Jérôme Bel

Saison 15 16 du ballet de l’Opéra de Paris

Très attendue, Benjamin Millepied a dévoilée cette toute nouvelle saison le 04 février. Nouveau site internet, vidéos de présentation des étoiles, une communication ultra efficace, Millepied a décidé de changer de vitesse. Il présente une saison quelque peu surprenante, qui lui ressemble, entre classique et nouveaux chorégraphes en vogue. Mais aussi de belles initiatives émanent de ce projet comme l’association de William Forsythe comme chorégraphe résident, ou encore l’Académie, cette nouvelle institution qui aura pour entre autres buts de permettre à de jeunes chorégraphes de se lancer, mais aussi d’apprendre à construire une chorégraphie. Millepied a su convier des invités d’exceptions pour cette première saison : Anne Teresa de Keersmaeker, Maguy Marin, la Batsheva Dance Company. On ne peut que s’en féliciter. Beaucoup de soirées mixtes, ce qui est un risque quand on sait que ces soirées parfois déçoivent et ne font pas le plein ; c’est aussi une manière pour Millepied de faire découvrir sa culture très américaine au public français, avec de nombreux Balanchine mais aussi les chorégraphes à la mode comme Justin Peck , Christopher Wheeldon ou Liam Scarlett.

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Regardons cette saison, qui comme chaque année fera des heureux et des malheureux !

  • Gala d’ouverture de saison, 24 septembre 2015

Millepied l’américain ! Et oui c’est comme ça que le voient les balletomanes les plus conservateurs. En effet, comme dans les compagnies américaines, Millepied a choisi de démarrer la saison avec un Gala, qui ne peut pas se prendre dans un abonnement. Un soirée spéciale réservée aux privilégiés, ambiance tapis rouge et glamour garantie ! Sauf que c’est la seule soirée où il y aura le défilé du ballet et là, les amoureux du ballet et de cette tradition font grise mine. D’autant que (ô sacrilège !!) Millepied a décidé d’en change la musique : la compagnie ne défilera pas sur La marche troyenne mais sur du Wagner… Une décisison qui fait jaser !

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 1h40 avec entracte

  • Jérome Robbins, George Balanchine, Benjamin Millepied 22 sept au 11 octobre 2015

Première soirée de l’année qui donne le ton pour la suite, une soirée mixte, très NYC Ballet, avec l’ Opus 19/ The dreamer (musique : Prokofiev concerto pour violon n°1 en ré majeur), qui fait son entrée au répertoire. Millepied donnera une création sur une musique de Nico Muhly qui ne manquera pas de se fondre dans cette soirée néoclassique. Pour terminer en beauté, le très beau Thèmes et Variations de Balanchine. Un classique à voir et à revoir.

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Lieu : Palais Garnier
Durée 2h00
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Réservation hors abonnement le 26 mai

  • 20 danseurs pour le XXème siècle Boris Charmatz

Millepied l’avait promis, il l’a fait. Il voulait que la danse se diffuse partout, pas forcément dans les salles de spectacle. Il convie donc Boris Charmatz à venir faire une création qui sera visible dans les espaces publics de Garnier. Passé le côté amusant de la chose, on se demande comment cela va-t-il se passer. Est-ce que ce sera une balade dans le Palais Garnier ou est-ce qu’il va utiliser l’espace du grand escalier comme l’a déjà fait José Martinez dans son ballet Les enfants du Paradis ? A voir.

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Lieu : dans les espaces publics de Garnier
Durée : 2h
Réservation hors abonnement le 26 mai

  • Anne Teresa de Keersmaecker du 21 octobre au 8 novembre

Excellente idée que de convier Anne Teresa de Keersmaecker qui a défaut de ne plus avoir sa place à la Monnaie (ndrl : l’Opéra belge a décidé qu’il n’y aurait plus de programmation danse la saison prochaine) pourra confier ses œuvres au ballet de l’Opéra de Paris. On sait la joie que ce fut pour nombreux danseurs de danser Rain. C’est avec 3 œuvres et non des moindres que la chorégraphe vient présenter son travail : Quatuor n°4 (Bartok)/ Die grosse Fugue (Beethoven) / La nuit transfigurée (Schönberg).

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 1h45
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Réservation hors abonnement le 9 juin

  • La Bayadère du 17 novembre au 31 décembre 

Sans nul doute, le plus beau et majestueux ballet de Rudolph Noureev. L’histoire de Nikiya et de Solor qui tombent amoureux dans un temple sous l’œil d’un Brahmane jaloux. Cet amour est contrarié par le Rajah qui a choisi Solor pour sa fille Gamzatti. S’ensuivent jalousie, revanche, meurtre, pardon, mort, résurrection. Bref c’est mieux qu’un film ! Entre l’Inde fantasmée du XIXème siècle et la descente des ombres en tutu blanc, on ne peut qu’être émerveillé. A voir et à revoir.

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Lieu : Opéra Bastille
Durée : 2h50
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Réservation hors abonnement le 8 septembre

  • Christopher Wheeldon / Wayne Mc Gregor / Pina Bausch du 1er au 31 décembre

La soirée mixte à ne pas manquer, pour le Sacre du printemps de Pina Bausch. Pour moi c’est la plus oeuvre du répertoire. La soirée commencera avec Polyphonia de Christopher Wheeldon et une création de Mc Gregor sur une musique de Pierre Boulez.

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 2h10
Le sacre extrait vidéo, clic
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Réservation hors abonnement le 15 septembre

  • Démonstrations de l’école de danse du 5 au 20 décembre

Comme tous les ans, les petits rats viennent sur la scène de Garnier présenter leur travail. On assiste à plusieurs cours de danse, impeccablement réglés. C’est toujours plaisant à voir. On peut même déceler des futurs talents !

