Festival d’Automne

Rentrée 2015

Voilà, il y a une semaine c’était la rentrée. Qui dit rentrée dit reprise des hostilités, mais aussi de la saison théâtrale et dansante. Ce qui me met en joie. J’ai essayé aussi de mettre en action mes résolutions : faire du yoga, reprendre la danse, se lancer dans de nouveaux projets, et aussi, écrire plus régulièrement.

Pointes chez Bloch !

Nouvelle boutique Bloch Paris photo @BlochParis

L’an dernier, faute de temps, j’ai quelque peu délaissé mon blog. J’y écrivais de temps à autre, mais cela prend tellement de temps parfois. Quand on est fatigué, les phrases ne viennent pas, on a toujours l’impression d’écrire la même chose. J’ai vu des spectacles que j’ai adorés, d’autres que j’ai détestés, sans vous en faire mention. L’écriture m’a vite manqué. C’est un exercice qui oblige à une certaine rigueur, qui oblige aussi à se poser, à ne pas avoir l’esprit qui divague. Cet été, j’ai rempli 6 carnets (oui oui j’écris toujours à la main). J’ai eu besoin de raconter l’aventure que j’ai vécue l’année dernière. Pour le moment, ce sont des bribes, des souvenirs, mais c’est là et un jour je voudrais le mettre en forme. Peut-être le partager ici.

L’an dernier, j’ai été assistante chorégraphe de Bruno Bouché. Il avait vu mon travail et il a fait le choix de travailler avec moi. J’ai vécu une expérience folle, complètement enivrante. Ce fut une aventure artistique géniale, aussi géniale que l’aventure humaine. Nous avons vécu des moments très forts, entourés de cette bande de gamins.

J’ai aussi travaillé sur le dernier film de Christophe Honoré et ce fut une autre aventure ! D’abord parce que je n’avais jamais mis les pieds sur un tournage et ensuite, parce que j’aime beaucoup le travail de ce réalisateur. J’ai fait danser 4 petites têtes blondes sous la pluie et je suis très excitée de voir bientôt le résultat. Affaire à suivre en 2016…

Cette année, c’est reprise de la danse et écriture plus fréquente sur mon blog !  Mais avant, quelques pensées à propos de la saison dernière.

J’ai adoré : voir trois Pina dans la même saison, rencontrer Russell Maliphant et voir sa soirée au TCE, les ballet party, la nouvelle boutique Bloch (je vous en parle dès cette semaine!), le groupe Grenade de Josette Baiz, la CND de José Martinez au TCE, lire les remarques des balletomanes sur Twitter, le Lac toujours le Lac encore le Lac, la soirée Kylian au TCE, commencer à apprendre le tango, Casse-Noisette toujours aussi magique, aller jusqu’à Copenhague pour voir Paquita, aller jusqu’au Japon pour voir Hervé Moreau (bon d’accord je n’y suis pas allée pour ça), les adieux de Brigitte Lefèvre, Angelica Liddell déjanté à l’Odéon, Yoann Bourgeois à Montmartre dans Paris Quartier d’été, les étés de la danse toujours aussi agréable, les débats enflammés autour des futures intentions de Benji Millepied, Jone San Martin expliquant Forsythe, et aussi tout le programme Forsythe au Festival d’Automne.

Je n’ai pas aimé : être trop fatiguée et rater près de 10 spectacles de mes abonnements, voir Pietragalla en comédienne, le Eifman Ballet au TCE, les adieux d’Aurélie Dupont, le Lied Ballet de Thomas Lebrun une impression de « déjà-vu », la dernière création d’Anne Teresa de Keersmaeker, ne pas pouvoir aller à Avignon.

Voilà, vous savez tout ou presque ! Pour mon programme à venir ce mois-ci, il y aura la soirée mixte Robbins/Balanchine/Millepied, le Pirandello mis en scène par Braunschweig à la Colline, Robert Lepage au Théâtre de la Ville.

