Onéguine

Les adieux d’Isabelle Ciaravola

Plus de 30 minutes d’applaudissements pour l’étoile Isabelle Ciaravola qui faisait ses adieux à la scène de Garnier. Après deux heures de spectacle, dans le rôle de Tatiana, l’étoile a dit au revoir à son public dans une émotion toute particulière.

Isabelle Ciaravola (c) Julien Benhamou

La soirée fut superbe. A la hauteur de l’étoile. Le ballet est passé trop vite. On aurait aimé que le plaisir dure plus longtemps, bien qu’on ne fut pas en reste d’émotions et de sensations fortes. C’est bien là le talent d’Isabelle Ciaravola. Elle est une grande tragédienne qui incarne à merveille les héroïnes qu’elle choisit. De son visage, elle sait tout faire – transmettre les sentiments du personnage qui vit à travers elle. Pour le reste, ses superbes jambes font le travail, avec une élégance naturelle.

C’est dans ce ballet qu’elle a été nommée étoile le 16 avril 2009. Un rôle qui lui colle à la peau. Et quand on la voit danser, on le comprend. De la femme enfant à la femme mûre, il y a un gouffre. Isabelle Ciaravola parvient à nous montrer le personnage de Tatiana comme personne. Jeune fille férue de littérature, qui tombe amoureuse comme dans un roman, elle campe une Tatiana naïve, presque chétive face à cet Onéguine hautain qui la méprise. Hervé Moreau sert son jeu avec beaucoup de talent – la narration est lisible, on suit cette histoire comme dans un livre. Au troisième acte, on voit avec clarté cette femme mûre, rangée auprès de son mari. Elle repousse Onéguine avec une douleur qui nous prend aux tripes. Contre son amour, elle choisit la raison, dans la souffrance. Elle nous captive, elle nous emmène et nous raconte ce personnage de Tatiana. Fascinante, on ose à peine décoller les yeux de son visage, si expressif et si juste, qui nous dit tant des sentiments et des interrogations de Tatiana. Jamais lisse, elle fait de cette héroïne, un personnage complexe, qui ne se contente de pas de danser avec brio, mais qui livre un combat des sentiments face à l’orgueilleux Onéguine. On ne saurait retenir ses larmes à la dernière scène, la tension est elle qu’elle nous saisit. On est accroché au visage de Tatiana, au moindre de ses gestes. Sa chute au sol est le point d’honneur de la pièce. On en reste quelques secondes abasourdi.

Tous les danseurs se sont mis au service de cette représentation exceptionnelle. Charline Giezendanner était pétillante et superbe dans son rôle d’Olga. Mutine, jeu de jambes impeccable, son partenariat avec Mathias Heymann était parfait. Ce dernier a encore livré une prestation incroyable. Sa variation du deuxième acte était un régal – pirouettes qui n’en finissent pas avec de beaux ralentis pour laisser passer l’émotion de Lenski. La danse est fluide tout au long du ballet, tout comme l’archet du violon qui glisse sur les cordes. « Les jambes de l’Opéra » – tel est le surnom d’Isabelle Ciaravola – sont l’apothéose de cette soirée très réussie.

Isabelle Ciaravola 2 (c) Julien Benhamou

La soirée se termine dans le Grand Foyer, où Isabelle Ciaravola y entre radieuse. Un discours court où elle remercie les princes qui l’entourent : Mathieu Ganio, Hervé Moreau, Karl Paquette. Des partenaires qui devront faire sans elle, mais qui l’ont tant fait briller… de vrais princes autour d’une diva de la danse.

