Mats Ek

Réquisitoire contre Albrecht

Samedi vingt-trois avril de l’an deux-mil-seize, la 32e Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris. La Chambre secrète, la Chambre de la Danse, siège exceptionnellement en audience publique, quoique le Palais soit quasi-vide, pour connaître de l’affaire qui remue danseurs, chorégraphes et spectateurs depuis un siècle et demi : enfin, le Prince Albrecht de Silésie va être jugé.

Isabelle Ciaravola Giselle

Isabelle Ciaravola incarnant Giselle (Photo FB I. Ciaravola)

A titre liminaire, le Ministère public entend remarquer que, compte tenu de l’arrêt de mise en accusation rendu par la Chambre de l’instruction, suite à l’appel interjeté par le Parquet sur l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le magistrat instructeur, l’affaire sera appelée non pas devant la 32e Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, mais devant la Cour d’assises de Paris.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés,

l’affaire qu’il vous appartient aujourd’hui de juger est d’une limpidité diaphane :

Comparaît aujourd’hui devant vous un jeune homme qui, Prince, a chu du pinacle où le portait sa haute naissance pour se comporter avec la perfidie qui sied à un misérable hobereau de province – si ce n’est au premier malandrin venu.

L’histoire est connue de tous, et il n’est guère besoin de la rappeler : Albrecht, moyennant un stratagème – rien moins qu’une promesse d’hymen – dont l’ignominie n’a d’égal que la noirceur de l’hideux dessein qu’il venait servir, a conquis l’âme et le coeur de la pauvre Giselle.

Sans doute était-ce pour s’amuser. Ou pour se rassurer peut-être, lui le grand Seigneur dont les dames de la cour s’éprennent de l’étiquette sans que jamais il ne lui faille les séduire.

Mais voilà : Giselle, elle, en est morte.

Les faits sont eux aussi notoires, nul besoin de s’y attarder : les armes dissimulées dans le cabanon, l’utilisation d’un faux nom, la promesse de mariage, la danse macabre qui s’ensuit…

Tous ces éléments, parfaitement établis par le dossier de l’instruction (qu’il s’agisse de l’enquête diligentée sur commission rogatoire de Monsieur Heine, ou de l’ordonnance de renvoi rendue par Monsieur Gautier), témoignent de manière irréfragable, et plus qu’à suffire, de la maxime qui invariablement semble présider aux actions d’Albrecht : « préméditation & lâcheté ».

A quoi bon tenter de démêler l’écheveau de cette méchante tête, dont ne sourd que le vice le plus abject, soutenu par la détermination la plus froide ?

Plutôt que de vaines condamnations morales, auxquelles les convulsions d’une époque malade ne sauraient manquer de trouver quelque contradicteur, je m’en tiendrai à présent, si vous le voulez bien, à exposer la qualification juridique des faits.

LP NLR Giselle extrait DVD

Laëtitia Pujol et Nicolas Le Riche

Car la loi, elle, ne ment pas.

Or, là aussi, l’accusation ne saurait souffrir la moindre contestation :

Usurpation d’identité, manoeuvres frauduleuses, voilà sans doute qui, de prime abord, nous ferait penser à l’escroquerie, dont il convient de rappeler qu’elle se trouve définie par l’article 313-1 du Code pénal comme « Le fait, soit par l’usage d’un faux nom, […], soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, […] de tromper une personne […] et de la déterminer ainsi, à son préjudice […], à fournir un service ou à consentir un acte… »

En l’espèce, la dissimulation des armes, l’utilisation du faux nom et finalement la promesse de mariage, en vue de la danse.

Or, Albrecht comparaît aujourd’hui devant votre Cour, et non devant le tribunal correctionnel. Pourquoi ? Parce que Giselle est morte.

Et c’est pourquoi la Chambre de l’instruction a, à juste raison et selon un arrêt parfaitement motivé en fait et en droit, considéré que les agissements d’Albert étaient constitutifs du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7 du Code pénal).

Cette qualification pourrait sembler surprenante aux profanes. En effet, « violences », me direz-vous, Mesdames et Messieurs les jurés, mais enfin, aucun coup n’a été porté !

