Léonore Baulac

Bilan de saison 16-17

Voilà six mois que je n’ai pas pris le temps d’écrire sur mon blog. La faute au temps, à la vie parisienne qui me bouffe parfois. J’ai aussi fait beaucoup de choses en plus de mon travail. J’ai voyagé plusieurs fois (vous pouvez faire un tour mon Instagram), me suis mise de manière sérieuse à la méditation, j’ai monté une comédie musicale pour un conservatoire, bref je n’ai pas eu de temps pour l’écriture, du moins pas ici. J’ai eu aussi l’impression de manquer de mots parfois pour décrire ou relater mes émotions face à un spectacle. Ce début 2017 a été si chargé qu’il n’y avait pas de place pour mon blog. Et puis, là au milieu de l’été, j’ai eu envie de reprendre mes carnets où j’ai amassé des notes, des impressions, parfois quelques dessins jetés ça et là après les spectacles. Retour sur les dix derniers mois.

  • Le phénomène Crystal Pite

La saison précédente s’était fermée par le très applaudi Blake Works de William Forsythe. Pour ma part, ce n’était pas le meilleur Forsythe, avec des tableaux parfois assez ennuyeux. Je vous passe mes impressions sur la musique de James Blake, qui ne me plait pas du tout et me gâche le mouvement. A la rentrée, on retrouvait ce programme accompagné d’une pièce de Justin Peck (sans intérêt, sauf la musique de Glass), de performances de Tino Seghal avant et après le spectacle (perso j’ai adoré, et encore plus au Palais de Tokyo), et de The Season’s Canon de Crystal Pite. J’avais déjà vu des pas de deux de Pite lors d’un gala au Japon et j’avais été absorbée par cette manière si souple, si fluide de faire bouger les corps, de les connecter entre eux. J’ai été épatée par son travail avec l’Opéra de Paris. Elle a su s’emparer de la troupe, la mettre en valeur – et on sait que c’est difficile quand on n’a que 6 semaines pour faire travailler les danseurs – et faire rêver le public. Son langage sied totalement aux danseurs de l’Opéra : Ludmila Pagliero impériale, Eleonore Guérineau, subjuguante, Alessio Carbone, plus puissant que jamais. La pièce est parfaitement construite, avec un alternance de rythmes, de nuances, de chorégraphies de groupes et de duos. C’est le spectacle parfait qui plait au plus grand nombre de spectateurs, qui ravit les danseurs et qui fait parler de lui dans la presse. La personnalité de Pite y est pour beaucoup. Tous les danseurs la décrivent comme douce, passionnée, à l’écoute de tous. Il suffit de la voir en répétition publique pour être sous le charme de la Canadienne.

C’est au Théâtre de la Colline que j’ai vu Bettrofenheit de Jonathon Young chorégraphié par Crystal Pite. C’est une pièce qui raconte ce qui se passe dans la tête d’un homme qui a vécu un traumatisme, une catastrophe. La pièce traite aussi de la solitude, du manque. J’ai adoré cette pièce que j’ai trouvé juste, loufoque, délirante. La danse de Pite sur le corps de Jonathon Young, c’est quelque chose. Le travail sur l’espace et le corps est remarquable. C’est une pièce qui peut être très anxiogène, inquiétante avec sa multitude de personnages burlesques et clownesques. On peut si sentir oppressé comme totalement emporté par cette chorégraphie si minutieuse. Les saccades s’ajoutent à la fluidité des corps, qui forment un ensemble très harmonieux.

© Wendy D Photography

  •  Les ballets qui font plaisir

Je n’ai pas boudé la série du Lac des cygnes : Myriam Ould-Braham & Mathias Heyman, Amandine Albisson & Mathieu Ganio, Ludmila Pagliero & Germain Louvet. Trois distributions magnifiques, avec des interprétations différentes, mais très intéressantes. De jolis souvenirs. A la clef aussi, deux nominations très attendues : Léonore Baulac et Germain Louvet. Une manière pour Aurélie Dupont d’afficher ses choix et de lancer la « relève » de l’Opéra de Paris.

Je me suis offert la parenthèse enchantée d’un week-end à Vienne pour voir Onéguine. L’histoire de Pouchkine me touche tellement que je ne me lasse pas de ce ballet. C’était merveilleux d’être au Staatsoper, avec une musique si bien jouée pour accompagner les danseurs. Un beau moment en compagnie de deux amis, quoi de mieux ?

La soirée Kylian réservait aussi son lot de beauté avec le mythique Bella Figura. Alice Renavand et Laetitia Pujol y étaient sublimes dans leurs robes rouges. J’ai découvert le mystérieux Tar and Feathers, que j’ai beaucoup apprécié pour le jeu des silences et de l’espace qui était créé en scène. L’atmosphère tendue contribuait à un émerveillement continu. Je n’ai pas regretté d’y être au Nouvel An.

Autre week-end, autre découvert, en décembre à Bordeaux. J’y ai découvert Coppélia de Charles Jude. Je vous laisse relire ma chronique ici. Une jolie découverte que ce soit la ville, la troupe, le ballet ou le théâtre.

