Tant attendue depuis un an, la soirée Nicolas Le Riche a rempli toutes ses promesses. Spectacle bien rythmé, le danseur s’est fait plaisir et a mis une fois de plus tout le monde d’accord sur son talent. Le sourire aux lèvres de l’étoile, la fête et les émotions étaient au rendez-vous. Humour, musique, amitiés, souvenirs, toute l’histoire de Nicolas Le Riche et de l’Opéra Garnier a été racontée dans cette soirée.

L’excitation était à son comble et la salle frissonnait déjà. Bien entourée par deux vieux messieurs, l’un discret, l’autre bavard, la vue sur la scène était imprenable. De ma loge on voit les coulisses ; danseurs, machinistes, habilleuses, accessoiristes, tous sont là dans un silence religieux pour voir l’étoile danser. Les ministres s’installent au balcon, les journalistes au premier rang de l’orchestre. Le rideau s’ouvre et dans le fond on aperçoit la silhouette du danseur qui jaillit du rideau de fond de scène. Matthieu Chedid s’avance, guitare à la main. L’homme qui danse s’avance, il rejoint les notes et semble parfois improviser avec beaucoup de grâce sur les accords graves et métalliques de la guitare. La balade nous berce, c’est un moment d’émotion qui semble une promesse pour la suite « Des années que je n’ai pas vu un show comme ça… ». Je regarde beaucoup les mains et les chaussons de Nicola sLe riche pendant ce passage. Les chaussons sont comme patinés, ils l’emmènent vers une autre aventure. « Où aller ? Où? » répète doucement M. C’est sûr ce soir Nicolas Le Riche savait où nous emmener.
L’orchestre a pris ses quartiers dans la fosse et pour ne pas y passer des paragraphes entiers, on peut dire sans mauvais jeu de mots qu’il était la fausse note de la soirée. Les fausses notes, en particulier dans Le jeune homme et la mort et dans le Boléro, ont fait crisser les dents de plus d’un spectateur.
Les Forains de Roland Petit, un des rares ballets qui ne parle pas de la relation d’un homme et d’une femme mais du statut de l’artiste, ouvre la fête. On commence l’histoire de Nicolas Le Riche avec celui que l’on peut appeler son maître et avec les élèves de l’école de danse. Au milieu d’eux, Nicolas Le Riche parait très juvénile, comme si son âme d’enfant prenait le dessus sur le corps. La troupe de forains s’installe, ils trinquent, le petit théâtre se monte. Bientôt on pourra danser. Nicolas Le Riche retrouve ici son souvenir d’enfance, où il a rencontré pour la première fois Roland Petit. Puis les danseurs se figent, le regard vers le public, le danseur s’avance et nous présente la suite du spectacle « Le jeune Francesco qui va interpréter la variation du tambour du bal des cadets ». Le jeune homme s’avance sous le regard réjoui de ses camarades. Il ne manque pas de talent et malgré le stress, il garde sa posture de jeune premier. Les élèves de l’école s’enfuient avec l’étoile poursuivi par Abderam (Stéphane Bullion) et Raymonda (Dorothée Gilbert). Les sarrasins entrent et dansent avec un bel enthousiasme. C’est dans doute moi qui le suis moins, n’ayant jamais trop apprécié ce ballet. C’est un divertissement plaisant qui permet, comme le dit Nicolas Le Riche « de fédérer et de célébrer la Compagnie ».
La soirée se poursuit avec L’après-midi d’un faune, de Nijinski. On ne saurait oublier Le Riche dans ce rôle aux côté d’Emilie Cozette notamment. Ce soir c’est son ami Jérémie Bélingard qui dansait avec Eve Grinsztajn. Absent depuis un moment de la scène de Garnier, Jérémie Bélingard n’en a pas pour autant perdu de sa sensualité et il campe un faune peu flegmatique, tendu par l’odeur et la vue de la superbe nymphe. Le tableau s’anime, se remplit des nymphes, dont les pas sont minutieusement réglés. Là encore, un autre moment de l’histoire de la danse, de l’histoire de Nicolas Le Riche, qui admire « l’incomparable génie créateur » de Nijinsky. Un joli faune, bien dansé et joliment interprété. Voilà qu’il est temps d’aller faire des mondanités à la rotonde des abonnés.

