Jone San Martin

Jone San Martin, Legitimo/Rezo, au 104

Présenté deux fois dans deux lieux différents, Legitimo/Rezo est une pièce qui mêle conférence dansée et mini-spectacle. Dans le cadre du Festival d’Automne, ce programme était un décryptage à la fois drôle et passionnant du travail de Forsythe. Vu au 104 le 3 octobre retour sur un de mes coups de coeur de ce début de saison.

Jone San Martin

La scène est recouverte de tapis, on se croirait dans l’appartement de Noureev. A jardin, un gros fauteuil dans lequel est assise Jone San Martin avec une tenue quelque peu loufoque. Quand le spectacle commence, elle se dévêtit et reste en simple jogging/débardeur/baskets. Elle commence à nous parler de la danse de Forsythe à travers la notation. Elle avait été invitée par Sonia Schoonejans lors d’une conférence au Théâtre de la Ville sur la notation en danse. De nombreux représentants du monde de la danse étaient là, avec de nombreux papiers, vidéos, et autres partitions. Jone San Martin revendique le corps comme partition, comme espace de notation. Elle le revendique parc que c’est comme cela qu’elle a appris à mémoriser avec Forsythe. Pour le chorégraphe, la danse « c’est de la littérature physique ». La notation fige le mouvement ; or, pour être transmis il doit pouvoir être libre, pour laisser une place à l’échec. Forsythe aime les échecs qui donnent d’autres idées de mouvements.

Le point de vue du danseur

Forsythe donne une idée, que le danseur interprète ce qui modifie l’idée initiale de Forsythe. L’aller retour est permanent jusqu’à trouver le mouvement juste. En 1986, les danseurs créent et apprennent la phrase die Befragung des Robert Scott. Jone San Martin nous en montre le début. Puis, elle nous la décrit avec les formes géométriques qu’elle fait dans l’espace. Par exemple, le premier mouvement, l’ouverture des bras, elle fait trois cercles ; mais elle crée aussi des lignes à l’intérieur du corps. Elle nous montre comment on peut faire la même phrase sans les bras ou même juste en pensant aux formes géométriques et aux intentions. Ensuite, elle danse une phrase au sol et la fais de 4 manières différentes, dont une en « Uing » (faire des U avec le corps). La phrase se réorganise pour trouver une mélodie dans les mouvements.

Ainsi, avec toutes ses phrases types que connaissent les danseurs, Forsythe a constitué tout un répertoire. Avec cet alphabet, Forsythe crée un espace de liberté pour le jeu et la spontanéité. D’ailleurs, Jone San Martin nous fait danser une courte phrase de bras pour que nous comprenions le sens de cela. Le public se prête au jeu, et nous nous amusons bien.

La qualité du mouvement

Dans The Lost of small detail, Forsythe a demandé à ses danseurs d’imaginer que le corps devient faible. Ainsi, par ce type de jeu, la qualité change, on n’est pas forcément dans l’exécution de quelque chose qui est beau, mais dans la recherche d’une qualité qui donnera un tout autre mouvement. De la même manière, après avoir appris une phrase à deux, Forsythe leur a demandé de faire les phrases seuls, avec un corps fantôme, sans perdre les appuis et la qualité des gestes. Voir Jone San Martin faire et refaire les mouvements, tout en expliquant quand elle touche son fantôme, quand elle l’enlace donne vraiment une autre compréhension de l’écriture de Forsythe. Cette écriture si graphique si précise, avec des énergies toujours subtiles, prend tout son sens avec les sous titres de la danseuse.

jone san martin 2

Le timing d’une phrase

Pour comprendre sur quelle temporalité doit se faire une phrase et à quel rythme, elle fait appel à un partenaire Josh Jonhson. A deux, ils nous redansent la phrase de Robert Scott, mais Jone suit le rythme de Josh, elle se cale sur lui. Certains mouvements sont ainsi accélérés de son côté, stoppés parfois. Puis, les danseurs nous demandent de faire des bruits d’oiseaux pour qu’ils puissent danser dessus et se caler sur nos sons. Les sons s’intensifient, s’arrêtent parfois, les danseurs suivent le rythme improvisé et imposé par le public. Jone San Martin nous explique aussi que certains rythmes ont beaucoup changé en fonction des gens qui dansent. Quand certains partent, ils emmènent quelque chose avec eux.

Le travail des pieds

Forsythe a voulu travailler une autre façon de poser le pied au sol. Les danseurs ont mis des baskets. Forsythe leur a demandé d’imaginer des territoires au sol, des îles. Il fallait faire le tour de l’île de la manière la plus fine, et ainsi, les danseurs ont utilisé l’extérieur de leurs pieds. Ils ont inventé de nouvelles façons de se déplacer sur la scène qui devenait une carte géante des territoires imaginaires de chacun. Le corps est plus resserré, plus près du sol. Les déplacements sont plus fragiles car ils reposent sur des appuis moins solides que ceux de la plante du pied.

La question

Jone San Martin propose que quelqu’un du public pose une question. « Que pensez-vous des tous ces facs-similés de Forsythe que l’on va voir au Festival d’Automne cette année? Quand on voit comment la danse de Forsythe est pensée en vous regardant… ». J’ai trouvé la réponse de Jone San Martin si juste et elle répond aussi à tout ce qu’on peut parfois entendre sur certains spectacles ou productions. « Il ne faut pas laisser tomber. Il faut transmettre. Et il faut aussi être compréhensif. Quand on donne une pièce à une autre compagnie, généralement, on a 5-6 semaines et dans ce temps là, on voit les danseurs que quelques heures par jour. Alors, ils faut apprendre à les regarder avec cela, avec ce regard-là moins que comme une compagnie qui danse toujours avec le même chorégraphe. Peut être que dans le lot, un danseur aura mieux compris que les autres et tant mieux. Et puis, franchement, ce ne serait pas juste si en 5 semaines ils apprenaient ce qu’on a mis 20 ans à apprendre. ».

La danse

Après un changement de décor, le plateau est nu et Jone San Martin entre avec une moustache en guise de déguisement. Elle danse, le style actuel de Forsythe. Elle parle, on entend des bribes de mots, des accents, sa voix est modifiée pour faire différents personnages. Dans Study #3 vu il y a quelques années, je n’avais pas compris ce que Forsythe voulait nous signifier, mais maintenant après l’heure passée avec Jone San Martin, je comprends mieux ces mouvements. Je regarde tout cette grande variation avec plaisir, imaginant les corps fantômes, les trios formés avec un seul corps, les conversations entre différents personnages. Tout un imaginaire se déploie devant moi que je n’avais pas été capable de voir auparavant. Forsythe c’est vraiment fascinant.