Nicolas Le Riche

Les Adieux de Clairemarie Osta, dernière scène filmée.

L’intimité du studio Bastille était parfaite pour la diffusion du film d’A.D. Duval, Les Adieux. Le film parle d’une étoile et de sa dernière scène. Clairemarie Osta a accepté le projet pour garder une trace, de cette émotion si particulière et unique. Le film montre la déroulement de la reprise d’un grand ballet classique. Tout commence à J-52, Nicolas Le Riche et Clairemarie Osta sont dans le studio Chauviré en compagnie de Patricia Ruanne. Elles va leur faire répéter L’histoire de Manon de Kenneth MacMillan. Les deux danseurs étoiles enchaînent les pas. La mémoire du corps semble indéfectible, les danseurs sont eux mêmes surpris que tous les pas s’enchaînent sans blanc.

Le film se partage entre les moments de répétition en studio, la représentation du 13 mai, les coulisses et les entretiens filmés face caméra de la belle étoile. Les plans filés entre le studio et la scène sont très réussis. C’est un jeu, comme si on passait d’un côté et de l’autre du miroir.

Peu à peu, les répétitions gagnent en fluidité. Le petit compteur en bas de la pellicule, avec le nombre de jours restants,  nous fait revivre l’attente, l’excitation de cette ultime représentation.

Après les répétitions, il faut aller essayer les costumes, les perruques. Une fois encore, le miroir se retourne, Clairemarie essaye la perruque, Manon apparait sous nos yeux, cheveux court, robe effilée comme l’a voulue la danseuse. Accessoires et costume, Manon entre de plus en plus dans Clairemarie, elle l’envahit, elle prend de plus en plus de place.

Nicolas Le Riche est beaucoup filmé. C’est aussi un film sur lui. A la ville, les deux étoiles sont une famille avec deux petites filles. C’est avec lui qu’elle souhaitait danser ce rôle qu’elle aime tant. C’était en matinée pour que les deux enfants puissent aussi partager ce moment plein d’émotion. En bon partenaire, Nicolas Le Riche est attentif à sa ballerine. Il la rassure sur les sauts vrillés de la dernière scène. « Lance-toi, le reste c’est mon travail ». Il faut réajuster ces moments où chaque millimètre compte. La réalisatrice nous fait entrer  de plus en plus dans l’émotion. Sans dire aucun mot, juste en dansant, Clairemarie Osta dévoile ce personnage avec tant d’amour, qu’il n’y a besoin d’aucun commentaire pour comprendre ce qu’elle ressent.

Quand les duos et solos sont réglés, direction  le studio Petipa qui se trouve sous la coupole. Il fait les mêmes dimensions que la scène. Il est penché comme la scène. Le corps de ballet est là. Les solistes vont pouvoir se régler avec eux. L’étoile explique combien ce moment est important, car elle va se nourrir de tous ces danseurs, de tous ces personnages. Cela va continuer à façonner le personnage.

Jour de la représentation. Prendre le cours, aller se faire maquiller, coiffer, passer dans sa loge écouter du Boby Lapointe pour se détendre. Enfiler le costume. Ça y est Manon est en elle. Derniers pas dans le petit foyer de la danse. Derniers regards à Nicolas Le Riche pour certains pas.

Assise en coulisses, isolée des autres, on ne sait pas si elle médite ou si elle s’imprègne du rôle. Il y a quelque chose de mystique dans ce moment que, malgré la caméra, la réalisatrice a réussi à rendre. Elle entre en scène, la représentation se déroule, sans qu’elle n’ait trop le temps d’y réfléchir. Salle debout, ovation, paillettes, émotions. C’est filmé avec beaucoup de pudeur, comme l’est la danseuse. Ce film lui ressemble beaucoup.

Après la danse, Clairemarie Osta se voit remettre la légion d’honneur des mains de Brigitte Lefèvre. Quelques mots pour Nicolas Le Riche, dont on voit les larmes monter.

La lumière se rallume et c’est dix minutes d’applaudissements que la salle lui donne, comme un merci encore.

Cette projection était privée pour les membres de l’AROP, espérons qu’il sortira un jour en DVD.