Enfin, la soirée Ravel fut une agréable surprise. Je ne comptais pas y aller et puis je me suis laissée tenter par une place de dernière minute. J’étais enchantée de revoir le Boléro de Cherkaoui, que j’apprécie beaucoup. En sol de Robbins est une pièce charmante qui m’amuse beaucoup, quant à La Valse dont je ne gardais pas un bon souvenir, avec Dorothée Gilbert dedans, on apprend à l’apprécier.

  • Mes coups de coeur « danse »

Les vrais coups de coeur de ma saison commencent avec Viktor de Pina Bausch. Une pièce sombre, fascinante, dont j’ai parlé ici. C’est ensuite, un très beau solo, Loss Layers vu à la Maison de la Culture du Japon. Je vous conseille de lire l’avis de Catherine de Danse aujourd’hui, . C’est un solo chorégraphié par Fabrice Planquette pour Yum Keiko Takayama. On est aux croisements de la danse contemporaine, du Buto, de la performance plastique. On perd la notion du temps et de l’espace grâce à la scénographie (épileptiques s’abstenir) et la musique. C’était très beau, plein de poésie, totalement déroutant. Un des plus beaux spectacles que j’ai vus cette saison.

Restons au pays du soleil levant (oui passion Japon), avec Kaori Ito et son très beau Je danse parce que je me méfie des mots. La pièce est un portrait fait de questions en « pourquoi? » que la danseuse pose à son père, artiste de 70 ans. Les deux personnages nous plongent au coeur de leur intimité, de leur amour filial. Loin d’un pensum freudien, on découvre une pièce finement ciselée, où la fille danse sous le regard d’un père qui tente par cette pièce de répondre à ses questions.

C’est aussi une manière de rester au Japon surtout avec la dernière partie d’Impressing the Czarchef d’oeuvre de William Forsythe. Le Ballet de Dresde a été invité par l’Opéra de Paris et ces quelques jours de cette pièce magistrale ont été une réjouissance. J’attends les balletomanes pour refaire la chorégraphie du Bongo Bongo ! La tenue écolière japonaise devrait être l’uniforme pour aller voir du Forsythe (si vous préférez l’académique bleu – oui il est bleu ! – de In the Middle…)!

La Batsheva Dance Company a offert un très joli moment avec son Last Work. Ohad Naharin frappe fort, comme toujours. Il crée des images à travers lesquelles il délivre des messages d’une grande force. Une pièce qui marque et reste en tête plus longtemps qu’on ne l’aurait pensé. Elle se diffuse en nous.

On peut trouver qu’il fait toujours la même chose, qu’il use de facilité, et pourtant James Thierrée séduit toujours un large public. Dont moi. La Grenouille avait raison me fait briller les yeux comme ceux d’une petite fille. Cet artiste me fascine, sa magie opère complètement et j’en redemande. Ma chronique gaga à relire ici.

Derniers coups de coeur à l’Opéra : Marion Barbeau si jolie et pétillante recevant le prix de l’Arop. La soirée Cunnignham Forsythe avec cette pièce totalement lunaire de Cunningham que j’ai adorée. Enfin la soirée « Danseurs chorégraphes » qui réunissait Sébastien Bertaud, Simone Valastro, Bruno Bouché et Nicolas Paul. A part la pièce de Bertaud qui m’a laissée de marbre (trop de paillettes tue la paillette), j’ai été charmée par le conte raconté par Valastro, avec une Eleonora Abbagnato touchante en petite fille. Je ne peux pas être objective sur la pièce de Bruno Bouché, – le pas de deux entre Aurélien Houette et Marion Barbeau m’a beaucoup émue. Quant à la pièce de Nicolas Paul, j’ai trouvé que c’était une pièce remarquable, très fine, avec une chorégraphie exigeante. Sans aucun doute la plus aboutie de la soirée.

  • Les regrets et déceptions

La saison avait commencé avec une première grosse déception : La Belle au bois dormant par l’ABT, chorégraphiée par Alexei Ratmansky. Outre les costumes kitch, je n’ai pas été impressionnée par le niveau de la compagnie. Déjà que je ne suis pas fan de la Belle au Bois dormant, cette version a fini de m’achever. Décidément Ratmansky et moi, on n’y arrive pas.

Autre chorégraphe, autres soirées : je crois que Benjamin Millepied a réussi à me dégouter de Balanchine. On en a trop vu, trop mangé, on a vu les chorégraphes qui veulent l’imiter. (Bref, j’ai toujours préféré Robbins). Le Songe d’une nuit d’été a été très douloureux à regarder (ouf il y avait Hugo Vigliotti pour me remonter un peu le moral). La deuxième partie ouvrant sur la marche nuptiale a eu raison de moi. La soirée Balanchine en hommage à Violette Verdy (Brahms-Schönberg Quartet/ Sonatine / Mozartiana et Violin concerto) m’a semblé trop longue. Violin Concerto arrivant à la fin de la soirée, je n’avais presque plus d’énergie pour le regarder. Dommage c’est une de mes pièces préférées de Balanchine.

Pour finir avec l’Opéra de Paris, le Gala Chauviré n’était ni fait ni à faire… Programme court, orchestre au rabais, un film qui ne se lance pas, sans doute trop peu de répétitions pour les danseurs… Ce n’était pas un beau cadeau fait à cette grande dame de la danse. Heureusement, Dorothée Gilbert a dansé une mort du cygne sublime. Cela ne sauve pas la soirée, mais cela donne un peu d’émotions à une soirée qui en manquait cruellement.