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Saison 2013-2014 à l’Opéra de Paris (ballets)

Voici la nouvelle saison 2013-2014. Elle fera comme tous les ans des heureux et des malheureux. Trop de contemporains, pas assez de classiques, trop de ci ou trop de ça. Personnellement, je suis ravie de revoir Doux Mensonges de Jiri Kylian, de découvrir le Bolchoï dans un ballet que je n’ai jamais vu, Lost Illusions. 3 soirée mixtes permettent de découvrir ou de revoir de jolis ballets contemporains. L’année sera chargée en émotions avec le départ d’Agnès Letestu, d’Isabelle Ciaravola, de Nicolas Le Riche, et de Brigitte Lefèvre. C’est une génération, une façon de danser, de concevoir la danse et ce ballet. L’année sera donc sous le symbole de la transmission. C’est aussi l’occasion pour le ballet de l’Opéra de Paris de rentrer dans une nouvelle ère.

  • Tournée russe à Moscou du 15 au 27 septembre 2013

La troupe ira danser Paquita de Pierre Lacotte.

tournee-paquita source image : Opéra de Paris

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  • La Dame aux Camélias de John Neumeier du 21 septembre au 10 octobre 2013 *

La dame aux Camélias c’est un des ballets les plus romantiques qu’il soit, qu’il faut voir car on ne reverra pas le ballet d’ici quelques années. Le ballet à la trame narrative, presque cinématographique, avec des flashbacks, fait entrer le spectateur dans la romance de Marguerite et Armand, le tout sur les Préludes de Chopin. Même si on l’a vu de nombreuses fois, c’est un ballet dont on ne saurait se lasser. On aimerait aussi y voir ou revoir des artistes invités. Je garde un très bon souvenirs de Jiri Bubenicek dansant avec Aurélie Dupont. L’évènement sera bien sûr les adieux d’Agnès Letestu, qui excelle dans le rôle. Cette soirée d’exception aura lieu le 10 octobre.

Agnès Letestu photo de Syltren blog Rêves Impromptus

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  • Soirée Mixte : Kylian / Teshigarawa / Brown  23 octobre au 14 novembre 2013 *

Doux mensonge est un ballet que Kylian a crée pour l’Opéra de Paris, dans lequel il a utilisé les dessous de la scène, qui sont filmés et projetés sur scène. Les cabestans deviennent un terrain de jeu dans lequel les danseurs peuvent se cacher, se charmer. Les chanteurs sont sur scène, et évoluent entre la scène et les dessous. Je garde un excellent souvenir de ce ballet.
Teshigarawa viendra pour une création. Il avait déjà surpris le public de l’Opéra avec Air, que j’avais beaucoup apprécié. Cette nouvelle création s’appellera : Darkness Is Hiding Black Horses.
Glacial Decoy est une pièce qui saura en surprendre plus d’un. Peu voire pas de musique, un langage chorégraphique que l’on a peu l’habitude de voir à l’Opéra, cette pièce vous charmera ou vous fera fuir !

Glacial Decoy de Trisha Brown

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  • Les démonstrations de l’école de danse *

Ecole de danse de l'Opéra de Paris

3 week-ends pour les découvrir en cours de danse : les dimanche 8, 15 et 21 décembre 2013.
Les démonstrations en vidéo ça ressemble à ça, clic

  • Le Parc d’Angelin Preljocaj du 7 au 31 décembre 2013 *

Démocratisé par la pub Air France, Le Parc c’est bien plus qu’un baiser qui vole. C’est un ballet crée pour le ballet de l’Opéra en 1994, que j’avais vu à Bastille (j’étais bien jeune mais j’en garde un excellent souvenir, très claire, avec chaque détail du ballet) et qui raconte la carte de Tendre. Jeux amoureux, séduction, souffrance, désamour, tous les sentiments sont dansés, explorés, cultivés. Un joli voyage et une belle entrée dans la danse si vous n’en avez jamais vue. La musique de Mozart vous transportera dans ce voyage amoureux.

