Eve Grinsztajn

Danseurs chorégraphes édition 2013

Ce type de soirée devrait être organisée bien plus souvent tant les personnalités des artistes de la compagnie sont intéressantes et singulières. Chacun a montré un langage bien particulier, une atmosphère, un style. Narratifs ou abstraits, les pièces présentées ont ravi les spectateurs.

Saluts danseurs chorégraphes

La soirée s’ouvrait avec Premier Cauchemar de Samuel Murez. Chorégraphe désormais confirmé et reconnu, sa compagnie 3ème étage est de grande qualité. Tout comme l’extrait de cette pièce. Fumée blanche, lumière bleutée, un homme en pyjama, les cheveux ébouriffés se retrouve entouré d’une armée de cols blancs, aux yeux figés, presque sanguinaires. Ils vont le harceler, tel des automates mués par un seul objectif. C’est admirablement réglé, rien n’est laissé au hasard. Les passages de groupes avec les mallettes de travail sont très bien ficelés. Des lignes de danseurs se succèdent avec une utilisation de l’espace inventive. Murez a l’intelligence de la construction des ensembles. On se croirait dans l’apprenti sorcier avec cette oppression des hommes en costumes, mais qui est amusante pour le spectateur. C’est très réussi, trop court, il faudra donc absolument voir la pièce en entier.

Interprètes : Hugo Vigliotti (Le Rêveur / Alfred), et Lydie Vareilhes, Laura Bachman, Léonore Baulac, Leila Dilhac, Claire Gandolfi, Camille de Bellefon, Emma d’Humière, François Alu, Jeremy-Loup Que, Antonio Conforti, Takeru Coste, Niccolo Balossini, Axel Alvarez et Loïc Pireaux (les bureaucrates).

Premier cauchemar

On passe dans un autre registre, complètement différent, et plus abstrait avec Deux à deux du jeune Maxime Thomas. On est ici dans la recherche de la forme. Le couple évolue ensemble. Au début, ils ne se regardent pas. Puis, ces deux êtres vont entrer en osmose. Les formes très rectilignes s’adoucissent sans perdre leur qualité. Les danseurs dansent comme les notes passent d’une ligne à l’autre sur la partition. Cela se complexifie à mesure qu’on avance, sans que le spectateur ne se perde.

Interprètes : Letizia Galioni et Maxime Thomas.

Letizia Galloni, Maxime Thomas dans Deux à deux

En attendant l’année dernière, est une pièce très graphique. Fond rouge, seule l’ombre de Lucie Fenwick apparait. A la fois élégante et imposante, elle déploie ses bras tels des ailes. Les formes se répètent, puis le corps disparaît dans une lumière éblouissante. On vit une belle expérience visuelle. Grégory Gaillard fait ensuite évoluer Lucie Fenwick dans l’espace, toujours avec une répétition des gestes. C’est très doux, presque suave par moment, plein de poésie.

Interprète : Lucie Fenwick.

Kaléidoscope est une pièce « signature ». Allister Madin a construit ce Kaléidoscope en 4 volets, qui lui ressemblent beaucoup. Le 1er tableau avec Fanny Gorse est très beau. Elle, sublime dans ce costume de mousseline noire transparente, bouge, très sensuelle. Les mouvements du tissu font à eux seuls chorégraphie. Les teintes d’Espagne ajoutent du piquant à ce solo enivrant. J’ai beaucoup aimé le dernier volet de cette pièce. Les garçons tenaient une corde blanche tendue, tandis que les filles dansaient à cette corde comme on danse à une barre. Ambiance très sombre, seule la corde étaient éclairée et les jeux de lumières avec les corps des filles plongeaient le spectateur dans une ambiance à nouveau très sensuelle et plein de volupté. On ne peut s’empêcher aussi de penser aux pièces de Decouflé, et à celle qui porte le même nom. Allister Madin travers un univers puis un autre, danse, cirque, jeux de lumières, tout cela se mélange dans une forme nouvelle.

Interprètes : Fanny Gorse, Caroline Osmont, Gwenaëlle Vauthier, Camille de Bellefon, Allister Madin et Hugo Marchand.

Fanny Gorse dans Kaleidoscope

J’ai adoré Smoke Alarm de Julien Meyzindi, surtout pour les mouvements choisis et la matière dans laquelle ils étaient produits. Un homme pyromane se détache de son addiction par amour pour une femme. La danse était très en tension, avec des arabesque qui faisaient office de respiration. Les gestes étaient très dessinés dans l’espace, le pas de deux était très fluide. On sentait beaucoup de travail et de répétitions. Rien n’avait été laissé au hasard, chaque pas était mûrement réfléchi, pour faire sens dans la sortie de la caverne de cet homme fou qui s’assagit par amour. J’ai été transporté par le style de Meyzindi, élégant et princier, comme l’est le danseur.

