Florian Magnenet

Gala Noureev à l’Opéra de Paris

Un gala  Noureev était sans doute la façon la plus simple de lui rendre hommage même si la chose n’était facile. Peu des danseurs présents sur scène ont travaillé avec Noureev, ni même connu le grand maître. La transmission par la génération Hilaire Legris est certes efficace, mais on entend souvent dire, que depuis qu’il n’est plus là, les ballets ne sont plus aussi bien dansés ou dansés différemment. Je suis de celle qui pense que la danse évolue, que les techniques changent et que les ballets se transforment, que les interprètes se les approprient et que la danse n’est pas un art figé dans le temps.

Saluts Gala Noureev

Difficile cependant de rendre hommage à Noureev. Quoi de mieux que de montrer ses chorégraphies. On a donc vu les pas de deux des grands ballets classiques qu’il a remontés pour l’Opéra de Paris. On regrettera le peu de variations masculines, les garçons étaient un peu délaissés dans les choix faits pour ce gala, ce qui est dommage, dans un programme où l’on rend hommage à un danseur comme l’était Noureev. On comprendra aisément le choix du troisième acte de la Bayadère, mais pourquoi ne pas l’avoir dansé en entier ? De même pour Don Quichotte, on aurait pu se fendre d’un acte entier, ce n’est pas comme si les danseurs ne l’avaient pas les jambes.

Nicolas Le Riche et Laëtitia Pujol dans Roméo et Juliette

La soirée a commencé par un hommage en photos, pendant que l’orchestre jouait l’ouverture du Lac des cygnes. Du gala, on retiendra surtout le très joli duo Nicolas Le Riche et Laëtitia Pujol dans Roméo et Juliette. Elle m’avait déjà bouleversée il y a 3 ans(relire ma chronique, clic). C’est une pure technicienne, qui ne laisse rien au hasard. Les talons sont toujours bien posés, l’en dehors est exemplaire, le déroulement des pieds pour monter et descendre de pointe est élégant. Ce qui est remarquable ce sont ses qualités de comédienne. Elle se transforme en une charmante Juliette de 14 ans, adorable et follement amoureuse. Elle joue à merveille l’émoi du premier baiser. Il faut dire qu’elle a avec elle un partenaire à sa hauteur. Le Riche est toujours surprenant, même en le savant à l’avance. Comme pour elle, un joli travail technique, avec une série de saut en l’air très réussis. C’est surtout son visage qui a accroché le spectateur et cette sensation de rajeunissement. Son air de jeune minot, son sourire angélique, un vrai gamin dansait sur scène hier soir, avec beaucoup de pureté. C’est le seul moment de la soirée où l’on a réussi à se plonger dans l’esprit du ballet. Les applaudissements s’en sont ressentis et les bravos ont été nombreux.

Mathias Heymann dans Manfred 2

L’autre moment fort de la soirée fut le solo de Mathias Heymann. Il dansait Manfred, ballet moins connu que les grands classiques, donné la dernière fois en 1986, qui est inspiré d’une pièce de Lord Byron. Le jeune homme faisait son retour sur scène, après une très longue blessure (relire l’article d’Ariane Bavelier, clic). Danse pleine d’émotions avec beaucoup d’investissement, le public a acclamé le jeune homme qui en était ému aux larmes. Il était grand temps qu’il revienne !

Bayadère acte des ombres

J’ai apprécié de voir danser les petits rats dans Casse-Noisette, qui étaient tous à la hauteur et peuvent faire la fierté de leur directrice. Les équilibres d’Aurélie Dupont dans l’adage à la rose ont aussi beaucoup plu au public, même si je l’ai trouvée un peu effacée. Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio étaient très bien, mais sans décor, Garnier parait bien vide. Il manquait un soupçon de piquant dans tout cela. Marie-Agnès Gillot a fait une belle Cendrillon, avec beaucoup de charisme, comme à son habitude.
Dans son discours « post-spectacle », Brigitte Lefèvre a dit que Noureev détestait les hommages, en le citant « Hommage, fromage, dommage ». J’ai trouvé pour ma part que la soirée manquait de grandiose et de magie et cela, oui c’était dommage.

Mille mercis à JMC pour la place.