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Tournée à Créteil avec le Parc les 6 et 7 janvier 2014

  • La belle au bois dormant de Rudolf Noureev du 4 décembre au 4 janvier 2014 **

C’est la tradition, ballet classique à Bastille en face d’un plus contemporain à Garnier. La Belle c’est le grand classique, musique de Tchaïkowsky, chorégraphie de Noureev d’après Petipa. Je ne saurai vous en parler correctement parce que ce ballet n’est pas du tout ma tasse de thé. Certes il permettra sans doute à plein de jeunes de prendre des rôles, car il y en a à foison dans ce ballet. J’adore le prologue, avec les variations des 7 fées, mais le reste me semble toujours trop long. Si vous aimez le classique, si tutu, fleurs, rose, conte de fées et que tout cela vous parle, foncez. Je sais je caricature, mais la Belle ce n’est pas ma tasse de thé.

La belle au bois dormant

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  • Compagnie invitée : Le Bolchoï du 4 au 10 janvier 2014 *

La compagnie viendra avec le ballet Lost Illusions de Ratmansky. Un petit Don Quichotte en supplément m’aurait bien plu aussi, mais c’est bien de découvrir aussi quelque chose que je n’ai jamais vu. On reste dans la continuité des ballets romantiques narratifs, basé sur des classiques littéraires.

Lost Illusions de Ratmansky

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  • Onéguine de John Cranko du 4 février au 14 mars 2014 *

Reprise d’Onéguine, ballet romantique, qui vous fait frissonner dans ses pas de deux étirés, aux portés sublimes. Nombreux balletomanes espèrent revoir Evan Mc Kie redanser, moi aussi, je ne l’avais vu qu’à la générale. Mais ce qui nous fera pleurer assurément c’est les adieux d’Isabelle Ciaravola qui auront lieu le 7 mars. L’étoile qui a été nommée dans ce rôle montrera une dernière fois ses talents de danseuse tragédienne. J’ai à la fois hâte et une grande tristesse de la voir dans ce rôle pour la dernière fois.

Ciaravola Ganio dans Onéguine photo Michel Lidvac

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  • Soirée mixte 2 : Mlle Julie de Birgit Cullberg/ Fall River Legend d’Agnès de Mille du 21 février au 12 mars 2014 *

Soirée de femmes ! Brigitte Lefèvre a de l’audace ! Soirée un peu mystérieuse, Mlle Julie étant un ballet d’après la pièce de Strinberg, Fall River Legend n’a été donné que deux fois (en 91 et en 96), Agnès de Mille est peu connue du public français. C’est une soirée qui promet une grande découverte. J’adore la pièce de Strinberg, c’est vraiment un répertoire théâtral que j’affectionne tout particulièrement car les personnages ont des caractères finement décrits, avec plein de finesse, j’espère que la pièce saura faire ressortir cela.

  • Tournée au Japon avec Don Quichotte et La Dame aux Camélias du 9 au 23 mars 2014

Mathilde Froustey et Pierre-Arthur Raveau dans Don Quichotte, photo Julien Benhamou

Relire ma chronique sur Don Quichotte vu en 2012 , clic
Relire ma chronique sur La Dame aux Camélias, vu en 2009, clic
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  •  Spectacle de l’école de danse du 5 au 10 avril 2014*

Concerto en Ré de Claude Bessy
Napoli, de Bourbonville
Scaramouche de José Martinez
Yondering de John Neumeier

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  • Jeunes danseurs du 18 au 22 avril 2014*

 

  • Orphée et Eurydice du 3 au 21 mai 2014 du 3 au 21 mai 2014 *

Chef d’œuvre à voir sans modération….

Alice Renavand dans Orphée et Eurydice photo d'Agathe Poupeney

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  • Soirée mixte 3 : Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied/ Palais de Cristal de Georges Balanchine du 10 mai au 8 juin **

Le ballet de Georges Balanchine sera revu par Christian Lacroix pour les costumes. Benjamin Millepied contribuera une fois de plus à enrichir le répertoire avec une nouvelle création.

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  • Notre-Dame de Paris de Roland Petit du 20 juin au 16 juillet 2014 **

J’adore ce ballet. La musique, les costumes, la chorégraphie, les danses de groupes, les solos, les personnages si bien définis, la trame narrative si bien montée par Roland Petit. Nicolas Le Riche retrouvera son rôle fétiche, dans lequel il fera une première partie de ses adieux.