Relire ma chronique sur la représentation du 13 mai, clic.
Relire ma chronique sur la rencontre AROP avec Clairemarie Osta, clic.

A lire ailleurs sur le film : A petits pas, Danses avec la plume.

Soirées Balanchine

La soirée d’ouverture de la saison de ballets est un moment particulier. Il faut que tout le monde s’y retrouve, habitués, abonnés, touristes de passage et nouveaux arrivés. Proposer une soirée mixte est un compromis qui permet de contenter tout le monde. Si la soirée Roland Petit faisait l’unanimité, la soirée de l’an passé avait beaucoup déçu. L’opéra a fait le choix cette année du chorégraphe Balanchine, avec trois pièces très différentes des unes des autres. On ne peut pas ne pas aimer son écriture, crime de lèse-majesté dans le monde de la danse, et, pourtant, nombreux sont les balletomanes qui résistent à son charme. 3 ballets, 3 époques, 3 écritures car l’étendue de Balanchine ne s’arrête pas à un genre.

La mise en bouche du défilé réjouit la salle qui peut ensuite se plonger dans la vague bleue de Sérénade. Œuvre de jeunesse, sans cesse remaniée par le maître, j’en ai parfois ressenti les longueurs. La première partie, faite d’ensembles, est pour moi la plus belle. Les 19 filles volent sur scène, alternant les rythmes en suivant la musique de Tchaïkowsky. On retrouve les constructions chorégraphiques de Balanchine avec ces lignes qui se croisent et se décroisent, s’emmêlent et se démêlent. Le duo Pagliero/Moreau offre un doux moment de poésie. Mathilde Froustey rayonne sur scène, et s’amuse des difficultés techniques ; Laëtitia Pujol et Eleonora Abbagnato incarnent une féminité à la fois romantique et sensuelle.

On change d’univers dès la levée du rideau d’Agon. Regards perçants vers le public, quatre garçons alignés en fond de scène. Tuniques noires et blanches, et musique de Stravinsky aux rythmes irréguliers. Fini le romantisme, la délicatesse féminine exacerbée dans Sérénade, on assiste plutôt ici à un échange de joutes dansantes. La première distribution était fabuleuse. Myriam Ould-Braham est d’une sensualité sans pareille. Ses lignes sont d’une rare précision ; ses battements à la seconde sont impressionnants. Le duo Aurélie Dupont Nicolas Le Riche fait ma soirée ! C’est LE moment que je retiens de ces soirées. Le Riche est à son habitude merveilleux mais il a le don de vous surprendre en permanence. On imagine ce qu’il va être sur scène et puis il vous époustoufle encore ! J’aime ce ballet pour ces extravagances, ses décalés sur pointes qui casse le rectangle « épaules-hanches », ses larges attitudes et les regards complices entre les danseurs comme s’il se passait une électricité entre chacun d’entre eux. J’ai retrouvé l’électricité mercredi mais j’ai été moins emballée, le temps m’a paru bien long.

Troisième pièce, troisième ambiance… et quelle ambiance ! Je crois que je n’aime pas ce ballet. Et pourtant, il y a des variations qui me plaisent. J’aime beaucoup le pas de deux entre la sirène et le fils. Le duo des deux compagnons du fils ne me déplait pas non plus surtout dansé par Takeru Coste et François Alu. La musique est formidable. Il y a des passages qui durent, qui durent, qui durent… 20 minutes pour retourner chez son père et pour se faire bercer comme un bébé… c’est long, on gigote sur sa chaise. Voir Jérémie Bélingard presque nu a, certes raccourci, mon ennui, mais tout de même ! Les deux distributions sont bien équilibrées, proposant chacune des personnages différents. Bélingard campe un jeune homme fougueux, rebelle, plutôt positif dans cette envie d’ailleurs, alors que la fuite d’Emmanuel Thibaut apparaît plus comme une nécessité. Quand à nos grandes sirènes, Letestu et Marie-Agnès Gillot, elles sont séduisantes chacune à leur façon. Agnès Letestu est plus fourbe, plus ronde dans ses gestes au début de la rencontre, pour mieux tromper le naïf. Marie-Agnès Gillot est plus agressive, plus envahissante dans l’espace de l’autre, comme une mante-religieuse.