Cependant, ce serait oublier l’article 222-14-3 du Code pénal, lequel dispose en son unique alinéa que « Les violences prévues par les dispositions de la présente section [i.e. celle dans laquelle est insérée l’article 222-7 relatif aux violences ayant entraîné la mort] sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques. »

En l’espèce, la promesse monstrueuse d’Albrecht a plongé Giselle dans un tourbillon mortifère de souffrances psychologiques insoutenables : c’est ce dont atteste, au besoin, le rapport d’expertise psychiatrique du docteur Mats Ek.

Et ces souffrances ont causé sa mort – peu important de savoir si celle-ci eut pour cause directe le coup de poignard suicidaire, ou l’effondrement physiologique d’un corps livré à la tyrannie de la démence.

En outre, et enfin, je requiers de votre Cour qu’elle fasse application de la deuxième circonstance aggravante prévue à l’article 222-8 du Code pénale, selon lequel « L’infraction définie à l’article 222-7 [i.e le crime de violences ayant entraîné la mort] est punie de vingt ans de réclusion criminelle [et non de quinze ans] lorsqu’elle est commise : […] 2° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur. »

En l’espèce, il est établi que Giselle était affectée d’une fragilité physique et psychique qu’Albrecht ne pouvait ignorer, la mère de Giselle s’étant précisément opposée à la danse en raison de l’état de santé de sa fille.

La circonstance aggravante liée à la particulière vulnérabilité de la victime doit donc être retenue.

Giselle en train de mourir DG MH

Dorothée Gilbert et Mathias Heymann

PAR CES MOTIFS,

le Ministère public, au nom de la société danseuse toute entière et par le truchement de la procuration à lui accordé par la République balletomane, a l’insigne honneur de requérir qu’il plaise à votre Cour de :

Sur l’action publique,

DECLARER Albrecht de Silésie coupable du crime de violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner, infraction prévue à l’article 222-7 du Code pénal ;

– DIRE ET JUGER que ce crime a été commis avec la circonstance aggravante liée à la particulière vulnérabilité de la victime, telle que prévue à l’article 222-8 2° du Code pénal ;

– CONDAMNER, en répression, Albrecht de Silésie à la peine de vingt ans de réclusion criminelle prévue par l’article précité et décerner, à cet effet, un mandat de dépôt à son encontre  ;

Sur l’action civile,

CONDAMNER Albrecht de Silésie à verser à la mère de Giselle, seule famille connue de la défunte, la somme de 1.000.000.000 d’euros (un milliard d’euros) en réparation du préjudice moral causé par la perte d’une enfant belle comme le jour et pure comme la vierge ;

SOUS TOUTES RESERVES,

ET CE SERA JUSTICE.

La parole est à la défense, ici

Saison 15/16 au Théâtre des Champs-Elysées

Mercredi 8 avril, le TCE présente sa nouvelle saison. Une saison riche, avec des invités prestigieux et toujours des spectacles d’une grande qualité. C’est dès demain que vous pourrez vous y abonner. Le théâtre fait partie de ceux où l’abonnement réserve non seulement les meilleures places mais aussi des réductions avantageuses. Ainsi pour la danse, l’opéra et l’orchestre, vous pouvez bénéficier d’une réduction de 30% sur vos places dans la catégorie de votre choix. Regardez la saison et laissez-vous tenter.

Abonnements saison 15/16 TCE

 

Bien entendu je commence par la danse, même si ce n’est pas le coeur de la programmation. Cela étant dit, la danse tient une grande place au sein du théâtre. Elle a toujours été présente et le T.C.E. a toujours su faire preuve d’audace. L’exemple du Sacre du Printemps reste le meilleur.

  • Life in progress, Sylvie Guillem du 17 au 20 septembre 2015 

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Sylvie Guillem a choisi le Théâtre des Champs-Elysées pour faire ses adieux au public français. L’étoile atypique, unique, si singulière, va présenter un programme avec quatre pièces : une nouvelle création (un solo) d’Akram Khan, Duo de William Forsythe, une pièce de 1996 qu’elle dansera avec deux danseurs de The Forsythe Company, Brigel Gjoka et Riley Watts, une création de Russel Maliphant qu’elle dansera avec Emanula Montanari (Ballet de La Scala) et la pièce de circonstance, Bye de Mats Ek, un solo de 2011. Quatre dates pour voir ce mythe faire sa révérence. A ne pas manquer.