Quelques coupes de champagnes, quelques discussions où les superlatifs fusent, chacun essaie d’exprimer ce qu’il vit ce soir. Pas encore au bout des surprises, la rotonde met peu de temps à se vider, car mieux que les bulles de champagne, il y a les bulles de rêve que nous offre l’étoile ce soir. Il faut dire que la suite du programme fut sans doute, pour ma part, la plus émouvante de la soirée. Comment parler du jeune homme quand on a vu Nicolas Le Riche le danser tant de fois. Choisi par Roland Petit, ce cadeau fait au danseur est un cadeau en retour pour le public. Ce soir, Nicola sLe Riche était magique. De ma loge j’entendais son souffle mais jamais ses pieds toucher le sol. Si l’orchestre n’avait pas écorché la partition, l’instant aurait été divin. Heureusement, le regard absorbé par les deux interprètes, ma main posé sur le rebord de la loge, presque tremblante sous le coup de l’émotion, je n’en ai pas perdu une miette et c’est sans doute, le plus beau Jeune homme et la mort que j’ai vu. Eleonora Abbagnato est sans doute la mort la plus sensuelle qui m’ait été donnée à voir. Féminine jusqu’au bout des pointes, magnétique, son regard posé dans celui de Nicolas Le Riche produisait une tension si électrique que la salle retenait son souffle. Pendant les saluts, on sentait Eleonora Abbagnato absorbée par son émotion, presque encore habitée par ce qu’il venait de se passer. Le parterre se met debout, et l’ovation commence déjà.
Le jeune homme et la mort était si fort, qu’il fallait bien s’en remettre avec un entracte. Les yeux mouillés, je retrouve amis et balletomanes anonymes. Je bavarde avec des gens qui voyaient Le jeune homme et la mort pour la première fois et qui sont sous le choc de la pièce. L’effervescence du public est en pleine ascension. Pas un grincheux à l’horizon pour venir gâcher la fête.

Appartement de Mats Ek marquait le retour d’une grande diva de la danse, partenaire privilégiée de Nicolas Le Riche, Sylvie Guillem. Leur duo sur la chorégraphie de Mats Ek était parfaite. Guillem est juste, tout le temps, sa danse est sans concession et on a l’impression que Mats Ek danse dans ses veines. En toute simplicité, le couple danse, sur cette scène que Sylvie Guillem a choisi de quitter il y a 25 ans. Aux saluts, le couple rit aux éclats, presque surpris d’être là, ensemble, de partager avec le public, cette grande joie d’être sur scène. Un moment aussi rare qu’inoubliable.
Guillaume Gallienne, ami du danseur, sociétaire de la Comédie-Française entre sur scène et déclame un texte écrit pour l’étoile. Je ne résiste pas et je vous le retranscris.
« Avant que d’enchaîner avec Caligula
Laissez-moi vous parlez un peu de Nicolas.
Si riche de talent, que c’est son patronyme,
Et si tous ses aïeux sont restés anonymes,
Et j’en profite ici pour saluer ses vieux
Qui sans soute ont tous deux des larmes plein les yeux,
C’est pour que brille mieux cette étoile si rare,
Dont nous fêtons ce soir un tout nouveau départ,
Que nous lui souhaitons aussi beau, aussi dense,
Que celui qui lui fit se lancer dans la danse,
Il y a déjà 34 ans de cela.
