Isabelle Ciaravola

Nouvelles de 2013 n°2

La semaine dernière fut agitée. Le monde de la danse a été bouleversé par un attentat terrible contre le directeur artistique du Bolchoï Sergeï Filin. Jeudi soir, tard, un homme masqué a aspergé le visage du danseur d’acide. Son visage est brûlé et il y a un grand risque qu’il perde la vue. L’homme avait déjà reçu des menaces car sa gestion et ses choix artistiques ne plaisent pas à tout le monde. Alexei Ratmansky, qui a eu le même poste par le passé, a témoigné que l’ambiance dans le théâtre n’était pas toujours bonne. De nombreux danseurs ont témoigné de leur soutien, dont Svetlana Zakharova. Brigitte Lefèvre a aussi donné son soutien, à titre personnel et de tout l’Opéra de Paris. Plus d’infos sur le sujet, dans Le Huffington Post, Le Guardian, Euronews, Le New-York Times et Le Monde.

Je n’ai pas vu beaucoup de danse ces derniers jours. Je suis allée au théâtre voir des bonnes choses, comme Tristesse animal noir, au théâtre de la Colline. La pièce d’Anja Hilling, mise en scène par Stanislas Nordey, traite de la catastrophe. Comment vivre quand on a vécu un tel traumatisme ? Que faire de sa culpabilité quand on est responsable ? Le texte est dur, mais criant de vérité. Les comédiens sont vraiment excellents, et moi qui ne suis pas toujours enthousiaste du style Nordey, j’ai été plutôt conquise cette fois là. Ma chronique à relire, clic. La purge que je me suis tapée était Nouvelle comédie fluviale qui se joue en ce moment au Théâtre du Rond-Point. Humour gras, blagues à tiroirs, décor en carton pâte, sketch qui font des flops, j’ai trouvé la pièce très ringarde, et j’ai vraiment souffert devant tant de niaiseries… Heureusement, ma joie est revenue quand je suis allée voir Fin de partie à l’Odéon. Chef d’œuvre littéraire, la pièce de Beckett est jouée avec brio et intelligence. Cela fait du bien de voir ces grands textes, mis en scène avec tant de justesse. Relire ma chronique, clic.

Décor de fin de partie, en ce moment à l'Odéon, photo d'Agathe Poupeney

J’ai aussi assisté à la rencontre AROP avec Ludmila Pagliero et Josua Hoffalt, dont je vous ferai un petit compte rendu dans la semaine.

Pas vu grand chose au cinéma, si ce n’est Tabou, film de Miguel Gomes, qui raconte en noir et blanc et sur un discours narratif la vie d’une femme, qui a eu une grande histoire d’amour cachée, lors de sa vie en Afrique. Le film ne m’a pas emballée alors que les critiques sont dithyrambiques. Je suis restée un peu à côté du film, pas assez touchée sans doute par cette histoire d’amour, qui arrive après une première partie, qui se passe à Lisbonne et qui est bien longue. Voir la bande annonce, clic. J’ai hâte d’aller voir le dernier Tarentino.

Ce week-end j’ai été enchantée par la neige, j’ai longtemps marché dans Paris, Garnier étant à deux pas de chez moi, je me suis laissée aller à faire ma touriste.

Garnier sous la neige @lepetitrat sous Instagram

  • Les sorties de la semaine

A Chaillot, il faut foncer voir Don Quichotte du Trocadéro. Presse, bloggeurs et spectateurs sont très enthousiastes devant ce spectacle plein de vie, drôle et bien chorégraphié.
Plus d’infos et réservations, clic.
A lire :
Le blog de la blonde, clic
Culturebox, José Montalvo invente Don Quichotte, clic
Le Figaro, Don Quichotte revient dans la danse, clic
Les Balletonautes, clic