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  • Mirror and Music, Saburo Teshigawara du 6 au 8 novembre 2015 

Vu pour la première fois à Chaillot, j’avais été fascinée par l’univers de ce chorégraphe. Le T.C.E. continue de lui faire confiance après le somptueux Solaris. Teshigarawa est un prodige qui signe chorégraphie, scénographie, choix musicaux, et costumes. Si l’art cinétique vous touche, il ne faut pas manquer cette pièce.

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« Mon premier travail n’est pas de fixer ces corps dans une structure chorégraphique mais de les guider et de laisser le mouvement jaillir » aime à expliquer le chorégraphe japonais. Ce qui le motive est de trouver un sens
au mouvement, développer un vocabulaire qui lui est propre et l’offrir à ses interprètes pour qu’ils s’en emparent à leur tour. Sous ses airs silencieux, Saburo Teshigawara est un artiste du don, de l’échange. Mais c’est aussi un homme-orchestre qui aime à s’immerger dans les tous les domaines de ses spectacles. Chorégraphe avant tout, il se fait aussi volontiers metteur en scène, homme de lumières et de costumes et même librettiste comme ce fut le cas pour l’aventure de la création de l’opéra Solaris de son compatriote Dai Fujikura. Toujours et sans cesse, cette volonté d’explorer la danse comme un champ vierge ouvert à tous les possibles.

  • From black to blue, Mats Ek du 6 au 10 janvier 2016 

Un beau programme, lui aussi produit par Transcendanses. Trois pièces, avec la venue du Semperoper Ballet de Dresde qu’on a vu cette saison, éblouissant le Festival d’Automne (clic). On verra donc  She was black (1994) avec les danseurs du Semperoper Ballet Dresden, Solo for two (1996) dansé par Dorothée Delabie et Oscar Salomonsson et Hâche (2015) dansé par Ana Laguna et Yvan Auzely.

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Extrait vidéo, clic

  •  Para ll-èles, Nicolas Le Riche / Clairemarie Osta du 11 au 13 mars 2016 

« Il ne peut y avoir aucun espace entièrement vide » (Descartes)
Au travers d’un voyage allégorique, Nicolas Le Riche et Clairemarie Osta nous parlent des liens qui nous unissent dans l’espace qui nous sépare. Para-ll-èles est ainsi une poésie dansée à deux, seul(s)… ensemble.

Nicolas Le Riche poursuit son aventure hors Opéra de Paris. La saison passée, il avait présenté un soirée Carte Blanche au TCE, le voilà qui revient en duo avec sa femme, l’étoile Clairemarie Osta pour une nouvelle création, sur une musique de Nils Peter Molvaer. A découvrir.

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  • Déesses et Démones, Blanca Li / Marie-Agnès Gillot du 22 décembre 2015 au 3 janvier 2016.

Il y a quelques mois, on les voyait toutes deux bras dessus, bras dessous, bien entourées par Jean-Paul Gautier, à l’occasion d’une soirée caritative. De cette rencontre est né un projet, où vont se mêler les univers de ces deux femmes, qui ont chacune une place particulière dans leur art.

 

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Déesses et Démones, ou la rencontre de deux étoiles de la danse pour une création « mythologique ». Comme au temps des dieux grecs, elles s’allient et s’affrontent, se transforment en démones ou en divinités bienfaisantes pour changer le destin des humains, semant autour d’elles force, joie et énergie. Ces deux femmes qui dansent sont-elles les deux faces de la même médaille ? Elles manient le chaud et le froid, elles sont le chaos et l’harmonie. Ces deux forces de la nature, virtuoses et sensibles, déesses et démones sont à la fois semblables et dissemblables.

Pour Blanca Li, la chorégraphe inclassable, et Marie-Agnès Gillot, la danseuse étoile atypique du Ballet de l’Opéra de Paris, il s’agit d’une opportunité exceptionnelle d’explorer ensemble leurs personnalités intimes. Malgré leurs parcours différents, elles se retrouvent ici en jumelles, tant dans l’harmonie que dans la violence. Elles affirment leurs différences et leurs ressemblances. Différentes et égales à la fois, avec une gestique très lyrique et puissante, elles évoquent la force des figures mythologiques et totémiques.