La soirée Balanchine continue à l’Opéra de Paris jusqu’au 18 octobre. Plus d’infos et réservations sur le site de l’Opéra de Paris, clic.

A lire ailleurs : Danses avec la plume, Blog à petits pas, Danse Opéra, Palpatine, La loge d’Aymeric.

Le JDD, Balanchine, créateur de stars, clic
Le Huffington Post, clic
Le Financial Time, clic
Alta Musica, clic

Copyright photo : Le petit rat, Laurent Philippe/Fedephoto, Blog à petits pas.

1ère distribution (22/09/2012)

Sérénade
Ludmila Pagliero, Laëtitia Pujol, Eleonora Abbagnato
Hervé Moreau, Pierre Arthur Raveau
Agon
Pas de 2 Aurélie Dupont
Pas de 2 Nicolas Le Riche
1er Pas de 3 Muriel Zusperreguy, Nolwenn Daniel
1er Pas de 3 Mathieu Ganio
2ème Pas de 3 Myriam Ould Braham
2ème Pas de 3 Alessio Carbone, Christophe Duquenne
Fils prodigue (Le)
Le Fils Jérémie Bélingard
La Courtisane Marie-Agnès Gillot

 

2ème distributioN (26/09/2012)

 

Sérénade
Eleonora Abbagnato, Myriam Ould Braham, Mathilde Froustey
Florian Magnenet, Pierre Arthur Raveau
Agon
Pas de 2 Eve Grinsztajn
Pas de 2 Stéphane Bullion
1er Pas de 3 Muriel Zusperreguy, Mélanie Hurel
1er Pas de 3 Karl Paquette
2ème Pas de 3 Nolwenn Daniel
2ème Pas de 3 Christophe Duquenne, Stéphane Phavorin
Fils prodigue (Le)
Le Fils Emmanuel Thibault
La Courtisane Agnès Letestu

 

Adieux de Clairemarie Osta

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© Elendae

J’ai d’abord cru qu’il était possible d’obtenir un pass jeunes. Et puis les touristes n’attendant que des places de première catégorie ont tout raflé. Pas grave, je fonce à 19h29, direction la loge 7, mais je croise un ouvreur charmant qui me replace. J’entre en loge 15 où je retrouve Garielle et Genoveva. Vue parfaite sur la scène quand on se perche un peu sur son fauteuil. C’est un art de s’installer confortablement en fond de loge.

Le ballet commence, et on rentre bien plus dans la musique qu’auparavant. Sans doute, depuis les premières répétitions, l’oreille s’est habituée à cette musique, qui est issue de différents opéras de Massenet. Les thèmes qui correspondent à différents personnages permettent une certaine lisibilité de l’histoire et l’arrangement joué par l’orchestre ne m’a pas gênée. Clairemarie Osta est applaudie à son entrée sur scène. La salle se remplit alors d’une certaine tension. Dernière de Manon, dernière d’Osta…On a envie de profiter de chaque minute qui défile sous nos yeux, sans rater une miette de ce ballet. On voit passer le sourire ravageur de Renavand, impeccable en maîtresse de Lescaut, drôle, séductrice et coquine. Stéphane Bullion se montre toujours aussi brillant en Lescaut. Il parvient à créer un personnage complexe, reniflant l’argent partout il pousse, tout en gardant l’art des relations sociales.

Le premier pas de deux est magique surtout avec Le Riche, majestueux. On croit à cet amour de jeunesse, on voit en ce danseur, le visage juvénile d’un Des Grieux, tombant sous le charme, comme les autres hommes, de cette Manon mystérieuse. Clairemarie Osta est une Manon qui se montre intelligente, qui semble analyser les regards qui se portent sur elle. J’apprécie sa façon de monter sur la pointe de son chausson, avec une certaine suspension, tout en laissant traîner un regard vers un homme.