Au Théâtre de la Ville, la compagnie Ultima Vez vient avec Œdipus/bêt noir, chorégraphié par Wim Vandekeybus. Cette chorégraphie reprend le mythe d’Oedipe par le biais du livre de Jan Decorte. Dans un atmosphère très sombre, 16 danseurs et comédiens racontent le mythe grec. Voir un extrait vidéo, clic.
Plus d’infos et réservations, clic

Côté théâtre, vous l’aurez compris, je vous conseille fortement Fin de Partie, à l’Odéon, mis en scène par Alain Françon. Joël Pommerat propose une pièce aux ateliers Berthier, La réunification des deux Corées, qui m’a déjà mis l’eau à la bouche, le rendez-vous est pris.

  • La beauté de la semaine : Mathilde, again ! Par Julien Benhamou.

Mathilde Froustey par Julien Benhamou

  • En vrac

La collection Ballet Rosa dessinée par Isabelle Ciaravola est disponible chez Cas danse ! Personnellement, je vais aller y faire un tour dès la semaine prochaine, ce petit justaucorps grenat en velours et dentelle me fait bien envie.

L’exposition Noëlla Pontois débutera le 1er février à Elephant Paname. La danseuse étoile fera une séance de dédicace les 2 et 14février ainsi que  les 2, 21 et 24 mars. On sait déjà que sa loge sera reproduite à l’identique avec des objets personnels.

L’Opéra de Paris est encore montré du doigt pour « harcèlement moral ». Cette fois ci, le dossier concerne les hôtes de caisse de l’Opéra Bastille. Décryptage par L’Express, clic.

Revoir Tam Taï de Karine Saporta sur ARTE Live Web, spectacle du festival Suresnes Cité Danse, clic.

Blanca Li devrait réitérer sa fête de la danse au Grand Palais en septembre.

Agathe Poupeney expose ses photographies du 19 janvier au 2 février à Viry-Châtillon dans le cadre du festival de danse Les envolées. Plus d’infos, clic.

A lire, un portait d’Aurélie Dupont qui dansera Giselle lors de la tournée en Australie, clic.

Sharon Fridman a un nouveau site internet, clic

  • La vidéo de la semaine

Maria Alexandrova et Sergei Filin dans la Fille du Pharaon.

Nouvelles du 17 décembre

Voilà la fin de l’année qui pointe son nez et le retard s’accumule. Il est temps que je prenne des vacances pour me consacrer un peu à l’écriture, car cela me manque ! J’ai en revanche vu des choses belles, très belles.

La soirée Forsythe /Brown a rempli ses promesses. A la première, j’ai revu la distribution de la générale et j’ai de nouveau passé une très belle soirée. Je ne désespère pas de vous publier le compte rendu cette semaine.

J’ai passé une soirée horrible devant Ballet am Rhein. Martin Schlöpfer est le nouveau chorégraphe encensé un peu partout. J’ai passé une soirée atroce. La première pièce était hideuse dans l’esthétique, chorégraphiquement creuse… La deuxième se voulait dans la lignée de Cunningham, mais manquait cruellement de sens et de beauté. Les corps étaient écartelés, la chorégraphie générale ne parvenait pas à trouver du contenu. J’ai trouvé tout cela bien prétentieux et j’ai regretté ma soirée.

La soirée du lendemain fut plus pétillante, Mathilde Froustey a réveillé Bastille et réchauffé les cœurs. Ce fut une très jolie soirée. Relire ma chronique, clic.

Le week-end dernier, je me suis exilée en Belgique (c’est à la mode en ce moment!) et j’ai passé un très bon moment entre la Cendrillon de Pommerat, La Traviata, les amies, la bonne bouffe, le joli musée Magritte.

Cette semaine fut plutôt calme, j’ai eu juste le temps d’aller au cinéma voir Les invisibles, documentaire délicieux sur le parcours d’homosexuels âgés entre 60 et 80 printemps. Le film parle d’amour, de plaisir, de tendresse, de luttes sociales. Il parle aussi du temps qui passe, de la vieillesse et c’est avec un regard tendre sur cette dernière période de la vie que le réalisateur a filmé ces personnages. J’ai beaucoup aimé ce film et je vous le conseille.

