Il est des soirs où il vaudrait mieux s’abstenir de voir de la danse. Si elle peut vous donner de grandes émotions, parfois sans effort, sans prérequis intellectuel, elle peut aussi vous laisser aussi de marbre comme une statue grecque perdue au milieu de milliers d’autres dans un grand musée. Peu d’émotions dans un ballet comme dans l’autre, les danseurs ne manquaient pourtant pas de grâce, mais la danse, le geste semblait ne rien vouloir me dire ce jour là.
Helikopter est une pièce qui porte bien son nom. Le bruit des pâles qui se mettent en marche ouvre la pièce, avec un effet similaire sur le sol, réalisé avec un sol comme interactif de la musique et/ou du mouvement. La lumière est comme une danse graphique qui se déroule sur le sol (si vous êtes au parterre, vous ne verrez rien de tout ça). Les danseurs entrent, d’abord un, puis deux. La chorégraphie commencent sur le premier, le deuxième reprend en chœur avec le premier. Les costumes sont sommaires mais peu élégants. Grosses culottes noires qui grossissent les corps, t-shirts de couleurs vives et genouillères noires. Les gestes sont très académiques, très précis. Les bras tournent comme des pâles d’hélicoptère, à la seconde, avec le corps en rotation. La danse est fluide, mais peu rapide. Cela manque parfois de nuances, de matières. L’air semble trop vide, comme presque trop léger. Le sol se transforme à mesure que la chorégraphie et la musique change. Cette dernière devient peu à peu une cacophonie musicale, à laquelle on semble s’habituer. Le sol vibre comme de l’eau sous les pas des danseurs. Quand il sont au sol, on dirait qu’ils nagent dans le pétrole.
On sent la recherche de l’épuration dans le mouvement voulue par le chorégraphe, mais cette épure ne sert pas l’émotion. Sans doute n’est ce pas le propos du chorégraphe, mais la pièce devient assez fatigante et assourdissante. La musique qui est crachée par les baffles posées dans la fosse d’orchestre vient se répercuter contre les murs des loges et vous envahit la tête. On en perd la notion du temps et presque de l’espace. Hormis le début de la pièce, il ne m’en reste pas grand chose, car cela fait beaucoup de bien quand ça s’arrête.
Eldorado (Sonntags Abschied) est une pièce plus douce, qui se laisse regarder plus facilement. La scène est encadrée par des panneaux blancs, sur lesquels il y a des fleurs et parfois des hommes ou des femmes dessinés avec des lumières. Ces panneaux forment des petits alcôves, comme des refuges, propres à chaque danseur. La danse est souple, lente là aussi. On reste dans la même esthétique, par rapport à la première œuvre, mais celle-ci a plus de matière, de sensualité et cela me plaît bien mieux. Les formes se tirent et s’étirent. Un série de petits duos s’enchaînent. Les couples viennent se placer au milieu tandis que les autres restent de marbre devant leurs alcôves blanches. Le lino miroir reflète les danse dans un flou assez réussi. Les lumières sont douces, entre l’or et l’obscurité, la scénographie est travaillée et pas veine car elle sert la danse à défaut de l’écraser. Les corps envahissent peu à peu l’espace, formant des trios, des duos ou des quatuors indépendants. Puis les corps se rapprochent, on passe de la sensualité à une sexualité évidente. C’est moins subtil, cela ressemble au Sacre du Printemps (de Preljocaj). C’est plus puissant au niveau de l’image rendue, mais on perd en force chorégraphique. La pièce en garde tout de même une forte identité, grâce à la distension des rythmes, tout au long de l’œuvre, accompagnée par la musique, plus facile que la première.
Le spectacle est au Palais Garnier jusqu’au 10 janvier. Plus d’infos et réservations, clic.
HELIKOPTER
Karlheinz Stockhausen
Musique (Helikopter-Quartet interprété par le Quatuor Arditti)
Soirée de gala à Garnier vendredi. On monte les marches du grand escalier entouré de la garde républicaine. Je retrouve JMC et de notre troisième rang d’orchestre, on aperçoit la reine du Danemark qui s’installe en loge présidentielle. Pas loin de ma place quelques balletomanes et journalistes de danse. La soirée promet d’être festive.