Lieu : Opéra Garnier
Durée : 2h
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Réservation hors abonnement le 15 septembre

  • Batsheva Dance Company du 5 au 9 janvier

Voilà qu’après Chaillot, la Batsheva s’invite à l’Opéra de Paris. L’occasion de découvrir une nouvelle pièce du répertoire de cette compagnie si géniale ! Danseurs fabuleux, une énergie incroyable, l’assurance d’une bonne soirée !

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 1h
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Réservation hors abonnement le 6 septembre

  • Jérome Bel Jérome Robbins, du 5 au 20 février 

Jérôme Bel est de retour à l’Opéra de Paris après le solo qu’il avait fait pour Véronique Doisneau. Il sera accompagné des variations de Goldberg de Jerome Robbins. Les pièces néoclassiques se suivent et ne se ressemblent pas…

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 2h avec 1 entracte
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Réservation hors abonnement le 6 octobre

  • Rosas compagnie invitée  du 26 février au 6 mars

L’invitation d’Anne Teresa de Keersmaeker s’est aussi faite avec sa compagnie. Elle dansera ua Centre Pompidou cette pièce mystérieuse Work / Travail / Arbeid qui dure plus de 10 heures et qui peut donc se vivre d’une seule traite ou en plusieurs fois.

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Lieu : Centre Pompidou
Durée : 11h
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Réservation hors abonnement en septembre

  • Soirée Iolanta / Casse Noisette

Une soirée mixte au sens propre du terme : de l’opéra et du ballet réunis pour cette soirée Tchaikovsky. Côté ballet, un Casse Noisette chorégraphié à 5 : Sidi Larbi Cherkaoui, Édouard Lock, Benjamin Millepied, Arthur Pita, et Liam Scarlett. Cinq écritures, cinq artistes, qui peuvent donner une pièce qui promet le meilleur comme le pire.

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Lieu : Palais Garnier
Durée : /
Réservation hors abonnement le 6 novembre

  • Roméo & Juliette du 19 mars au 16 avril 2016 

 

Tout le monde connaît l’histoire et pourtant on ne s’en lasse pas. Sur la musique très narrative de Prokofiev, Noureev signe sans aucun doute son ballet le plus cinématographique. Un chef-d’oeuvre !

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Lieu : Opéra Bastille
Durée : 3h
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Réservation hors abonnement le 17 novembre

  • Ratmansky / Balanchine / Robbins / Peck du 22 mars au 5 avril 2016.

Encore une soirée mixte qui réunira Ratmansky et son Seven Sonotas (musique de Scarlatti). Ceux qui me lisent savent que je n’ai pas encore adopté le #Ratmanskyness… Mais je n’attends que d’être convaincue. Encore un Balanchine qui fait son entrée au répertoire, Duo concertant, sur une musique de Stravinsky. Puis le très beau Other Dances de Jerome Robbins et In Creases de Justin Peck sur une musique de Philip Glass (décidément!)

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 1h45
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Réservation hors abonnement le 17 novembre

  • Spectacle de l’école de danse du 14 au 18 avril 2016.

Toujours d’une grande qualité, le spectacle de l’école est l’occasion de découvrir un peu mieux les personnalités de l’école de danse. Cette année, ils danseront Les forains de Roland Petit et Piège de lumière de John Taras.

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Lieu : Palais Garnier
Durée : /
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Réservation hors abonnement le 15 septembre

  • Maguy Marin du 25 avril au 3 mai 2016

Les applaudissements ne se mangent pas, musique de Denis Mariotte : avec un tel titre, on a déjà une folle envie de découvrir cette pièce, si on ne l’avait pas déjà vue (Biennale de Lyon 2002). La pièce traite des rapports de force entre les êtres, en s’appuyant sur les cultures d’Amérique latine. On connaît le talent de Maguy Marin, pour faire avec juste un regard ou un geste, quelque chose de grandiose. Donner cette pièce à l’Opéra de Paris, c’est faire entrer les danseurs dans une autre dimension que la simple exécution de mouvements. Quand on connaît la force des pièces de Maguy Marin, on a très envie de voir les danseurs de l’Opéra de Paris s’en emparer.

Lieu :  Palais Garnier
Durée : 1h
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Réservation hors abonnement le 17 novembre.

  • Giselle du 27 mai au 14 juin 2016

C’est avec grande joie que l’on va revoir Giselle au Palais Garnier. En effet, le ballet romantique n’avait pas été donné depuis bien longtemps. Sur un argument de Théophile Gauthier, le ballet raconte l’amour trahi d’une jeune paysanne. Elle en mourra de folie et entrera au pays des Willis, créatures de la forêt qui se vengent des hommes. Giselle est un bijou dont on ne saurait trouver meilleur écrin que la scène de Garnier. On espère qu’on y verra de jeunes danseuses s’y révéler dans le rôle titre et de beaux princes. Un rêve à vivre plusieurs fois.

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Lieu : Palais Garnier
Durée : 2h05
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Réservation hors abonnement le 12 janvier 2016

  • Compagnie invitée : English National Ballet du 21 au 25 juin 2016

A défaut d’avoir de Royal Ballet, Millepied a convié sa petite sœur dirigé par Tamara Rojo. La compagnie vient danser Le Corsaire, ballet de plus de deux heures.

