NDT

Nouvelles de Noël

Me voilà enfin en vacances, je vais pouvoir mettre ces jours de repos à profit et vous raconter (enfin oserai-je dire) les quelques spectacles que je n’ai pas encore chroniqués.

La semaine dernière fut rude, je suis tout même allée danser parce que même fatiguée, la danse c’est essentiel ! J’ai vu un Don Quichotte à défaut de deux, mais j’ai passé une excellente soirée. Vincent Chaillet fut un Basilio élégant, accompagné d’une Muriel Zusperreguy charmante. Le couple avait une belle complicité et semblait prendre beaucoup de plaisir à danser ce ballet. Ils danseront encore ensemble cette semaine allez les découvrir, c’est une interprétation bien différente, d’autant qu’ils ont été coachés par Monique Loudières.

J’ai aussi passé une soirée éblouissante et émouvante devant le NDT en live jeudi soir. Trois chorégraphies de Paul Lightfoot et Sol Leon. Trois styles avec une même ligne chorégraphique, trois pièces, complètement différentes. De l’humour, plein d’émotions, une danse parfaite, des lumières à tomber par terre, des artistes magnifiques. Ne manquez pas la soirée du 7 février ! Pour relire ma chronique, clic.

Cette semaine, il ne faut pas remplir que les ventres, prenez-en pleins les yeux et les oreilles, il y a plein de choses à voir ! J’espère que le père Noël vous gâtera.

  • Les sorties de la semaine

Ceux qui pensaient voir Svetlana Zakharova les 24 et 26 décembre ont de quoi être déçus, la belle russe ne viendra finalement pas danser Don Quichotte. C’est Ludmila Pagliero et Karl Paquette qui danseront deux fois de nouveau le ballet. Allister Madin en chef gitan, Laura Hecquet en reine des dryades. Suite de la distribution, clic.

Vincent Chaillet dans Don Quichotte

La soirée Forsythe Brown se joue toujours à Garnier. Pour ma part j’y retourne le 31.
Si vous souhaitez y aller, infos et réservations, clic.

Akram Kahn a beaucoup séduit Elendae qui en a fait part sur son compte twitter, clic. Je découvrirai ce spectacle samedi soir pour ma part.

Plan B d’Aurélien Bory se joue au Théâtre du Rond-Point. J’avais découvert ce metteur en scène de cirque à la Villette en début de saison dans un spectacle prometteur, clic. Dans ce spectacle, Aurélien Bory explore les désirs de l’homme de transformation de sa physicalité. Un monde comme dans Matrix bientôt possible ?
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  • Les émissions de Noël

Quand la danse n’est pas diffusée après minuit, elle l’est un peu pendant les fêtes. Mercredi 26 décembre, soirée 100% danse sur France 2.

On commence avec un téléfilm, Fais danser la poussière, de Christian Faure. Ce film raconte l’histoire de Maya, une enfant métisse, qui n’a jamais connu son père, et qui se retrouve un peu perdue dans une famille recomposée. Elle décide de s’investir dans sa passion à fond, la danse. Elle intègre une compagnie de ballet à New-York. Ce téléfilm raconte à sa manière l’histoire de Maya Dô, danseuse chez Alvin Ailey. La réalisation est bonne d’après plusieurs critique.

Fais danser la poussière Copyright photo Tatiana Seguin

La soirée se poursuit avec Une vie, un destin, consacré à Rudolf Noureev. L’émission de Laurent Delahousse brosse le portrait de la légende de la danse. On n’apprendra pas grand chose si on a déjà lu plusieurs ouvrages sur Noureev, mais c’est toujours bien de voir des images du beau russe.

Rudolf Noureev le prince russe

Pour finir, La danse à tout prix, est un documentaire qui a suivi quatre danseurs. François Alu, Léonore Baulac, Héloïse Bourdon et Pierre-Arthur Raveau. L’équipe a suivi ces quatre danseurs jusqu’au concours, où chacun doit se dépasser.

  • En vrac

Plus qu’un jour pour faire les courses de Noël, si vous n’avez pas d’idées faites donc un tour à la Galerie de l’Opéra de Paris. Vous y serez très bien conseillé. J’ai eu récemment le DVD La danse au travail, pour les passionnés de danse, c’est un cadeau parfait… Guillem, Forsythe… vous serez comblé !