Nicolas Le Riche lors du défilé 2012

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  • Soirée mixte 4 : Psyché de Ratmansky/ Dance at the gathering de Jerome Robbins du 19 juin au 7 juillet 2014 *

Psyché avait fait l’ouverture de la saison il y a deux ans et m’avait laissé un souvenir assez désagréable. Je m’étais profondément ennuyée, et malgré la musique envoutante de César Franck. Dance at the gathering m’avait plutôt ennuyée lors de sa reprise avec le pétillant Apartement de Mats Ek.

Aurélie Dupont dans Psyché

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  • Gala Nicolas Le Riche le 9 juillet 2014

Après avoir dansé dans Notre-Dame de Paris, Nicolas Le Riche fera définitivement ses adieux à la scène lors d’un gala. Il y dansera entre autres Le jeune homme et la mort, on aimerait aussi le Boléro. Une chose est sûre, on peut préparer le stock de mouchoirs.

Nicolas Le Riche photo Syltren Rêves impromptus

Alors que pensez-vous de cette nouvelle saison ? Quels ballets avez-vous envie de voir ou revoir ?

Info en plus, la saison 2014-2015 s’ouvrira avec la venue du Tanztheater Wuppertal qui viendra entre autre danser 2 cigarettes in the dark.

Les abonnements sont ouverts dès le mercredi 27 février.

* Garnier
** Bastille

Onéguine avec la splendide Isabelle Ciaravola

Onéguine © Michel Lidvac

© Michel Lidvac

Je savais que j’avais bien fait de revoir cette distribution. J’ai passé une soirée magnifique. J’espérais avoir un pass et être au plus près de la scène, mais j’ai du me contenter d’un fond de loge. Mal placée au premier acte je n’ai pas vu grand chose. J’ai aperçu avec peine Muriel Zusperreguy et Florian Magnenet. Je ne saurai vous dire comment a été leur pas de deux. J’ai mieux vu le corps de ballet qui se répartit des deux côtés de la scène. Conseil, si il faut oublier la loge 5, vous pouvez aussi oublier la 7 ! J’ai fait de sacrées acrobaties pour voir la scène du rêve.

Ciaravola porte une fois de plus le ballet. Elle est lumineuse, elle vole dans les bras d’un Mathieu Ganio, qui me convainc de plus en plus. Il devient dans cette scène un amoureux transi, il devient cette image dont Tatiana rêve tant. Il la fait voler, leur couple est en parfaite harmonie. Les jambes d’Isabelle Ciaravola s’élancent, glissent. Même avec les trois quart de scène, c’est un pur bonheur. C’est une vraie héroïne romantique, éprise d’un homme mystérieux.

Onéguine © Michel Lidvac

© Michel Lidvac

Pas question de rester là, je rejoins Pink Lady en loge de face. Place au deuxième acte, dans lequel Mathieu Ganio sait être cet Onéguine cynique et insupportable. Il a le
sourire de tout homme indélicat face à une jeune femme fragile. Ciaravola a le talent d’interpréter ces personnages de femmes, comme Tatiana ou Marguerite Gauthier. Pleine d’humanité, elle se plonge dans la psychologie de cette jeune femme, qui vient de subir l’affront du charmant poète. Alors qu’elle ne cherche que son regard, Onéguine est froid, dans tout son corps, dans toute son âme. Ciaravola montre l’hésitation à aller vers lui jusqu’aux bouts des pointes. Florian Magnenet ne fait pas trop le poids face à un Onéguine si puissant. Il est tout le temps sur le même registre et on ne croit pas à son énervement quand Onéguine séduit Olga, dansée par une Muriel Zusperreguy très en forme et à qui le rôle d’Olga va très bien.

Magnenet ne me convainc pas dans la variation de Lenski, cela manque de maturité. Il a trop l’attitude d’un prince, d’un héros, pas d’un homme qui va mourir, qui est blessé car l’orgueil de son ami est parvenu à détruire leurs liens. Si techniquement, il n’y a pas grand chose à dire, je n’adhère pas du tout au personnage qu’il présente.