A Chaillot, j’ai été déçue par Now de Carlson. Cela manquait de rythme et on s’est vite ennuyé. Y Olé de José Montalvo se construit comme un mélange des influences du chorégraphe. Peut être qu’on commence à être lassé par les procédés vidéos et les tableaux qui se succèdent comme une suite de sketch. Dommage, le Sacre version flamenco, au début de la pièce, c’était pas mal. Enfin Noé par le Ballet Malandain Biarritz m’a fait l’effet d’un spectacle de fin d’année. Je n’ai ni aimé les costumes, ni les chorégraphies de groupe en cascade, ni le rythme particulièrement lent de la pièce. Je suis complètement passée à côté, reste la musique superbe.

Dans la saison du Théâtre des Champs-Elysées, j’ai vu La Chauve Souris de Roland Petit par le Ballet de Rome. Enfin par le Ballet de Rome en corps de ballet et Iana Salenko (Berlin) en guest star. Je me suis ennuyée dans cette fresque parisienne aux allures de revue. Cela ne m’a pas amusé j’ai trouvé cela finalement assez vulgaire et daté.

Autre grosse déception A Swan Lake d’Alexander Ekman. Ce que j’avais vu de lui pour le NDT m’avait plutôt charmée (Cacti). Le début du ballet, avec la vidéo et les deux cygnes était plutôt prometteur. Mais au bout de quelques minutes, on comprend vite qu’il ne s’y passe rien. Alors certes Ekman a tenté de faire quelque chose avec de l’eau, mais c’est très vide de chorégraphie. On souffle un peu pendant la petite fête, qui rappelle trop certaines pièces de Pina Bausch, mais cela ne suffit pas. Au final, je suis sortie très stupéfaite par ce manque de poésie que l’on pouvait attendre d’une telle réécriture. On verra ce qu’il fera avec le ballet de l’Opéra de Paris et sa pièce Play.

  • Côté théâtre

Mon coup de coeur – tous spectacles confondus – de cette saison a été la très belle pièce du japonais Kurô Tanino, Avidya l’auberge de l’obscurité. J’ai vu cette pièce à la Maison de la Culture du Japon. Cette pièce du Festival d’Automne raconte l’histoire d’une auberge traditionnelle qdont le destin est incertain car elle est sur le chemin du tracé d’un futur Shinkasen. La pièce a pour décor un triptyque tournant où on peut voir toutes les pièces de l’auberge. La vie calme et ennuyeuse de l’auberge va être troublée par l’arrivée de deux marionnettistes. Ils révèlent les autres personnages : les deux geishas, le sansuke, l’hotesse et l’auberge devenant elle-même un personnage fascinant. J’ai été bouleversée par la beauté de cette pièce, par tant de poésie et de raffinement.

J’ai (enfin !) vu Vu du Pont, mis en scène par Ivo van Hove à l’Odéon. Je n’ai pas été déçue : la mise en scène et les comédiens étaient fabuleux. Une pièce saillante, remarquable, bref du grand théâtre. C’est la seule pièce de l’Odéon qui m’a marquée dans la saison. Le reste ne fut que déception.

Au Théâtre de la Colline, j’ai trouvé que la première saison de Wadji Mouawad assez réussi. Seuls a ouvert la saison de manière assez remarquable. Cette très belle pièce de théâtre signée du directeur de La Colline, donnée à Avignon en 2008, n’a pas perdu de sa superbe. L’autre moment fort était bien entendu Place des héros, mis en scène par Lupa, lui aussi présenté à Avignon en 2016. Dans un registre plus léger, j’ai beaucoup ri devant Lourdes, une pièce haute en couleur et pleine de dérision mené par une joyeuse troupe de comédiens issus du Cours Florent. Timon Titus présentée au 104 m’a aussi ravie. Moi, Corinne Dadat mis en scène par Mohammed Katib m’a beaucoup touchée. Au-delà de la rencontre entre ce metteur en scène et cette femme de ménage, il s’y joue une histoire des corps intéressante.

Dernière belle soirée au théâtre, ce fut avec mon amie Irina qui m’a emmené voir Lucrèce Borgia à la Comédie Française avec la sublime Elsa Lepoivre. J’avais lu le texte il y a bien longtemps (au lycée, ça commence à remonter !) et j’ai été ravie de le redécouvrir dans une si jolie mise en scène.

  • Ce que je n’ai pas pu voir (et je le regrette…)

Premier regret, manquer les nominations d’étoile. Je suis une sentimentale, j’aime bien ces moments qui transforment la carrière d’un jeune talent. Heureusement on vit à l’heure d’internet, mais ce ne sera jamais la même chose que l’émotion dans la salle.

Dans le même esprit sentimental, je n’ai pas vu les adieux de Jérémie Bélingard. Ceux qui me lisent depuis un moment savent à quel point j’apprécie ce danseur. Son Don Quichotte était si beau. Bref, j’étais en déplacement professionnel, impossible de m’y rendre. Petit pincement au coeur.