Sa richesse pour moi se situe au delà de son nom, c’est certain, et même de son charme,
Elle provient surtout de son art qui désarme,
Tellement il paraît naturel, comme un don du seigneur,
et que lui dans un fol abandon dépasse chaque soir, humblement, avec grâce,
Pour nous faire voler dans ces airs qu’il embrasse.
Avez-vous remarqué la finesse des doigts ?
Et sa délicatesse, alternée quelque fois, par une unique rage, une sauvagerie terrible
Puis d’un coup, avec espièglerie, il s’adoucit.
Soudain, nous voyons cet enfant, qu’il est souvent encore à 42 ans.
Il bondit comme un tigre et vole comme un ange,
Il atterrit en chat et tel une mésange, virevolte à nouveau sans même se soucier
De savoir si nous autres avons pu respirer.
J’ai vécu grâce à lui mes plus belles apnées.
Et n’oublierai jamais ces acmés insensés, que dans tous ses ballets il a su nous donner.
Mais ce n’est pas fini…tout ça va continuer…
Ce ne sont pas des adieux non ce n’est qu’un passage
Ton génie Nicolas est plus grand que ton âge.
Et que si cet endroit te déclare trop vieux, pour continuer ici tes grands sauts périlleux
Et bien tu les feras ailleurs, sur d’autres scènes,
Tu auras pour créer le soutien des mécènes
Ou celui de l’Etat ! Ce serait pas mal ça !
Que tu puisses transmettre !
Enfin ce n’est pas tout ça, mais j’entends en coulisses, un cheval qui trépigne,
Et n’ayant pu trouver de belle rime en -igne
Avant que ce canasson me dise allez ouste
Je m’en vais pour conclure citer Marcel Proust
Il dit, pour définir un autre immense artiste,
Ce qu’à mon tour je puis dire pour ce soliste – qui est mon ami,
En toute simplicité, il l’appelle novateur à perpétuité. »
Mathieu Ganio et Audric Bézard livre un joli tableau de Caligula. On regrettera seulement de n’avoir pas vu vraiment danser Mathieu Ganio dont les lignes peuvent rappeler celles de Nicolas Le riche plus jeune. Ce n’est donc pas pour rien que le chorégraphe a choisi cet autre grand danseur pour interpréter le rôle de l’empereur romain.

Les machinistes installent le décor du Boléro à vue, pour le plus grand bonheur du public. Réglages des lumières pour les bras du début du ballet. Les chaises rouges s’alignent, la table est au centre. Il y plane comme un fantôme au-dessus, qui va prendre chair dans quelques instants. Le Boléro commence, les mains s’animent, le regard fixé au fond de la salle. Les corps sur les chaises commencent à bouger. Tout s’enchaîne vite trop vite, on voudra ralentir le rythme de la caisse claire. Les danseurs sont déjà tous debout, prêts autour de la table, comme un sacre autour d’un dieu dansant. Il sourit à tous ces danseurs autour de lui, qui ont admirablement dansé ce soir. C’est cette histoire qu’il nous a raconté ce soir, celle du petit garçon de l’école, du danseur et de ses maîtres, des oeuvres qui l’ont marqué, de sa place dans la danse aujourd’hui, sans doute, comme idole. Il s’est imposé comme le plus grand danseur de sa génération et ce soir il a encore montré tout son talent. L’ovation que le public lui rend est intense et très longue (le minutage diverge selon les sources et, à dire vrai, je n’ai pas du tout regardé ma montre). Ce fut un moment d’une joie intense, faite de partage entre le public, les artistes et le danseur.
Nicolas Le Riche a ensuite été fait commandeur des arts et des lettres. Il a fait un discours très touchant où il a retracé cette fois-ci avec des mots son parcours dans cette maison ; en commençant par l’examen de santé, puis le premier cours, le couloir des cent mètres, les premiers pas sur scène. Discours qu’il termine sur ces mots : « J’espère que l’honneur qui m’est fait ce soir est un signe pour l’avenir « .
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Les citations sont extraites du programme.