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Lieu : Garnier
Durée : 2h20 avec entracte
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Réservation hors abonnement le 12 janvier 2016

  • Soirée Peck / Balanchine du 2 au 15 juillet 2016

Une soirée composée d’une création de Justin Peck sur le concerto pour pianos et orchestre en ré mineur de Poulenc et le Brahms-Schönberg Quartet de Balanchine. Encore une entrée au répertoire de Balanchine ! Un petit goût de nostalgie du NYCB M. Millepied ? Benjmain Millepied adore Justin Peck, il veut donc faire découvrir ce chorégraphe au public français. On en avait eu un aperçu lors de la venue du L.A. Dance Project. Personnellement, cela ne m’avait pas emballée.

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Lieu : Bastille
Durée : 1h30 avec entracte
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Réservation hors abonnement le 28 janvier 2016

  • Soirée William Forsythe du 4 au 16 juillet 2016

Quel honneur d’avoir le génial William Forsythe à résidence à Paris ! Il ne faut pas manquer cette soirée qui réunira Approximate Sonata dans une nouvelle version, une création sur une musique de James Blake, et Of any if end. D’habitude les fins de saison ont plutôt un goût fade, avec des ballets mièvres ou des spectacles peu attirants. Là on se précipitera pour voir cette soirée (avant de filer à Avignon?).

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Lieu : Garnier
Durée : 1h50 avec 2 entractes
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Réservation hors abonnement le 28 janvier 2016

Une saison 15/16 riche tant en chorégraphes invités qu’en tant  qu’artistes. Millepied a choisi de montrer deux siècles de danse en partant de Giselle, en passant par les ballets du XIXème récrits par Noureev, les néoclassiques du XXème que sont Balanchine et Robbins pour arriver à montrer les nouvelles écritures de Wheeldon, Peck, Ratmansky, mais aussi celles de Maguy Marin, ATDK et Forsythe. Il y a forcément des absents, les chorégraphes français Béjart et Petit (exception faite du spectacle de l’EDD). Millepied a promis qu’on les verrai dans de prochaines saisons. Comme il l’a répété de nombreuses fois, dans les dizaines d’interviews qu’il a données ça et là, il donne beaucoup d’importance à la musique, source d’inspiration infinie pour la danse.

Pour vous abonner vous pouvez le faire en ligne ou par correspondance. J’ai une préférence pour le papier car avec un petit courrier on peut émettre des préférences de placement. L’abonnement à l’Opéra n’offre pas de réduction du prix contrairement à d’autres théâtres. Il garantit d’avoir une place et offre une priorité de réservation pour prendre des places supplémentaires. En champ libre, vous devez prendre au moins quatre spectacles.

Si il ne fallait en choisir que 4 :

  • Vous n’aimez que la danse classique : Bayadère, Roméo et Juliette, Giselle et English National Ballet.
  • Vous vous sentez l’âme d’un New-Yorkais : Soirée Balanchine/Millepied/Robbins, soirée Peck/Balanchine, soirée Ratmansky/Balanchine/Robbins/Peck, soirée Bel/Robbins. Du néoclassique en veux-tu, en voilà !
  • Vous aimez découvrir des compagnies étrangères : Rosas au Centre Pompidou, English National Ballet, Batsheva Dance compagnie + soirée Forsythe (et oui il en faut 4 !)
  • Vous aimez les salades composées : Bayadère, Wheldoon/Mac Gregor / Bausch, Ratmansky/Balanchine/Robbins/Peck et soirée Forsythe.
  • Vous n’aimez que la danse contemporaine : Soirée ATDK, Maguy Marin, soirée Christopher Wheeldon / Wayne Mc Gregor / Pina Bausch et journée Rosas au Centre Pompidou ou la Batsheva Dance Company.

Si vous êtes jeune (- de 30 ans) ou étudiant je vous conseille vivement de regarder l’abonnement AROP. Les dates sont certes fixées mais la réduction vous fera vite changer d’avis ! -50% pour les étudiants et -25% pour les jeunes ! Alors ? Qu’est-ce qu’on attend ? A ce prix là vous pouvez en prendre 8 ! Le site de l’Arop, clic

Qu’irez-vous donc voir la prochaine saison ?

Danser sa vie au Centre Pompidou

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Mercredi s’ouvrait la nouvelle grande exposition du Centre Pompidou, intitulée Danser sa vie. J’ai fait l’inauguration en deux parties. Le matin je suis allée à Videodanse. C’est un dispositif, qui a permis de numériser de nombreux films de danse, que ce soit des documentaires, des spectacles filmés, ou encore des performances visuelles ayant trait à la danse. Tous les premiers jeudi du mois, vous pouvez d’ailleurs découvrir un ou deux films, selon la programmation, au cinéma du musée (avec le Laissez-passez, l’entrée est gratuite).

Alain Seban (directeur du Centre Pompidou) nous présente assez ému et pas peu fier, le programme qui va avoir lieu durant toute la durée de l’expo. Plus de 150 films à voir et à revoir, allez voir sur le site et faîtes votre sélection.

On commence donc par voir la captation d’un spectacle de Jérôme Bel, Pichet Klunchun and myself (2005). Je n’avais jamais vu ce spectacle, mais il est dans la lignée de ceux fait avec Véronique Doisneau et Cédric Andrieux.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas son travail, le principe est simple. Faire parler un danseur de son travail, le faire illustrer son propos avec des pas de danse. Avec Cédric Andrieux, qui parle de son parcours via la compagnie de Merce Cunningham ou avec Véronique Doisneau, qui raconte le quotidien d’une danseuse à l’Opéra, Jérôme Bel laissait les artistes seuls en scène, se confier à un public. Là Jérôme Bel se met en scène avec Pichet, pour confronter leurs cultures respectives. Pichet est danseur de Khôn thaïlandais, sorte de danse traditionnelle, anciennement noble, reconverti en attrape touriste par toutes les agences de voyage.

