Stéphane Bullion

Adieux de Clairemarie Osta

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© Elendae

J’ai d’abord cru qu’il était possible d’obtenir un pass jeunes. Et puis les touristes n’attendant que des places de première catégorie ont tout raflé. Pas grave, je fonce à 19h29, direction la loge 7, mais je croise un ouvreur charmant qui me replace. J’entre en loge 15 où je retrouve Garielle et Genoveva. Vue parfaite sur la scène quand on se perche un peu sur son fauteuil. C’est un art de s’installer confortablement en fond de loge.

Le ballet commence, et on rentre bien plus dans la musique qu’auparavant. Sans doute, depuis les premières répétitions, l’oreille s’est habituée à cette musique, qui est issue de différents opéras de Massenet. Les thèmes qui correspondent à différents personnages permettent une certaine lisibilité de l’histoire et l’arrangement joué par l’orchestre ne m’a pas gênée. Clairemarie Osta est applaudie à son entrée sur scène. La salle se remplit alors d’une certaine tension. Dernière de Manon, dernière d’Osta…On a envie de profiter de chaque minute qui défile sous nos yeux, sans rater une miette de ce ballet. On voit passer le sourire ravageur de Renavand, impeccable en maîtresse de Lescaut, drôle, séductrice et coquine. Stéphane Bullion se montre toujours aussi brillant en Lescaut. Il parvient à créer un personnage complexe, reniflant l’argent partout il pousse, tout en gardant l’art des relations sociales.

Le premier pas de deux est magique surtout avec Le Riche, majestueux. On croit à cet amour de jeunesse, on voit en ce danseur, le visage juvénile d’un Des Grieux, tombant sous le charme, comme les autres hommes, de cette Manon mystérieuse. Clairemarie Osta est une Manon qui se montre intelligente, qui semble analyser les regards qui se portent sur elle. J’apprécie sa façon de monter sur la pointe de son chausson, avec une certaine suspension, tout en laissant traîner un regard vers un homme.

Le premier pas de deux de la chambre est celui qui me plaît le plus chorégraphiquement. J’adore la façon dont Des Grieux, fait descendre au sol Manon en la tenant par la nuque. Les baisers sont fougueux entre Osta et Le Riche, la passion transpire entre ces deux là. La fluidité dans les portés est remarquable. Manon glisse, s’envole, virevolte. La mousseline de sa robe légère suit les mouvements, et laisse découvrir les jambes de Manon tant désirées par la suite par Monsieur de G.M. Je suis à nouveau très émue par l’interprétation et la danse de Le Riche/Osta.

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A l’entracte, on croise tous les balletomanes ! L’excitation est à son comble, ça bavarde, chacun s’épanche sur son moment préféré, sur l’intelligence d’Osta dans sa danse, sur Nicolas Le Riche, définitivement le plus charismatique d’entre tous. Bizarre tout de même, cet adieu en matinée. Il manque l’ambiance d’une soirée, mais voir tous ces enfants dont ceux d’Osta, crée aussi une ambiance particulière, de joie.

Retour dans ma loge en compagnie de Gaerielle et Genoveva, qui ont récupéré plein d’affiches d’adieux. L’opéra édite des affiches quand une étoile de la compagnie part sur d’autres routes.

Reprise du ballet, Bullion est brillant dans son rôle de frère ivre et malsain. Comme un clown triste, son personnage est complexe, on oscille entre le rire et un sentiment pathétique à travers cet ivrogne dont la perte est déjà assurée à ce moment du ballet. Clairemarie Osta livre une Manon délicate et délicieuse, pour laquelle les hommes au regard avide, débordent de désir. Manon, objet de fantasme, enfant dans un corps de femme, qui croit avoir de la maîtrise de ce monde qui l’entoure, alros qu’elle en est la première victime. Osta maîtrise son personnage et prend un plaisir immense à occuper cette scène. Le public est pendu à ses pointes, et suit ce petit jeu de séduction qui finit mal.