Jone San Martin, Legitimo/Rezo, au 104

Présenté deux fois dans deux lieux différents, Legitimo/Rezo est une pièce qui mêle conférence dansée et mini-spectacle. Dans le cadre du Festival d’Automne, ce programme était un décryptage à la fois drôle et passionnant du travail de Forsythe. Vu au 104 le 3 octobre retour sur un de mes coups de coeur de ce début de saison.

Jone San Martin

La scène est recouverte de tapis, on se croirait dans l’appartement de Noureev. A jardin, un gros fauteuil dans lequel est assise Jone San Martin avec une tenue quelque peu loufoque. Quand le spectacle commence, elle se dévêtit et reste en simple jogging/débardeur/baskets. Elle commence à nous parler de la danse de Forsythe à travers la notation. Elle avait été invitée par Sonia Schoonejans lors d’une conférence au Théâtre de la Ville sur la notation en danse. De nombreux représentants du monde de la danse étaient là, avec de nombreux papiers, vidéos, et autres partitions. Jone San Martin revendique le corps comme partition, comme espace de notation. Elle le revendique parc que c’est comme cela qu’elle a appris à mémoriser avec Forsythe. Pour le chorégraphe, la danse « c’est de la littérature physique ». La notation fige le mouvement ; or, pour être transmis il doit pouvoir être libre, pour laisser une place à l’échec. Forsythe aime les échecs qui donnent d’autres idées de mouvements.

Le point de vue du danseur

Forsythe donne une idée, que le danseur interprète ce qui modifie l’idée initiale de Forsythe. L’aller retour est permanent jusqu’à trouver le mouvement juste. En 1986, les danseurs créent et apprennent la phrase die Befragung des Robert Scott. Jone San Martin nous en montre le début. Puis, elle nous la décrit avec les formes géométriques qu’elle fait dans l’espace. Par exemple, le premier mouvement, l’ouverture des bras, elle fait trois cercles ; mais elle crée aussi des lignes à l’intérieur du corps. Elle nous montre comment on peut faire la même phrase sans les bras ou même juste en pensant aux formes géométriques et aux intentions. Ensuite, elle danse une phrase au sol et la fais de 4 manières différentes, dont une en « Uing » (faire des U avec le corps). La phrase se réorganise pour trouver une mélodie dans les mouvements.

Ainsi, avec toutes ses phrases types que connaissent les danseurs, Forsythe a constitué tout un répertoire. Avec cet alphabet, Forsythe crée un espace de liberté pour le jeu et la spontanéité. D’ailleurs, Jone San Martin nous fait danser une courte phrase de bras pour que nous comprenions le sens de cela. Le public se prête au jeu, et nous nous amusons bien.

La qualité du mouvement

Dans The Lost of small detail, Forsythe a demandé à ses danseurs d’imaginer que le corps devient faible. Ainsi, par ce type de jeu, la qualité change, on n’est pas forcément dans l’exécution de quelque chose qui est beau, mais dans la recherche d’une qualité qui donnera un tout autre mouvement. De la même manière, après avoir appris une phrase à deux, Forsythe leur a demandé de faire les phrases seuls, avec un corps fantôme, sans perdre les appuis et la qualité des gestes. Voir Jone San Martin faire et refaire les mouvements, tout en expliquant quand elle touche son fantôme, quand elle l’enlace donne vraiment une autre compréhension de l’écriture de Forsythe. Cette écriture si graphique si précise, avec des énergies toujours subtiles, prend tout son sens avec les sous titres de la danseuse.

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Le timing d’une phrase

Pour comprendre sur quelle temporalité doit se faire une phrase et à quel rythme, elle fait appel à un partenaire Josh Jonhson. A deux, ils nous redansent la phrase de Robert Scott, mais Jone suit le rythme de Josh, elle se cale sur lui. Certains mouvements sont ainsi accélérés de son côté, stoppés parfois. Puis, les danseurs nous demandent de faire des bruits d’oiseaux pour qu’ils puissent danser dessus et se caler sur nos sons. Les sons s’intensifient, s’arrêtent parfois, les danseurs suivent le rythme improvisé et imposé par le public. Jone San Martin nous explique aussi que certains rythmes ont beaucoup changé en fonction des gens qui dansent. Quand certains partent, ils emmènent quelque chose avec eux.