Onéguine © Michel Lidvac

© Michel Lidvac

Isabelle Ciaravola est à l’apothéose de son art au troisième acte. Radieuse avec Christophe Duquenne en Prince Grémine, sa fragilité resurgit dès l’instant où elle voit son amour d’autrefois. En une demi seconde, les sentiments reprennent le dessus, l’assurance qu’elle avait en dansant avec son mari disparaît. La nouveauté est la faiblesse qui trouble Onéguine et je dois dire que Mathieu Ganio est remarquable. Il est animé par ce « spleen noir  » dont parle Pouchkine. Dans son rêve, il est hanté par toutes ces robes. Ganio parvient à traduire ce sentiment nouveau, par une danse qui puise beaucoup d’énergie dans le sol.

Quand il arrive chez Tatiana, il brûle d’amour pour elle. Pas un regard dans ses yeux, elle garde sa colère en elle, se ferme. Il n’y a que lui qui prend ses mains, qui l’enlace. Il tombe à ses pieds, avec le désespoir d’un mourant. Si son amour est toujours intacte, la blessure ancienne également et c’est cela qu’Isabelle Ciaravola donne à voir. Toute l’histoire de Tatiana est dans cette scène. C’est très beau, de quoi vous faire pleurer.

Onéguine est définitivement mon coup de coeur de l’année avec Artifact.

  • Distribution du 30 décembre 2011
Eugene Oneguine Mathieu Ganio
Lenski Florian Magnenet
Tatjana Isabelle Ciaravola
Olga Muriel Zusperreguy
Prince Gremine Christophe Duquenne

 

 

Piotr Ilyitch Tchaikovski Musique
Kurt-Heinz Stolze Arrangements et orchestration
John Cranko Chorégraphie et mise en scène
Jürgen Rose Décors et costumes
Steen Bjarke Lumières

 

 

 

Répétition générale d’Onéguine

Quand je n’ai pas d’honneur, il n’existe plus d’honneur. 

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© Laurent Phillipe

 L’avantage de voir 3 distributions d’un ballet avant que le spectacle ne commence vraiment, c’est que l’on sait à l’avance celle(s) que l’on voudra revoir. J’avais hâte de découvrir Evan McKie dans le rôle titre. Peu d’artistes sont finalement invités à l’Opéra de Paris dans une saison.

Je vous épargne la course aux places lors d’une générale, J***, ma petite fée, m’a permis d’être en troisième loge de face et ce fut parfait. Voilà enfin le grand retour du Dupont dans un rôle intéressant, car les expériences McGregor et Ratmansky ne m’avaient pas permis
d’admirer son talent.

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 Si j’ai trouvé le premier acte un peu raide, Evan McKie laisse entrevoir de très belles choses. Il construit son personnage à mesure que la pièce avance. Au premier acte, sa
froideur pourrait presque être prise pour de la timidité. Dans le pas de deux, il montre un personnage complètement fermé qui ne s’ouvre et danse de façon ample quand il est seul. Il soulève Tatiana avec une telle légèreté, c’est comme si elle n’était pas là. Il ne la voit pas, elle ne la regarde pas. Les seuls moments où leurs yeux communiquent c’est quand il se retourne vers elle, pour lui retendre son bras pour la promenade. C’est dans une toute autre atmosphère que se déroule le duo Olga/Lenski. Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt montre de nouveau de grandes qualités. Elle est mutine, légère, avec une élégance de jeune fille, une danse souple, lui partenaire exemplaire, ne lâchant jamais son rôle de jeune homme amouraché, plein de vie, dansant avec joie et
générosité.

La scène de la chambre et du rêve laisse voir un EvanMcKie/Oneguine très énigmatique. Aurélie Dupont semble déjà à l’aise dans ses bras, malgré le manque de répétition. La suite des représentations sera sans aucun doute fantastique. Aurélie Dupont est comme à son habitude très aérienne, légère telle une plume. Elle ne touche pas le sol, elle est en plein rêve. Elle offre une danse élégante et ne quitte jamais son attente amoureuse face à cet homme.