Côté théâtre je me suis aventurée avec Youssef au théâtre Montansier à Versailles. Nous sommes allés voir L’annonce faite à Marie de Paul Claudel et ce fut un massacre. Le texte était très mal dit, le jeu atroce, la mise en scène à pleurer. Le metteur en scène est tombé dans un prêche de la foi sans rien comprendre finalement de la dimension spirituelle du texte, à son humanisme. avec la pluie qui tombait, nous sommes sortis rincés.

Cette semaine, je retourne voir Don Quichotte, et le NDT en live au cinéma. Ensuite, ce sera les fêtes. Je reviendrai à Paris pour la semaine du Nouvel An.

  • Les sorties de la semaine

Akram Kahn s’installe au Théâtre de la Ville avec un solo DESH. Il faut aller voir Akram Kahn parce qu’il est fascinant, parce que sa gestuelle est unique, son corps est captivant. Le voir en solo est une occasion unique de découvrir son univers.
Infos et réservations, clic

Jeudi soir, il faut aller voir la soirée Paul Lightfoot et Sol Léon.  en direct du NDT, diffusé dans les cinémas Pathé Gaumont. La compagnie du NDT est une des plus belles d’Europe et le travail de Paul Lighfoot qui a repris la compagnie depuis Kylian est magistral. Voilà un chorégraphe qu’il faut découvrir, le programme est très alléchant :
SH-BOOM / SOL LEÓN & PAUL LIGHTFOOT, 1994.
SHOOT THE MOON / SOL LEÓN & PAUL LIGHTFOOT, 2005
SAME DIFFERENCE / SOL LEÓN & PAUL LIGHTFOOT, 2007.
Plus d’infos et réservations, clic.

20-decembre-by-rahi-rezvani

Toujours à l’Opéra de Paris, Don Quichotte dont les distributions sont une surprise chaque jour ! Allez-y et vous aurez de belles surprises !

A Garnier, c’est la soirée Forsythe Brown qui occupent les lieux. Je n’y retournerai qu’au 31 décembre pour ma part.

A lire sur le ballet :
Le Monde, Les Ballets décapants de Forsythe/Brown, clic.
ResMusica, Le ballet de l’Opéra éblouissant dans Forsythe, clic.
Le Figaro, William Forsythe, « je travaille comme une compositeur », clic.
Financial Times, Forsythe/Brown programm, clic.
Les Echos, Fort de Forsythe, clic.

Et aussi  dans les suggestions de sorties :
Coppélia à Versailles, clic du 18 au 21 décembre.
Jusqu’à demain Octopus de Decouflé à Chaillet, clic et ma chronique, clic
Plan B d’Aurélien Bory au Théâtre du Rond-Point, clic

  • Les films de la semaine

Le concours de danse est sorti depuis la semaine dernière. Ce documentaire raconte l’histoire de jeunes danseurs qui passent le YAGP. J’avais apprécié le film même si je trouve qu’il réduit la danse à quelque chose qui me touche peu. Le film n’en est pas pour autant inintéressant et je vous conseille vivement de le voir, car il permet de saisir la volonté du danseur, de réussir à tout prix.
Ma chronique est à relire ici, clic.

Affiche le concours de danse

Un autre très joli film est à voir vite avant qu’il ne disparaisse des écrans : Anna Halprin, le souffle de la danse. Ce film revient sur le parcours de la danseuse et chorégraphe qui a fait ses premiers pas avec Isadora Duncan. Peu connue du public, elle est pourtant un des piliers de la danse contemporaine, au même titre que Graham, Cunningham ou Brown.
Voir la bande annonce, clic.
La critique des Inrocks, clic.
La critique du Monde, clic.