Le dialogue n’est pas inintéressant, mais il me lasse parfois, surtout l’attitude de Jérôme Bel, qui à mon sens joue parfois le faux naïf. Bien sûr qu’il y a besoin de faire comme si, de jouer à celui qui ne connaît rien, mais des fois, il est à la limite et cela m’a mise mal à l’aise. Il tente aussi d’expliquer son point de vue, comme artiste contemporain occidental. Là aussi le point de vue me semble simplet. En gros, en Europe, il y a trois choses importantes pour le développement de l’art contemporain : l’état, les artistes et le public. L’état donne de l’argent aux artistes sans savoir quels sont leurs projets et le public vient voir les artistes, sans savoir ce qu’ils vont voir. Par conséquent, le public étant averti, Jérôme Bel ne comprend pas pourquoi, le public demande parfois à être remboursé (The show must go on…). Il défend aussi sa conception de mettre à égalité le public et l’oeuvre d’art, de rendre l’art accessible à tous. Je ne suis pas forcément en contradiction avec tout ce qu’il dit, mais c’est plutôt la manière dont il le dit… A la fin de la projection, il arrive devant une salle pas très accueillante, il faut bien le reconnaître, mais avec des mots assez froids en retour. Il nous dit que de toutes façons ce n’est qu’un film, que ce n’est pas le spectacle et que les musées et les films c’est enterrer l’art… Je ne vous dis pas l’ambiance de la salle qui se vidait peu à peu…Pas très réussie cette ouverture et c’est bien dommage, car ce dispositif est vraiment super et il y a plein de films à voir. Je ne reste pas pour le petit verre proposé suite à la projection, car j’avais la veille fait un petit vol plané dans un couloir, et radio et kiné m’attendaient…

Je reviens tout de même le soir, en bonne compagnie, pour prendre le temps de visiter l’exposition.

J’ai apprécié cette exposition, mais elle n’est à mon avis pas abordable pour des gens qui ne connaissent pas la danse et c’est un peu là, le reproche qu’on peut lui faire. L’exposition est bâtie autour de trois axes :

  • La danse, comme l’expression de la subjectivité
  • La danse et l’abstraction
  • La danse et la notion de performance.

Ces axes permettent de voir comment la danse a dialogué avec les arts visuels tout au long du XXème siècle, et comment ils se sont influencés.

La première partie, est plutôt intéressante et accessible. On entre en regardant une grande toile de Matisse, tout en ayant à l’oeil ce jeune homme qui fait une performance au
sol. L’ambiance est donnée, on veut un peu déstabiliser le visiteur qui va être trimballé d’une époque à une autre, d’un courant à un autre, d’un art à un autre. Dans les salles, les musiques de Stravinsky et de Debussy s’entremêlent.

Au milieu de la deuxième pièce, L’après midi d’un faune, dansé par Nicolas Le Riche trône au milieu de photos d’Isadora Duncan, grande prêtresse d’une danse libre de toutes contraintes artificielles.

On retrouve toutes les mouvements qui ont contribué à produire une danse contemporaine libre, avec Laban, Mary Wigman, Kurt Joss. La nature est au centre de cette nouvelle danse, il y a beaucoup de photos de jeunes gens qui dansent, souvent nus dans la nature. Kurt Joss c’est un des maîtres d’une certaine Pina Bausch et cette première partie se referme sur Le Sacre du Printemps, dansé par le Tanztheater en 1978, vidéo qui n’est pas d’ailleurs pas d’une grande qualité.

J’avais assisté à une conférence intéressante au Théâtre de la ville à ce sujet, à relire là. Cela permet de remettre un peu d’ordre dans cette partie d’histoire de la danse.

Dans la deuxième partie de l’exposition, il s’agit de comprendre comment la danse a participé à l’abstraction en art, avec des courants comme celui du Bauhaus. On trouve des extraits de danses futuristes, avec des costumes qui géométrisent le corps, qui le rendent artificiel. On est alors loin d’un corps proche de la nature comme dans la première partie. Il va être question de rationaliser la danse peut être. Comment faire des lignes et des points se demande alors William Forsythe. Laban continue ses recherches et veut lui aussi contraindre la danse dans un vocabulaire que l’on pourrait noter. La pièce sur le Bauhaus est impressionnante, des vieux costumes trônent au centre de la pièce, entourés de croquis de Laban, de dessins pour des mises en scène plus que carrées ! Les couleurs primaires font la loi dans les productions présentes. Cette partie se termine sur Alwin Nikolais, maître en la matière d’abstraction, jugez plutôt.

 

La dernière partie de l’exposition est un peu un fourre-tout à mon sens. On veut y montrer plein de choses, qui ont parfois peu de rapport entre elles. On y voit cependant des oeuvres intéressantes. J’ai beaucoup aimé le Wahrol sur Cunningham, ou l’espace consacré à la danse pop. On y erre un peu, car il y a beaucoup de choses avant. Je crois que la prochaine fois, je commencerai par cette partie, pour mieux comprendre pourquoi cela a été présenté comme cela.

Dans l’ensemble, c’est une belle exposition et c’est un pari risqué de faire une exposition sur la danse. J’ai découvert des tableaux, certains dessins aussi, qui m’ont beaucoup plu. On voit bien les oeuvres et la circulation est facile. A la librairie, il y a de beaux ouvrages, notamment une anthologie de textes sur la danse, qui est formidable

  • A lire, à voir…

Le catalogue raisonné de Jérôme Bel, où il s’explique en partie de ses oeuvres.

A voir, un extrait du spectacle de Jérôme Bel ici.