Retour dans la chambre où Manon et Des Grieux se déchirent pour la valeur de l’argent. La tension est forte, à l’image de la complicité des deux protagonistes. Je suis suspendue aux bras d’Osta et aux regards de Le Riche. La pression monte jusqu’à la mort de Lescaut. Tragédienne jusqu’au bout, Osta livre une Manon tragique, profondément grave face à la mort de son frère. Quand arrive l’entracte, on commence à vouloir ralentir le ballet qui m’a paru étonnamment court.

Après la pause, retour pour les vingt dernières minutes de Manon. Clairemarie Osta danse avec une émotion certaine, elle fait frissonner la salle. Aux saluts, ovation du public. Le visage de l’étoile redevient le sien, Manon reste en arrière pour laisser Clairemarie profiter de ce dernier instant sur la scène avec son public. Cotillons dorés, sourire figé par l’émotion, larmes discrètes, les spectateurs applaudissent très fort, crient merci et milles bravos retentissent sous le lustre de Garnier.

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© Elendae

  • Distribution du 13 mai 2012 14h30
Manon Clairemarie Osta
DesGrieux Nicolas Le Riche
Lescaut Stéphane Bullion
La Maîtresse de Lescaut Alice Renavand
Monsieur de G. M. Stéphane Phavorin
Madame Viviane Descouture

 

La diva Zakharova

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Soirée Magique à Bastille ! Sevtlana Zakharova n’est pas une danseuse, c’est une diva qui dégage quelque chose de si puissant que les frissons sont permanents. Placée au 13ème rang d’orchestre, pile au centre, je n’ai jamais eu une telle vue pour voir l’entrée de Nikiya. Dès son arrivée quelque chose se passe dans la salle. Un silence religieux, tout le monde retient son souffle, jusqu’à ce que le grand Brahmane lui retire le voile qui cache son visage. Le mystère dévoilée, c’est parti pour trois actes de bonheur.

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Zakharova se montre tout de suite d’une justesse étonnante. Sa bayadère est à l’image de sa danse. Fine, belle sans faux pas et au service de l’émotion. Les scènes de pantomime sont admirablement jouées. Son refus du Brahmane est clair et net, elle ne veut pas de cet homme car Solor occupe déjà tout son corps et son coeur. Sa danse change de façon radicale. Retenue et sobre devant le Brahmane, explosive avec Solor. On voit cela aussi clairement quand le fakir lui annonce le rendez-vous secret, un large sourire se pose alors sur son visage.

Le premier pas de deux est superbe. Stéphane Bullion libère sa danse pour camper un Solor transi d’amour pour cette Nikiya si particulière. Ce qui m’impressionne chez Zakharova, c’est la lisibilité de sa danse et de son jeu. Chaque geste est clair, chaque regard veut dire quelque chose. On retrouve ce dont parlait Laurent Hilaire l’autre soir en rendez vous Arop.

La danse des fakirs est un moment qui me plaît toujours autant, menée par Allister Madin à l’énergie inépuisable.

La scène 2 de l’acte I voit l’apparition de Gamzatti sous les traits de Ludmila Pagliero. Digression. En parlant de traits, pourrait-on charger un peintre de faire les portraits
des danseurs dans le tableau de Solor ? Josua Hoffalt a eu la chance d’avoir le sien, il serait bien que chaque danseur ait son visage, Laurent Hilaire trônant encore sur le tableau. Parenthèse fermée, je reviens à Ludmila Pagliero. Elle campe une Gamzatti très nerveuse. On le voit bien lors de la confrontation qui est très réussie. Si elle se réjouit de découvrir son fiancé, c’est l’amertume qui gagne son âme quand elle comprend qu’il lui a menti. Elle déploie dans sa danse une belle énergie. A l’acte II, elle montre une technique impeccable qui renforce le caractère du personnage qu’elle donne à voir. Le partenariat avec Bullion se passe très bien. Gamzatti est une jeune femme inquiète de voir le regard de Solor se poser sur Nikiya.

Emmanuel Thibault en idole dorée est complètement réifié. J’ai encore du mal avec ce style un peu trop froid pour moi, et je crois que j’ai trop en tête la proposition de Mathias
Heymann qui m’avait réjouie il y a deux ans.