Le premier pas de deux de la chambre est celui qui me plaît le plus chorégraphiquement. J’adore la façon dont Des Grieux, fait descendre au sol Manon en la tenant par la nuque. Les baisers sont fougueux entre Osta et Le Riche, la passion transpire entre ces deux là. La fluidité dans les portés est remarquable. Manon glisse, s’envole, virevolte. La mousseline de sa robe légère suit les mouvements, et laisse découvrir les jambes de Manon tant désirées par la suite par Monsieur de G.M. Je suis à nouveau très émue par l’interprétation et la danse de Le Riche/Osta.

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A l’entracte, on croise tous les balletomanes ! L’excitation est à son comble, ça bavarde, chacun s’épanche sur son moment préféré, sur l’intelligence d’Osta dans sa danse, sur Nicolas Le Riche, définitivement le plus charismatique d’entre tous. Bizarre tout de même, cet adieu en matinée. Il manque l’ambiance d’une soirée, mais voir tous ces enfants dont ceux d’Osta, crée aussi une ambiance particulière, de joie.

Retour dans ma loge en compagnie de Gaerielle et Genoveva, qui ont récupéré plein d’affiches d’adieux. L’opéra édite des affiches quand une étoile de la compagnie part sur d’autres routes.

Reprise du ballet, Bullion est brillant dans son rôle de frère ivre et malsain. Comme un clown triste, son personnage est complexe, on oscille entre le rire et un sentiment pathétique à travers cet ivrogne dont la perte est déjà assurée à ce moment du ballet. Clairemarie Osta livre une Manon délicate et délicieuse, pour laquelle les hommes au regard avide, débordent de désir. Manon, objet de fantasme, enfant dans un corps de femme, qui croit avoir de la maîtrise de ce monde qui l’entoure, alros qu’elle en est la première victime. Osta maîtrise son personnage et prend un plaisir immense à occuper cette scène. Le public est pendu à ses pointes, et suit ce petit jeu de séduction qui finit mal.

Retour dans la chambre où Manon et Des Grieux se déchirent pour la valeur de l’argent. La tension est forte, à l’image de la complicité des deux protagonistes. Je suis suspendue aux bras d’Osta et aux regards de Le Riche. La pression monte jusqu’à la mort de Lescaut. Tragédienne jusqu’au bout, Osta livre une Manon tragique, profondément grave face à la mort de son frère. Quand arrive l’entracte, on commence à vouloir ralentir le ballet qui m’a paru étonnamment court.

Après la pause, retour pour les vingt dernières minutes de Manon. Clairemarie Osta danse avec une émotion certaine, elle fait frissonner la salle. Aux saluts, ovation du public. Le visage de l’étoile redevient le sien, Manon reste en arrière pour laisser Clairemarie profiter de ce dernier instant sur la scène avec son public. Cotillons dorés, sourire figé par l’émotion, larmes discrètes, les spectateurs applaudissent très fort, crient merci et milles bravos retentissent sous le lustre de Garnier.

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© Elendae

  • Distribution du 13 mai 2012 14h30
Manon Clairemarie Osta
DesGrieux Nicolas Le Riche
Lescaut Stéphane Bullion
La Maîtresse de Lescaut Alice Renavand
Monsieur de G. M. Stéphane Phavorin
Madame Viviane Descouture

 

L’histoire de Manon première !

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Samedi soir direction Garnier, pour assister à la première de Manon. Si je trouve bien des défauts à ce ballet, il n’en est pas moins de beaux moments de grâce.