Le site officiel de Jérôme Bel

Rencontre avec Anne Teresa de Keersmaeker

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© ONP

La rencontre a lieu au salon Florence Gould, à l’Opéra Garnier. Je retrouve Amélie et E***. La chorégraphe et Brigitte Lefèvre mettent du temps à arriver.

Jean -Yves Kaced présente la rencontre qui commence en retard car la répétition n’était pas terminée. Il présente l’entrée au répertoire de cette pièce de la chorégraphe belge, Rain, créée en 2001, sur une musique de Steeve Reich, Music for 18 musicians.

Brigitte Lefèvre : Je crois que Jean-Yves Kaced a tout dit ! C’est très important pour le public de l’Opéra d’avoir Anne Teresa de Keersmaeker ici, avec nous. C’est une chance, je lui fais beaucoup de compliments, mais aussi quand elle n’est pas à mes côtés. Je le pense très sincèrement et je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas ce que
je pense. Elle participe de quelque chose d’important. Nous sommes une compagnie dite classique mais pas une compagnie classée ou déclassée. Nous sommes très heureux de faire des ballets du répertoire. Cela donne un contraste encore plus fort pour la danse d’avoir de grands chorégraphes. On n’est pas là pour faire une collection de chorégraphes, il faut bien les choisir avec beaucoup d’attention, de ferveur, après les avoir vus, connus à travers leurs oeuvres et de choisir le moment où c’est possible de leur demander. Un journaliste belge m’a demandé l’autre jour :
« Alors vous vous êtes battus pour avoir Anne Teresa de Keersmaeker? » Je lui ai dit que non. C’est une collaboration. On a réussi à se convaincre. Je crois que ce ballet, Rain, c’est un très beau ballet de danse. C’est un challenge incroyable pour la compagnie, je n’avais même pas réalisé quand je lui avais demandé. Je ne sais pas par quoi commencer, on peut te demander pourquoi et comment t’avais envie de faire de la danse quand tu étais petite ?

Anne Teresa de Keersmaeker : euh..

 Brigitte Lefèvre : D’accord (rires). Bon ben on ne saura jamais pour Anne Teresa a fait de la danse quand elle était petite ! Je sais que tu as
étudié la danse à Mundra .Quand on voit la qualité de la danse d’Anne Teresa, on peut rendre un hommage supplémentaire à Maurice de là où il est, et à cette école.

Comment as-tu eu envie de faire Rain ?

Anne Teresa de Keersmaeker : C’est une pièce qui date de janvier 2001. C’était mon troisième rendez-vous avec Steeve Reich. En 1983,j’ai commencé
avec Far of the 4 mouvement, c’était sa toute première composition.  C’est un compositeur américain vivant. La pièce qui a suivi, Drumming. Ce qui était exceptionnel c’est que mon parcours s’est fait en mariage avec la musique et avec les compositeurs vivants ou non vivants, la plupart sont  morts que ce soit Bach, Beethoven, Mozart, Montoverdi. Il y en a quelques uns qui sont encore vivants, comme Reich. La composition de Reich est une pièce qui fait 65 minutes. C’est rare de trouver des oeuvres courtes qui permettent de construire une danse, un défi chorégraphique. C’est avant tout une danse de groupe. C’est vraiment danser ensemble, mais en même temps, qui unit cette notion d’harmonie entre eux, où chaque danseur a un trajet individuel qui es très articulé, très spécifique. Pour moi Rain c’est un peu comme une jubilation. C’est tout le travail que j’ai fait pendant des années sur l’organisation de l’espace, les patrons sous jacents de géométrie, un vocabulaire qui est en même temps très féminin et très masculin. Comment à partir d’une phrase chorégraphique on peut faire des transformations sans fin. C’est des
phrases très abstraites, très formelles, mais en fait  qui visent quelque part, presque une narration sous jacente et je suis convaincue que les idées les pus abstraites peuvent être
incorporée par la danse. Quelque chose qui dévoile une très grande forme émotionnelle. Ce n’est pas la forme comme un but en soi, mais comme une ouverture possible vers une émotion simple et vraie.

 Brigitte Lefèvre : Alors justement parlons de ta connaissance et ton amour pour la musique. Tu as fait une pièce avec Jérôme Bel, Abschied, absolument magnifique. C’est une histoire de danse. La manière dont la pièce a été construite a fait que tu as souhaité que la plupart de tes danseurs soient là. Chaque danseur  (6 femmes et 3 hommes) qui a dansé cette pièce, a été là. C’est un vrai privilège de voir cette espèce d’échange d’artistes, la chorégraphe étant là. C’est du coup à la fois fatigant précis et comme disait Anne Teresa,  très jubilatoire. Cela va donner quelque chose de très particulier. Cela me fait penser aux conversations avec Pina Bausch, dans le sens où ces des personnalités qui partagent quelque chose.  Il y a un partage de quelque chose d’indispensable, cette structure, ce socle de danse. De ce socle il y a une construction, ensuite il y a une
pensée de la danse, il y aussi quelque chose de poétique, d’émotionnel. On n’est pas là pour jouer au jeu des comparaisons, si vous vous le faîtes c’est votre problème, mais nous c’est pas le notre. La compagnie d’Anne Teresa est magnifique. L’intérêt c’est une extrême transmission, une transformation. C’est une œuvre très singulière. Quand on parle de répertoire, ce serait dommage de ne pas faire vivre notre répertoire académique mais d’être mutilé d’oeuvres contemporaines ce serait dommageable. Quand tu vois Rain, qu’as tu eu envie de dire aux danseurs, qu’est ce que tu leur as dit ?