Anna Halprin, le souffle de la danse

Dernier film en lien avec la danse, c’est ce mercredi que sort le film de Valérie Donzelli, Main dans la main, qui a été tourné à l’Opéra Garnier. Voir la bande annonce clic.

  • En vrac

Isabelle Ciaravola a crée une ligne de vêtements de danse. Elle a fait des photos amateurs à Elephant Paname, en attendant des plus belles. Celles là nous donnent déjà envie. Personnellement je craque pour ce petit justaucorps aux bretelles cachées.

Au festival d’automne 2013 on aura la chance de voir Anna Teresa de Keersmaecker, Boris Charmatz, Trisha Brown…

Lundi dernier, Stéphane Lissner, futur directeur de l’Opéra de Paris était l’invité de France inter. A réécouter, clic.

  • La vidéo de la semaine

François Alu et Mathilde Froustey dans Don Quichotte !

Soirée Forsythe Brown

Si il y a une chose que j’aime dans la danse de William Forsythe, c’est sa capacité à dessiner des formes dans l’espace, avec un questionnement toujours passionnant sur le corps du danseur.  Ainsi devant ses ballets, tout un tableau se remplit de cercles, lignes et polygones en tout genre. Les traits sont plus ou moins épais, ils se tirent, se dessinent avec les différents matériaux que le corps peut offrir. Elastiques, fusain, ou la plume d’un stylo, la palette graphique de Forsythe semble sans limite.

Vincent Chaillet In The Midlle Somewhat was elevated William Forstyhe photo de Julien Benhamou

La musique de Thom Willem a les mêmes couleurs que la danse. Crée pour les pièces la plupart du temps, mais sans lien comme chez Cunnigham, l’univers sonore du compositeur anglais donne à voir des formes musicales diverses et toujours nouvelles. Eclairs, grincements, suspension métallique, un monde se construit qui prend une forme physique lui aussi dans l’espace. La danse et la musique fusionnent sur le corps des danseurs.

J’ai vu deux fois la même distribution lors de la générale et de la première. Les deux fois j’ai vécu les mêmes émotions face à cette soirée qui m’a enchantée.

In the middle est le « diamant brut » de Forsythe. Chef d’oeuvre crée en 1987 avec Guillem/Hilaire/Legris, il fait aussi partie du ballet Impressing the Czar. Il faut absolument oublier cela pour rentrer dans la version de 2012. C’est ce que souhaite le maître américain, c’est ce qu’il a demandé à ses interprètes. On recommence et on se réapproprie l’oeuvre, l’imitation n’étant jamais bonne. Attention les yeux, Aurélia Bellet est sublime dans cette pièce et il ne faut pas la manquer. Son pas de deux avec Vincent Chaillet est envoutant, elle est fascinante. Chaillet montre tous ses talents. Cette danse terriblement sensuelle met en valeur les corps des hommes, avec ces lignes très précises dans les jambes tandis que les dos se courbent. Le passage où Chaillet est en 4ème position fondu sur la jambe de derrière, le dos dans l’alignement, puis qui d’un coup se courbe est très euphorisant. Cela vous prend au ventre comme la musique qui se gonfle d’un son qui semble venir de loin. Les danseurs marchent comme des automates, ils encadrent la scène avant d’entrer et de sortir. Ce pièce faite d’un thème, l’excellence technique qui joue avec la gravité, se décline en solo, duo, trio, que les danseurs de l’Opéra exécutent avec un investissement rare, si bien qu’on a eu l’imrpession de ne voir qu’un éclair parfaitement dessiné dans le ciel. Magique !