Le rideau de scène s’ouvre et sur une toile est projeté un lever de soleil. On se croirait au cinéma, avec le titre du film, Napoli. On est plongé dans un film italien des années 50.
Décors, costumes, tout rappelle effectivement les films de Fellini ou de Rosellini. Les personnages sont quelque peu caricaturaux, ils ressemblent à ceux d’une commedia dell’arte moderne. Le premier acte présente l’action et n’est fait que de pantomime qui a été réajustée avec le contexte nouveau. On découvre Teresina, l’héroïne que la mère veut marier à un des
deux commerçants du village. La jeune femme leur préfère Gennaro, le jeune pêcheur. A part quelques petits sauts de marins, on reste un peu sur sa fin côté danse. Si la pantomime est très bien exécutée, notamment par les deux amants et par la mère de Teresina, on est un peu frustré quand le rideau se baisse. Trente-six minutes de mime sur un ballet qui en fait 97, cela fait beaucoup. On aurait peut être apprécié que le chorégraphe en remontant le ballet, élimine ce côté un peu désuet. Ce qui est gênant, c’est qu’au troisième rang, on sent qu’ils brûlent de parler, et on entend presque ce qu’ils veulent dire. Je ne suis pas sûre que pantomime soit synonyme de film muet. Pour vous résumer tout de même l’action, puisqu’il est question de cela, Teresina, ne cède pas
aux volontés de sa mère. Avec Gennaro, ils s’avouent leur amour mutuel et fricotent. La nuit tombée, Teresina propose à son amant d’aller en mer. Malgré ses réticences, le jeune pêcheur accepte, mais le malheur arrive et Teresina chute du bateau. Gennaro reçoit les foudres du village. Seule une jeune femme aux pieds nus encourage le jeune homme à chercher son amoureuse. Tout cela est bien long, pas très intéressant.
Je sors donc un peu déroutée de ce premier acte, heureusement que les petits fours et le champagne du salon AROP vont me remonter le moral.
Le deuxième acte s’ouvre sur un univers féérique, mais parfois un peu trop ambiance Disneyworld. On peut saluer une jolie scénographie avec fumée blanche et écran de fond sur lequel défile des petits poissons. C’est assez réussi cet écran de fond, c’est mieux qu’une toile peinte, cela donne du mouvement. La musique est bien choisie, très mélodieuse, elle permet au spectateur de rentrer facilement dans ce monde sous-marin. Les naïades, sorte de sirènes deviennent agressives face à l’arrivée de Teresina. Tout cela est soutenu par des sons hostiles, pour les chants des sirènes et des bruits de coquillages. Les costumes sont superbes, plein de paillettes. Golfo, notre hôte des lieux, a un costume type Caligula, mais version poisson, ce qui a tendance à me faire sourire. Ce poisson mauvais génie tente de séduire Teresina. Il l’envoûte dans un pas de deux qui ne restera pas dans les annales de la danse. On voit l’influence de Balanchine dans la chorégraphie de Nikolaj Hübbe, mais pas le talent. Teresina se tranforme peu à peu en naïade. Si au début elle est soumise à Golfo, elle danse peu en peu en harmonie avec lui. Heureusement, Gennaro arrive, et avec une danse de l’amour, dont on ne retient pas grand chose, si ce n’est qu’il gratouille sa guitare, et qu’il parvient à enlever sa belle des griffes du méchant poisson. Si on a complètement changé d’univers par rapport au premier acte, on en est pas plus satisfait. L’ensemble est assez faible, on se perd dans le style.
A l’entracte, j’aperçois Y*** qui est lui aussi dérouté par tant de faiblesses dans le ballet. Nos attentes ne sont pas du tout comblées.