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© Laurent Phillipe

  Après l’entracte, l’émotion monte encore d’un cran. Je n’ai plus du tout l’impression d’être dans une répétition. Aurélie Dupont et Evan McKie offre une dramaturgie de
toute beauté. La scène de la lettre est très violente, Tatiana est dévastée et ralentit sa danse. Elle évite son regard, son passage et même son ombre. Quand à Olga qui n’a pas vu la scène, elle danse avec entrain et joie avec le cynique. Josua Hoffalt est toujours aussi convaincant en Lenski, il s’impose devant son ami. Son solo dans la forêt avant le duel est émouvant. Il danse avec une belle technique, nuançant chaque mouvement, tout se passe comme si il savait déjà qu’il allait mourir. L’amitié brisée, il ne lui reste plus que ce moment solitaire dans cette forêt qui sera son tombeau.

J’ai aimé le froideur fragile d’Aurélie Dupont qui somme Onéguine de partir après la mort de son ami. Quelle émotion, de la revoir sur scène.

Dans le troisième acte, le bal est toujours aussi réussi. Les danses sont bien réglées, le corps de ballet est exemplaire. Les robes sont superbes, on a envie de se plonger dans
ce décor idyllique.

Je ne trouve pas que le rôle de Grémine aille à Karl Paquette, danseur trop imposant, avec une forte personnalité pour être dans ce petit rôle. Je vois plus Grémine comme un personnage effacé. Ceci dit Karl Paquette est un partenaire qui sait mettre en valeur la danseuse. Aurélie Dupont incarne à merveille la femme qu’est devenue Tatiana. Comme Ciaravola, elle est capable de passer avec aisance de la jeune fille éprise à la femme du monde. Evan McKie traverse l’espace avec un sentiment grandissant. L’amour est angoissant, oppressant, il se met à rêver de toutes ces femmes, mais pas une ne peut rivaliser avec Tatiana.

La scène finale m’a fait couler des larmes. Ils se déchirent, et chaque mouvement est étiré au maximum. J’ai été accrochée à chaque minute, à chaque seconde. Evan McKie est merveilleux, il a une aisance inégalable dans ce rôle. Il parvient à montrer dans cette dernière scène toutes les facettes du personnage avec une danse impeccable. Aurélie Dupont quant à elle, est une Tatiana qui ne sait plus quoi écouter. Son coeur lui parle de douceur, et elle se laisse faire dans des bras chaleureux, sa raison, raidit son corps, elle devient presque un objet froid. On ne peut que frissonner devant tant de grâce et de beauté.

  • Distribution du 7 décembre 2011
Eugene Oneguine Evan Mc Kie
Lenski Josua Hoffalt
Tatjana Aurélie Dupont
Olga Myriam Ould Braham
Prince Gremine Karl Paquette

 

Piotr Ilyitch Tchaikovski Musique
Kurt-Heinz Stolze Arrangements et orchestration
John Cranko Chorégraphie et mise en scène
Jürgen Rose Décors et costumes
Steen Bjarke Lumières

 

Répétitions d’Onéguine (scène orchestre et séance de travail)

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© Opéra de Paris

J’ai eu la chance en trois jours de voir deux distributions en répétition du ballet Onéguine. Vendredi dernier, grâce à une formation dans mon boulot, on a eu accès à la deuxième scène orchestre avec une distribution inédite ! Mathieu Ganio, Isabelle Ciaravola, Myriam Ould-Braham, Josua Hoffalt dans les rôles respectifs d’Eugène Onéguine, Tatiana, Olga et Lenski. En fait tout s’explique par la blessure de Nicolas Le Riche. Evan McKie a été appelé pour remplacer Le Riche. N’étant pas encore prêt pour attaquer la répétition en scène orchestre, c’est le duo Ciaravola/Ganio qui a fait la répétition. J’ai adoré pour ma part cette distribution inédite ! Quelle répétition ! C’était très beau.