Soirée Forsythe Brown copyright photo Anne Deniau

Au milieu des pièces de Forsythe, on a eu la bonne idée de remettre ce petit bijou d’O Zlozony O composite de Trisha Brown. Contraste complet. Fond de scène étoilé, bienvenue dans le rêve de Trisha Brown. La danse est comme en apesanteur, faite de courbe qui s’enchaînent et s’entrelacent sans heurs. La pièce a encore gagné en épaisseur et je l’apprécie encore plus qu’il y a trois ans. Ce poème polonais offre à vos oreilles un voyage dans le surnaturel. Chaque séquence de la pièce donne à voir des qualités de mouvements différentes et pourtant il y a une continuité dans le langage proposé.  Le tout dansé magnifiquement par Le Riche Dupont et Bélingard… Cela ne vous suffit-il pas pour partir dans la troisième dimension ?

Jérémie Bélingard dans O Zlozony O Composite de Trisha Brown Merci Agathe Poupeny pour cette belle photo !

 

Univers beaucoup plus solaire avec Woundworks 1 qui ne m’a pas trop emballée. Il y a un aspect frustrant qui fait qu’un a du mal à voir en même temps les deux couples et on a la sensation de rater quelque chose.  Quand votre regard se pose sur l’un, difficile d’aller vers l’autre. Il y a très peu de pauses dans le mouvement et on reste bloqué. Les deux soirs, je n’ai pas décroché mon regard du couple Le Riche /Ciaravola. Le dos de Nicolas Le Riche, les jambes d’Isabelle Ciaravola, cela suffirait presque devant une pièce qui vous laisse quelque peu sur votre faim.

Pas. /Parts de William Forsythe copyright photo Agathe Poupeney

La soirée se termine en beauté avec Pas. / Parts. Comme dans Woundworks 1, le décor se compose simplement de rideaux de mousseline sur lesquels on peut changer les éclairages et créer des ambiances différentes. Alors là tout m’a plu ! Le solo de Sabrina Mallem, le duo Bélingard/Abbagnato, le duo court mais intense et viril de Bélingard / Bézard (si vous êtes cardiaque, évitez….), le solo d’Aurélien Houette, toujours aussi bon dans tout ce qu’il touche, la légèreté puissante de Bertaud, les jambes de Gillot qui défie sans cesse les lois de la gravité et ce chachacha qui vous donne envie de vous lever de votre siège et de de danser !

NB : même au 5ème rang de parterre, il vaut mieux être côté jardin.

Distribution des 30 novembre et 3 décembre 2012

IN THE MIDDLE SOMEWHAT ELEVATED

Aurélia BelletAlice RenavandValentine ColasanteLaurène LévyEléonore Guérineau,Charlotte Ranson
Vincent ChailletMarc MoreauDaniel Stokes
O ZLOZONY O COMPOSITE
Aurélie Dupont
Nicolas Le RicheJérémie Bélingard
WOUNDWORKS 1
Agnès LetestuIsabelle Ciaravola
Nicolas Le RicheHervé Moreau
PAS./ PARTS.
Marie-Agnès GillotNolwenn DanielEleonora AbbagnatoSabrina MallemValentine ColasanteJuliette HilaireCaroline RobertCaroline Bance
Jérémie BélingardAudric BezardAurélien HouetteChristophe DuquenneSébastien BertaudCyril Mitilian

L’histoire de Manon Ciaravola/Ganio/Saiz/Daniel

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Troisième fois pour ce ballet avec une distribution que j’attendais avec impatience. Un de mes plus beaux souvenirs de cette année était Onéguine avec Isabelle Ciaravola et Mathieu Ganio, et c’est pourquoi j’avais hâte de les revoir dans une histoire encore plus tragique.

Isabelle Ciaravola est une Manon très naïve, inconsciente de sa beauté. Elle séduit et attire sans le vouloir tous les regards sur elle, public comme personnages. Ciaravola a la capacité de capter l’audience sur scène et dans la salle. Moi qui avait peur de me lasser du ballet et de trouver le temps long, elle m’a fait oublier les moments plus mous, car elle ne perd jamais de vue son rôle. Elle vous tient, car on sent que la Manon qu’elle propose n’est pas un personnage si simple, à la double facette amoureuse/vénale. En face d’elle, Des Grieux. Mathieu Ganio incarne à merveille ce jeune garçon fougueux, qui va déployer son amour à mesure d’une variation de profil. On a l’impression de regarder un moment très intime, où Manon découvre tous les traits de ce jeune soldat. Elle le dévisage avec une certaine admiration, on sent le personnage impressionné et honoré devant une telle déclaration.