Le troisième acte va enfin nous permettre de découvrir le style de Bournonville. Enfin ça danse ! Ce qui est intéressant c’est effectivement cette construction du groupe. On
commence sa variation où l’on est, on ne va pas se placer pour démarrer. Cela donne un côté très naturel à la chorégraphie. Du côté du style, on admire la petite batterie de ces messieurs. Les grands jetés en avant sont de mise dans les variations masculines et féminines. Je ne suis pas friande des port de bras qui coupent un peu la silhouette et donne un style un peu coincé aux danseurs. J’apprécie en revanche tous les petits pas liaisons qui mettent en valeur les bas de jambe. Tout cela est plutôt réussi et plein d’enthousiasme. Ça frappe dans les mains pendant la Tarentelle, et on sent que le public aimerait lui aussi accompagner cette fête. Ah oui, parce qu’en fait on célèbre le pariage de Teresina et Gennaro. C’est une autre faiblesse du ballet, l’histoire un peu inexistante, avec des personnages un peu lisses.
Au final je sors mitigée de ce spectacle. Pas envie de le revoir, mais pas mécontente d’avoir vu le troisième acte. C’est maintenant l’heure des mondanités, au grand foyer. On a le droit à un discours de Bri-bri, qui finit d’achever certains. C’est celui de Frédéric Mitterrand qui personnellement me désarme. Si tout ne pouvait pas être présenté comme une nécrologie, et avec plus d’enthousiasme, on y gagnerait.
Non ce n’est pas à l’ambassade, vite changer d’avenue pour se retrouver au 142 avenue des Champs Elysées, à la maison du Danemark pour assister à une conférence d’Erik Aschengreen, docteur ès
Lettres et historien de la danse. Conférence très intéressante que j’ai suivie avec E*** et Amélie et que je vous retranscrits.
Le ballet du Danemark est enfin de retour à Paris. Danser à Garnier, c’est revenir aux source, au berceau du ballet. La production que vous allez voir demain est une nouvelle production.
Histoire du ballet royal du Danemark
A Copenhague, le premier maître fut un certain Galeotti en 1775. En 1771, l’école du ballet avait été fondée par Pierre Laurent, un danseur venu de l’Opéra de Paris. En 1726, un français, Jean
Baptiste Landet, qui avait un grand succès était parti à ST Pétersbourg fonder lui aussi une école. Les trois compagnies les plus anciennes ont été fondées par des Français :
L’Opéra national de Paris en 1713
L’Opéra de Saint Pétersbourg en 1738
L’Opéra royal du Danemark en 1771
En 1816, Galeotti meurt. Cela avait été difficile pour lui de quitter la scène. A 77 ans, il se présentait toujours sur la scène. Pour contrer cela, le roi l’a nommé chevalier en 1812, les
chevaliers n’ayant pas le droit de se produire sur scène. Les ballets de Galeotti ont disparu sauf Les Caprices de Cupidon.
Les chemins entre la France et le Danemark n’ont jamais cessé de se croiser. En 1792, Antoine de Bournonville, père d’Auguste, arrive au Danemark. C’est un très beau danseur.
En 1805, nait Auguste de Bournonville, la même année qu’Andersen, qui aurait bien aimé être danseur, mais il avait de trop grands pieds. Il disait d’ailleurs qu’être danseur c’est « la carrière la
plus glorieuse du monde ».
Auguste de Bournonville a étudié à Paris de 1824 à 1830. Il a préféré retourner à Copenhague où il était premier danseur et directeur et où il pouvait tout décider. Il réglait les chorégraphies
comme il l’entendait. A l’époque, en Europe, des grandes ballerines conquérissaient les scènes. Bournonville ne voulait pas être « le porteur des dames ». Il était très estimé, très respecté
dans tout le royaume. Dans les autres pays, les danseurs étaient des marginaux, menaient des vies un peu particulières. Ce n’était pas le cas au Danemark, à Copenhague, ils étaient une sorte de
noblesse.
De 1830 à 1877, Bournonville est directeur du ballet. Il a crée une cinquantaine de ballets. Aujourd’hui on en danse encore une dizaine, comme La Sylphide, Napoli, Le Conservatoire.
Beaucoup de ses ballets se déroulent dans des pays étrangers. L’Italie est son pays préféré, car il est associé à l’art classique.
Pour Bournonville, le ballet est une façon de présenter sa conception de la vie. Il n’est pas absorbé par le mal du siècle, ni par le spleen. C’est un optimiste. Il est croyant. C’est pourquoi
dans ses ballets, souvent deux mondes s’opposent, le réel et le surnaturel. Les fins sont toujours heureuses et idylliques.