Le premier acte se divise en deux scènes. La première mêle une foule de gens, mendiants, blanchisseuses, riches propriétaires, prostituées, soldats, courtisanes et autres chasseurs de rats. Parmi eux, un jeune soldat fougueux, Lescaut observe riches et mendiants. On découvre sa maîtresse, qu’il maltraite dès le début de cette histoire. Un homme intéresse particulièrement la foule, c’est Monsieur de G.M. Les mendiants, notamment leur chef, car la montre à gousset qui dépasse de sa veste est promesse de prospérité. Allister Madin incarne avec brio ce mendiant ma foi sympathique et bondissant. La maîtresse de Lescaut tente de séduire tout ce qui brille et Alice Renavand est convaincante. Jeux de bas de jambes, jeux de regard et sourire éblouissant, elle campe une courtisane séduisante, non sans recherche d’une certaine tendresse de la part de ces rudes hommes qui l’entourent. Stéphane Bullion se montre un Lescaut intéressé, malin, et tendre avec sa jeune soeur. Manon Lescaut est en route pour le couvent, quand elle s’arrête dans l’auberge pour y revoir son frère. Les regards sur elle, elle prend peu à peu conscience de sa beauté et de son pouvoir sur les hommes. Clairemarie Osta joue une Manon naïve dans ce premier acte, douce et délicate. Son travail de pointe reflète assez merveilleusement son caractère. Bien dans ses chaussons, et peu à peu, sans cesse en élévation. Deux hommes sont d’emblée attirés par Manon, Monsieur de G.M. et un autre riche notable, qui connaîtra une fin malheureuse, dans un coin de l’auberge Lescaut le faisant tuer par les mendiants pour une poignée d’or. Pendant les négociations entre Lescaut et Monsieur de G.M., dansé par Stéphane Phavorin, Manon cogne un jeune homme. Le coup de foudre est immédiat. Ce jeune c’est Des Grieux, un jeune étudiant. La variation de profil est une de mes préférées. La musicalité de Nicolas Le Riche n’a pas d’égal, chaque pied posé sur le sol, montre l’avancée de cet amour qui vient de naître dans son coeur. Les deux jeunes gens décident de fuir à Paris.

A son retour, Lescaut a promis sa sœur à Monsieur de G.M., il s’agit donc de la retrouver. Les deux amants se sont réfugiés dans la chambre de Des Grieux. Le pas de deux recèle des trésors chorégraphiques. Après avoir écrit une lettre à son père, Des Grieux déclare avec fougue son amour à Manon. Les portés s’enchaînent avec une telle aisance. J’aime les regards de l’un entre l’autre. Une véritable passion naît. Je suis émue aux larmes devant tant de grâce et de délicatesse. Manon vole, elle jubile de bonheur. Tous deux connaissent leur premier amour. Sur les visages des danseurs on peut lire une certaine innocence et la surprise sans cesse renouvelée de ce sentiment soudain et grandissant. Des Grieux va porter la lettre à son père, pour lui demander de l’argent, tandis que Manon vit ses derniers instants de bonheur. En effet, son frère arrive avec Monsieur de G.M., près tous deux à de mauvais arrangements. Monsieur de G.M. offre un manteau d’hermine à la jeune femme et des rivières de diamants. Cette perspective de richesse séduit Manon, qui prend un autre sourire devant cette richesse matérielle, oubliant aussi rapidement l’amour pur de Des Grieux. Le trio entre Lescaut, Monsieur de G.M. et Manon est malsain au possible. Stéphane Phavorin propose un Monsieur de G.M. très pervers et prêt à tout pour faire de Manon sa chose. La femme est réifiée durant tout le long du ballet.