La scène de la chambre reste – avec le dernier pas de deux – mon passage préféré.
Ciaravola et Ganio savent mettre toute la passion d’un premier amour dans ce pas de deux. Chaque pas est une découverte de l’autre, chaque toucher est un frisson. La légèreté de Manon qui s’envole dans les bras de Des Grieux est un moment de grâce dont on ne peut se lasser.

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Le deuxième acte confirme l’importance du personnage de Lescaut incarné ce soir avec brio par Yann Saiz. Il incarne un frère protecteur mais habité par l’argent et le jeu. L’homme à la morale légère multiplie les oeillades aux jeunes femmes qui l’entourent, tout en se rangeant dans les bras de sa maîtresse, dansée ce soir par la charmante Nolween Daniel. La variation de l’ivresse montre un Yann Saiz solide techniquement et surtout, très drôle. La salle rit beaucoup, il joue à la fois des regards complices au public sans oublier les courtisanes sur la scène.

Ciaravola domine la scène dans la variation de Manon. Elle s’impose en femme maîtresse de son destin, mais hélas c’est dans le non-choix et la fourberie qu’elle se perd. Ciaravola hésite et change sa façon de danser suivant le partenaire qu’elle regarde. Son style est à la fois très graphique, grâce à ces jambes – ahh ces jambes ! – et souple, avec une aisance, presque indécente.

De retour dans la chambre de Des Grieux, Manon est très troublée, Ciaravola montre déjà des aspects de la déchéance de Manon. Si son côté vénale perdure en voulant emporter les diamants, elle ne comprend pas tout de suite la situation délicate et d’urgence dans laquelle elle se trouve. La tragédie qui commence par la mort de son frère en est d’autant plus fort que le décalage est grand. Je suis suspendu aux regards de ce couple qui commence sa descente aux enfers.

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Au troisième acte, je passe sur les deux premières scènes que j’apprécie de moins en moins et qui semblent durer une éternité, pour arriver au dernier pas de deux, qui fut de toute beauté. Ciaravola pratique un relâchement tel, c’est avec une confiance sans égale qu’elle laisse Mathieu Ganio mener la danse. il tente dans un dernier instant de la faire danser, pour la faire vivre. La flamme de leur amour brûle d’une façon encore plus intense, même si la fin est inévitable. De nouveau, très émue de redécouvrir une fois encore cette histoire, peut être encore plus car j’ai fait découvrir ce ballet à M***, qui a partagé mon émotion.

Très belle soirée, pause à présent avant la matinée des adieux de Clairemarie Osta le 13 février.

  • Distribution du 26 avril 2012, 19h30
Manon Isabelle Ciaravola
DesGrieux Mathieu Ganio
Lescaut Yann Saïz
La Maîtresse de Lescaut Nolwenn Daniel
Monsieur de G. M. Eric Monin
Madame Amélie Lamoureux

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Danse-Opéra, Une saison à l’Opéra, Danses avec la plume

 

Onéguine avec la splendide Isabelle Ciaravola

Onéguine © Michel Lidvac

© Michel Lidvac

Je savais que j’avais bien fait de revoir cette distribution. J’ai passé une soirée magnifique. J’espérais avoir un pass et être au plus près de la scène, mais j’ai du me contenter d’un fond de loge. Mal placée au premier acte je n’ai pas vu grand chose. J’ai aperçu avec peine Muriel Zusperreguy et Florian Magnenet. Je ne saurai vous dire comment a été leur pas de deux. J’ai mieux vu le corps de ballet qui se répartit des deux côtés de la scène. Conseil, si il faut oublier la loge 5, vous pouvez aussi oublier la 7 ! J’ai fait de sacrées acrobaties pour voir la scène du rêve.