Ma fin d’année a été chargée, je n’ai donc pas pu voir ni le NDT à Chaillot, ni la Sylphide. Une prochaine fois. Ou l’occasion d’organiser un week-end en Hollande pour aller les voir sur place.

Enfin, j’aurai bien vu Tree of codes, car j’apprécie le travail plastique d’Olafur Eliasson.

 

 

Si vous avez eu le courage de me lire jusque là, merci ! Et vous ? Quels ont été vos coups de coeur? Vos déceptions ?

Voilà la saison s’achève, une dernière révérence avant septembre.

A bientôt !

Léonore Baulac est nommée danseuse étoile !

A l’issue de la représentation du Lac des cygnes, où elle interprétait pour la première fois le rôle d’Odette/Odile, Léonore Baulac a été nommée danseuse étoile par Stéphane Lissner, sur proposition d’Aurélie Dupont. Voilà une deuxième étoile sur la série du Lac des cygnes. Aurélie Dupont surprend par le choix des dates (sur la deuxième pour Germain Louvet, sur la seule prise de rôle de Léonore Baulac en cygne).

 

Léonore Baulac est à l’instar de Germain Louvet, une danseuse siglée « génération Millepied ».Repérée à 11 ans dans un concours de danse à Caen, elle intègre à 15 ans l’école de l’Opéra de Paris. Après être entrée dans le corps de ballet en 2008, elle a une ascension fulgurante avec l’arrivée de Benjamin Millepied. Coryphée en 2014, puis sujet. Elle reçoit le prix de l’AROP et devient première danseuse en 2016. Ne lâchant jamais son rêve, elle déclare  dans un documentaire à France 2 : « Devenir danseuse étoile, évidemment que c’est un rêve, sinon je ne me lèverai pas le matin ». Elle décolle aussi grâce à Aurélie Dupont, qui la coatche pour son concours. Son cygne noir marque le jury, mais elle devient coryphée que plus tard, après une variation remarquée d’In the middle. 

A partir de ce moment-là, elle enchaine les rôles. On se souvient d’elle en Clara, mutine et enfantine aux côtés de Germain Louvet, mais aussi de sa Juliette. Benjamin Millepied la choisit dans toutes ses créations : Daphnis et Chloé, Clear Loud Bright Forward. Elle danse Forsythe, qui lui écrit un joli pas de deux avec François Alu, mais aussi Anne Teresa De Keersmaeker. Léonore Baulac était promise à ce destin d’étoile, souhaitons lui maintenant bonne route dans la voie lactée.

Roméos & Juliettes 2016

Cette année, je n’ai pas beaucoup de temps. Un peu pour aller au spectacle, très peu pour écrire, d’autant que j’ai retrouvé un peu ma boulimie de lecture et je préfère passer mes soirées le nez dans les livres. Roméo et Juliette fait vraiment partie de mon top 10 des ballets. Une occasion pour revoir la version Noureev trois fois et passer des soirées très diverses sur le plan émotionnel. Retour sur 3 couples : Mathieu Ganio & Amandine Albisson (19 mars), Léonore Baulac & Germain Louvet (24 mars), Dorothée Gilbert & Hugo Marchand (15 avril).

Roméo & Juliette Danse des Capulets

J’appréhendais un peu cette série. Le remue-ménage à l’Opéra de Paris, avec tout le rabattage médiatique autour de Benjamin Millepied, ce n’est jamais une bonne chose pour l’unité qui est nécessaire à ce genre de grosses productions. Avant le ballet, j’avais très envie de voir Myriam Ould-Braham que j’avais trouvé lumineuse en Nikiya à Noël. Malheureusement, l’étoile s’est blessée quelques jours avant que je trouve enfin un billet pour la voir.

Pour le reste des distributions, j’avais plutôt hâte de découvrir de nouvelles Juliettes. Laëtitia Pujol m’avait laissé un souvenir mémorable. Avec Mathieu Ganio, ils formaient pour moi le couple parfait, fusionnel dans la danse comme dans le jeu. Je n’ai pas été déçue des nouvelles Juliettes découvertes sur cette série. Amandine Albisson a ouvert la série avec beaucoup de force. Je l’ai trouvée juste, parfois un peu timide dans le jeu, mais elle a cette finesse qui permet de ne pas en faire trop pour convaincre le public. Le couple fonctionne parfaitement, d’autant que le reste de la distribution brille par une certaine harmonie. François Alu et Fabien Révillon sont accordés comme deux frères de sang. Mathieu Ganio au milieu de ses deux compères a le visage angélique qu’on prête naturellement à Roméo dans l’imaginaire. La magie de la musique de Prokofiev accompagne les émotions et ajoute une note tragique qui manque un peu parfois dans cette distribution très léchée.

Roméo & Juliette LB GL 2016

Léonore Baulac et Germain Louvet ont remplacé au pied levé MOB et Hoffalt qui ne pouvaient danser. Il était assez impressionnant de voir comment cette représentation, à qui il manquait sans doute un peu de préparation. Germain Louvet campe un Roméo juvénile et transi, à l’instar de sa Juliette, Léonore Baulac. Le couple incarne certainement cette jeunesse sans filtre, amoureuse, faisant fi du reste du monde, l’espace d’un instant, lors de la scène du balcon. On voit dès les premiers instants sur scène, la joie de Léonore Baulac d’incarner ce rôle. Elle est pétillante et très investie : elle montre beaucoup de charisme, elle parvient à attirer le regard en permanence sur elle. J’ai trouvé son interprétation un peu forcée, manquant de nuances parfois entre le bonheur et le tragique.