 Anne Teresa de Keersmaeker : On en est pas encore là. C’est une question difficile. On est dans le concret, je leur demande plus de ceci ou de
cela. Il y a une série de règles générales, comme je le disais qui sont faites pour êtres dansées ensemble. C’est une danse faite pour danser ensemble. Il faut être précis et généreux par rapport aux autres. Il faut être rentré et en soi et en même temps avoir un regard qui prend tout l’espace, et le public, et les musiciens.

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© JMC

Brigitte Lefèvre : Peut-on dire que c’est une danse de solistes ensemble ?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Oui, on peut dire ça.  Il n’y a pas de hiérarchie dans cette danse. C’est 10 solistes ensemble. C’est quelque chose de très beau vis-à-vis de cette grande vague  qui dure 65 minutes, très éprouvante physiquement,  pleine de grace et de jubilation. Il y a une très grande complexité. Je suis allée dans un délire très complexe. L’espace se ferme et s’ouvre constamment, en avant plan en arrière plan.  Ce sont des variations infinies.

Brigitte Lefèvre : Il y a une forme philosophique de l’espace pour toi ? C’est toujours très touchant quand on regarde de la danse, c’est la décalcomanie de la soliste par le corps de ballet qui intensifie le trait. Là, on peut suivre l’un puis l’autre, puis il se retrouvent ensemble, un peu comme un jeu finalement ?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Oui. C’est comme ça que je travaille. Les danseurs sont là parce que j’en suis un peu amoureuse. Il y a une harmonie
entre eux. Les gens sont là dans leur spécificité. Je travaille beaucoup sur l’organisation de l’espace. Je travaille sur la spirale, c’est une forme qui s’ouvre et se ferme.

Brigitte Lefèvre : Dans la scénographie il y a beaucoup d’inscriptions, de marques au sol, vous verrez enfin pas bien si vous êtes à
l’orchestre.  Est-ce que ce serait envisageable que ça puisse se faire sans ces marques quand les danseurs connaissent bien la pièce ?

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Anne Teresa de Keersmaeker : Non, ce serait trop compliqué. C’est trop concret.

 Brigitte Lefèvre : Parlons un peu des costumes. Toi tu es très élégante.

Anne Teresa de Keersmaeker : Ah bon, tu as vu mes bottines [elle porte des chaussures de marche]?

Brigitte Lefèvre : Mais oui ! C’est très beau ça sent le feu de bois (rires).  Tu as réussi à convaincre Dries. C’est un compagnon de route.

 Anne Teresa de Keersmaeker : Dans cette période là oui. J’ai beaucoup travaillé avec lui. C’est un grand maître qui a un grand savoir faire. Il vient d’une grande famille de tailleur à Anvers. Il a horriblement bon goût. C’est une telle élégance de travailler avec lui, parce qu’il est très flexible. Il a un regard d’aigle. Il sait très bien accompagner, il sait donner un coup de pouce. tu as l’idée et puis il dit « ah bon ». Je voulais de la couleur chair pour les costumes. Il est parti de là puis il est allé au rose puis de pousser jusqu’au fushia exubérant, moiré, argenté. C’est très naturel. Il travaille sur les couleurs, les matières, les reflets. Il a une expérience exceptionnelle. Il y a eu tout autant de travail avec le scénographe. L’espace de cordes crée un mouvement, un espace fermé et ouvert.

 Brigitte Lefèvre : On a vraiment de la chance d’avoir ce travail. C’est une autre façon de faire. C’est d’ailleurs une danse qui est techniquement très dure. C’est un série de questionnements auxquels le corps et l’esprit doivent répondre. C’est une autre façon de faire, ils sont d’ailleurs très courageux. Tu danses des fois dans tes pièces ?

Anne Teresa de Keersmaeker: Celui-ci je ne l’ai pas dansé, c’est trop difficile.(rires)

 Brigitte Lefèvre : Les danseurs sont très différents, tant par rapport à l’âge qu’à d’autres choses. Pour revenir aux costumes, je suis allée aux ateliers de costumes. J’ai jeté mon oeil, mon nez pendant les essayages. C’était très touchant de voir ces costumes et en même temps pour le responsable, il n’y avait plus les tissus choisis au
départ. Tout ce qu’il y a autour, avec, est important quand un ballet entre au répertoire. Pour les costumes, il fallait trouver d’autres matériaux, aussi beaux, mais différents. Cela m’a beaucoup intéressée. Parfois on retrouve la même chose avec la danse.

C’est une pièce de 2001, donc il y a une dizaine d’année. Comment tu la situes dans ton travail ?

Anne Teresa de Keersmaeker : C’est une pièce clé. On ne fait pas tous les jours des pièces comme cela. C’est une pièce majeure. La musique est une invitation à la danse. Il y a un sens mélodique et harmonique qui est incroyable.  C’est le point d’orgue sur tout le trajet que j’avais fait. C’était un peu comment combiner des procédés abstraits à une certaine notion de narration, un vocabulaire que j’ai construit moi même et le fusionner avec celui des danseurs. C’était un moment de grâce, en tout modestie.

 Brigitte Lefèvre : Nous avons donc une grosse responsabilité ! Là maintenant, tu vas à nouveau participer au festival d’Avignon. L’année passée tu avais présenté En atendant. Tu es souvent à des moments où on t’attends pas. Comment on peut de l’univers foisonnant de Reich passer à quelque chose de plus minimaliste avec En atendant ?

Anne Teresa de Keersmaeker : Pour faire une longue histoire courte, c’était un gros moment de remise en question. J’ai eu un trajet si intense avec la musique, j’ai eu besoin de me poser des questions simples. Qu’est ce que c’est pour moi la danse, du rapport de la danse avec la musique. Le rapport au corps aussi. C’est très beau, mais ça
peut être encore plus beau avec moins. Que peut faire le corps quand on est démuni de tout, quelle est sa force d’expression la plus radicale possible. C’est une question esthétique et presque écologique. C’est difficile de trouver une musique. J’ai fait un travail sur Bach et après cela c’était difficile de trouver une musique.

