas d’argument dans cette petite pièce sur une musique de Tchaïkowsky. Balanchine a fait avec les moyens du bord. Premier jour de répétition, il y avait une vingtaine de filles, le surlendemain, plus que six. Qu’à cela ne tienne, il écrit la chorégraphie, le mouvement doit continuer. Une fille entre en pleurant dans le studio ? On conserve alors cette entrée. C’est cela qui fait la douceur de pièce. Elle regorge de petites pépites, d’intentions dissimulées ça et là. Balanchine n’a eu de cesse de modifier cette pièce, en ajoutant ou retirant des détails, des regards, parfois même des gestes entiers. On peut s’inventer une histoire alors qu’il n’y en a pas. Les longs tulles bleus renforcent cette idée romantique, peut être d’une passion entre un danseur et cette jolie blonde qui arrive au cours en retard. Il n’en est rien, mais rien ne vous empêche de laisser aller votre imagination.

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Dans mes jumelles, j’ai tout de même aperçu Eleonora Abbagnato, pour ma plus grande joie. Mathilde Froustey et Myriam Ould Braham ont aussi déjà offert du spectacle !

Le deuxième ballet proposé est de loin mon préféré. Il s’agit d’Agon, ballet de 1957. Sur une musique de Stravinsky, qui peut vous sembler sans mélodie, Balanchine construit une chorégraphie qui ne manque pas d’innovation. Ce « combat » est plus une « battle » entre la danse et la musique, car il ne faut jamais en perdre le rythme. La virtuosité technique exigée par Balanchine rappelle la complexité de la partition et il se construit un dialogue entre les deux qui m’emmène dans un imaginaire fabuleux. On peut dire qu’Agon fait partie des ballets en noir et blanc au même titre que Les 4 Tempéraments (que j’adore!), où les pas de deux succèdent aux pas de quatre, sans transition et pourtant on n’en perd pas pour autant le fil.

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Le dernier ballet est Le Fils Prodigue. Il a été écrit pour Serge Lifar, dans Les Ballets Russes de Diaghilev, en 1929. La version présentée date de 1957, Balanchine avait l’habitude de remanier ses ballets. L’argument est fort simple. Un fils veut plus de liberté, et quitte le foyer familial. Il se fait voler par ses deux compères, puis il rencontre un bande de lutins, qui le mettent dans les bras d’une femme envoutante et dominatrice qui finit de le ruiner. Il se retrouve seul et en guenilles. Il rentre alors chez son père, qui est heureux d’enfin le retrouver. La chorégraphie ressemble beaucoup à du Roland Petit et on ne peut pas s’empêcher de penser au Jeune Homme et la Mort. On est dans une écriture assez fine, résolument contemporaine avec un langage néoclassique. La musique de Prokofiev sert la narration, car elle l’accompagne et insiste sur les moments forts de la vie de ce jeune homme. En même temps, cette musique offre au chorégraphe des changements de rythme fabuleux pour monter une chorégraphie d’une grande modernité. Hier soir, Je n’ai pas quitté des yeux, des jumelles Agnès Letestu… Quelles jambes !

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Les distributions sur le site de l’Opéra de Paris

Allez je m’en vais me racheter des yeux pour y voir quelque chose à la première de lundi !

Adieux de Clairemarie Osta

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© Elendae

J’ai d’abord cru qu’il était possible d’obtenir un pass jeunes. Et puis les touristes n’attendant que des places de première catégorie ont tout raflé. Pas grave, je fonce à 19h29, direction la loge 7, mais je croise un ouvreur charmant qui me replace. J’entre en loge 15 où je retrouve Garielle et Genoveva. Vue parfaite sur la scène quand on se perche un peu sur son fauteuil. C’est un art de s’installer confortablement en fond de loge.

