Le portrait Forsythe se poursuit au Festival d’Automne. Trois jours seulement pour découvrir cette compagnie, inconnue du grand public en France, qui vient danser trois pièces de Forsythe au Théâtre de la Ville : la mythique In the Middle, Somewhat Elevated, la déroutante Septext et la colorée Neue Suite. Une soirée haute en émotions et en virtuosité, où l’on continue d’explorer l’écriture et l’inventivité de Forsythe. Retour sur la soirée du 28 octobre.
Ce qu’il faut bien comprendre de ces danseurs, c’est qu’ils ont la chance d’avoir à leur tête Aaron S. Watkin qui fut un des danseurs de William Forsythe. Depuis 8 ans, il transmet ainsi tout ce qu’il a appris auprès du maître. Et quand on regarde les trois pièces de la soirée, cela se voit ! Les danseurs interprètent Forsythe avec une énergie inouïe.
La soirée s’ouvre avec Steptext. Le public n’est pas encore installé qu’un danseur commence une phrase chorégraphique. Très lentement, on peut imaginer qu’il dessine des cercles et des lignes du côté jardin. Il dégage une concentration telle, que son corps semble contenu dans une bulle. Il est toujours amusant de voir que le public, du moins une grande partie, n’est pas à l’écoute de ce danseur. Chacun continue sa conversation, jetant un rapide coup d’oeil à la scène. Quelques secondes de la Chaconne de Bach résonnent, comme pour nous rappeler que c’est sur scène que cela se passe. Les conventions du spectacle volent : pas de noir, une musique coupée brutalement de blanc, de longs noirs pour écouter la musique (très bel enregistrement par ailleurs) – celles de la danse classique aussi. Créée en 1985, la pièce n’a pas pris une ride. Deux couples sont sur scène : un couple de garçons, vêtus de noir et un couple homme/femme où l’académique rouge de la jeune femme nous absorbe le regard pendant de longs moments. Il y a un certain lyrisme chez les garçons, où les courbes des bras tranchent avec la longueur des jambes de la danseuse. Elle est comme le repère musical des autres. Elle donne le rythme de la pièce, et des variations, entrecoupées de ses slides sur pointes. La scène change de disposition à la faveur des éclairages, ce qui modifie aussi l’espace de la danse. Quelques instants, les interprètes se rassemble autour d’une phrase de bras qui se plient et se déplient par les coudes. Sobre, et terriblement efficace pour rassembler ses émotions face à une telle écriture chorégraphique.
Neue Suite fait partie de ces pièces de Forsythe qu’il a créées avec la compagnie. Tout comme Pas./Parts pour l’Opéra de Paris, Neue Suite s’est montée à Dresde. Il en résulte une sorte de palette de couleurs – les costumes en sont l’illustration, la danse, l’argument. Forsythe y décline des pas de deux sur les musiques de Haendel, de Luciano Berio, de Gavin Bryars et de Thom Willems. Des couples entrent sur scène en marchant et on voit toute une déclinaison de pas de deux, qui va d’un romantisme à peine voilé à une danse plus déconstruite. Les hanches se décalent de plus en plus, les dos voient des courbes et des angles se former, les jambes sortent des hanches pour dessiner des lignes qu’on n’avait pas osé imaginer. Comme un parallèle à l’histoire de cette compagnie, qui va du classique à une danse plus moderne, presque pointilliste, Forsythe montre aussi toute son histoire de l’écriture. Il y manquerait presque ce qu’il a fait de plus récent avec la Forsythe Company. Les danseurs y montrent leur manière d’interpréter la danse et comment ils se sont emparés du style Forsythe. Les corps sont entièrement habités par ces phrases graphiques, ils se laissent emmener jusque dans leur dernier souffle qui clôt la partition musicale, en laissant le public bouche bée.
La pièce « signature » termine la soirée en apothéose. « Chlak » premier son qui allume la lumière et le ballet commence. Les danseurs se regardent, tournent leurs chevilles. La cerise dorée brille au dessus de leur tête. On se laisse emmener dans ce tourbillon, où les interprètes dansent avec force et finesse. Les corps athlétiques tracent des chemins dans l’espace. Il se passe quelque chose sur scène qui est tout à fait étonnant. La pièce semble être taillée pour ces corps. Ils prennent des risques, ce très enlevé. On remarquera particulièrement Jiri Bubenicek, qui danse avec beaucoup de sensualité dans le haut du corps. La superbe Elena Vostratina est lumineuse et capte sauvagement l’attention des spectateurs. Dans l’ensemble, c’est de nouveau un choc, comme à chaque fois que l’on regarde cette pièce. Le style de la compagnie nous donne un autre regard sur la pièce que l’on a l’impression de redécouvrir à chaque fois. La seule objection de la soirée est peut être ce rideau noir de fond de scène qui fermait l’espace, qui semblait tout à coup très petit. Les marches sur les côtés étaient courtes, et les danseurs avaient l’air à l’étroit.
En résumé, une soirée géniale où l’énergie de cette compagnie a conquis tout le public ! Trois belles pièces, de beaux danseurs, de la belle danse, un vrai cocktail réussi au goût savoureux et explosif !
« Le vocabulaire n’est pas, ne sera jamais vieux. C’est l’écriture qui peut dater… La grande différence entre hier et aujourd’hui réside dans la façon de bouger et de concevoir l’espace où on se meut. « William Forsythe.