La danse indienne vient réchauffer les esprits, Kora Dayanova et Cyril Mitilian donnant la pêche au groupe.

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La variation de Nikiya au deuxième acte est un pur moment d’émotion. Chaque regard est puissant. Son dos se courbe sous la douleur de la trahison. C’est très suspendu, très
aérien. Chaque pas est finement pensé. Les jeux de regards entre Solor, Gamzatti et Nikiya fonctionnent bien. Il y a de l’électricité dans l’air. La scène de la mort est superbe. Le regard de Nikiya m’a glacée le sang avant sa chute au sol.

IIIème acte, encore un beau moment. La descente des ombres est toujours aussi envoûtante. J’ai fait très attention à la respiration des danseuses, l’attention qu’elles ont les unes sur les autres, c’est vraiment un travail épatant. Bravo à Sabrina Mallem qui a mené toute la troupe sans vaciller. Les trois ombres sont un instant de lumière. Je suis sous le charme de Charline Giezendanner qui apporte beaucoup de pétillant à la variation. Il y a d’ailleurs beaucoup de joie à ce troisième acte si on le compare à d’autres actes blancs. Les bravos pleuvent et le public est très enthousiaste.

Zakharova et Bullion dansent un pas de deux magique. La diagonale de déboulés et piquées de la russe est euphorisante. Je sors envoûtée de cette représentation. Un grand bravo aussi aux musiciens et chef d’orchestre qui ont fait ressortir toutes les nuances de la partition en s’adaptant à chaque artiste.

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Site officiel de Svetlana Zakharova

Mille mercis à JMC pour la place.

  • Distribution du 04 avril 2012 à 19H30

 

Nikiya Svetlana Zakharova
Solor Stéphane Bullion
Gamzatti Ludmila Pagliero
L’ Idole dorée Emmanuel Thibault
L’ Esclave Grégory Dominiak
Manou Aubane Philbert
Le Fakir Allister Madin
Le Rajah Stéphane Phavorin
Le Grand Brahmane Yann Saïz
Soliste Indienne Sarah Kora Dayanova
Soliste Indien Cyril Mitilian
1ère Variation Héloïse Bourdon
2è Variation Charline Giezendanner
3è Variation Laurence Laffon

 

  • Bonus vidéo les saluts du 04 avril

 

 

Rencontre autour de la Bayadère

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© Laurent Phillipe

 

 

La Bayadère est un ballet qui attire les passions des spectateurs. Elle a une longue histoire avec l’Opéra de Paris. Remontée par Noureev et présentée au public en 1992, c’est à la fois son
dernier ballet et de loin le plus réussi. Grand ballet classique c’est 3h de bonheur, mêlant kitsch, faste, belles variations, un acte blanc avec la plus belle entrée sur scène qui existe. Je ne
sais pas combien de fois j’ai vu La Bayadère mais je sais qu’à chaque fois ce fut une grande fête, tant ce ballet est beau.

 

Aujourd’hui nous avons assisté à une répétition formidable avec Laurent Hilaire en maitre de ballet. Il a été le premier Solor, le rôle a été crée pour lui, sur lui, c’est avec
un grand enthousiasme qu’il transmet à Karl Paquette et Emilie Cozette, tout ce qu’il sait sur ce ballet.

 

C’est une prise de rôle pour Emilie Cozette, qui a dansé Gamzatti et les ombres. Elle incarne ici Nikiya, l’héroïne de ce ballet. Nikiya est une Bayadère une danseuse indienne
qui vit dans un temple. Elle rencontre Solor, ils tombent amoureux et il jure de l’aimer. C’est sans tenir compte des volontés de son père de le marier à Gamzatti, princesse. Nikiya découvre
cette union et affirme à Gamzatti que Solor est amoureux d’elle. A leurs fiançailles, Nikiya danse pour Gamzatti et Solor. De la corbeille qu’elle tient dans les mains surgit un serpent qui la
mort à la gorge, elle meurt. Solor la retrouve dans ses rêves après avoir fumé beaucoup d’opium. Ils peuvent s’aimer à tout jamais. Voilà pour vous résumer l’histoire, pour celles et ceux qui ne
la connaîtraient pas. Karl Paquette avait déjà dansé le rôle de Solor, quand il était premier danseur.