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L’acte II commence dans le salon de Madame, une dirigeante de maison close. Prostituées et courtisanes se distinguent par leurs vêtements. Lescaut arrive au milieu de cette foule, complètement ivre. Stéphane Bullion se montre très convaincant dans ce rôle de fêtard. Très drôle, j’apprécie beaucoup cette variation. Le pas de deux avec Alice Renavand vient achever le passage comique. Elle tombe en grand écart, bouscule Lescaut, insiste pour qu’il la porte, mais se fait renverser par son partenaire. Lui à la fois graveleux et mal en point finit sa variation par une tentative de baiser, mais finit par s’écrouler sur le sol. Divin ! S’ensuivent de nombreuses danses des prostituées, un peu fouillies à mon goût. Sabrina Mallem est éblouissante en chipie capricieuse. Les femmes sont de nouveau traitées comme des objets qu’on choisit en fonction de ses goûts. Il règne une misogynie assez poussée dans ce ballet. Manon arrive au bras de Monsieur de G.M., habillée pour l’hiver et parée comme un sapin de Noël. Elle est montrée comme une bête de foire, ce qui rend fou de malheur Des Grieux qui a été invité à cette sauterie par Lescaut. La variation de Manon dansée par Clairemarie Osta est un régal. Fine, élégante, elle change de visage en fonction du partenaire qu’elle regarde. Séduisante et séductrice, elle regarde avec tension Monsieur de G.M., qui ne la perçoit que comme un objet sexuel, tandis que les yeux se baissent, et la danse se montre plus douce, plus pudique devant Des Grieux. Nicolas Le Riche qui ne danse quasiment pas de cette scène, n’en est pas moins charismatique. Il ne perd jamais le fil de l’histoire et captive mon regard à de nombreux moments, parfois plus que les danses successives. Manon passe de bras en bras, d’hommes en hommes, de façon très malsaine, chacun pouvant profiter de l’odeur de sa peau. En récompense, Monsieur de G.M. lui accroche au poignet un bracelet, sorte de menotte dorée. Moment de calme, Des Grieux demande à Manon de le suivre, tandis que celle ci lui montre ses nouvelles richesses et acquisitions. Elle lui suggère de gagner au jeu et pour cela, elle l’aide à tricher. Après quelques tours, et beaucoup d’or amassés, Monsieur de G.M. s’aperçoit de la supercherie et se lance dans un duel à l’épée. Des Grieux blesse le riche noble et s’enfuit avec Manon.

 

Dans cette deuxième scène, Manon et Des Grieux montrent leur désaccord. Si Des Grieux n’attache aucune importance aux biens matériels, Manon en revanche a du mal à lâcher sa robe, son bracelet et autres pierres précieuses. La scène d’opposition est très forte et saisissante. Des Grieux ne demande pas à Manon de chosir, il veut que l’amour s’impose à elle comme une évidence. Il la contraint lui aussi par la force, ce qu’elle ne peut supporter, elle décide alors de céder. Monsieur de G.M. arrive pour arrêter les tricheurs, Lescaut étant déjà menotté et molesté. Monsieur de G.M. tue Lescaut, Manon court pleurer son frère.

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© Blog à Petits Pas

Le troisième acte se passe en Louisiane où on été exilés les deux amants. La danse des jeunes femmes est emmenée par une Letizia Galloni resplendissante. Quand le bateau arrive, ce sont d’anciennes prostituées qui en descendent bien faibles et désespérées par ce voyage. Quand Manon et Des Grieux descendent du bateau, la jeune femme est éreintée et presque déjà dépossédée de son corps. Le geôlier ne s’y trompe pas, et voit le joli minois de l’ancienne séductrice. Après une altercation il l’emmène de force chez lui. Il la viole et lui accroche au poignet, de nouveau un bijou. La jeune femme ne répond plus de rien, elle est humiliée au sol. Scène choquante, Manon est presque laissée pour morte devant le bureau du geôlier. Des Grieux entre et le tue, puis emmène Manon en fuite dans les marécage de Louisiane. L’aventure est trop harassante pour la jeune femme, qui cauchemarde pendant ses nuits de sa vie passée. Tous viennent la hanter, se rappeler à sa mémoire, comme une sorte de procès. Dans un dernier espoir, Des Grieux fait danser Manon, elle court hantée par ce passé, par ces douleurs, elle se réfugie dans les bras de son amant. Il tente de nouveau de l’élever, de la faire sentir belle et forte. Son corps ne répond plus, Des Grieux la pose au sol, et pleure son désespoir. Le Riche et Osta m’ont complètement fait vibrer, leur osmose est sans égale, leur charisme et l’émotion qu’ils font passer vous bouleverse. On met quelques instants avant de revenir à soi, car ils parviennent à vous plonger dans leur histoire de Manon.

A lire ailleurs : Blog à Petits pas, Joël Riou, Klariscope

Jules Massenet Musique
Martin Yates Arrangements et orchestration
Kenneth Macmillan Chorégraphie et mise en scène
Nicholas Georgiadis Décors et costumes
Hans-Äke Sjöquist Lumières
  • Distribution du 21 avril 2012
Manon Clairemarie Osta
DesGrieux Nicolas Le Riche
Lescaut Stéphane Bullion
La Maîtresse de Lescaut Alice Renavand
Monsieur de G. M. Stéphane Phavorin
Madame Viviane Descouture

Sylvie Guillem 6000 miles away

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Il est des monstres de la danse qu’on voudrait immortels. Parmi eux, il y a évidemment Sylvie Guillem. Parce que même immobile, elle vous capte, elle vous raconte une histoire
avec une respiration, elle vous touche quelque part où d’autres peinent à entrer.