Lundi j’ai assisté grâce à JMC à la séance de travail, la dite prégénérale avec la distribution Pech/Osta. Cette deuxième distribution m’a moins enchantée, peut être que j’avais été trop envoûtée par le premier couple.

Le premier acte s’ouvre dans un décor bucolique, on découvre quatre femmes dont trois attablées, qui s’affairent à la broderie de robes. La quatrième allongée dans l’herbe est
plongée dans la lecture. Tatiana, jeune femme romantique ne s’intéresse pas aux robes comme sa soeur Olga, pas plus au miroir que lui tend sa mère dans lequel on verrait le portrait du bien aimé. Les amies d’Olga arrivent et dansent avec elles. Ciaravola propose une Tatiana, très fermée, presque mélancolique. Osta est plus romantique. J’ai apprécié leurs deux interprétations. Dans un papier d’Ariane Bavelier qui date de 2009,
elle citait le directeur du ballet de Stuttgart qui disait à propos du ballet  : « On peut voir le ballet avec toutes les distributions différentes : ce sera toujours les mêmes pas,
jamais le même ballet
« . Le jeu des danseurs est primordial, c’est dans leur interprétation que réside les nuances des personnages. De même dans le rôle d’Olga, Myriam Ould Braham et Mathilde Froustey dansent complètement différemment. J’ai adoré Myriam Ould Braham dans ce rôle. Elle est délicieuse et sa danse est très fluide. Le pas de deux avec Josua Hoffalt qui est Lenski est formidable, d’une grace incomparable. Ils ont l’air de s’amuser sur scène d’y prendre un plaisir fou. Myriam Ould Braham est une Olga mutine, pleine de vie. Très envie de l’applaudir, mais chut pas d’applaudissements pendant les répétitions. Mathilde Froustey est aussi un petit bijou qui ne manque pas de séduire son partenaire Fabien Révillon. Ses équilibres sont toujours aussi impressionnants et elle affiche un large sourire, très généreux.

A l’arrivée d’Eugène Onéguine dans le jardin, un froid s’installe. Le jeune homme en noir tranche avec le reste de l’assistance. Il ne sourit pas, a un regard lointain. Là mon
coup de coeur va d’emblée vers Mathieu Ganio qui domine la scène. Son regard froid associé à son visage d’ange en font le parfait cynique. On est sous le charme d’emblée comme Tatiana et comme toutes ces héroïnes de la littérature. On ne peut s’empêcher de penser à Mr. Darcy au bal avec Elisabeth Bennet. Leur pas de deux est écrit de façon très fine. Ils marchent, Tatiana au bras d’Onéguine, qui a complètement changé d’attitude. Elle est déjà sous le charme du poète, mais lui est absent de cette romance, il se met à danser tout seul oubliant la jeune femme. Isabelle Ciaravola est déjà dans une grande tristesse, alors qu’Osta choisit d’être une Tatiana qui est interloquée par l’attitude du jeune homme.

Dans la scène du rêve mon coeur vacille devant le partenariat Ganio/Ciaravola. Quelle beauté, ce pas de deux. Les portés sont superbes. La ballerine est dans un nuage où elle
touche rarement le sol. Toujours portée plus haut, l’amour s’emballe et se renforce dans le coeur de Tatiana. Les glissés au sol sur les pointes me font penser à la rapidité de cet amour naissant. On est dans une ambiance bleutée, qui ne nous fait pas douter du rêve. A son réveil, Tatiana écrit avec entrain sa lettre d’amour pour le poète désabusé.