Interprètes : Alice Renavand et Alexandre Gasse.

Alexandre Gasse dans Smoke Alarm

Encore un changement d’atmosphère Songes du douanier d’Alexandre Carniato et Morgane Dragon. On s’installe dans un tabelau du Douanier Rousseau. Animaux et oiseaux se déplacent dans cet univers. On ne voit que les jambes de Letizia Galloni, transformée en un paon magnifique. Les personnages se font tantôt animaux, tantôt charmants gens du monde discutant en mouvement. Aurélien Houette y est, comme à son habitude troublant, tant il est capable de s’approprier tous les langages. Ce rôle lui donne à nouveau un visage fascinant. Charlotte Ranson est délicieuse, et Carniato prend une allure très animale et juste pour mener cette petite troupe. La pièce porte bien son nom ; ce songe nous balade à travers les couleurs d’un tableau.

Interprètes : Letizia Galloni, Charlotte Ranson, Aurélien Houette et Alexandre Carniato.

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La dernière pièce présentée, Stratégie de l’hippocampe de Simon Valastro,
met en scène une famille avec leur chien. On se croirait dans un film tant les costumes et l’ambiance est bien réalisée. La pièce présente les différents rapports qu’il peut exister dans une famille qu’on ne choisit pas. Beaucoup d’amour peut y naître, beaucoup de désamour aussi. On assiste au repas où les enfants se disputent (Eleonore Guérineau est une petite fille telle qu’on pourrait se l’imaginer dans les livres de la Comtesse de Ségur), au deuil de la mère, incarnée par Eve Grinsztajn, qui s’illustre avec beaucoup de grâce  dans un long solo, très bien écrit qui retrace avec brio, les pensées noires, qui habitent l’esprit de cette femme. Il faut également saluer la prestation de Jean-Baptiste Chavignier

Interprètes : Eve Grinsztajn, Éléonore Guérineau, Alexis Renaud, Hugo Vigliotti et Jean-Baptiste Chavignier.

Stratégie de l'hippocampe

Très jolie soirée, on espère que sous l’ère Millepied ce type de soirée se renouvellera, puisque c’est son souhait de créer un espace de création pour que les artistes puissent exprimer aussi leur idées chorégraphiques. Une belle édition cette année en tous, qui mériterait plus de lumières et de dates. Un seul petit regret, aucune danseuse ne s’est essayé à l’exercice. Peut-être dans deux ans !

Hommage aux ballets russes à l’Opéra de Paris

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Marcel Schneider me racontait souvent autour d’un bon repas et d’un bon vin dans sa maison de campagne l’impression qu’il avait eue et l’émotion ressentie la première fois qu’il avait vu les ballets russes de Diaghliev à Paris.

« J’ai été conquis par cette forme d’art {la danse} en 1929, au cours de ma seizième année, quand un instinct divinatoire m’incita à m’inscrire pour la saison des Ballets Russes. Personne ne savait alors que ce serait la dernière. Le sort me favorisa : j’assistai à la création du Fils Prodigue, musique de Prokofiev, décors et costumes de Rouault, chorégraphie de Balanchine. Ces trois artistes m’étaient inconnus : je fis leur découverte avec émerveillement. » L’esprit du ballet, introduction page 9.

J’avais toujours été intriguée par les mots de Marcel, et surtout par son regard, dans lequel l’émerveillement ne l’avait pas quitté. Une étoile brillait toujours dans le fond de ses yeux, quand il parlait de Diaghilev, de Nijinsky, d’Ida Rubinstein. Toute sa passion pour la danse part de là.Ce que j’ai retrouvé hier soir c’est la découverte émerveillée dont me parlait Marcel. il y a quelque chose d’inattendu dans ces ballets russes. Ce qui m’a frappé dans toutes les pièces, c’est la modernité. Modernité chorégraphique, modernité dans les choix musicaux, modernité des décors et des costumes. Ensuite c’est ce travail commun entre chorégraphes, scénographes, musiciens, peintres, et autres artistes qui collaborent dans cette recherche de création. Parlons en donc de ces merveilles.