 

Pas de Brigitte Lefèvre aujourd’hui, c’est qu’elle commencerait presque à nous manquer. Laurent Hilaire rappelle tout de même que c’est Brigitte qui a voulu que ce soit Emilie Cozette et Karl
Paquette qui présentent cette rencontre. Karl Paquette débarquait fraîchement du Palais où il répétait Dances at the Gathering de Robbins et disait en avoir un peu plein de bras… Pas de chances
pour lui Laurent Hilaire ne l’a pas épargné des portés. Au piano, s’installe Elena Bonnay, à qui Laurent Hilaire adresse plein de compliments et il y a de quoi, quand on sait le travail de ces
chefs de chant.

 

Convergences La bayadère

 

Ils vont répéter le pas de deux du premier acte. Nikiya trouve l’excuse d’aller remplir sa cruche pour sortir du temple et retrouver Solor, rencontré un peu plus tôt. Laurent
Hilaire va donner beaucoup de conseils, avec de l’humour, se mettant à la place de l’un et de l’autre. Il justifie chaque geste, qui doit avoir du sens. Quand Nikiya court, il faut qu’elle
transmette ce bonheur de se retrouver. Au premier claquement de mains, elle entend Solor, au deuxième elle se retourne, ensuite il faut qu’elle exprime cette grande joie en courant vers lui et en
se jetant dans ses bras. Ce n’est pas un pas de deux de séduction donc il faut faire confiance à son partenaire dans les portés, et avoir un regard sûr. Nikiya se sent belle avec Solor, elle
n’est pas là pour le séduire. « Reste avec lui, contre lui, tu es heureuse d’être là ». Hilaire danse avec eux dans un second plan, c’est merveilleux de le voir accompagner ces danseurs avec une
tel engagement. Pour les portés, il demande à Emilie Cozette de monter plus tôt son bassin et pour ça elle doit faire confiance à son partenaire. Laurent Hilaire affine chaque détail pour que la
chorégraphie soit lisible dans l’espace par le spectateur. Il parle de vague quand Solor porte Nikiya, car c’est une image douce, à ce moment là, ils nagent dans le bonheur. On sent que Laurent
Hilaire revit son ballet, qu’il prend un infini plaisir à transmettre. Il leur fait part des volontés de Noureev « Rudolph voulait ça pour les regards ».

Il corrige aussi la musicalité sur certains passages. Il ne faut pas anticiper la chorégraphie sinon elle perd de son sens. Si Nikiya tourne la tête avec un sourire, c’est parce Solor a essayé de
l’embrasser, il faut donc attendre qu’il essaye. Il faut profiter de cet instant, des regards, pour que le public comprenne et aussi pour être juste, dans la musique.

D’un coup, Solor doit déclarer sa flamme, comme si elle grandissait et que cela devenait une nécessité de dire à Nikiya, tout l’amour qu’il a pour elle. « Sors lui le grand jeu Karl, c’est ton
amoureuse pendant une heure ! « . Il insiste sur l’exagération de la pantomime sous le regard amusé des spectateurs. La déclaration doit être incisive, « Karl tu dois être le leader de l’action ».
Il faut redonner du sens à tout cela, c’est le seul moyen de redonner de la vie aux grands ballets classiques. Lors du grand porté, Emilie Cozette ne saut pas assez dans les bras de Karl
Paquette, par peur semble t-il. C’est toujours fascinant de voir que même après l’avoir fait des centaines de fois, la peur persiste. Il faut dire que c’est tout de même une certaine hauteur.