Salut séance de travail

© Elendae

L’acte deux nous plonge dans un intérieur russe où Tatiana va recevoir petits et grands pour y fêter son anniversaire. Si tout le monde s’enthousiasme autour d’elle, la seule
chose qui préoccupe son esprit c’est la réponse qu’Onéguine va faire de sa lettre. Nos deux belles étoiles féminines proposent deux chemins différents, mais tout deux très convaincants. Quand Onéguine déchire la lettre, j’aime le sourire mesquin de Mathieu Ganio, qui prend les sentiments de Tatiana par dessus la jambe. Il se joue de la situation quand Benjamin Pech y donne un ton plus grave. Pour continuer sa provocation , il décide de danser avec Olga pour montrer qu’il ne croit pas au sentiment amoureux. Le pas de deux est rapide, et les corps sont très rapprochés. Que ce soit Mathilde Froustey ou Myriam Ould-Braham, j’ai adoré cette partie du rôle d’Olga. Josua Hoffalt est très imposant dans son opposition à Onéguine.

Ce qui est parfois génant, ce sont les transitions entre les tableaux dues aux changements de décor. Cela fait un peu désuet et on sent qu’on comble un peu la musique avec de la pantomime. On arrive sur la scène du duel, où le trio Olga/Tatiana/Lenski reprend les pas pour montrer le désespoir de la situation. J’aime l’engagement des danseuses dans ce passage, on sent que la situation dépasse les personnages. C’est un vrai passage tragique et la musique porte bien ce moment. Lenski meurt sous la première balle d’Onéguine.

L’acte trois s’ouvre dans une salle de bal. Les danseurs sont figés, comme des poupées de cire avant la levée du rideau transparent. La danse de bal est très jolie, on pense
forcément à La Dame aux camélias. Arrivent le Prince Grémine et Tatiana qui sont désormais mariés. J’ai adoré Ciaravola dans ce troisième acte. Quelle actrice ! Elle sait passer de la jeune adolescente amoureuse en secret, à cette femme resplendissante et épanouie. Et quelle partenaire, je pense qu’elle facilite l’interprétation de Duquenne et Ganio. Sa danse est plus grande, plus époustouflante qu’aux deux premiers actes. Son regard englobe toute l’audience, les danseurs et le public. Le rouge de la robe renforce cette dominance. Quand Onéguine entre il est troublé par cette femme, il ne se reconnait plus, les pas sont plus petits, hésitants, les courses plus affolées. Il plonge dans une rêverie où il est entouré de femmes, qu’il porte, qu’il fait danser. Le regard devient vide à mesure qu’il rencontre ses femmes, puisqu’il n’y en a plus qu’une dans sa tête.

La scène finale dans la chambre de Tatiana est absolument magnifique. Ganio/Ciaravola m’ont émue aux larmes en répétition. J’ai hâte de les revoir en scène. Dans la chorégraphie, tout le caractère des personnages s’y déploie. La dominance d’Onéguine qui a une certaine violence dans ses baisers. Il agrippe sa partenaire, la fait glisser, c’est lui qui mène malgré sa requête. Il ne lâche jamais ses jambes, l’oppresse. Pour Tatiana, il s’agit de montrer sa faiblesse tout en restant ferme. Osta comme Ciaravola sont deux Tatiana résolument différentes, mais qui racontent deux histoires intéressantes. J’aime le côté tragique de cette situation et Ciaravola poussant un cri final est un moment poignant, qui vous fait frissonner.

  • Bonus vidéo : Isabelle Ciaravola avec Hervé Moreau
Piotr Ilyitch Tchaikovski Musique
Kurt-Heinz Stolze Arrangements et orchestration
John Cranko Chorégraphie et mise en scène
Jürgen Rose Décors et costumes
Steen Bjarke Lumières
  • Distribution de la scène orchestre du vendredi 2/12
Eugene Oneguine Mathieu Ganio
Lenski Josua Hoffalt
Tatjana Isabelle Ciaravola
Olga Myriam Ould-Braham
Prince Gremine Christophe Duquenne
  • Distribution de la séance de travail du lundi 5/12
Eugene Oneguine Benjamin Pech
Lenski Fabien Révillon
Tatjana Clairemarie Osta
Olga Mathilde Froustey
Prince Gremine Christophe Duquenne