Le ballet commence, et on rentre bien plus dans la musique qu’auparavant. Sans doute, depuis les premières répétitions, l’oreille s’est habituée à cette musique, qui est issue de différents opéras de Massenet. Les thèmes qui correspondent à différents personnages permettent une certaine lisibilité de l’histoire et l’arrangement joué par l’orchestre ne m’a pas gênée. Clairemarie Osta est applaudie à son entrée sur scène. La salle se remplit alors d’une certaine tension. Dernière de Manon, dernière d’Osta…On a envie de profiter de chaque minute qui défile sous nos yeux, sans rater une miette de ce ballet. On voit passer le sourire ravageur de Renavand, impeccable en maîtresse de Lescaut, drôle, séductrice et coquine. Stéphane Bullion se montre toujours aussi brillant en Lescaut. Il parvient à créer un personnage complexe, reniflant l’argent partout il pousse, tout en gardant l’art des relations sociales.

Le premier pas de deux est magique surtout avec Le Riche, majestueux. On croit à cet amour de jeunesse, on voit en ce danseur, le visage juvénile d’un Des Grieux, tombant sous le charme, comme les autres hommes, de cette Manon mystérieuse. Clairemarie Osta est une Manon qui se montre intelligente, qui semble analyser les regards qui se portent sur elle. J’apprécie sa façon de monter sur la pointe de son chausson, avec une certaine suspension, tout en laissant traîner un regard vers un homme.

Le premier pas de deux de la chambre est celui qui me plaît le plus chorégraphiquement. J’adore la façon dont Des Grieux, fait descendre au sol Manon en la tenant par la nuque. Les baisers sont fougueux entre Osta et Le Riche, la passion transpire entre ces deux là. La fluidité dans les portés est remarquable. Manon glisse, s’envole, virevolte. La mousseline de sa robe légère suit les mouvements, et laisse découvrir les jambes de Manon tant désirées par la suite par Monsieur de G.M. Je suis à nouveau très émue par l’interprétation et la danse de Le Riche/Osta.

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A l’entracte, on croise tous les balletomanes ! L’excitation est à son comble, ça bavarde, chacun s’épanche sur son moment préféré, sur l’intelligence d’Osta dans sa danse, sur Nicolas Le Riche, définitivement le plus charismatique d’entre tous. Bizarre tout de même, cet adieu en matinée. Il manque l’ambiance d’une soirée, mais voir tous ces enfants dont ceux d’Osta, crée aussi une ambiance particulière, de joie.

Retour dans ma loge en compagnie de Gaerielle et Genoveva, qui ont récupéré plein d’affiches d’adieux. L’opéra édite des affiches quand une étoile de la compagnie part sur d’autres routes.

Reprise du ballet, Bullion est brillant dans son rôle de frère ivre et malsain. Comme un clown triste, son personnage est complexe, on oscille entre le rire et un sentiment pathétique à travers cet ivrogne dont la perte est déjà assurée à ce moment du ballet. Clairemarie Osta livre une Manon délicate et délicieuse, pour laquelle les hommes au regard avide, débordent de désir. Manon, objet de fantasme, enfant dans un corps de femme, qui croit avoir de la maîtrise de ce monde qui l’entoure, alros qu’elle en est la première victime. Osta maîtrise son personnage et prend un plaisir immense à occuper cette scène. Le public est pendu à ses pointes, et suit ce petit jeu de séduction qui finit mal.

Retour dans la chambre où Manon et Des Grieux se déchirent pour la valeur de l’argent. La tension est forte, à l’image de la complicité des deux protagonistes. Je suis suspendue aux bras d’Osta et aux regards de Le Riche. La pression monte jusqu’à la mort de Lescaut. Tragédienne jusqu’au bout, Osta livre une Manon tragique, profondément grave face à la mort de son frère. Quand arrive l’entracte, on commence à vouloir ralentir le ballet qui m’a paru étonnamment court.

Après la pause, retour pour les vingt dernières minutes de Manon. Clairemarie Osta danse avec une émotion certaine, elle fait frissonner la salle. Aux saluts, ovation du public. Le visage de l’étoile redevient le sien, Manon reste en arrière pour laisser Clairemarie profiter de ce dernier instant sur la scène avec son public. Cotillons dorés, sourire figé par l’émotion, larmes discrètes, les spectateurs applaudissent très fort, crient merci et milles bravos retentissent sous le lustre de Garnier.

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© Elendae

  • Distribution du 13 mai 2012 14h30
Manon Clairemarie Osta
DesGrieux Nicolas Le Riche
Lescaut Stéphane Bullion
La Maîtresse de Lescaut Alice Renavand
Monsieur de G. M. Stéphane Phavorin
Madame Viviane Descouture

 

Dernière de Roméo & Juliette, Gilbert/Hoffalt.