A lire, un article d’Ariane Bavelier, Les bienfaits du Tsar Noureev, clic. Une bonne lecture avant de voir le documentaire sur France 2 mercredi soir.

Revoir pendant 7 jours Cendrillon de Joël Pommerat sur Arte +7, clic. Relire ma chronique, clic.

Revoir l’émission sur les ballets de Monte-Carlo diffusée sur France 3 samedi soir, clic.

  • La vidéo de la semaine

Superbe Dorothée Gilbert, si vous l’avez raté comme moi, consolez vous…Voilà une Kitri qui envoie à fond dès le premier acte .

NDT Live Programme III

Cette année les cinémas Gaumont et Pathé ont eu l’idée géniale de retransmettre quatre soirées en direct du NDT. La première soirée avait eu lieu le 15 novembre, on pouvait y voir deux ballets de Kylian et une création de Medhi Walerski.

Cette deuxième soirée était exclusivement composée de trois pièces de Paul Lighfoot et Sol Leon. Comme en mai, clic, la réalisation était très réussie, avec des entractes très intéressants, sur la construction des ballets, l’élaboration des décors et des costumes, des extraits de répétition.

Une bande-annonce présentait les trois pièces. Noir et blanc, esthétique épurée. Un homme en costume blanc qui rit sous une pluie de cotillons ; une femme dont on ne voit que le profil en clair-obscur, ouvre une porte ; un soldat fou qui hurle, la bouche bougeant comme une vache.

J’ai passé une soirée formidable et j’ai hâte que le NDT revienne en France. D’ici là, je songe à m’organiser un petit week-end à la Haye. Trop tentant après avoir vu ça !

Sh Boom NDT photo de Rahi Rezvani

Sh-boom est une pièce qui se regarde comme on chanterait un air joyeux dans la rue. Musiques du monde variées, les saynètes s’enchaînent, avec beaucoup d’humour et toujours, cette exigence de recherche chorégraphique et de virtuosité technique. L’influence de Kylian est très forte dans ce ballet. D’abord avec cet humour si propre à la compagnie, que l’on avait découvert dans Birth-D ; ensuite, par de nombreux enchaînements, notamment ce quatuor de femmes dans des douches de lumières, dansant sur un tango finois. Le travail des expressions du visage est magnifique. L’homme au costume blanc fait une démonstration de jeu de scène. C’est un clown, qui vole sur scène. Ses sauts sont majestueux, plein d’amplitude. Un autre danseur, nous fait beaucoup rire, avec le fameux numéro du double costume. « John » et « Marshall » se font jouir devant un micro comme sur un ring de boxe. Hilarant, fait avec beaucoup de talent.

L’ensemble de fin avec les mouchoirs dans la bouche est aussi surprenant qu’interpellant. C’est un manifeste de la danse, elle se suffit à elle même, un geste et tout est dit. Cette pièce est comme une signature de ce qu’est le NDT aujourd’hui, mais aussi un témoignage de ce qu’il fut. Compagnie internationale, multiculturelle, riche de sa diversité qui sait allier technique époustouflante et jeu de scène formidable. Le tout avec une pointe de légèreté avec ce « sh boom, sh boom, lalalalalalalalal » !

Shoot the Moon NDT 1 Photo de © Rahi Rezvani

On change complètement d’ambiance avec Shoot The Moon. Après avoir vu cette pièce, j’avais le souffle coupé par tant de justesse. La pièce raconte ce qu’est la solitude, mieux qu’on ne le ferait avec des milliers de mots.

Le décor est une sorte de manège qui tourne. Il y a trois pièces au papier peint sophistiqué, noir et blanc. Dans la première pièce, il y a deux portes noires. Elles sont comme des échappatoires, mais elles cachent aussi ce qui pourrait être derrière elles. Dans la deuxième chambre, même décor avec une porte et une fenêtre. Idem dans la dernière pièce. Le décor tourne pour laisser entrevoir chaque espace.

La pièce traite du silence qui s’installe au bout de quelques temps dans les couples. Chacun est dans sa bulle de silence, chacun dans sa solitude. La chorégraphie est poignante, la musique de Philip Glass nous fait entrer très vite dans l’intimité et le désarroi des personnages.