Tu sais chanter Bach toi ?

Brigitte Lefèvre fredonne.

 Anne Teresa de Keersmaeker : mais d’autres musiques tu sais chanter?

Brigitte Lefèvre : Je ne connais que les chansons réalistes !

Anne Teresa de Keersmaeker: Tu connais Edith Piaf?

Brigitte Lefèvre fredonne Non rien de rien

Brigitte Lefèvre : Personne n’a applaudi c’est dur je me défonce!(rires)

 Anne Teresa de Keersmaeker : et les beatles?

 Brigitte Lefèvre : non ! (rires)

Anne Teresa de Keersmaeker: donc j’avais envie de silence. J’allais à Avignon, alors je me suis renseignée. J’ai été fascinée, challenged. Toute la musique avant Monteverdi, je me suis sentie très proche, très éblouie par la beauté de cette musique. Le rien. On se demande dans ce passé lointain ce qui nous unit encore avec ce monde là.
Les traces de l’humanité sont elles marquées dans notre corps ?

 Brigitte Lefèvre : La danse est un art majeur, porteur de ces problématiques. Pour toi la danseur est un art porteur, par rapport aux autres formes d’art?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Oui, la danse est plus que d’autres arts, ancrée dans ce qui nous est le plus interne. Le corps, cette chose la plus concrète, peut intégrer les idées les plus abstraites. Il reste toujours le même. On est tous là avec le même corps, avec des différences, d’âge de sexe de vécu. Tout se marque dans notre corps.
C’est ce à quoi on tient le plus. On sait qu’il va disparaître, c’est notre seule certitude. On doit laisser aller le corps.

Brigitte Lefèvre : La danse n’est pas toujours considérée comme un art majeur. C’est un art fragile. Par comparaison au lyrique, où il y a beaucoup de public. Même sur un plan politique, il y a peu de théâtres dirigés par des danseurs. Tu comprends sans rentrer dans une polémique, pourquoi ?

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© JMC

 Anne Teresa de Keersmaeker : J’ai une fascination pour l’Opéra, parce que c’est lié à la voix. La voix c’est la danse la plus intérieure, c’est très intime. La voix reflète l’intérieur du corps. On ne peut rien masquer. C’est tellement intime. D’un autre côté, c’est un art coûteux, c’est l’art le plus bourgeois, depuis ces deux derniers siècles. Il y a énormément d’emballage cadeau. L’opéra c’est un art total, quand c’est beau, il n’y a rien de tel mais souvent c’est chiant. On s’endort !

 Brigitte Lefèvre : Bon on ne va pas froisser Nicolas Joël ! Mais la mise en scène d’Opéra ça ne t’intéresse pas?

 Anne Teresa de Keersmaeker : oui mais c’est pas ma priorité. Il y a une question de répertoire et tout le répertoire n’est pas intéressant. J’aime Bach mais j’aime aussi beaucoup Mozart, mais l’opéra est tellement incrusté dans un codage de traditions. C’est un gros emballage cadeau ! Et c’est difficile d’enlever tout le papier cadeau et en
plus ça coûte cher.

 Brigitte Lefèvre : Il n’y a pas une oeuvre d’opéra qui t’intéresserait?

Anne Teresa de Keersmaeker : Toutes ! Mais ça coûte beaucoup d’argent et le temps pour pouvoir chercher est très réduit.

 Brigitte Lefèvre : pas une en particulier?

 Anne Teresa de Keersmaeker : en ce moment je travaille avec rien de vocal, je suis dans le minimalisme, je suis là dedans. Je suis avant l’Opéra, sans rien de vocal. J’aime beaucoup être là dedans.

Brigitte Lefèvre : Quand on voit du ballet très abouti avec la musique avec la respiration des danseurs,  on a aussi la sensation, comme dans
l’Opéra, que quelque chose est rassemblé. Pour toi, tu imagines qu’un danseur aille au delà, par exemple dans l’expression vocale?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Je cherche là dessus. Mais il ne faut pas tout mettre d’un coup. Le jambon, le fromage, etc.. sinon c’est un sandwich pas une création.

J’ai chanté et j’ai dansé avec Jérôme Bel , mais c’était un peu différent.

Brigitte Lefèvre : Tu as dit plusieurs fois que la pièce durait 65 minutes. Je me suis posée la question si il fallait présenter la pièce avec une autre pièce ou non. Et puis c’est une pièce tellement forte, tellement dense qu’on ne peut pas y ajouter autre chose.A 8h30 vous êtes sortis, vous pouvez aller au restaurant, la baby sitter sera ravie. J’entends parfois des réflexions comme quoi c’est trop court.

 Anne Teresa de Keersmaeker : en effet on ne peut pas combiner cela avec autre chose. Ni pour les danseurs, ni pour le public. C’est très intense. C’est juste pour une soirée. Et puis avec la musique live, on reçoit beaucoup.

 Question : Quelle difficulté avez vous rencontrée pour la transmission aux danseurs de l’Opéra de Paris, ils sont très classiques?