Laurent Hilaire parle aussi des manipulations dans ce genre de pas de deux. Moins il y a de manipulation, mieux c’est car ce n’est pas toujours joli de voir des bras qui cherchent un dos ou une
hanche pour un tour. Il faut donc se servir le plus possible de la chorégraphie pour les manipulations et pour que cela semble le plus naturel possible. De même que si l’on danse en musique, on a
plus de chance d’être juste dans son corps, il en est de même en couple.

 

Le maître de ballet décide d’en remettre une petite couche à Karl Paquette pour lui faire travailler la musicalité d’un solo du dernier acte. C’est le public qui se régale.

 

Convergences La bayadère

 

Comme toujours, une rencontre intéressante, mais avec un couple qui manque encore de complicité. Chacun est dans sa bulle, et ne se livre pas vraiment à l’autre. Ce sont les débuts des
répétitions, laissons encore du temps à se couple pour s’épanouir.

 

La Bayadère, Opéra Bastille du 07 mars au 15 avril 2012.

Les 2 et 4 avril, étoile invitée : Svetlana Zakharova

 

  • Extrait Vidéo

 

Si vous voulez voir l’extrait dansé par Laurent Hilaire et Isabelle Guérin, il se trouve à 24 minutes.

Le deuxième extrait se trouve à 1h45′.

 

 

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Rencontre autour de la Bayadère:

© Laurent Phillipe

 

 

La Bayadère est un ballet qui attir …

Kaguyahime ou la princesse de lumière resplendissante

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Il est des chorégraphes qui savent inventer un langage si particulier que chaque seconde en devient iréelle. En remontant Kaguyahime pour l’Opéra de Paris, Kylian offre à mon sens le plus beau ballet de la saison. Je n’avais pas pu assister à la répétition générale, j’avais donné ma place, c’est donc pleine d’attentes que je me suis assise. Huit rangs devant moi, j’aperçois Agnès Letestu qui discute avec Brigitte Lefèvre, Laurent Hilaire (toujours aussi chic avec une chemise d’un blanc impeccable) et Jiri Kylian. L’ambiance est toute particulière. Les musiciens japonais participent de cette ambiance et renforcent l’attente qui animent les spectateurs. Puis vient le défilé des politiques; ces mondanités me font sourire. Je me demande toujours si elles sont sincères ou si du moins elles peuvent le devenir. Je feuillette le programme, lit en diagonale l’argument, l’impatience me guette.

Premier acte:  » parmi ces bambous, il y en eut un dont le pied jetait un vif éclat. Intrigué le vieillard s’approcha et vit que la lumière provenait de l’intérieur de la tige. il l’examina: il y avait, assise là, une personne humaine, haute de trois pouces, d’une extrême beauté ».

Kayugahime est une princesse lunaire (Marie Agnès Gillot) qui descend sur Terre. Elle rencontre des villageois qui lui font la cour, mais elle se refuse à eux ne voulant pas s’enfermer dans un seul amour. Cinq villageois persistent dans cette séduction. Elle leur lance des défis  dans lesquels ils échouent. Pour la majorité de la princesse, les villageois organisent une grande fête qui va être perturbée par de riches citadins qui ont vent de la beauté de la jeune femme.

Ce premier acte nous plonge dans un univers merveilleux. La musique qui démarre est assez stridente, presque sourde, elle installe le spectateur dans un autre univers pour qu’il soit fin prêt à écouter ce conte. Dès les premiers gestes de Gillot, je découvre le langage que Kylian a utilisé pour cette pièce. Il est très fluide comme seul sait le faire Kylian, mais très différent de ce que j’ai pu voir auparavant chez lui. On sent que comme à son habitude la musique est la source première d’inspiration. Marie Agnès Gillot contorsionne son corps et brille d’une lumière éclatante du fond de la scène. Elle se replie sur elle même pour mieux déployer ses jambes couleur de lune.