Le langage de Paul Lightfoot et de Sol Leon est à la fois riche, complexe et hautement intelligible. Les courbes des dos montrent l’angoisse de ce couple qui ne se parle plus. Les ventres se contractent, les corps s’assemblent par habitude et non par passion. Les lignes des jambes dessinent une forme d’espoir dans cette chambre vide. Les portés se font sans effort, le travail de ces danseurs est sans pareil. Derrière la porte, il ne faut pas imaginer que l’herbe soit plus verte. Un autre couple, plus expressif, représentant sans doute, une souffrance plus explicite. Les corps sont plus malmenés, les mouvements sont plus rapides, plus rectilignes. Les visages prennent des formes plus sévères. Derrière la fenêtre, la silhouette d’un homme. Au-dessus du décor, il est filmé dans sa grande solitude. Medhi Walerski interprète à merveille (ce garçon est formidable) cet homme plongé dans son chagrin, ou dans ses regrets, d’un amour passé. Sans être lasse, la chorégraphie montre tout le vide qui règne dans cette pièce, qui devient emprisonnante, comme les pensées qui habitent le jeune homme. Les murs sont trop petits pour s’exprimer. Il s’y colle, dans la recherche d’un contact. La fenêtre joue un double rôle. Rencontrer cette femme, qui semble si triste, elle aussi, derrière cette fenêtre ou si jeter à travers, puisque plus rien ne paraît possible entre ces murs.

C’est donc une pièce plutôt sombre qui vous fait frissonner. Criante de vérité, les gestes sont bien plus compréhensibles que les mots. C’est un roman qui s’ouvre sous nos yeux, nous arrivons au chapitre de la fin.

La scénographie est divine, avec ces lumières, qui donnent de la chaleur à travers les vitres des fenêtres, une ambiance glaciale dans les pièces. Rien n’est vain, ni en trop, le film qui est projeté au dessus du décor a pleinement sa place. A la fin le décor tourne, tourne, accélère, comme le fil de la vie.

Same Difference Medhi Walerski photo Rahi Rezvani

 

Same differences m’a beaucoup fait penser à Shine a light, clic. Même scénographie, musique similaire, si le propos principal est ici l’ego qui enferme dans des principes, un langage, un mode de mouvement et de pensée, sur la forme, cela ressemble beaucoup au spectacle que j’avais vu en mai. Ainsi on se retrouve dans un monde très onirique avec des personnages fantasques. Pluie de lumière blanche, paroles incompréhensibles hurlées par un soldat, qui traîne la patte sur une petite passerelle. Un poète, dansé par Medhi Walerski, est le personnage central. Par ses paroles douces, dans plusieurs langues, il fait le lien entre ces personnages qui, finalement, ne communiquent pas entre eux, faute d’un ego trop grand.

Le langage chorégraphique est sans cesse renouvelé. Il n’y a pas de facilité. Chaque pas est exploré, étiré, tourné, jusqu’à trouver la forme parfaite qui va convenir à chaque corps, à chaque caractère. Les ensembles montrent la grande qualité de cette compagnie. Tout est très dessiné, c’est du design chorégraphique.

Prochaine soirée avec le NDT Live au cinéma le 7 février. Le NDT a donné carte blanche à Crystal Pite, danseuse et chorégraphe canadienne, très inspirée par le travail de Forsythe. Elle a depuis monté sa compagnie Kidd Pint. Ne manquez pas de découvrir son travail.

  • Extrait vidéo Shoot the moon

 

NDT live au cinéma : Move to Move !

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Accueillis avec bienveillance par le directeur du club de l’étoile, nous sommes peu nombreux dans la salle, alors que pourtant, c’est celle avec le meilleur écran qu’on puisse trouver dans Paris. Je suis ravie que l’on puisse désormais voir le NDT en live en France, car c’est une des compagnies que j’affectionne le plus. L’an prochain, quatre soirées seront retransmises. A vos agendas je vous les ai mises en bas de la chronique.

  • Left Right Left Right – chorégraphié par Alexander Ekman

 On commence avec cette création un peu particulière qui peut se danser en salle, mais que les danseurs ont aussi expérimentée dans la rue. Le principe est simple, on marche. Sauf que pour marcher sur scène les danseurs sont installés sur des tapis de marche. Ils marchent, puis bougent les bras, puis sautent sur ces tapis, tournent. La musique est rythmée par les voix des danseurs qui parlent, avec beaucoup d’humour, de cette expérience chorégraphique. Une autre voix commente les pensées du spectateurs, de l’interrogation que l’on a quand on se retrouve devant du spectacle vivant, sur le fait d’être là, à ce moment là pour voir ce spectacle là. On rit, et on se régale devant cette chorégraphie pleine de peps. Danseurs impeccables, lumières fabuleuses comme toujours dans cette compagnie, la soirée commence bien !