Bournonville n’est pas pour autant un naïf. Il avait beaucoup d’aventures quand il allait en France, avec beaucoup d’enfants, mais personne n’en savait rien au Danemark, cela aurait choqué.
Bournonville a eu de l’influence jusqu’en Russie. Il a eu un élève Johanson, qui est allé en Russie. Mais Bournonville n’aimait pas la danse russe qu’il trouvait trop acrobatique. En 1877, il se
retire de la scène. Il meurt en 1879. Suite à sa mort, l’école de Bournonville est crée. Vous pouvez retrouver un DVD avec toutes les barres de Bournonville ou bien vous pouvez aller faire le
stage annuel à Biarritz fin juillet.
A la fin du XIXème, Coppélia est importé. En 1932, Harald Lander devient le directeur du ballet. Il renouvelle le ballet. Il propose un enseignement plus moderne, pour pouvoir danser des
chorégraphes comme Fokine, ou Massine, mais aussi Le Lac ou La Belle. En 1952, il remonte son ballet Etudes à l’Opéra de Paris. Claude Bessy dit de lui qu’il avait « le
goût pour la précision » et Brigitte Lefèvre aime son exactitude et sa méthode. Il a permis de faire évoluer le style à l’Opéra de Paris.
Le danseur étoile de l’Opéra de Paris Flemming Flindt devient à son tour directeur du Ballet du Danemark en 1966. Il chorégraphie La Leçon d’après Ionesco qu’on a pu voir notamment à
l’Opéra Comique.
Napoli de Nikolaj Hübbe
C’est une histoire romantique en trois actes. Au premier acte, les deux amants Teresina et Gennaro sont amoureux, jeunes et insouciants. Au deuxième acte, leur fidélité et leur courage sont mis
l’épreuve. Le troisième acte permet de retrouver la joie.
La nouvelle version n’est pas dans une mise en scène romantique. On est dans un nouveau contexte, celui des années 50. C’est un nouveau décor, inspiré des films de Fellini, Rossellini ou encore
Pasolini. Les personnages sont donc placés dans un autre contexte. On joue avec la tradition sans succomber sous son poids. La chorégraphie traditionnelle est réactualisée, notamment la pantomime
du premier acte. Nikolaj Hübbe a ajouté un pas de deux dans les deux premiers actes.
Au deuxième acte, c’est une nouvelle musique pour une nouvelle chorégraphie, plus sensuelle que celle de Bournonville. L’histoire devient existentielle. C’est un spectacle qui amuse et qui fait
rêver.
Visionnage de deux pas de deux : celui du deuxième acte où Golfo séduit Teresina, qui n’est pas une chorégraphie de Bournonville, car chez
Bournonville, on ne touche qu’avec les doigts. Ensuite un pas de deux extrait d’un Gala au Festival des Fleurs.
Questions du public
Quelle est la musique du ballet ?
Les premier et troisième actes sont une composition danoise du 19ème siècle. Le deuxième acte est une musique de Louise Alénius Boserup.
Comment se sont transmis les ballets de Bournonville ?
Bournonville n’écrivait pas. Cela se transmet donc de génération en génération. En 1930, on a commencé à écirre. On a quelques sources iconographiques mais très peu. On a des photos des années
1850 et une vidéo de 1902.
Combien de danseurs il y a t-il dans le ballet? Et de quelle nationalités sont-ils?
Ils sont environ 90 et il viennent d’un peu partout. On n’a pas de Chinois. C’est devenu très mixte à partir des années 50.
Mais pour le style? Ne se perd-il pas?
Non, car on transmet ! On peut apprendre le style de Bournonville même si on n’est pas allé à l’école.
Savez-vous pourquoi Lander est parti de l’Opéra de Paris, après la 100ème représentation d’Etudes?
Oh il y a des secrets qu’on ne connait pas, mais Auric et lui ne s’entendaient pas.
Quel est le style de cette compagnie dès lors que son directeur vient de chez Balanchine ?
C’est un mélange. On joue avec la tradition, mais elle est aussi assurée. Dès lors qu’on a des vidéos, on peut remonter ce que l’on veut. Mais le deuxième acte de ce Napoli fait débat. C’est
intéressant.