Anne Teresa de Keersmaeker : On ne va pas changer l’écriture. C’est surtout un défi. C’est un matériel physique  très intense, surtout pour les filles je crois. Il y a beaucoup de chutes au sol. Il faut comprendre la notion d’auto-organisation. Chaque danseur a un trajet individuel, il y a besoin d’être très alerte avec les autres. C’est un triangle, il y a moi, ma danse, moi par rapport aux autres et moi par rapport au public. J’ai du bâtir cette inspiration. A travers ma danse je supporte, j’accompagne celle des autres. L’articulation avec la musique live aussi c’est un gros travail. J’ai fait un gros travail sur le vocabulaire, sur le relâchement.

Brigitte Lefèvre : Le savoir d’Anne Teresa apporte son langage, mais c’est un nouveau langage. Les danseurs de l’Opéra apprennent s’adaptent, s’approprient. C’est un autre formalisme c’est tout. Ils sont attentifs.

 Question : D’abord une remarque. Vous avez dit qu’il n’y aurait pas d’autres oeuvres qui accompagneraient Rain. Je trouve ça très bien. C’est vrai
que des œuvres comme celle là ou le Sacre c’est important de les voir seules.

 Brigitte Lefèvre : ah mais moi j’ai adoré la soirée des 3B.

 Question : moi aussi ! Mais il serait intéressant de voir le Sacre seul. Je voulais vous demander comment vous aviez choisi les danseurs, il y en a beaucoup, quels ont été vos critères?

Anne Teresa de Keersmaeker : Brigitte a fait une présélection. Ensuite on a fait quatre jours d’audition où je les ai regardé, puis on a choisi 2 casts.

 Brigitte Lefèvre : oui je les connais bien. Il faut aussi sentir leur désir. D’ailleurs c’est drôle parce que ce n’est pas forcément ceux qui avaient le plus envie qui s’en sortent le mieux. Mais c’est bien c’est des aventures de vie. Etre danseur c’est vraiment spécial.

 Question : vous avez parlé de la mort comme seule certitude, sur la conscience de notre corps. Comment la danse vous permet de réfléchir, de gérer cette conscience?

 Anne Teresa de Keersmaeker : Le travail sur la danse est une réflexion, sur la nature de notre corps, la nature de notre esprit. et comment l’un se manifeste dans l’autre et vice-versa. Je pense que le corps est une matérialisation de notre esprit. C’est cela qui m’intéresse, comment concrétiser par le corps? Il y a un très beau poème Amor constante de Quevedo dont la dernière phrase est « les poussières seront mes poussières amoureuses ».

Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.

Steve Reich Musique
Music For 18 Musicians
Anne Teresa De Keersmaeker Chorégraphie
Jan Versweyveld Décor et lumières
Dries Van Noten Costumes

 

Cédric Andrieux, concept Jérôme Bel, suite de l’hommage à Cunningham

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Dans le cadre de l’hommage à Merce Cunningham en voilà un bien particulier. Cédric Andrieux a accepté de se frotter au concept de Jérôme Bel. Il y a 5 ans, Jérôme Bel, chorégraphe, avait crée pour Véronique Doisneau, sujet à l’Opéra de Paris partant à la retraite, une pièce (à représentation unique) dans laquelle l’intéressée parlait de son travail, ses goûts, ses regrets en alternant prise de parole et danse. J’avais adoré ce programme qui avait eu lieu le soir du spectacle des jeunes danseurs en 2004. Cela avait certes un peu plombé l’ambiance, mais il est bon d’entendre parfois des gens qui ont des parcours qui ne sont pas toujours idylliques.

Jérôme Bel renouvelle ce soir l’exercice avec Cédric Andrieux, danseur au ballet de Lyon. Le jeune arrive sur scène et nous parle de son parcours. D’abord le CNSM, où il eut le prix du conservatoire, ce à quoi il ne s’entendait pas, il nous montre donc la chorégraphie. Puis ses débuts à New York sont diificiles, mal payé, mal logé, un peu perdu. Enfin il entre à la Merce Cunningham Dance Compagny aprs y avoir pris un cours et s’être fait repérer par Merce. On croit donc à un grand espoir, et à un grand bonheur et en fait non. Le monde de la MCDC tel qu’il nous le décrit est austère et peu réjouissant. Il a souffert pendant 8 ans de ce travail répétitif. Toujours la même barre, être poussé au delà de ses
limites en permanence, souffrir dans tout son corps, mettre à chaque spectacle des gaines et des académiques.

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Même la création tel qu’il le raconte semble être une souffrance. Cunningham créait toujours de la même façon. D’abord les jambes, puis il ajoutait le buste et enfin les bras, le tout étant d’une extrême difficulté voire irréalisable.
Ce qui rend malheureux Cédric Andrieux, c’est le manque de confort dans cette écriture chorégraphique. C’est aussi le manque de contact avec Merce. Ce qui le rend heureux, c’est ce qu’il peut ressentir parfois sur scène ; le moment présent. La sensation qu’il n’y a rien avant et qu’il n’y aura rien après, que ce moment est présent, qu’on le voit se dérouler sous nos yeux. Ce qu’il le rend heureux, c’est aussi le fait qu’il n’y a rien à interpréter. Cédric Andrieux quitte la MCDC en juillet 2007. Deux jours après, il est embauché par le Ballet de Lyon. Là il y danse du Trisha Brown, du Jérôme Bel, du Forsythe, du Preljocaj, du Kylian. Il prend alors conscience de ce qu’il aime danser. il n’aime pas interpréter des rôles, il aime la danse de Trisha qui est organique et qui comme chez Cunningham ne requiert aucune interprétation.
Il finit sur le pourquoi comment de cette performance. Il nous dit qu’après cette réflexion sur son art et sur sa pratique, il sait enfin pourquoi il fait tel ou tel choix. Les choses ont du sens à présent. Il prend donc un virage dans sa carrière plus mâture et méditatif.

Article du Monde

Vidéo Véronique Doineau