 

  • Silent Screen – chorégraphié par Sol León et Paul Lightfoot

Dans cette pièce, on est plongé dans une atmosphère complètement différente. Un écran en fond, en noir et blanc, avec la mer. Trois personnages qui regardent vers l’horizon. Un se met à marcher. Les deux autres restent et finissent par se retourner vers nous. Le décor change sur l’écran, on se retrouve dans une forêt enneigée. Les danseurs entrent dans une chorégraphie où les mouvements sont très étirés avec une certaine violence. Ça s’étire et puis cela se crispe, cela se referme d’un coup. Les visages sont un des enjeux majeurs de la pièce. Les chorégraphes se sont inspirés de films muets, qui sont pour eux ceux où on pouvait voir les meilleurs comédiens, puisqu’ils n’avaient rien d’autre que leur corps pour s’exprimer. Ici, les visages sont torturés, ils crient, puis s’apaisent à la vue d’une petite fille sur le chemin enneigé. On zoome sur son visage. C’est assez troublant cet écran il est d’une belle qualité, le réel et l’imaginaire se mêlent. On est emporté dans un tourbillon, on se retrouve dans une chambre, comme dans une maison de poupées où les ombres défilent devant les fenêtres. Toutes les images redéfilent à l’envers comme dans un mauvais rêve. Dans l’espace de quelques secondes, le décor change, on passe à un fond noir, sur tapis de sol blanc. Les duo/solo/trio s’enchaînent avec une certaine cohérence dans le langage chorégraphique. Il y a toujours ces étirements, contractions, auxquels se rajoute un rythme plus rapide, et puis des sauts jetés attitude. Des éléments sont plus violents, les jambes sont jetées,les bras sont rigides, tandis que certains portés apaisent, avec des lignes plus douces. Je tombe littéralement sous le charme de Medhi Walerski. Quel grâce ce danseur !

Autre moment très puissant du ballet, une femme sort de la fosse d’orchestre avec une robe qui envahit toute la scène. J’adore ce type d’effet avec les matières. Nos deux personnages du départ
reviennent, l’écran réapparaît, on trouve presque une forme d’apaisement.

La musique de Glasspieces, totalement envoûtante, parfait cet univers très onirique. Avec une précision du mouvement, le couple de chorégraphes parvient à nous plonger dans le flou du rêve. On ne sait pas combien de temps cela a duré, dans quel ordre cela s’est passé, mais on a passé un très beau moment. La réalisation vidéo est impressionnante, même si parfois il y a un peu trop de gros plans à mon goût. On a envie d’une vue plus globale quand on découvre une pièce.

 

  • Secus – chorégraphié par Ohad Naharin

Secus est le volet d’un triptyque et est pour la première fois présenté seul. Une quinzaine de danseurs, habillés de couleurs bougent sur des musiques moins rythmées. Si il faut montrer une belle
technique pour danser cette pièce, je suis moins emballée. Le chorégraphe travaille beaucoup sur la symétrie ou le miroir. Ce n’est pas inintéressant mais parfois un peu lassant. La fin de la pièce me semble plus intéressante avec des colonnes de danseurs se succédant dans des exhibitions de leurs corps ou des démonstrations techniques, comme dans une caricature sur ce que peut être la danse dans le regard du spectateur.

 

  • Shine a light  – chorégraphié par Sol Léon et Paul Lightfoot

J’ai beaucoup aimé cette dernière pièce. L’atmosphère encore plus onirique que Silent Screen m’a à la fois dérangée et émerveillée. Les lumières savamment travaillées dans un blanc mousseux laissent découvrir un personnage étrange aux cheveux longs et gris, perché sur des chaussures compensées blanches. Tête en bas, il intrigue, il est en toile de fond et reste dans votre regard pendant toute la pièce. Une jeune femme entre, on a bizarrement l’impression d’être dans un remake d’Artifact. Chorégraphiquement c’est complètement différent, certes, mais les voix des quatre soldats totalement oppressantes résonnent dans ma tête comme les Step outside, step inside, will you remember... des personnages se succèdent dans un cet univers complètement fou avec un langage chorégraphique très fluide. Des tours très planés suivent des ondulations dans les lignes du corps. Les quatre personnages « soldats » sont comme une force pressante, comme si il fallait que tout cela se finisse autrement. Ils tranchent avec une danse plus violente, plus rigide, dans un rythme différent des autres personnages.