 Il est aussi des chorégraphies qui siéent particulièrement à certains artistes. Parmi mes amis et des lecteurs de ce blog, certains connaissent mon amour pour les chaussures.
Quand une paire va parfaitement à vos pieds, avec toutes les tenues, elle reste en permanence dans mon couloir. Elles sont comme une seconde peau, je ne peux plus m’en séparer. Les chorégraphies sont comme une seconde peau pour Guillem. Un langage qui lui va parfaitement. Son corps est au service de ces chorégraphies  et on passe une soirée rare.

 La première pièce de Forsythe fut comme un rêve flou, dans lequel on trace des lignes. Un carré de lumière sur les deux interprètes, Guillem et Massumaru. Un
musique presque sourde, qui semble suivre les interprètes. On retrouve un langage très dessiné mais sans être raide. C’est une danse fluide, où les danseurs semblent détachés de la scène. Ils sont un objet en mouvement, que l’on observe par intermittence. En effet, le duo danse entre des noirs où tout se coupe. A chaque réveil, de nouveau ces tracés avec les bras. Des cercles rencontrent les lignes des jambes. C’est très géométrique, mais cela se mêle à une certaine poésie de l’expression du corps.

La deuxième pièce fut celle que j’ai préféré chorégraphiquement. On ne se refait pas, et le langage de Kylian est celui qui me touche profondément. Scénographiquement, c’est très élégant. On joue avec le tapis de scène, on explore la relation à cette seconde peau, on s’enroule dedans, on disparaît dessous. L’espace est sans cesse bousculé, reconstruit. Les lumières rasantes découpent la scène en plusieurs espaces pour danser. Les lumières douces mettent en valeur les mouvements. Kylian joue une fois de plus la carte
de la nudité sans jamais être vulgaire. Le vêtement n’est que le prolongement de la peau. Il parvient dans les mouvements à faire oublier la nudité, là où, ailleurs, elle dérangerait
probablement. Très joli duo, j’ai complètement adhéré à cette pièce.

Guillem revient sur la scène avec Bye de Mats Ek. Petit bonbon pétillant qui vous donne un grand sourire, Bye est comme ces histoires courtes qu’on vous raconte et qui vous procure une grande joie. Tout le talent de Guillem ressort dans cette chorégraphie poétique. L’histoire d’une femme, qui part en voyage, qui revient. Au milieu du
décor composé juste d’un panneau, sur lequel on projette des images, ou bien dans lequel on peut entrer, se faire numériser, Guillem danse. Ouvrant son âme au public le temps de cette pièce, elle livre un spectacle touchant, qui vous captive. Son visage est un masque qui se transforme à loisirs. Son corps me fascine totalement, cette danseuse est un ovni qu’il faut voir danser. On ne peut se lasser de voir ces jambes s’étirer à l’infini, ces pieds qui à eux seuls peuvent faire une chorégraphie.

Rearray – création en France
William Forsythe  chorégraphie, costumes & conception lumières
David Morrow  musique
Rachel Shipp  réalisation lumières
Duo interprété par Sylvie Guillem et Massimo Murru (17 et 21 mars), danseur Etoile du Théâtre de la Scala.

27’52’’
Jiří Kylián chorégraphie & décors
Dirk Haubrich musique
Joke Visser costumes
Kees Tjebbes lumières
Duo interprété par Aurélie Cayla et Lukas Timulak

Bye – création en France
Mats Ek chorégraphie
Beethoven (sonate pour piano op. 111, enregistrement interprété par Ivo Pogorelich)  musique
Katrin Brännström décors & costumes
Erik Berglund  lumières
Coproduit par Dansens Hus Stockholm
Solo interprété par Sylvie Guillem

 

Musique enregistrée