Ciaravola porte une fois de plus le ballet. Elle est lumineuse, elle vole dans les bras d’un Mathieu Ganio, qui me convainc de plus en plus. Il devient dans cette scène un amoureux transi, il devient cette image dont Tatiana rêve tant. Il la fait voler, leur couple est en parfaite harmonie. Les jambes d’Isabelle Ciaravola s’élancent, glissent. Même avec les trois quart de scène, c’est un pur bonheur. C’est une vraie héroïne romantique, éprise d’un homme mystérieux.

Onéguine © Michel Lidvac

© Michel Lidvac

Pas question de rester là, je rejoins Pink Lady en loge de face. Place au deuxième acte, dans lequel Mathieu Ganio sait être cet Onéguine cynique et insupportable. Il a le
sourire de tout homme indélicat face à une jeune femme fragile. Ciaravola a le talent d’interpréter ces personnages de femmes, comme Tatiana ou Marguerite Gauthier. Pleine d’humanité, elle se plonge dans la psychologie de cette jeune femme, qui vient de subir l’affront du charmant poète. Alors qu’elle ne cherche que son regard, Onéguine est froid, dans tout son corps, dans toute son âme. Ciaravola montre l’hésitation à aller vers lui jusqu’aux bouts des pointes. Florian Magnenet ne fait pas trop le poids face à un Onéguine si puissant. Il est tout le temps sur le même registre et on ne croit pas à son énervement quand Onéguine séduit Olga, dansée par une Muriel Zusperreguy très en forme et à qui le rôle d’Olga va très bien.

Magnenet ne me convainc pas dans la variation de Lenski, cela manque de maturité. Il a trop l’attitude d’un prince, d’un héros, pas d’un homme qui va mourir, qui est blessé car l’orgueil de son ami est parvenu à détruire leurs liens. Si techniquement, il n’y a pas grand chose à dire, je n’adhère pas du tout au personnage qu’il présente.

Onéguine © Michel Lidvac

© Michel Lidvac

Isabelle Ciaravola est à l’apothéose de son art au troisième acte. Radieuse avec Christophe Duquenne en Prince Grémine, sa fragilité resurgit dès l’instant où elle voit son amour d’autrefois. En une demi seconde, les sentiments reprennent le dessus, l’assurance qu’elle avait en dansant avec son mari disparaît. La nouveauté est la faiblesse qui trouble Onéguine et je dois dire que Mathieu Ganio est remarquable. Il est animé par ce « spleen noir  » dont parle Pouchkine. Dans son rêve, il est hanté par toutes ces robes. Ganio parvient à traduire ce sentiment nouveau, par une danse qui puise beaucoup d’énergie dans le sol.

Quand il arrive chez Tatiana, il brûle d’amour pour elle. Pas un regard dans ses yeux, elle garde sa colère en elle, se ferme. Il n’y a que lui qui prend ses mains, qui l’enlace. Il tombe à ses pieds, avec le désespoir d’un mourant. Si son amour est toujours intacte, la blessure ancienne également et c’est cela qu’Isabelle Ciaravola donne à voir. Toute l’histoire de Tatiana est dans cette scène. C’est très beau, de quoi vous faire pleurer.

Onéguine est définitivement mon coup de coeur de l’année avec Artifact.

  • Distribution du 30 décembre 2011
Eugene Oneguine Mathieu Ganio
Lenski Florian Magnenet
Tatjana Isabelle Ciaravola
Olga Muriel Zusperreguy
Prince Gremine Christophe Duquenne

 

 

Piotr Ilyitch Tchaikovski Musique
Kurt-Heinz Stolze Arrangements et orchestration
John Cranko Chorégraphie et mise en scène
Jürgen Rose Décors et costumes
Steen Bjarke Lumières