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Samedi, alors que toute la blogosphère se rend à la représentation en matinée pour voir la prise de rôle de Myriam Ould-Braham, moi crevée après mon cours de pilates, je choisis la sieste. Après
le réconfort, l’effort, je file à mon cours de danse classique, et cours enfin à la billetterie où je retrouve Pink Lady qui tentait de nous avoir
des pass.

Dernière soirée Roméo et Juliette, pas encore tout à fait remise de celle de jeudi, c’est avec excitation et pleine d’attentes que je m’installe au fond du parterre. Dès le début du
premier acte
, je me fais la réflexion qu’il y a encore plein de détails dans les costumes et les décors que je découvre. Josua Hoffalt montre d’emblée qu’il est à la hauteur du rôle. Je
suis séduite tout de suite par son visage juvénile et son allure innocente. Un peu joueur, un peu timide, il tente une approche plus fine avec Rosaline. Laura Hecquet interprète cette dernière et le rôle lui va très bien. Elle n’en fait pas trop, joue de ses bas de jambes, tout en restant distante de ce Roméo qui ne l’intéresse pas. Mercutio, Allister Madin, et Benvollio, Yann Saïz, s’accordent très bien autour de ce Roméo. Je ne me lasse pas du combat entre les deux familles que j’avais trouvé la première fois un peu long. Cette partie permet aux danseurs du corps de ballet de montrer ce qu’ils peuvent faire en matière de jeu. Les frappes de pied sur le sol, tout l’inspiration des danses de caractère, que l’on retrouve tout au long du ballet, met bien en valeur les qualités artistiques et techniques de ces danseurs. C’est d’ailleurs plaisant de voir un ballet sans tutu, sans pointes (ou presque!). Les qualités musicales, rythmiques et théâtrales des danseurs sont évidentes, j’apprécie le côté danse populaire de ce passage du ballet. Cela me fait penser à la conférence sur les danses de bal que j’avais vue au CNSMDP. A la fin du combat, Tybalt entre sous les traits de Stéphane Phavorin (réflexion commune avec Pink Lady: « Mais qu’est-ce que c’est que ce bouc peint sur son visage?! »). Ce genre de rôle un peu noir, de personnage mystérieux lui va bien. Je l’avais adoré en Rothbart dans le Lac, il portait une puissance et une majesté qui m’avait tout de suite impressionnée. Il est un
Rothbart très différent de Stéphane Bullion, moins sanguin peut être. Techniquement comme toujours chez Phavorin, c’est très propre et il prolonge toujours les mouvements avec une intensité, une nuance, que j’aime beaucoup. Après l’arrêt du prince, nous retrouvons Juliette dans sa suite princière (tout est princier cette semaine!) accompagnée de ses amies, parmi elles on reconnaît la frimousse de Mathilde Froustey, Charline Giezendanner, Eleonore Guérineau, Daphnée Gestin, de Myriam Kamoinka et Juliette Gernez. Je n’en ai pas beaucoup parlé dans mes comptes rendus précédents, mais là où dans le Lac des cygnes j’avais trouvé que le corps de ballet s’épuisait à mesure des représentations, j’ai trouvé que là, il était parfait. Peu d’erreurs, et surtout on sentait que les danseurs et danseuses du corps de ballet s’amusaient, se faisaient plaisir sur scène. Cela change bien sûr tout le partage avec le public, et le spectacle n’en ai que meilleur.

Revenons à notre chambre de Juliette. Dorothée Gilbert, prend l’option d’une Juliette très joueuse, avec son regard naïf, complètement désintéressée (peut-être trop?) par cet
homme que sa mère et son cousin lui proposent. Je mets un peu de temps à comprendre le personnage qu’elle veut incarner, la couleur qu’elle veut donner à Juliette. En fait, d’un coup j’ai bizarrement la crainte qu’elle joue toujours le même personnage féminin que peut être Swanilda ou Clara. Je n’avais jamais vu Dorothée Gilbert dans un rôle tragique et c’est à ce moment là du spectacle que j’ai un doute.