Casse-Noisette avec Myriam Ould-Braham et Christophe Duquenne et les élèves de l’école de danse.
La Belle au bois dormant (Adage à la rose) avec Aurélie Dupont avec Vincent Chaillet, Stéphane Phavorin, Yann Saïz et Audric Bézard.
Cendrillon avec Marie-Agnès Gillot et Florian Magnenet
Don Quichotte (Fandango) Eve Grinsztajn et Vincent Chaillet et le corps de ballet
Don Quichotte avec Ludmila Pagliero et Karl Paquette
Raymonda (Variation de la claque) avec Isabelle Ciaravola
Le Lac des cygnes (Cygne blanc) avec Emilie Cozette et Hervé Moreau, voir la vidéo, clic
Le Lac des cygnes ( Cygne noir) avec Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio et Benjamin Pech, voir la vidéo, clic
Le pas de deux de Roméo et Juliette  avec Lætitia Pujol et Nicolas Le Riche voir la vidéo, clic
Manfred  avec Mathias Heymann voir la vidéo, clic
La Bayadère (les Ombres) Agnès Letestu et Stéphane Bullion et le corps de ballet, voir la vidéo, clic

Rain, rain, rain !!

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© JMC

Lundi, après avoir été assistée brièvement à la présentation de la saison 2011-2012 au Théâtre de la Ville, dont je vous ferai un compte rendu dans la semaine, j’ai filé à l’Opéra Garnier pour assister à la pré-générale de Rain. Tout comme celle de  Roméo et Juliette, l’entrée des artistes est envahie par des groupes de scolaires.

J’attendais beaucoup de ce ballet, les danseurs avaient tous l’air très excités à l’idée de danser cette œuvre et d’y prendre beaucoup de plaisir. C’est la première grande œuvre que la chorégraphe belge donne à une autre compagnie que la sienne. Et quelle œuvre ! Moi qui adore la danse contemporaine, j’ai été servie. C’est exactement ce qui me donne envie de danser et qui me plaît.

La scène est entourée par un cercle de cordes. Quelques chaises transparentes au fond, et un sol sur lequel son tracés des lignes continues de couleurs ou des pointillés. Ce sol sert aux danseurs à évoluer dans l’espace, car les constructions d’Anne Teresa de Keersmaeker sont complexes. 7 filles, trois garçons. Les costumes sont très beaux et me plaisent beaucoup. Des dégradés du chair au rose de la jupe de Fumyo sont comme la palette de couleurs qu’il peut y avoir dans le ciel un jour de pluie. La pluie d’ATDK n’est pas triste, c’est plutôt une ode à la joie, un parcours ensoleillée sous de la pluie chaude. Les cordes qui encerclent l’espace sont plutôt rassurantes. J’ai aussi envie qu’elles s’animent, que les danseurs passent leurs bras ou leurs jambes dedans. Il faudra attendre un peu pour que l’orage se déclenche.

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© JMC

La chorégraphie est douce pour le regard. Les formes sont fluides, il y a beaucoup de balancés dans les bras, dans les jambes ou le corps tout entier. Les danseurs prennent leurs marques les uns par rapport aux autres. Ils courent, s’arrêtent. D’un coup, une force, comme un fil au milieu des omoplates vient les chercher et les fait reculer. Dans les formes de leurs bras, on imagine souvent qu’ils portent des objets imaginaires. Un joli ballon, une bulle de savon, un triangle. Tout un imaginaire se construit dans ce début de la pièce. Il y a des tensions avec le sol, il se passe quelque chose que l’on repousse pour se donner un nouveau élan ou bien qu’on enfonce pour se figer dans une attitude.

La lumière se modifie au fil du ballet, tout comme les costumes de certains personnages. D’un rose pâle on passe au fushia dans l’air, comme sur le sol. Il y a une fluidité dans les matières, dans la lumière. Tous les changements sont doux, comme une mousse ou une pluie d’été. Les xylophones, métallo-phones, piano et autres percussions forment un nuancier de sons et de gouttes de pluie. C’est un vrai spectacle que de regarder ces musiciens jouer. C’est une oeuvre complète, car le choix de cette musique est très pertinent. La musique comme la danse envahit tout les sens, la vue et l’ouïe ne peuvent se détourner de ce qui se passe sur scène. Il y a d’ailleurs aussi des changements de lumières pour la fosse d’orchestre pour que les musiciens soient parfaitement
intégrés à cette envolée. Ils sont debout, se déplacent, c’est une partition très vivante. La musique, les courses, les mouvements qui se décalquent et se transforment à l’infini, les tissus qui semblent flotter sur les corps, tout cet ensemble harmonieux forme une image démultipliée de la pluie.