Rêve ou cauchemar, chacun peut en décider. Les figures qui y apparaissent sont plutôt universelles. On quitte ce rêve comme on l’a commencé, avec ce personnage lunaire aux cheveux longs. Un voyage qui reste en tête jusqu’à ce qu’on retombe au pays des rêves soi même, quelques heures plus tard.

 

 

Saison 2012 – 2013

Le 15 novembre 2012 : Création de Medhi Walerski/création de Johan Inger/ Sweet Dreams de Kylian/Sarabande de Kylian.

Le 20 décembre 2012 : soirée Sol Léon et Paul Lightfoot : Shoot the Moon/ Same Difference / Sh-Boom

Le 7 février 2013 : soirée avec Crystal Pite

Le 30 mai 2013 : Création d’Alexandre Ekman / Création de Sharon Eyal et Gai Behar / Studio 2 de sol Léon et Paul Lightfoot / Dream Play de Johan
Inger.

Plus d’infos sur le site de Pathé Live

Souvent des places sont à gagner sur le site du Magazine Danser et sur target= »_blank »>le facebook de Pathé Live.

 

Kaguyahime ou la princesse de lumière resplendissante

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Il est des chorégraphes qui savent inventer un langage si particulier que chaque seconde en devient iréelle. En remontant Kaguyahime pour l’Opéra de Paris, Kylian offre à mon sens le plus beau ballet de la saison. Je n’avais pas pu assister à la répétition générale, j’avais donné ma place, c’est donc pleine d’attentes que je me suis assise. Huit rangs devant moi, j’aperçois Agnès Letestu qui discute avec Brigitte Lefèvre, Laurent Hilaire (toujours aussi chic avec une chemise d’un blanc impeccable) et Jiri Kylian. L’ambiance est toute particulière. Les musiciens japonais participent de cette ambiance et renforcent l’attente qui animent les spectateurs. Puis vient le défilé des politiques; ces mondanités me font sourire. Je me demande toujours si elles sont sincères ou si du moins elles peuvent le devenir. Je feuillette le programme, lit en diagonale l’argument, l’impatience me guette.

Premier acte:  » parmi ces bambous, il y en eut un dont le pied jetait un vif éclat. Intrigué le vieillard s’approcha et vit que la lumière provenait de l’intérieur de la tige. il l’examina: il y avait, assise là, une personne humaine, haute de trois pouces, d’une extrême beauté ».

Kayugahime est une princesse lunaire (Marie Agnès Gillot) qui descend sur Terre. Elle rencontre des villageois qui lui font la cour, mais elle se refuse à eux ne voulant pas s’enfermer dans un seul amour. Cinq villageois persistent dans cette séduction. Elle leur lance des défis  dans lesquels ils échouent. Pour la majorité de la princesse, les villageois organisent une grande fête qui va être perturbée par de riches citadins qui ont vent de la beauté de la jeune femme.

Ce premier acte nous plonge dans un univers merveilleux. La musique qui démarre est assez stridente, presque sourde, elle installe le spectateur dans un autre univers pour qu’il soit fin prêt à écouter ce conte. Dès les premiers gestes de Gillot, je découvre le langage que Kylian a utilisé pour cette pièce. Il est très fluide comme seul sait le faire Kylian, mais très différent de ce que j’ai pu voir auparavant chez lui. On sent que comme à son habitude la musique est la source première d’inspiration. Marie Agnès Gillot contorsionne son corps et brille d’une lumière éclatante du fond de la scène. Elle se replie sur elle même pour mieux déployer ses jambes couleur de lune.