Roméo & Juliette DG HM 2016

L’adhésion complète au personnage de Juliette a été offerte par Dorothée Gilbert, qui a réussi à mon sens à allier perfection technique, fusion avec son partenaire – Hugo Marchand prend une vrai maturité avec ce rôle et on oublie le côté lisse dû à sa jeunesse – et comédienne investie. J’ai été soufflée par le pas de deux du balcon : les deux danseurs sont parvenus à donner quelque chose de très fort au public, proche dans leurs gestes des mots de Shakespeare. La confiance que Gilbert accorde à son partenaire ne rend que l’histoire plus crédible. Elle se jette dans ses bras comme l’adolescente Juliette à corps perdu dans l’amour. Dorothée Gilbert passe par toutes les émotions, sans laisser de côté la danse. Elle transcende le rôle, comme si chaque pas, chaque tout petit pas que Noureev a chorégraphié, prenait sens au bout de ses chaussons. On redécouvre presque le ballet. C’est merveilleusement dansé, c’est admirable de justesse et cela nous laisse forcément dans une émotion nouvelle, que l’on avait pas ressentie avant.

Concours de promotion femmes 2015

Les 3 et 6 novembre ont lieu le concours de promotion interne du ballet de l’Opéra de Paris. Cette année le jury était présidé par Stéphane Lissner. Il était composé de Benjamin Millepied (directeur de la danse), Benjamin Pech (Danseur étoile, et collaborateur artistique du Directeur de la Danse), Yuri Fateyev (Directeur du Ballet du Théâtre Mariinski), Noëlla Pontois (Danseuse étoile et pédagogue), Lionel Delanoë (maître de ballet – suppléant), Laura Hecquet (danseuse étoile), Ludmila Pagliero (danseuse étoile), Lucie Clément (sujet), Sabrina Mallem (sujet), Alexis Renaud  (sujet) Murielle Zusperreguy (première danseuse- suppléante). Retour sur le concours femmes. La chronique ne reflète que mon avis tout personnel. Si vous décidez de laisser un commentaire, le concours étant toujours un sujet « bouillant » et objet de controverse, merci de rester cordial.

  • Quadrilles 10h30

Nombre de postes à pourvoir : 5

Classement :

1. Roxane Stojanov
2. Katherine Higgins
3. Sophie Mayoux
4. Leïla Dilhac
5. Alice Catonnet
6. Julia Cogan

Variation imposée : Grand pas classique, Victor Gsovsky.  En vidéo, clic 

Variations libres
Lucie Mateci, Arepo, Maurice Béjart
Sophie Mayoux, Who’s Care ? , George Balanchine
Caroline Osmont, Delibes Suites, José Martinez
Sofia Rosolini, La Bayadère, Acte II, variation de Nikiya, Rudolf Noureev d’après Marius Petipa
Roxane Stojanov, The Four Seasons, variation de l’Automne, Jerome Robbins
Alice Catonnet, The Four Seasons, variation du printemps, Jerome Robbins
Ambre Chiarcosso, Suite en Blanc, La Sérénade, Serge Lifar
Julia Cogan, Emeraudes, Joyaux, 1ère variation, George Balanchine
Camille de Bellefon, L’histoire de Manon, Acte II, variation de Manon, Kenneth MacMillan
Leïla Dilhac, Emeraudes, Joyaux, 1ère variation, George Balanchine
Eugénie Drion, Suite en Blanc, La Cigarette, Serge Lifar
Claire Gandolfi, Coppélia, Acte II, variation de Swanilda, danse espagnole, Patrice Bart
Marion Gautier de Charnacé, Don Quichotte, Acte II, variation de la Vision/variation de Dulcinée, Rudolf Noureev d’après Marius Petipa
Clémence Gross, Notre Dame de Paris, variation d’Esmeralda, Roland Petit
Katherine Higgins, The Four Seasons, variation de l’Automne, Jerome Robbins
Awa Joannais, Carmen, Variation de la Taverne, Roland Petit
Amélie Joannidès, La Nuit de Walpurgis, Variation de Cléopâtre, George Balanchine
Héloïse Jocqueviel, Apollon, Variation de Polymnie, George Balanchine