Beaucoup de rebonds se mettent en place. Au début de la pièce, les pieds semblaient se plonger dans se sol, et maintenant, cela rebondit plus. Les résonances se font plus fréquentes. Le rythme de la chorégraphie s’accélère. Et toujours des courses circulaires qui viennent comme briser un cycle d’espaces géométriques plus complexes. Les échos se font dans le corps, on voit souvent des parallèles entre les bras et les jambes, mais aussi entre les danseurs entre eux. Les danseurs sont d’ailleurs très investis dans cette pièce. L’effort n’est pas visible. Ici, pas d’histoire, et pourtant les personnages ont des prénoms. Ils n’ont pas que des prénoms. Des personnalités apparaissent clairement. Ce que je ne sais pas c’est si ils viennent avec leur propre personnalité ou si un jeu leur est imposé. Ce qui est sûr, c’est que si c’est la deuxième option, Brigitte Lefèvre a fait un remarquable travail de sélection. Je retrouve les danseurs que j’aime, que l’on peut que
trop rarement apercevoir dans les grands ballets classiques. Sarah Kora Dayanova éblouit la scène, Charlotte Ranson redouble de beauté, Amandine Albisson domine sa danse à la perfection. Les sept filles s’accordent bien tout en laissant une place à chacune. Elles sont sept caractères, sept personnalités à part qui dansent ensemble, qui se regroupent dans quelques pas pour se séparer ensuite dans des solos qui se sont nourris des autres. Les regards sont complices, les sourires sont plus ou moins évocateurs d’un certain bonheur. Les tensions et les relâchés qui sont présents dans toute la chorégraphie traduisent ces regroupements qui sont des moments de tensions, d’énergies mises en commun, tandis que les solos, les trajectoires solitaires vont être ces relâchés. Chaque danseur apporte sa danse, sans jamais dénaturer la chorégraphie.

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© Julien Benhamou

Tout n’est pas sans cesse en mouvement dans Rain. Il y a des pauses, des respirations, des parenthèses. Les garçons s’assoient sur les chaises et attendent que l’espace se libère pour danser. Je n’ai pas parlé plus haut des danseurs hommes. Si j’ai souvent vu Adrien Couvez dans des ballets contemporains, ce n’est pas le cas pour les deux autres. Marc Moreau montre une belle technique et un relâché du dos que je ne lui connaissais pas. Quant à Florian Magnenet, cette danse lui va bien mieux que les rôles de prince à mèche (clin d’oeil à Fab’) dans lesquels on veut l’enfermer. Là, sa danse respire, vit.

Des pauses dans le mouvement, on passe au ralenti, à la répétition. Ces effets sont très visuels, très cinématographiques presque. Les cordes qui encerclent l’espace donne l’impression d’un enclos, d’un refuge apaisant.

Des liens se tissent entre les personnages. Ils se touchent plus qu’au début, dansent parfois ensemble ou marchent dans la même direction. Ils s’entrechoquent, les rapports en deviennent violents. Des têtes viennent de cogner, ou s’enfoncer dans des ventres. Je ne peux m’empêcher à ce moment de penser à Café Müller de Pina Bausch où les corps s’attirent et s’aimantent parfois violemment. Cette violence des corps qui chutent, qui se rencontrent va de paire avec les variations de rythme dans la chorégraphie. On oppose un groupe à une duo ou un solo, dans l’espace mais aussi dans l’énergie des gestes.

Le groupe se retrouve dans une vague qui défile. Ce passage tranche encore avec le reste et permet de relancer les danseurs dans une nouvelle énergie. La couleur sable envahit l’espace. Les pas deviennent très sensuels. Tout se colore de la chaleur de cette ambiance. Cette sensualité des corps va être suivie d’un instant givrée, où tout devient bleuté, où les corps se reflètent sur les cordes qui forment  présent un mur de glace.

Un lumière circulaire éblouit la scène et la salle. Réveil d’un rêve éveillé, la musique cesse. Les danseurs effectuent quelques pas, comme des réminiscences de ce qu’ils viennent de danser. Ils sortent en courant derrière les cordes. La dernière a le privilège de laisser traîner ses mains dans ces fils de pluie.

Je suis restée bouche bée devant ce spectacle, tant par la chorégraphie, la scénographie que par la musique. C’est un superbe cadeau qu’a fait Anne Teresa de Keersmaeker à l’Opéra de Paris. Les danseurs lui rendent bien. Il faut à tout prix que je revois cette pièce qui m’a happée de bout en bout. Il n’y a pas de mots suffisamment intenses pour en décrire la beauté.

Rain sur le site de l’Opéra de Paris..

 Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.

Steve Reich Musique
Music For 18 Musicians
Anne Teresa De Keersmaeker Chorégraphie
Jan Versweyveld Décor et lumières
Dries Van Noten Costumes

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© JMC

  • Distribution du 23 mai 2011
MARTHA Juliette Hilaire
FUMYO Sarah Kora Dayanova
URSULA Laurence Laffon
ROSALBA Christelle Granier
ALIX Charlotte Ranson
TAKA Amandine Albisson
CYNTHIA Caroline Robert
IGOR Florian Magnenet
CLINTON Adrien Couvez
JAKUB Marc Moreau

 

  • Bonus vidéo : la musique de Steeve Reich