Le travail des pieds

Forsythe a voulu travailler une autre façon de poser le pied au sol. Les danseurs ont mis des baskets. Forsythe leur a demandé d’imaginer des territoires au sol, des îles. Il fallait faire le tour de l’île de la manière la plus fine, et ainsi, les danseurs ont utilisé l’extérieur de leurs pieds. Ils ont inventé de nouvelles façons de se déplacer sur la scène qui devenait une carte géante des territoires imaginaires de chacun. Le corps est plus resserré, plus près du sol. Les déplacements sont plus fragiles car ils reposent sur des appuis moins solides que ceux de la plante du pied.

La question

Jone San Martin propose que quelqu’un du public pose une question. « Que pensez-vous des tous ces facs-similés de Forsythe que l’on va voir au Festival d’Automne cette année? Quand on voit comment la danse de Forsythe est pensée en vous regardant… ». J’ai trouvé la réponse de Jone San Martin si juste et elle répond aussi à tout ce qu’on peut parfois entendre sur certains spectacles ou productions. « Il ne faut pas laisser tomber. Il faut transmettre. Et il faut aussi être compréhensif. Quand on donne une pièce à une autre compagnie, généralement, on a 5-6 semaines et dans ce temps là, on voit les danseurs que quelques heures par jour. Alors, ils faut apprendre à les regarder avec cela, avec ce regard-là moins que comme une compagnie qui danse toujours avec le même chorégraphe. Peut être que dans le lot, un danseur aura mieux compris que les autres et tant mieux. Et puis, franchement, ce ne serait pas juste si en 5 semaines ils apprenaient ce qu’on a mis 20 ans à apprendre. ».

La danse

Après un changement de décor, le plateau est nu et Jone San Martin entre avec une moustache en guise de déguisement. Elle danse, le style actuel de Forsythe. Elle parle, on entend des bribes de mots, des accents, sa voix est modifiée pour faire différents personnages. Dans Study #3 vu il y a quelques années, je n’avais pas compris ce que Forsythe voulait nous signifier, mais maintenant après l’heure passée avec Jone San Martin, je comprends mieux ces mouvements. Je regarde tout cette grande variation avec plaisir, imaginant les corps fantômes, les trios formés avec un seul corps, les conversations entre différents personnages. Tout un imaginaire se déploie devant moi que je n’avais pas été capable de voir auparavant. Forsythe c’est vraiment fascinant.

 

Dance de Lucinda Childs

Du 17 au 25 octobre, le Théâtre de la Ville présente Dance (1979) de Lucinda Childs, dans le cadre du Festival d’Automne. Cette artiste américaine fait partie du courant minimaliste et a collaboré sur ce triptyque avec l’artiste Sol LeWitt qui a réalisé les films qui se superposent à la danse. Sur la musique de Philipp Glass, on se laisse emmener dans un voyage hypnotique. Avec Ty Boomershine, Katie Dorn, Kate Fisher, Sarah Hillmon, Anne Lewis, Sharon Milanese, Matt Pardo, Patrick John O’ Neill, Lonnie Poupard Jr., Stuart Singer,  Caitlin Scranton, Shakirah Stewart en alternance John Sorensen-Joliink. Retour sur la soirée du 17 octobre.

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Le programme annonce trois pièces mais on peut suivre la soirée comme une seule grande chorégraphie qui gagne en intensité à mesure que la soirée avance. La musique de Philip Glass démarre, et comme la répétition des notes les danseurs sortent des coulisses et traversent l’espace de manière rectiligne. Les bras passent, avec une étonnante régularité, de la première à la seconde, fluides et si puissants qu’ils portent tout le reste du corps. Les costumes, très sobres, permettent de mettre en valeur les lignes corps et les trajectoires. Peu à peu, une grille se dessine, la géométrie de la chorégraphie se laisse entrevoir et on entre dans le vertige de cette danse.