  • Irina Kolesnikova, Saint-Pétersbourg Ballet Théâtre du 25 au 28 février 2016

Voilà une compagnie habituée au T.C.E chez qui elle élit domicile tous les ans. La compagnie vient avec Le Lac des cygnes, Don Quichotte et Casse-Noisette. La star de la compagnie, Irina Kolenikova est la raison pour laquelle on se déplace voir la compagnie. Pour ce qui est du corps de ballet on repassera.

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  • Orphée, Studio 3 du 15 au 17 juin 2016 

Après avoir revisité la vie de Maria Callas la saison dernière et plus récemment le parcours de la grande chorégraphe américaine Martha Graham, la compagnie de danse brésilienne Studio 3 explore le mythe d’Orphée. Les enfers prennent ici les formes du chaos urbain et des ombres nocturnes de la grande métropole de São Paolo. Mythe antique ou réalité moderne ? Fondamentalement universel quoi qu’il en soit.

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Voilà pour la saison Danse. On notera l’absence du traditionnel Gala des étoiles du XXIe siècle. La précédente édition avait pourtant été une belle soirée.

OPERA MIS EN SCENE

Haendel, Theodora, mise en scène de Stephen Langridge, du 10 au 20 octobre 2015
Bellini, Norma, mise en scène de Stéphane Braunschweig, du 8 au 20 décembre 2015 (4 dates)
Mozart, Mithridate, mise en scène de Clément Hervieu-Léger du 11 au 20 février 2016 (5 dates)
Ravel, L’Enfant et les sortilèges, mise en scène de Gaël Darchen 19 et 30 mars 2016
Wagner Tristan et Isolde, mise en scène de Pierre Audi du 12 au 24 mai 2016 (5 dates)
Rossini, L’Italienne à Alger mise en scène de Christian Schiaretti, 8 et 10 juin 2016

OPERA EN CONCERT ORATORIO

Weber Le Freischütz
Mozart L’Enlèvement au sérail
Strauss Ariane à Naxos
Puccini Messa di Gloria
Rossini Zelmire
Haendel Partenope
Haendel Rinaldo
Haydn Les Sept Dernières Paroles du Christ en croix
Bach Passion selon Saint Jean
Lully Persée
Massenet Werther
Bellini La Somnambule
Bach Magnificat
Scarlatti Oratorio pour la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ
Donizetti Lucia di Lammermoor
Spontini Olympie
Pergolèse Stabat Mater 

Les textes en italique sont extraits de la brochure de la saison du T.C.E.

Giselle de Mats Ek, Ballet de Lyon

Du 27 décembre au 3 janvier, le Théâtre de la Ville a invité le ballet de Lyon pour danser Giselle de Mats Ek, qui est à leur répertoire depuis 2009. Cette relecture du ballet romantique date de 1982. Je n’avais pas vu la pièce depuis juillet 2004, à l’époque la pièce était au répertoire de l’Opéra de Paris. C’est avec une certaine attente que je suis allée au Théâtre de la Ville, car j’avais en tête un excellent souvenir. Retour sur la représentation du 30 décembre 2013 avec dans les rôles principaux Elsa Monguillot de Mirman, Denis Terrasse et Yang Jiang.

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Rappelons-nous d’abord l’argument de Giselle. A l’origine, Giselle est une jeune paysanne qui tombe amoureuse d’un beau garçon venu d’ailleurs. Il dit s’appeler Loys mais il est en réalité le noble Albrecht. L’ami de Giselle, le garde-chasse Hilarion lui dit de se méfier de ce garçon. Giselle préfère l’aimer et danser, malgré sa santé fragile. Quand les seigneurs du coin viennent au village, Giselle découvre qu’Albrecht est fiancé à Bathilde. Elle sombre dans la folie et meurt. A l’acte II, Giselle est devenue une Wili, un esprit évanescent délaissé par un amant infidèle, qui se venge en attirant des jeunes hommes dans la mort. Quand Albrecht vient sur la tombe de Giselle, Myrtha, la reine des Wilis veut le tuer. Giselle supplie la reine et danse avec Albrecht qui peut ainsi s’enfuir à l’aube.