Les danses des cinq prétendants sont absolument merveilleuses. La tension monte peu à peu, les tambours retentissent, la chorégraphie, d’abord très abstraite s’imprègne peu à peu de ce conte japonais. Les mouvements sont tellement loin de ce que peut offrir le langage contemporain actuel que c’est un véritable voyage que nous offre Kylian. Bravo aux cinq danseurs qui furent absolument parfaits, Mathias Heymann et Alessio Carbone en tête. On entre véritablement dans l’histoire avec l’entrée des villageoises, et la guerre avec les citadins. La violence de la chorégraphie et de la musique montre toute la fragilité de cette princesse. La beauté engendre guerres et conflits. Quand les villageois se résignent et profitent de cette douce lumière, les citadins veulent la posséder à n’importe quel prix. On pourrait croire à une vision manichéenne, en outre par le choix des costumes, mais je crois qu’il y a quelque chose de bien plus complexe, semblable à la nature humaine. Le langage chorégraphique de Kylian permet d’exprimer avec aisance cette complexité. La beauté innée de la princesse ne sera d’éphémère, il faut s’y résigner, car tôt ou tard elle retournera vers sa boule lumineuse.

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Deuxième acte: « Kaguyahime soudain ne fut plus qu’une ombre. Décontenancé et dépité, il comprit qu’en vérité, elle n’était pas de nature commune… (…) L’Empereur cependant, ne parvenait pas à engiguer le cours de ses pensées d’amour. (…) Il lui adressa ce poème:  » A l’heure du retour, je me sens tout envahi de mélancolie. Je m’arrête, me retourne pour Kaguyahime la rebelle. »

Au deuxième acte, tout devient mouvement de façon encore plus explicite. Les musiciens courent sur scène et tapent sur des tambours venus du Soleil levant. Ils participent de la guerre qui éclate entre villageois et citadins. Les combats sont fous, tous les sens sont appelés à regarder ce spectacle incroyable. Le décor est en mouvement lui aussi, il est personnage à part entière. C’est d’ailleurs par le décor qu’apparaît l’Empereur Mikado. Le tissu doré est jeté sur scène. Mikado vient ensuite, comme voulant briller lui aussi par son statut et ses apparats divins. De cette rencontre naît l’amour entre les deux êtres. L’empereur tente de l’enfermer mais n’y parvient pas. La scène est superbe, Kaguyahime souffre car elle sait que cet amour ne va pas durer. L’Empereur ne peut y croire, et pourtant il est aveuglé par la pleine Lune qui rappelle sa princesse. C’est toute la salle qui est aveuglée par cette Lune formée ici par des miroirs éclairés. La scénographie est si troublante, si belle… Un jet de tristesse parcourt mon corps au départ de la princesse vers sa Terre d’origine. Elle part vers un infini qui forme une boucle avec sa descente sur Terre du premier acte, un mouvement circulaire dans tout son corps qui ne s’arrête qu’à la tombée du rideau.

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« L’Empereur déploya la lettre et quand il la lut, une immense douleur l’envahit et il ne voulut plus manger ni s’adonner à aucun divertissement…(…) Il composa ce poème:  » De ne plus vous voir, moi qui dans un flot de larmes baigne désormais, à quoi donc me servirait la liqueur d’immortalité ». 

Un bravo résonne quand le rideau touche le bas de la scène. La salle applaudit puis se lève. Tout l’Opéra Bastille est debout. Kylian est assommé de bravo. J’ai rarement vu une telle unanimité surtout à Bastille. Kaguyahime est dans conteste le ballet de la saison. Il illumine tout le reste, il rayonne. C’est une joie telle qui m’envahit en sortant de la salle, que je voudrais le revoir immédiatement. Aussi fou que cela puisse paraître il reste des places, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

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L’article du monde est ici.
La fiche Opéra de Paris est .