Les images d’un film viennent se superposer et la scène prend une autre dimension. Les danseurs sont multipliés. De toutes les tailles, la vidéo reflètent en relief les danseurs sur la scène. Le film, la musique et la chorégraphie sont à l’unisson. Ils semblent avoir été créées les uns pour les autres. D’ailleurs, Lucinda Childs ne revendique pas comme chez Cunningham, une danse qui serait superposée à la musique, mais au contraire, la musique et la danse sont « un flux continu », qui ensemble, avec le film, fonctionnent ensemble. Les mouvements en engendrent d’autres, qui tombent en parfaite harmonie sur les notes de Glass et qui viennent se répéter dans vidéo sur différents plans. En haut de la scène, en bas à jardin, sur tout l’espace, en biais, ; le travail vidéo est assez remarquable. On regrettera cependant de regarder peut être plus le film parfois, notamment dans Dance II, où la danseuse sur la vidéo – qui n’est autre que Lucinda Childs elle-même – n’est sans comparaison avec celle sur scène.

À la fin, on en ressort assez ébloui, on ne sait trop comment le temps s’est étiré, sans doute, l’effet Philip Glass. La danse, humble dans son écriture, prend toute sa force dans la répétition de la structure chorégraphique, traversées et cercles, qui semblent revenir infiniment. De quoi rêver un bon moment…

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Un métier idéal, Nicolas Bouchaud

Un métier idéal est une pièce de théâtre à l’affiche du Théâtre du Rond Point du 21 novembre au 4 janvier. Seul sur scène Nicolas Bouchaud raconte la vie de John Sassall, un médecin de campagne dont la vie fut narrée dans l’ouvrage de John Berger et John Mohr. Mis en scène par Eric Didry, Nicolas Bouchaud livre une performance émouvante, drôle et pleine d’humanité. Retour sur la performance du 13 décembre.

Sur la scène, un décor en toile de fond. Une colline, la forêt, du brouillard. Nicolas Bouchaud entre. Look de médecin ; pantalon en velours, chaussures Camper, chemise sobre. Un petit carnet à la main il fait l’appel des spectateurs. Le public se prête au jeu. L’intimité de la salle ressemblerait presque à une salle d’attente. Il commence par décrire un cas auquel s’est confronté le médecin Sassal : un bûcheron coincé sous un arbre au fond de la forêt. La description du décor nous plonge dans cette atmosphère de campagne, on aurait presque froid en écoutant la description de ce brouillard. On suit l’avancement du médecin dans ses soins, comme un bon polar où l’enquête avance à grand pas.

Nicolas Bouchaud

Nicolas Bouchaud a une diction remarquable où chaque mot sonne et résonne (raisonne) dans notre esprit. Le regard qui ne lâche jamais un spectateur, la pièce est une grande démonstration de théâtre. On est happé par ce regard qui nous fait nous interroger sur ce métier de médecin. Tout y passe ; la relation aux médicaments (le seul vrai est finalement le médecin lui-même), la relation d’intimité avec son médecin, la polyvalence du médecin, les instruments du médecin, la conscience professionnelle du médecin, ses négligences aussi. Ce qui apparaît c’est tout d’abord l’humanité de ce personnage, ce qui le motive, ce qui le fait courir dans sa campagne.

Ce qui transparaît aussi dans la pièce c’est le parallèle entre les relations patient/médecin, spectateur/acteur. Nicolas fait comme Sassall ; il crée les conditions pour entrer en contact avec nous. La catharsis opère et on ressort de la pièce avec cette même impression que quand on sort du médecin après qu’il nous a annoncé le nom de notre maladie et rempli une ordonnance de médicaments aux noms plus farfelus et inquiétants les uns que les autres. On se sent bien et presque déjà plus malade. Nicolas Bouchaud use de tout son talent pour cela ; tours de magie, musique, chorégraphie scénique, humour, émotion en parlant de la relation à l’enfance. Un très beau spectacle à voir sans modération et sans ordonnance !