Quel est l’âge de la retraite des danseurs et du directeur de la compagnie ?
Avant, un directeur restait toute sa vie à la tête d’une compagnie. Aujourd’hui après 10 ans, un directeur est usé (rires). Avant c’est 45/48 ans la retraite pour les danseurs. Aujourd’hui c’est
40/42 ans mais on garde certains une dizaine d’années de plus, pour faire des personnages. Il ont une pension à la suite de cela, mais pas suffisante pour vivre.
Edvard Helsted, Holger Simon Paulli, Hans Christian Lumbye
Musique
Louise Alenius Boserup
Musique de l’acte II
Sorella Englund, Nikolaj Hübbe
Chorégraphie et mise en scène d’après August Bournonville
Il est plaisant d’aller au ballet avec des novices, qui ne connaissent rien à la danse. J’aime voir mes amis découvrir quelque chose qu’ils ne connaissaient pas. Je les observe dans le noir, regarder ce qui se déroule sous leurs yeux. J’appréhende un peu l’entracte quand je leur demande « alors ça te plaît? ». Je repense à mon amie F*** dont le visage s’est illuminé et qui m’a répondu « C’est tout ce que j’aime » lors d’un hommage à Jérôme Robbins. Un amoureux que j’avais emmené voir pour la première fois un ballet de Kylian était ressorti bouche bée devant le travail des danseurs. Les jours qui suivaient, étaient rythmés par des « que c’était beau ce ballet ». Cette phrase revenait quand je l’ai emmené en voir d’autres.
Il est tout aussi plaisant, et ce pour des raisons différentes d’aller voir un ballet avec un (ou plusieurs) balletomane, qui comprend notre soif de voir, de comprendre, de vivre des émotions à chaque fois différentes en allant voir un ballet plusieurs fois. J’ai donc passé un week-end Bolchoï avec Pink Lady, tout aussi excitée que moi à l’idée de voir deux Don Quichotte et un Flammes de Paris en deux jours. Pour cela, il nous fallait une sacrée organisation, n’ayant pas de places pour la journée du samedi. Nombre de messages envoyés : 33 plus ceux via Twitter 19 pour une organisation bien réglée.
Pour le Don Quichotte de 14h30, j’obtiens un fond de loge à 8€ très bien placé (deuxième loge de côté n°23). Assise sur le dossier de ma chaise, je vois toute la scène.
J’ai de grandes attentes de ce Don Quichotte « en vrai ». J’avais vu Osi/Vasi au cinéma et c’était remarquable. J’étais restée bouche bée.
Le prologue dévoile la pantomime et le jeu entre Don Quichotte et Sancho Pancha me fait rire d’entrée. J’ai toujours apprécié l’humour guignolesque à la Scapin et les farces de
Sancho Pancha m’amusent comme une enfant. Le premier acte débute, Kitri entre sous les traits de Kryssanova. Ses premiers pas sur scène me semblent raides. Je la trouve un peu coincée dans cette première variation qui doit être une explosion et qui ne produit pas chez moi l’effet attendu. Je trouve qu’il lui manque un air mutin. Ce n’est pas assez caliente à mon goût. Elle a néanmoins de très belles jambes qu’elle sait mettre en valeur dans de jolies arabesques. Elle se décoince et devient plus coquine quand le marquis fait son entrée. La danse des tambourins et des éventails est un moment réjouissant qui participe de la grande fête qu’est Don Quichotte. Mon moment kitch adoré (il y en a plein d’autres dans ce ballet) est l’entrée des toréos. Ca en jette, c’est puissant et c’est mené par un Merkuriev dont la cape et la coupe de cheveux s’accordent à souhait. Merkuriev vous capte de son regard et ne vous quitte plus des yeux. De même avec sa partenaire, qui en passant est géniale, ils ne se lâchent pas, l’intensité est puissante.
Retour de Kitri et de Basilio sur la scène, avec un Lopatin très léger, très juvénile dans le bon sens du terme. J’apprécie son jeu, son interprétation de jeune fougueux. Kitri se lâche au fur et à mesure du premier acte et adopte de plus en plus une attitude espagnole. La diagonale des toréadors est très réussi. On est au comble de la fête et l’acte I annonce de jolies choses pour la suite du ballet. A noter, le cheval sur lequel arrive Don Quichotte a disparu. Pink Lady m’avoue que la veille la scène a failli mal se passer ! Il n’y a que les Russes pour faire venir un vrai cheval sur scène. Est-ce que dans leur Bayadère, Solor arrive sur un vrai éléphant?