Mon coup de cœur va pour l’Après midi d’un faune de Nijinsky. Considéré comme fou, Nijinsky présente dans cette pièce tout son génie et son non académisme. Jugé scandaleux la première fois qu’il fut montré, aujourd’hui il continue d’interloquer les spectateurs. Les spectateurs de ma loge, apparemment novices, semblent choqués, vu leurs commentaires. Pour eux, ce n’est pas de la danse. Or pour moi tout est là. Ces gestes qu’a inventés Nijinsky sont merveilleux. Ils sont chorégraphiés au millimètre près. La justesse de la scénographie, véritable démonstration géométrique, éblouit le regard. La douceur du mythe russe nous enchante grâce à la musique de Debussy. C’est là le grand génie de cette pièce. Elle parvient avec peu de choses à nous replonger
dans des histoires merveilleuses ; petit à petit se bâtit dans notre imagination un univers fantasmagorique alimenté en permanence par l’apparition des nymphes, les sauts du faune et cette danse du voile dans laquelle la séduction paraît sans limite. A mon sens, l’après midi d’un faune est un des plus grands ballets du XXème siècle. Le génie de Nijinsky que l’on aperçoit ici, se déploie entièrement dans le Sacre du Printemps (pour ceux qui ont eu la chance de le voir à Bordeaux, sous la direction de Charles Jude).

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Le Tricorne est l’exemple le plus frappant de la collaboration entre artistes. Ici, c’est Pablo Picasso qui a été mis au travail pour la création. Il a réalisé les décors et les
costumes, qui sont sublimes, éclatants de couleurs et de formes. Là encore, le génie russe est à l’œuvre. L’œuvre est totalement hispanique, costumes, décors, musique (par un compositeur hispanique (Manuel de Falla) mais bien sûr chorégraphie. Ceux qui attendent les pointes et les tutus peuvent rentrer chez eux. On est sur une place d’un village en Espagne et les gens dansent, claquent des doigts, tapent dans les tambourins. Nous sommes passés le temps d’un précipité,  de la taïga mystérieuse à un petit port le long de la Méditerranée. Quel spectacle avec José Martinez qui contribue au voyage!

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Le Spectre de la rose est un exercice réussi. Je dis exercice, car cela représente pour moi un exercice de base (qui n’en pas pas pour autant aisé) en matière de chorégraphie. Prendre un poème, et délabyrinther les mots pour en faire des gestes. Inventer ce langage corporel pour traduire les mots de Théophile Gautier. L’atmosphère du poème est habilement retranscrite et présente la même douceur.

« Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir. »

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Le spectacle se clôt dans une ambiance russe. Le titre est déjà l’objet de l’exotisme et du voyage vers ce grand pays. Petrouchka est un drame qui touche chacun. Un pantin,
malheureux à cause de son humanisation par un grand sorcier et de son amour non partagée pour une poupée russe, nous touche et nous émeut jusqu’à la dernière minute. Petrouchka mélancolique rêve d’une vie meilleure où il s’échapperait de cette boîte avec sa jolie poupée, laquelle ne pense pas à Petrouchka mais qui est totalement éprise du Maure. Petrouchka est battu, humilié. Le pantin de chiffon a le coeur qui saigne. Il est par son amour et sa passion devenu plus humain, tellement humain qu’il en meurt. Le sorcier se croît tiré d’affaire, ce n’est qu’un pantin de chiffon, mais non, l’âme de Petrouchka est là et hante cet ensorceleur de poupée. L’amour de ce pantin est sans limite est flotte sur les décors, sur les visages et dans toute la salle du Palais Garnier. Petrouchka a quelque chose de magique, nous sommes aussi des pantins ensorcelés qui, absorbés par le spectacle tragique, sommes confrontés à une réalité bien morose au tomber
du rideau. Que dire de la prestation de Nicolas Le Riche… rien une fois de plus parfait. Le masque de Petrouchka reste sur son visage même pendant le salut, il doit être bien difficile de sortir de ce rôle très touchant.

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A NE PAS MANQUER!! RETRANSMISSION LE VENDREDI
1ER JANVIER À 13H50 SUR FRANCE 3

  • Revue de presse sur le net


Article du Point

Article de culture.fr

Article du Figaroscope à propos de la soirée de gala du 16
décembre

Article du Figaroscope à propos de l’exposition sur les ballets russes

Critique d’evene.fr

  • Et dans les kiosques

Hors Série DANSER sur les Ballets russes

Connaissances des arts sur les ballets russes

  • Quelques vidéos disponibles sur le net

Noureev dans l’Après Midi d’un faune.

Le spectre de la rose dansé par Margot Fonteyn et Barishnikov

Petrouchka avec Monique Loudières

  • Distribution du 20 décembre 2009
Spectre de la Rose (Le)
LE SPECTRE Emmanuel Thibault
LA JEUNE FILLE Clairemarie Osta
Après midi d’un faune (L’)
LE FAUNE Jérémie Belingard
LA NYMPHE Amandine Albisson (changement dernière minute à place d’Émilie Cozette)
Tricorne (Le)
LE MEUNIER Jose Martinez
LA FEMME DU MEUNIER Stéphanie Romberg
Petrouchka
PETROUCHKA Nicolas Le Riche
LA POUPEE Eve Grinsztajn
LE MAURE Stéphane Bullion
LE CHARLATAN Michaël Denard