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Le Bal des Capulets me permet d’admirer une dernière fois Delphine Moussin en Dame Capulet. On ne sait toujours rien de son statut, de sa carrière. Bizarre tout de même les
silences de l’Opéra de Paris à ce sujet. On a l’impression d’un tabou, alors qu’un communiqué de presse simplifierait tellement les choses. Enfin si il n’y avait que cela dans les silences de l’Opéra de Paris. La danse des chevaliers est toujours aussi bien réalisée, et rythmée. Allister Madin montre ses talents de Marcutio et s’en sort à merveille. Les tours sont toujours bien exécutés, et ses sauts ont pris de l’amplitude. Il donne au personnage une fraîcheur et s’amuse de toutes les bêtises qu’il doit éxécuter. Provoquer Rosaline, provoquer Tybalt sans jamais oublier un regard complice vers Benvollio, interprété avec brio par Yann Saïz, Allister Madin montre avec ce rôle (n’oublions pas son Inigno dans Paquita) qu’il a toutes les qualités pour entrer dans la classe des solistes.

C’est dans cette scène de bal que je vois Dorothée Juliette affiner son rôle de Juliette. A la vue de Roméo, son regard devient intrigué et c’est en séductrice discrète qu’elle s’impose sur la scène. Elle se fond parfois dans le groupe qui danse pour en ressortir par le bout de la pointe. Avec Josua Hoffalt c’est un partenariat qui fonctionne très bien. Attentif et rigoureux, il met en valeur sa partenaire tout en oubliant jamais son rôle. Il est un Roméo, lui aussi intrigué par ce sentiment soudain. Il tombe amoureux de cette jeune femme ; il lui dévoile ses sentiments, tout comme il délie sa danse. Il est léger et offre un spectacle très réjouissant.

La scène du balcon est très belle, Dorothée Gilbert et Josua Hoffalt forment un joli couple. Ils sont deux amants très « dansants », leur amour est bien montré par la danse plus
que par l’interprétation. Ils montrent que la chorégraphie est forte, et qu’elle est narrative sans pantomime. La musique jour aussi son rôle puisque chaque personnage a sa phrase qui revient à un rythme différent pour exprimer les sentiments qui le traversent. C’est une belle démonstration de spectacle vivant dans toute son acception.

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Sur la place principale, je ris beaucoup en regardant Allister Madin et Yann Saïz s’amuser de la nourrice. Je trouve que leur duo est top. Ils sont justes dans leur
interprétation, très très drôles. Arrive le passage des acrobates que j’apprécie beaucoup dans la rigueur du travail de groupe. Je suis par contre en désaccord complet avec les costumes et ce ridicule petit string… passons ce détail technique peu seyant. Les drapeaux, c’est comme les épées, cela fait toujours son effet. C’est impressionnant.

Le mariage par sa simplicité est touchant. La chorégraphie des voeux avec les les bras que respectent Roméo et Juliette en suivant le prêtre, me plaît beaucoup. C’est très
romantique et la complicité du prêtre qui approuve cet amour sincère, dans ce lieu si petit et si obscur, réduit par le jeu des lumières, ajoute sa touche à l’aventure romanesque.

De retour sur la place, Roméo ne dit mot à ses camarades. Mais Tybalt qui se doute de la belle affaire arrive sur la place et ne supporte plus les provocations infantiles de
Mercutio. Phavorin se rue sur Mercutio. J’ai la sensation que tout de suite Mercutio montre sa supériorité d’un point de vue du combat. Allister Madin joue très bien la mort de Mercutio et son visage se transforme à mesure que le sang coule sans que s’en aperçoive ses camarades. De même dans le combat qui oppose Tybalt et Roméo, Tybalt semble bien plus en confiance et à l’aise dans le maniement de l’épée. La prétention n’a rien de bon chers amis, et Tybalt meurt d’un coup de poignard qui plonge Roméo dans un mutisme corporel. Dame Capulet hurle son chagrin sur le cadavre tandis que Juliette est sous le choc. Dorothée Gilbert montre une Juliette qui prend acte du dilemme auquel elle va être confontrée sous peu. Sa saisie du poignard est intime, ça va se jouer
entre elle et elle-même.