L’acte II débute dans une taverne où Kitri et Basilio ont pris la fuite. Dans ce passage, j’adore les passages de danses traditionnelles avec les robes de flamenco qui n’en
finissent pas. Retour du beau Merkuriev qui une fois de plus donne une leçon de caractère. L’arrivée du père de Kitri provoque la scène d’humour que j’aime beaucoup où Basilio fait croire à un suicide. Kryssanva s’y montre belle comédienne, la scène fonctionne bien. Le pas de deux entre Kitri et Basilio.
L’opéra n’est pas plein. L’Arop a du céder des places mais le prix a du en faire fuir beaucoup. Le décor n’en est pas moins sublime, fait de roses et de pivoines (mes fleurs préférées), dans des tons très romantiques, très poudrés qui me plaisent beaucoup.
Le rideau se lève après la mise en place des musiciens. Sur la scène, des soldats, certains sur une petite scène surélevée. Le ton est tout de suite donné. Amis révolutionnaires, la cocarde et le bleu, blanc, rouge sont au rendez-vous. Lantratov fait son apparition sous les traits de Philippe, jeune soldat marseillais, et Alexandrova sous ceux de Jeanne, jeune paysanne qui veut quitter le nid familial. Le frère de Jeanne, Jérôme, dansé par Denis Savin, est animé par un désir de l’engagement révolutionnaire. Il sent que son destin peut basculer et qu’il faut qu’il saisisse sa chance. D’un simple baiser, Philippe et Jeanne tombent amoureux. Jérôme s’engage aux côtés de Philippe ; les deux jeunes paysans doivent faire leurs adieux à leurs parents. Alexandrova montre dans ces quelques moments de pantomime de grandes qualités. Elle n’en fait pas trop et son jeu n’en est pas moins explicite. J’adore ce grand sourire qui illumine son visage, mais qui ne la rend pas niaise. Après ces adieux, les deux jeunes gens traversent la forêt et rencontrent en chemin le Marquis Costa de Beauregard, qui chasse. Il est très facile dans le ballet d’identifier les classes sociales par les costumes. Les nobles sont en noir et blanc, perruques et poudre tandis que les révolutionnaires arborent des costumes bleu, blanc, rouge. Jeanne plaît au marquis, et c’est assez brutalement qu’il lui fait comprendre ses intentions. Une fois encore la pantomime est bien jouée, encouragée par la musique qui souligne l’angoisse de la situation. Jérôme arrive au secours de sa sœur et parvient à la faire s’échapper. Lui tombe entre les griffes du marquis et est jeté dans un cachot. Adeline la fille du marquis tombée sous le charme du jeune héros, le délivre de ses chaînes. La jeune femme est dansée par Anna Rebetskaya, que je trouve très élégante dans sa danse, où tout est finesse et raffinement.