Mats Ek relit cet argument et en garde presque intégralement l’acte I. En revanche, dans sa version, Giselle ne meurt pas de folie, mais est enfermée dans un hôpital psychiatrique. Dans le style, on est très loin du ballet romantique. Deux toiles peintes aux allusions sexuelles explicites constituent le décor. Quelques accessoires, comme le cœur de Giselle symbolisé par un petit coussin rouge, les fourches des paysans, des œufs, maigre nourriture des paysannes et les draps de l’hôpital psychiatrique qui ont remplacé la légèreté des tulles.

La chorégraphie est toute dans le style Ekien. Les mouvements s’ancrent profondément dans le sol, avant de s’élever dans les airs. Les positions pliées sont privilégiées, en sixième et en seconde. Ainsi les lignes se brisent. Giselle s’enferme toute seule en pliant son buste sur ses cuisses, jambes pliées. Elle sombre dans la folie, les jambes en écart pliées. Tout se brise à mesure que le ballet avance. Quand elle exprime sa joie de danser, les lignes se font plus courbes, plus douces et se matérialisent dans des sauts plus légers.

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Les intentions sont toutes aussi importantes que dans la version « classique ». Dès l’ouverture du rideau, on voit Giselle au sol, en pleines convulsions, attachée par le ventre à une corde. Tout se joue déjà là. Il faut capter le spectateur, qui va suivre le cœur de cette petite paysanne. La proposition d’Elsa Monguillot de Mirman est brillante. Elle campe une Giselle pleine de jeunesse et d’entrain au premier acte. Sa danse est juste, expressive mais de façon très intelligente. Son regard joue une grande importance, elle sait varier son intensité pour partager ses sentiments. Giselle est déjà une marginale. Elle ne travaille pas, elle danse de façon différente des autres. L’acte II montre une autre facette de sa personnalité, une Giselle plus sensuelle avec Albrecht. Son jeu de séduction du premier acte était enfantin, placé sous le signe du jeu. Là, elle se montre plus aimante. Les danses des internées sont dansées avec beaucoup de précision. On retrouve les traversées des Wilis par des grand jetés plus écorchés. La frustration de ces femmes enfermées transparaît et met certains spectateurs dans l’embarras. Parmi elles, Giselle, frustrée comme les autres, semble cependant trouver un apaisement entre les murs de l’asile et la bienveillance de Myrtha. Elle continue d’éprouver son amour pour Albrecht, mais à présent contrôlé, et impossible ce n’est plus un danger pour sa santé. Elle peut se replier sous son drap, peut être son linceul et laisser Albrecht, nu, repartir pour une nouvelle vie. Mats Ek offre une vision plus humaine, moins fantastique. Giselle a perdu la tête, peut être même la mémoire, Albrecht est pardonné, il peut recommencer sa vie.

Mats Ek signe une œuvre riche, forte, qui n’a pas pris une ride. Le Ballet de Lyon, toujours aussi excellent dans son répertoire contemporain, le sert avec une grande dignité. Excellente soirée, quel grand plaisir de revoir ce chef d’œuvre du chorégraphe suédois ! Un grand bravo aux artistes !

« Le ballet n’a jamais vraiment osé tremper les pieds dans les eaux froides qui nous entourent. J’ai envie de refléter l’image de la réalité. »
Mats Ek 1999.

 

Les photos sont celles que l’on peut voir sur le site du ballet de Lyon

Nouvelles du 26 mars

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© Sébastien Mathé

Pas de petit Rat ces deux dernières semaines, pour des raisons personnelles. L’actualité en danse fut riche et je sais qu’il y a plein de choses que j’ai manquées.

Je n’ai pas tout manqué et j’ai tout de même vu plein de beaux spectacles que je vais m’empresser de vous raconter.Sylvie Guillem au Théâtre des Champs-Elysées, la soirée Robbins/Mats Ek, une rencontre avec Laurent Hilaire, une Bayadère avec nomination à la clef. Bref, encore du retard !