Les danses des cinq prétendants sont absolument merveilleuses. La tension monte peu à peu, les tambours retentissent, la chorégraphie, d’abord très abstraite s’imprègne peu à peu de ce conte japonais. Les mouvements sont tellement loin de ce que peut offrir le langage contemporain actuel que c’est un véritable voyage que nous offre Kylian. Bravo aux cinq danseurs qui furent absolument parfaits, Mathias Heymann et Alessio Carbone en tête. On entre véritablement dans l’histoire avec l’entrée des villageoises, et la guerre avec les citadins. La violence de la chorégraphie et de la musique montre toute la fragilité de cette princesse. La beauté engendre guerres et conflits. Quand les villageois se résignent et profitent de cette douce lumière, les citadins veulent la posséder à n’importe quel prix. On pourrait croire à une vision manichéenne, en outre par le choix des costumes, mais je crois qu’il y a quelque chose de bien plus complexe, semblable à la nature humaine. Le langage chorégraphique de Kylian permet d’exprimer avec aisance cette complexité. La beauté innée de la princesse ne sera d’éphémère, il faut s’y résigner, car tôt ou tard elle retournera vers sa boule lumineuse.

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Deuxième acte: « Kaguyahime soudain ne fut plus qu’une ombre. Décontenancé et dépité, il comprit qu’en vérité, elle n’était pas de nature commune… (…) L’Empereur cependant, ne parvenait pas à engiguer le cours de ses pensées d’amour. (…) Il lui adressa ce poème:  » A l’heure du retour, je me sens tout envahi de mélancolie. Je m’arrête, me retourne pour Kaguyahime la rebelle. »

Au deuxième acte, tout devient mouvement de façon encore plus explicite. Les musiciens courent sur scène et tapent sur des tambours venus du Soleil levant. Ils participent de la guerre qui éclate entre villageois et citadins. Les combats sont fous, tous les sens sont appelés à regarder ce spectacle incroyable. Le décor est en mouvement lui aussi, il est personnage à part entière. C’est d’ailleurs par le décor qu’apparaît l’Empereur Mikado. Le tissu doré est jeté sur scène. Mikado vient ensuite, comme voulant briller lui aussi par son statut et ses apparats divins. De cette rencontre naît l’amour entre les deux êtres. L’empereur tente de l’enfermer mais n’y parvient pas. La scène est superbe, Kaguyahime souffre car elle sait que cet amour ne va pas durer. L’Empereur ne peut y croire, et pourtant il est aveuglé par la pleine Lune qui rappelle sa princesse. C’est toute la salle qui est aveuglée par cette Lune formée ici par des miroirs éclairés. La scénographie est si troublante, si belle… Un jet de tristesse parcourt mon corps au départ de la princesse vers sa Terre d’origine. Elle part vers un infini qui forme une boucle avec sa descente sur Terre du premier acte, un mouvement circulaire dans tout son corps qui ne s’arrête qu’à la tombée du rideau.

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« L’Empereur déploya la lettre et quand il la lut, une immense douleur l’envahit et il ne voulut plus manger ni s’adonner à aucun divertissement…(…) Il composa ce poème:  » De ne plus vous voir, moi qui dans un flot de larmes baigne désormais, à quoi donc me servirait la liqueur d’immortalité ». 

Un bravo résonne quand le rideau touche le bas de la scène. La salle applaudit puis se lève. Tout l’Opéra Bastille est debout. Kylian est assommé de bravo. J’ai rarement vu une telle unanimité surtout à Bastille. Kaguyahime est dans conteste le ballet de la saison. Il illumine tout le reste, il rayonne. C’est une joie telle qui m’envahit en sortant de la salle, que je voudrais le revoir immédiatement. Aussi fou que cela puisse paraître il reste des places, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

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L’article du monde est ici.
La fiche Opéra de Paris est .

 

Maki Ishii Musique
Jiří Kylián Chorégraphie
Michael Simon Décors et lumières
Joke Visser Costumes

 

  • Distribution du vendredi 11 juin 2010
KAGUYAHIME Marie-Agnes Gillot
MIKADO Stéphane Bullion
VILLAGEOISES Ludmila Pagliero
Amandine Albisson
Laurene Levy
Charlotte Ranson
Caroline Robert
VILLAGEOIS Mathias Heymann
Josua Hoffalt
Alessio Carbone
Julien Meyzindi
Florian Magnenet
Adrien Couvez
LES 2 COMPAGNONS Christophe Duquenne
Julien Meyzindi

La vidéo version NDT donc dans une scénographie un peu différente de celle que vous verrez à l’Opéra de Paris