Mes impressions : 18 jeunes femmes ont présenté le concours cette année. La variation imposée était d’un niveau assez difficile, avec notamment une diagonale de développés en 4ème qui a crispé les candidates. Néanmoins, j’ai trouvé le niveau plutôt bon, avec un bel enthousiasme chez toutes les candidates. Le concours permet de découvrir les  jeunes talents. De ce côté là, Mlles Gautier de Charnacé et Jocqueviel sont absolument délicieuses. Elles sont encore un peu scolaires, mais on découvre deux jeunes femmes qui ont un joli potentiel. Pour tirer son épingle du jeu, il fallait relâcher le haut du buste, fortement sollicité dans cette fameuse diagonale et garder du mordant jusqu’au bout de la variation, somme toute assez longue. Il y a celles qui ont déjà une forte présence en scène comme Sophie Mayoux, dont le sourire pétillant la porte. Elle est allé au concours comme à la scène et elle danse (et cela se voit !). Roxane Stojanov est très musicale tout comme Leïla Dilhac qui met des nuances dans sa danse. Si je reconnais le talent technique de Mlle Higgins, je suis ne pas très sensible à son interprétation et je passe à côté de cette danseuse. Amélie Joannidès était pour moi au dessus du lot et je ne comprends pas qu’elle ne soit pas classée. Elle propose une danse élégante et raffinée avec une joie d’être en scène qui se lit jusqu’au bout de ses doigts. Awa Joannais est encore un brin trop timide, c’est dommage car quelle danseuse ! Elle a de très belles lignes et un port de tête très joli. Ambre Chiarcosso a elle aussi une belle présence tout comme Claire Gandolfi.

Après 18 variations identiques, les variations libres sont les bienvenues ! Cette année la mode était à Robbins/Balanchine (on se demande pourquoi!). Dans le genre, j’ai adoré Sophie Mayoux, petite bombe sur scène, pleine d’énergie. Julia Cogan campe aussi une élégante émeraude, tout comme Leïla Dilhac qui avait elle aussi choisi Joyaux. J’ai trouvé Alice Catonnet un peu trop prise par le stress, mais on lisait tout de même ses qualités à travers la variation de Robbins. Quant à Roxane Stojanov, elle occupe l’espace avec brillo. Pour devenir coryphée, il fallait donc choisir Robbins ou Balanchine, c’était le choix gagnant. Eugénie Drion montre un joli potentiel, notamment une superbe petite batterie. Camille de Bellefon propose une interprétation de Manon qui ne me convainc pas malgré une technique impeccable. Encore une fois, j’ai trouvé Amélie Joannidès brillante et je ne comprends pas qu’elle ne soit pas classée. Le concours a ses raisons que le spectateur ignore…

  • Coryphées 12h40

Nombre de postes : 4

Classement :

1. Marion Barbeau
2. Ida Viikinkoski

3. Fanny Gorse
4. Lydie Vareilhes
5. Letizia Galloni
6. Aubane Philbert

Variation imposée : Raymonda, Acte I, variation « Pizzicati », Rudolf Noureev d’après Marius Petipa.

Variations libres :

Laurène Lévy, The Four Seasons, variation de l’Automne, Jerome Robbins
Aubane Philbert,In the Middle, somewhat elevated, William Forsythe
Charlotte Ranson, Don Quichotte, Acte I, 1ère variation de Kitri, Rudolf Noureev d’après Marius Petipa
Lydie Vareilhes, Dances at the gathering, la danseuse en vert, Jerome Robbins
Ida Viikinkoski, Diane et Actéon, Agrippine Vaganova
Marion Barbeau, La Belle au bois dormant, Variation de la vision, Rosella Hightower
Laure-Adélaïde Boucaud, Le Sacre du Printemps, variation de l’Elue, Maurice Béjart
Letizia Galloni,La Bayadère, Acte II, variation de Nikiya, Rudolf Noureev d’après Marius Petipa
Fanny Gorse, Tchaïkovski pas de deux, George Balanchine
Emilie Hasboun, Dances at the gathering, la danseuse en vert, Jerome Robbins
Juliette Hilaire, L’histoire de Manon, Acte II, variation de Manon, Kenneth MacMillan

Mes impressions : J’aime beaucoup cette classe. Je trouve qu’il y a beaucoup de personnalités et de nombreuses filles talentueuses. La variation imposée a été dans l’ensemble bien dansée, le passage délicat était le tour terminé en 4ème sur pointes. L’arrêt doit être net pour être bien musical et accentué. J’ai adoré Laurène Lévy, toujours aussi minutieuse dans sa technique comme dans l’interprétation. Une grande incompréhension qu’elle ne soit pas classée. Pour moi, elle n’a rien à faire dans la classe des coryphées. Lydie Vareilhes est lumineuse et divinement gracieuse. Marion Barbeau est très légère et très appliquée. On sent que Letizia Galloni et elle est assez impressionnante. Fanny Gorse arrive sur scène elle aussi avec beaucoup d’aplomb et elle campe une Raymonda superbe.

Là encore Robbins/Balanchine a porté chance aux candidates. Lydie Vareilhes est très belle dans sa danseuse en vert. Elle fait une proposition vraiment intéressante, notamment dans les ports de bras. Fanny Gorse s’éclate en scène, elle danse avec une telle joie qu’on ne peut être que porté par ce côté pétillant. Laurène Lévy était pour moi la plus jolie de la classe avec son Robbins mais visiblement, ce qu’elle a proposé n’a pas convaincu le jury. Dur pour une danseuse qui mérite de se lancer dans autre chose que le corps de ballet. Letizia Galloni fut une très belle Nikiya. J’ai toujours un peu de mal à juger cette variation en concours. Techniquement c’était impeccable, son interprétation était juste ; elle passe à côté du poste, c’est vraiment dommage, car elle a des choses à dire en scène. Marion Barbeau montre une technique très solide, tout comme Ida Viikinkoski, cette dernière me touchant moins que la première. Aubane Philbert se lâche complètement dans In the Middle et cela fait plaisir, elle qui semble parfois si stressée par l’exercice, alors qu’en scène elle est lumineuse.