Je suis aussi allée voir jouer Emmanuelle Béart dans Se trouver au Théâtre de la Colline. Si la comédienne est excellente, d’une sensualité à faire pâlir plus d’un, la
mise en scène de Nordey dessert fortement le texte de Pirandello. La déclamation du texte met à mal plusieurs comédiens et tout cela n’est pas bien mis en valeur. Dans un décor qui ressemble à un vêtement trop grand, on se perd et on ne se retrouve pas. La réflexion sur le statut de l’artiste est pourtant passionnante. Qu’est qu’une comédienne? Est-ce sur scène qu’elle est elle même, est-elle femme ? Ou bien faut il oublier la scène et tomber dans l’amour passionnel, loin du monde, pour se découvrir… ou bien se perdre..

Cette semaine est chargée, je vais ce soir à la présentation de la saison junior de l’Arop (au grand hôtel, attention on nous sort le grand jeu !), voir Roméo et Juliette de Malandain à St Quentin en Yvelines mardi soir, voir une conférence dansée au CND jeudi soir autour de Trisha Brown, Nicolas Paul et Thomas Lebrun. Semaine chargée donc !

 

  • Les sorties de la semaine

Évidemment je n’ai pas eu le temps de vous en parler mais il vous reste une semaine pour aller voir la soirée Robbins Mats Ek à Garnier. Deux chorégraphes très différents,
pour une soirée éclectique. Le premier ballet Dances at the gathering est un ensemble de danses très fluides, et aériennes, sur la musique de Chopin. Le deuxième plus
rock’nroll présente les habitants d’un Appartement, qui évoluent avec des objets du quotidien, sur lesquels ils projettent leurs peurs, leurs angoisses, leurs personnalités. Dans une chorégraphie très riche, Mats Ek propose une pièce  formidable, un petit bijou qui regorge de détails qu’on découvre un peu plus à mesure qu’on la voit. Les distributions sont formidables, avec une belle série d’étoiles et premiers danseurs. Les danseurs sont très investis dans cette soirée et on y passe un beau moment.

Pour réserver et voir les distributions suivez le lien.

A lire dans la presse :  Le Huffington Post Des anciens très modernes

Le JDD Mats Ek sur deux scènes à la fois

Le Figaro Mats Ek et l’inspiration de l’aspirateur

Culturebox Mats Ek et Robbins entremêlent leur vision du couple

Paris Match Le Ek plus ultra

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Côté théâtre je vous conseille d’aller faire un tour au Théâtre du Rond Point voir la pièce musicale,  Belles soeurs. Cette pièce de Michel Tremblay raconte l’histoire
d’une femme qui a gagné des bons pour commander des objets dans des catalogues par correspondance. Elle fait appel à toutes les voisines, belles-soeurs et autres amies du voisinage. Ça chante, c’est drôle, c’est plein d’humanité et c’est jusqu’au 7 avril.

Pour réserver c’est par là.

A lire :  Les belles soeurs débarquent au Rond Point sur Culturebox.

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Et bien sur à voir et à revoir La Bayadère, toujours à Bastille dont les distributions ont quelque peu changé. Dorothée Gilbert s’est blessée, Mathilde Froustey aussi, du coup
Ludmila Pagliero, notre nouvelle étoile assure bon nombre de représentations et ne sera plus dans la soirée Robbins/Ek. Marie Agnès Gillot assure toutes les soirées Robbins/Ek et ne dansera pas Gamzatti aux côté de Zakharova. Elle sera remplacée par Emilie Cozette.

Pour plus d’infos et réserver, suivez le lien.

  • En vrac

Ce soir a donc lieu la présentation de la saison 2012-2013 pour les juniors AROP, ce sera l’occasion de faire un petit article pour vous expliquer comment cette association fonctionne, comment y adhérer, comment s’abonner, etc.

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Les représentations du spectacle de Sébastien Ramirez et la chorégraphe Hyun-Jung Wang sont annulées car la chorégraphe et danseuse est blessée. Il faut s’adresser au Théâtre de la Ville pour se faire rembourser. Dommage les extraits donnaient vie de
voir ce spectacle.

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Pour réécouter Marie Agnès Gillot qui était l’invitée de RTL dans le journal inattendu c’est par ici.

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Le New-York Times a lui aussi vu la nomination de Ludmila Pagliero.

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Portrait de Nicolas Le Riche dans Le Parisien : Danseur étoile, c’est du sport.