 

Maki Ishii Musique
Jiří Kylián Chorégraphie
Michael Simon Décors et lumières
Joke Visser Costumes

 

  • Distribution du vendredi 11 juin 2010
KAGUYAHIME Marie-Agnes Gillot
MIKADO Stéphane Bullion
VILLAGEOISES Ludmila Pagliero
Amandine Albisson
Laurene Levy
Charlotte Ranson
Caroline Robert
VILLAGEOIS Mathias Heymann
Josua Hoffalt
Alessio Carbone
Julien Meyzindi
Florian Magnenet
Adrien Couvez
LES 2 COMPAGNONS Christophe Duquenne
Julien Meyzindi

La vidéo version NDT donc dans une scénographie un peu différente de celle que vous verrez à l’Opéra de Paris

 

Marguerite ou le génie de Neumeier

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L’amour est la chose la plus cruelle et la plus belle qui existe. Neumeier explore toutes les facettes de l’amour torturé qui nous ronge, qui perd face à la raison. Marguerite est sans cesse torturée entre son amour sincère et profond pour Armand, et son passé de courtisane, le père d’Armand qui lui ordonne de laisser son fils et sa maladie qui la tue un peu plus chaque jour. Elle lutte, tente de l’oublier mais cela lui est complètement impossible tant cet amour est profond, sincère, et envahit tout l’espace scénique. Neumeier est un génie qui parvient à nous emporter dans cette histoire d’amour absolument merveilleuse. il arrive à scénariser ce ballet d’une façon unique. Les flash back et les introspections de Marguerite sont troublants. nous sommes au cœur d’un roman. Les descriptions sont d’une précision sans pareille. Tous les personnages sont décrits par leurs gestes, leurs regards, leurs sourires et autres désespoirs. Prudence, la coquette vénale, qui pense à l’amusement et à l’argent, Rieux courant après Prudence charmé par ses attitudes de petite fille. Et au centre de tous ces personnages, la belle Marguerite, incarnée parfaitement par Agnès Letestu, je ne peux dire mot tellement, les robes comme le rôle la fait rayonner sur scène. Tout chez Neumeier est beau, chaque détail est pensé. La Marguerite qu’il a créée est la plus juste, la plus proche de celle de Dumas. Sa danse montre son tiraillement, son amour pour Armand qui lui même ne cesse de tourner autour d’elle comme si l’ivresse le rendait fou d’amour. Ses portés sont toujours plus gracieux toujours plus incroyables, comme si il fallait montrer que les deux amants s’aiment un peu plus à chaque instant. Je suis restée une fois de plus hébétée devant tant de beauté. Aucune fausse note, Chopin nous transporte dans un monde d’un romantisme rare, que chaque petite fille qui sommeille au fond de nous (désolée messieurs) rêve d’effleurer du bout des doigts. Pourtant ce n’est pas la première fois (ni la dernière d’ailleurs… ) que je

vois ce ballet.

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La Dame aux Camélias fait partie des ballets qui me submergent, qui me font pleurer, qui vous laisse un je ne sais quoi au fond du coeur qui ne peut pas s’envoler. Est-ce ce regard du début de la passion amoureuse ou bien les retrouvailles à la campagne, ou encore cette dernière nuit où Marguerite se donne à Armand une dernière fois comme pour se faire pardonner de l’avoir fuit sans pouvoir lui expliquer pourquoi. Quand il saura tout via le journal intime de Marguerite, il sera trop tard la maladie l’aura emportée. Cette tragédie romantique berce la salle de l’Opéra Garnier qui ne parvient pas à se remettre devant tant de beauté musicale, chorégraphique et scénographique. Neumeier est je crois un des plus grands chorégraphe de notre siècle et chaque grande compagnie digne de
ce nom doit avoir à son répertoire La Dame aux Camélias. Le novice de ce ballet qui partageait ma soirée en est resté coi devant tant de merveilles. J’espère qu’il continuera de rêver longtemps à cette douce parenthèse enchantée.

 

Lien Opéra de Paris
Article du Figaro de 2008 sur le ballet et Agnès Letestu

  • Distribution du 02 février 2010

 

2 février 2010 à 19h30

MARGUERITE Agnes Letestu
ARMAND DUVAL Stéphane Bullion
MONSIEUR DUVAL Michaël Denard
MANON Isabelle Ciaravola
DES GRIEUX Christophe Duquenne
PRUDENCE Muriel Zusperreguy
GASTON RIEUX Josua Hoffalt
OLYMPIA Juliette Gernez
LE DUC Laurent NOVIS
LE COMTE DE N. Simon Valastro
NANINE Béatrice Martel