  • Sujets 15h00

Nombre de poste à pourvoir : 2

Est promue :

  1. Hannah O’Neill
  2. Léonore Baulac
  3. Sae Eun Park
  4. Héloïse Bourdon
  5. Charline Giezendanner
  6. Eléonore Guérineau

Variation imposéeThe Four Seasons, variation du printemps, Jerome Robbins

Léonore Baulac et Hannah O'Neill

Variations libres :

Hannah O’Neill, Raymonda, Acte III, variation de Raymonda, Rudolf Noureev d’après Marius Petipa
Sae Eun Park, Other Dances, 2ème variation, Jerome Robbins
Sylvia Saint-Martin, Tchaïkovski pas de deux, George Balanchine
Léonore Baulac, Other Dances, 1ère variation, Jerome Robbins
Héloïse Bourdon,Other Dances, 2ème variation, Jerome Robbins
Marine Ganio, Vaslaw, John Neumeier
Charline Giezendanner, Roméo et Juliette, Acte I, variation de Juliette, Rudolf Noureev
Eleonore Guérineau, Les Mirages, variation de l’Ombre, Serge Lifar

 Mes impressions : Peu de filles, mais beaucoup de talents. D’abord bravo à Mlles Saint-Martin et Charline Giezendanner qui viennent de reprendre la danse, pour des raisons différentes. Avant le concours, on aurait pu donner le résultat. On avait envie que le concours permette de rebattre les cartes, notamment pour Héloïse Bourdon qui fait tous les ans de très beaux concours, qui a brillé l’an passé dans Le Lac, qui est très attendue par le public sur ses prochaines dates.

Si vous n’aimez pas Robbins, et bien le concours pouvait commencer à être pénible. La classe des sujets montre de belles propositions dans la variation imposée. J’ai trouvé Sae Eun Park brillante. Légère, gracieuse, pleine de délicatesse. Héloïse Bourdon est aussi dans cette même énergie. Léonore Baulac est comme à son habitude absolument charmante. Hannah o’Neill est toujours aussi impressionnante, malheureusement je reste insensible à ses qualités. Eléonore Guérineau est la surprise de la série. Elle signe une variation impeccable, avec beaucoup de présence et de personnalité.

Les variations libres devaient permettre de départager les 8 filles. Sae Eun Park est pour moi très au-dessus du lot. J’ai été émue par sa variation, et ce fut le seul moment d’émotion du concours. Héloïse Bourdon propose une autre interprétation, tout aussi intéressante. C’est une superbe ballerine. Hannah O’Neill est excellente techniquement, mais en fait un peu trop à mon goût dans l’interprétation. Dans ma tête, je me mets à superposer Guillem et Pontois. Je perds le fil de sa proposition. Léonore Baulac est délicieuse, mais un peu en-dessous de ce qu’elle fait d’habitude. A mon sens, elle est un peu moins présente que d’autres danseuses. Eléonore Guérineau est géniale dans Les Mirages. Cette variation c’est quitte ou double. Soit c’est captivant soit c’est ennuyeux. Et là c’était hypnotisant !

 

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BRAVO À TOUTES LES ARTISTES ET FÉLICITATIONS AUX PROMUES !!

Double Casse Noisette

Depuis décembre l’Opéra se partage en deux mondes : celui des elfes et de Naïla à Garnier, et celui de Noël et de Clara à Bastille. Dans la chorégraphie de Ruldoph Noureev, j’ai eu la chance de voir deux distributions, celle de Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio le 3 décembre ; et celle de Léonore Baulac et Germain Louvet le 17 décembre. Retour sur ces deux distributions féeriques.