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  • La vidéo de la semaine

 

Aurélie Dupont et Josua Hoffalt dans le premier pas de deux de La Bayadère.

 

 

Sylvie Guillem 6000 miles away

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Il est des monstres de la danse qu’on voudrait immortels. Parmi eux, il y a évidemment Sylvie Guillem. Parce que même immobile, elle vous capte, elle vous raconte une histoire
avec une respiration, elle vous touche quelque part où d’autres peinent à entrer.

 Il est aussi des chorégraphies qui siéent particulièrement à certains artistes. Parmi mes amis et des lecteurs de ce blog, certains connaissent mon amour pour les chaussures.
Quand une paire va parfaitement à vos pieds, avec toutes les tenues, elle reste en permanence dans mon couloir. Elles sont comme une seconde peau, je ne peux plus m’en séparer. Les chorégraphies sont comme une seconde peau pour Guillem. Un langage qui lui va parfaitement. Son corps est au service de ces chorégraphies  et on passe une soirée rare.

 La première pièce de Forsythe fut comme un rêve flou, dans lequel on trace des lignes. Un carré de lumière sur les deux interprètes, Guillem et Massumaru. Un
musique presque sourde, qui semble suivre les interprètes. On retrouve un langage très dessiné mais sans être raide. C’est une danse fluide, où les danseurs semblent détachés de la scène. Ils sont un objet en mouvement, que l’on observe par intermittence. En effet, le duo danse entre des noirs où tout se coupe. A chaque réveil, de nouveau ces tracés avec les bras. Des cercles rencontrent les lignes des jambes. C’est très géométrique, mais cela se mêle à une certaine poésie de l’expression du corps.

La deuxième pièce fut celle que j’ai préféré chorégraphiquement. On ne se refait pas, et le langage de Kylian est celui qui me touche profondément. Scénographiquement, c’est très élégant. On joue avec le tapis de scène, on explore la relation à cette seconde peau, on s’enroule dedans, on disparaît dessous. L’espace est sans cesse bousculé, reconstruit. Les lumières rasantes découpent la scène en plusieurs espaces pour danser. Les lumières douces mettent en valeur les mouvements. Kylian joue une fois de plus la carte
de la nudité sans jamais être vulgaire. Le vêtement n’est que le prolongement de la peau. Il parvient dans les mouvements à faire oublier la nudité, là où, ailleurs, elle dérangerait
probablement. Très joli duo, j’ai complètement adhéré à cette pièce.

Guillem revient sur la scène avec Bye de Mats Ek. Petit bonbon pétillant qui vous donne un grand sourire, Bye est comme ces histoires courtes qu’on vous raconte et qui vous procure une grande joie. Tout le talent de Guillem ressort dans cette chorégraphie poétique. L’histoire d’une femme, qui part en voyage, qui revient. Au milieu du
décor composé juste d’un panneau, sur lequel on projette des images, ou bien dans lequel on peut entrer, se faire numériser, Guillem danse. Ouvrant son âme au public le temps de cette pièce, elle livre un spectacle touchant, qui vous captive. Son visage est un masque qui se transforme à loisirs. Son corps me fascine totalement, cette danseuse est un ovni qu’il faut voir danser. On ne peut se lasser de voir ces jambes s’étirer à l’infini, ces pieds qui à eux seuls peuvent faire une chorégraphie.

Rearray – création en France
William Forsythe  chorégraphie, costumes & conception lumières
David Morrow  musique
Rachel Shipp  réalisation lumières
Duo interprété par Sylvie Guillem et Massimo Murru (17 et 21 mars), danseur Etoile du Théâtre de la Scala.

27’52’’
Jiří Kylián chorégraphie & décors
Dirk Haubrich musique
Joke Visser costumes
Kees Tjebbes lumières
Duo interprété par Aurélie Cayla et Lukas Timulak

Bye – création en France
Mats Ek chorégraphie
Beethoven (sonate pour piano op. 111, enregistrement interprété par Ivo Pogorelich)  musique
Katrin Brännström décors & costumes
Erik Berglund  lumières
Coproduit par Dansens Hus Stockholm
Solo interprété par Sylvie Guillem

 

Musique enregistrée