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L’acte III met de nouveau en valeur le couple. Tout de blanc vêtus, vierges l’un et l’autre, leur destin ne semble prendre qu’un seul chemin. Les regards ont changé, ils sont
transits d’amour, mais si désespérés. Roméo banni subit une condamnation pire que la mort, à laquelle ne peut se résoudre Juliette. Epouser Pâris ne peut être désormais qu’un cauchemar, duquel elle essaye de s’échapper. Dorothée Gilbert est une Juliette désobéissante mais pas insolente. Elle se résout, à épouser Pâris, une fois le stratagème mis en place avec le prêtre. Le retour des fantômes de Tybalt et Mercutio est parfait. Je l’ai déjà dit mais je vais radoter un peu, ce ballet est un vrai film. Dans le pas de quatre Juliette s’échappe pour laisser s’exprimer sa rage, les autres personnages restent en pause. Le rêve de Juliette donne des aspects fantastiques au ballet. Elle flotte entre les fantômes de Tybalt et Mercutio. Le rêve de Roméo tient plus au domaine du
merveilleux (réflexion de Pink Lady, qui me fait trop rire  » pourquoi il ne rêve pas que de Juliette? »). Sous les oliviers de Mantoue, l’exil semble presque doux et agréable, avec toutes ses
jeunes femmes, telles des vestales. J’aime beaucoup « le passage de relais » entre Juliette et Ebnvollio qui ce soir se passe comme une glissade légère entre les deux interprètes. Dorothée Gilbert et Yann Saïz étirent leurs mouvements, on dirait que le film ralentit. Au réveil le regard affolé de Roméo, au son de la mauvaise nouvelle prend le dessus sur le décor idyllique. Il ne faut pas comparer, mais c’est en voyant Josua Hoffalt que je repense à Matthieu Ganio. Roméo se jette trois fois en arrière dans les bras de Benvollio. Je me souviens donc à ce moment là des sauts de Matthieu Ganio qui étaient si hauts et avec une amplitude défiant la gravité.

La scène du caveau et de la mort des deux amants est toujours aussi marquante. Le cri de Juliette, la mort de Roméo, le coup de poignard dans le coeur, me donnent toujours autant d’émotions. Je ne sais pas si je suis bon public, mais je suis rentrée dans l’histoire une fois de plus et je suis désespérée une nouvelle fois de cette fin tragique.

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© Agathe Poupeney / Fedephoto.com

Je dirais pour finir que les trois distributions que j’ai vues m’ont plu. J’ai préféré la distribution Pujol/Ganio qui m’a mis une claque, pardonnez moi l’expression, mais j’ai eu une vraie émotion forte et une révélation pour Laëtitia Pujol ce soir là. Les Mercutio ont été géniaux, Emmanuel Thibaut par son aisance à la scène, MatthiasHeymann par ses sauts si amples et Allister Madin par sa rigueur technique et son jeu. De même, les Benvollio que j’ai vus m’ont enchantés, j’ai beaucoup aimé Christophe Duquenne dans ce rôle,
car parfois j’ai l’impression qu’il est triste, un peu renfermé et là j’ai trouvé qu’il rayonnait, qu’il s’éclatait, et du coup sa danse était impeccable. Les Rosaline m’ont plu mais je regrette de ne pas avoir vu Sarah Kora Dayanova dans ce rôle. La musique était géniale, une vraie réjouissance d’entendre autre chose que du Tchaïkowsky ou du Minkus. Pink Lady m’a donné l’eau à la bouche pour aller voir la version qui se donne à Londres, j’espère que j’aurais un jour l’occasion de voir ça.

  • Distribution du 30 avril 20H00
Juliette Dorothée Gilbert
Roméo Josua Hoffalt
Tybalt Stéphane Phavorin
Mercutio Allister Madin
Benvolio Yann Saïz
Pâris Bruno Bouché
Rosaline Laura Hecquet

 

Serguei Prokofiev Musique
Rudolf Noureev Chorégraphie et mise en scène
(Opéra national de Paris, 1984)
Ezio Frigerio Décors
Ezio Frigerio et Mauro Pagano Costumes
Vinicio Cheli Lumières