Les flocons photo IkAubert

Nous avons été plusieurs à ne pas être d’accord avec l’article de Roslyn Sulcas, notamment les Balletonautes, qui en réponse on écrit qu’un Casse Noisette sans sucre est possible. A qui n’a jamais vu une autre version que celle donnée à l’Opéra de Paris, c’est-à-dire celle de Noureev, il faut savoir qu’Outre-Atlantique, Casse Noisette est une espèce de rituel, donnée tous les ans, et dont le 2ème acte est une balade à Confitureburg, sorte de Royaume du sucre où les deux enfants (le Casse-Noisette est devenu un petit garçon) sont conduits à travers divers gourmandises par la Fée Dragée et le Prince d’Orgeat. Pour voir à quoi ressemble celui de Balanchine, c’est par là. Tout est rose, guimauve et sucreries. C’est très mignon, (et superbement chorégraphié) mais c’est écoeurant. Tous les ans, toutes ces sucreries. La musique de Tchaïkovski est déjà pleine de sucre, tout le long du ballet. La version de Noureev est en cela moderne car elle propose une autre lecture du conte, plus psychologique dirons-nous vulgairement. Elle me fait penser à ce fameux ouvrage de Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées. Chez Noureev, nous sommes toujours à Noël, chez les Stahlbaum, entourés d’amis et de leurs enfants. L’oncle Drosselmeyer arrive les bras chargés de cadeaux, dont un particulier pour sa jeune filleule, Clara. Pour elle, pas de poupée, mais un Casse-Noisette. Après quelques chamailleries avec son frère Fritz, Clara s’endort dans le grand fauteuil du salon et commence à rêver. Son salon est envahi par des rats. Elle essaye de s’en défaire, jusqu’à ce que son Casse-Noisette se transforme en chef de guerre et combatte avec une armée de petits soldats. Le roi des rats battu, le prince, qui ressemble étrangement à Drosselmeyer, emmène Clara dans une forêt enneigée. Le cauchemar est loin, le rêve est doux et agréable. Au deuxième acte, les deux amoureux sont sortis de la forêt.Puis Clara retombe dans le cauchemar ; cette fois ce sont des chauve-souris qui envahissent son esprit. Le prince la sauve de nouveau: il ne faut pas avoir peur de ses propres parents. Ils sont dans un décor qui ressemble fort au salon des Stahlbaum. Là, les visions de Clara sont troubles. Elle pose les visages de sa famille sur ces peuples venus du monde entier.  Ils continuent leur tour du monde avant d’arriver au milieu d’un bal digne de Versailles. Clara devient une superbe princesse, accompagné de son prince… Tout ceci n’était donc qu’un rêve, elle se fait réveiller par ses parents, mais suit son parrain Drosselmeyer qui sort de la demeure. Elle s’assoit dans la neige avec dans les yeux ce quelque chose de rêverie qui nous fait comprendre que quelque chose a changé. Noureev s’intéresse au fantasme, à la représentation du monde adulte, aux peurs qui nous habitent. Les personnages sont doubles : pantin/homme, homme/prince, enfant/jeune femme. Les danseurs ne peuvent se satisfaire d’une interprétation facile, puisqu’ils doivent osciller dans ces nuances, dans ces transformations, passant sans cesse du rêve à la réalité. Il y a donc bien deux mondes dans ce Casse-Noisette, celui du salon, celui des adultes, qu’il est parfois difficile d’aimer, et celui de l’imaginaire de Clara, doux et fanstamagorique.

 

Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Ce qu’on peut reprocher en revanche au Casse-Noisette de Noureev, c’est sans doute sa difficulté technique. Noureev, c’est 4 pas par temps, c’est des portés qui s’enchaînent, des sauts difficiles et un travail de pointes exigeant. Le pas de deux du 2ème acte est extrêmement difficile, notamment pour le garçon qui doit de surcroît enchaîner avec sa variation. Dans la valse des fleurs, les filles doivent courir au centre, se croiser, aller au sol remonter, se recroiser, courir, se replacer, en peu de temps musicaux. C’est une véritable prouesse technique. Le corps de ballet de l’Opéra de Paris s’en sort à merveille, c’est très en place, et harmonieux.

Côté couple, j’ai passé deux soirées délicieuses. La première avec le couple Gilbert/Ganio, qui sont pour moi les deux Rolls Royce pour ce type de ballet. Je n’ai pas toujours sensible au travail de Mathieu Ganio : techniquement bien entendu, mais artistiquement, il ne me touchait pas. C’est depuis un Onéguine avec Isabelle Ciaravola qu’il me bouleverse complètement. Depuis donc, il me touche, tant dans ses rôles princiers que dans ceux plus dramatiques. Il a sans aucun doute les plus belles lignes de l’Opéra et avec Dorothée Gilbert, c’est le couple parfait. Elle sait parfaitement passer de la petite fille à la princesse. Si vous ne regardez qu’elle au premier acte, tout son jeu est drôle, ses bagarres avec Fritz, son regard tendre pour son parrain, aucun détail n’est oublié. La balade au milieu des flocons est une merveille : la danse, la musique, la neige, le corps de ballet, cela m’emmène dans ce rêve, bien loin de la réalité et cela me plonge dans une émotion non feinte. Au deuxième acte, c’est une leçon de virtuosité. C’est un vrai régal pour les yeux quand on arrive enfin au pas de deux (les divertissements m’ennuient un peu).

Léonore Baulac et Germain Louvet

Ma deuxième soirée ne m’a pas déçue non plus. Léonore Baulac et Germain Louvet, tout juste promus par le concours interne, faisaient leurs preuve dans ce ballet. On peut le dire, ce fut une prise de rôle réussie. L’un et l’autre ont montré de belles qualités. D’abord techniques, les deux jeunes danseurs n’ont pas failli face à la danse de Noureev, puis artistiques. Léonore Baulac a ce quelque chose dans le visage de très enfantin, avec ses petites boucles blondes, qui la rend parfaite pour ce rôle de Clara. Mutine, mais pas mièvre, elle a su montrer qu’elle pouvait donner toutes les couleurs à la palette de ce personnage. Germain Louvet campe un prince gracieux, tout en élégance, avec de belles lignes. C’est un partenaire attentif, qui s’accorde à merveille avec la belle Léonore.

Deux beaux Casse-Noisette, avec juste ce qu’il faut de sucre dans la partition pour donner la larme à l’oeil. N’est-ce pas d’ailleurs Tchaïkovsky qui avait déclaré « qu’il allait composer une musique qui ferait pleurer tout le monde ! »* ? Un merveilleux conte de Noël, qui gagne en charme par sa rareté et son élégance.

In Conversation avec G. Balanchine