Nous arrivons au Palais Royal. Toute la cour débarque en grandes pompes, perruque, poudre et crinoline, couleurs pastels et tissus luxueux. J’apprécie le bal que je trouve très
élégant, la construction rompt complètement avec ce que l’on vient de voir précédemment. Tout est structuré et ordonné, on retrouve les formes chorégraphiques traditionnelles du cercle et des lignes de bal. Le rythme est ralenti par rapport au reste du ballet, où tout bouge en permanence. Là on prend le temps de s’aligner pour danser. Je suis séduite par cette entrée en matière, mais si déçue par ce qui suit. Un ballet dans le ballet. Ce petit divertissement que l’on retrouve parfois dans les grands ballets, comme dans La Dame aux Camélias (on regarde au théâtre L’histoire de Manon). Je suis assez réticente à ces mise en abîme qui viennent, à mon sens, alourdir la trame narrative et qui peuvent perdre en route quelques spectateurs non avertis. Je ne comprends pas l’intérêt narratif et chorégraphique, si ce n’est donner un second rôle à un(e) soliste frustré(e) de ne pas avoir le premier. Dans Flammes de Paris, nous avons donc le droit à Rinaldo et Arminde. Cela s’accorde très bien avec tout le kitch du ballet en général. Ce divertissement raconte l’amour naissant de ce jeune prisonnier qu’est Rinaldo et Arminde, dont l’armée vient de rentrer. Je commence par trouver le costume d’Arminde très laid. Noir et rouge, brodé de doré, avec des plumes rouges et blanches sur la tête, des « guêtres » noir, rouge et doré, les pointes noires coupées au bout qui est grisâtre et plein de colophane, comme dirait Anne Teresa de Keersmaeker, cet « emballage cadeau » me fait un peu peur. Je n’ai pas entièrement tort car côté chorégraphie, ce n’est pas mieux. Quel ennui, la fatigue de la journée me reprend et je lutte pour ne pas fermer les yeux. Cette danse met en valeur la ballerine qui est sans cesse placée au centre. Ceci est renforcé par le décor et la scénographie où les nobles du bal royal sont à présent assis sur les côtés et regardent ce ballet-drama. Pour la belle Arminde, tout se joue dans dans le bas de jambe. Le problème c’est que je ne trouve pas que Nina Kaptsova ait un très joli coup de pied et les guêtres ne mettent pas du tout en valeur ses mollets. Ce qui m’a plu par contre c’est tous les passages d’Amour qui lance des flèches sur la princesse et le prisonnier. La danseuse est très légère, et a de très belles lignes. Tous les petits sauts éveillent un peu ce ballet qui ressemble trop à un vilain tableau. La variation de ce petit Cupidon, m’a fait penser à celle de Don Quichotte pendant le rêve de ce dernier. L’adage entre Arminde et Rinaldo ne finit pas de m’ennuyer. Arrive la fin de l’histoire, accrochez-vous, c’est costaud. Le fantôme de feu la fiancée de Rinaldo revient (comme quoi même mort, la jalousie en torturent encore quelques-uns), emporte Rinaldo dans un bateau (Oh my god, on dirait un mauvais remake du Corsaire, souvenir douloureux), mais Arminde déclenche l’orage, ramène ses furies (créatures mi diable, mi chauve souris, mi ce que vous voulez de maléfique), Rinaldo tombe à l’eau et hop se retrouve mort aux pieds d’Arminde. Fin du drame, que de larmes versées dans les rangs des crinolines assises, qui viennent féliciter les deux comédiens. Moi à ce moment là je me dis que j’ai perdu le fil, que cet intermède n’a décidément aucun intérêt.
Encore un peu d’ennui avant l’entracte, entrée du roi et de la reine. Le roi nous fait une démonstration de tour en l’air en sixième, repris par sa cour. Une fois d’accord, mais
plusieurs fois vraiment? Bon alors nous voilà partis pour une danse de cour qui a le mérite d’être drôle, mais qui chorégraphiquement est creuse. La marseillaise tonne dans le fond de la scène, les Marseillais envahissent l’espace. La panique naît chez les nobles, et Adeline en profite pour fuir le palais royal. La salle est plutôt froide à la fin du premier acte, et j’avoue que je ne suis pas conquise, non pas par les interprètes, car je trouve qu’ils ont dans leur danse quelque chose d’unique, une fougue, une âme bien particulière, mais par la chorégraphie en elle-même.
Entracte de gala dit champagne, makis délicieux de l’Opéra et macarons. Il y a aussi les délicieuses pâtes au pesto que Pink Lady a découvert lors du cocktail deRoméo et Juliette. Miam, se remettre d’aplomb avant d’attaquer le deuxième acte qui est beaucoup plus réjouissant que le premier.
Après ces rafraîchissements et mon observation scrupuleuse des tenues de soirée, retour dans la loge pour le deuxième acte. C’est un acte dynamique, qui est sans cesse en
mouvement, où la foule ne s’arrête jamais. C’est une grande fête, dans laquelle Marie Antoinette et Louis XVI sont démembrés avec une liesse étonnante.
Jeanne danse sur la Carmagnole. Au début de cet acte, elle n’est pas en pointe mais en chaussure de caractère et j’ai apprécié qu’on voie la soliste danser autrement. Alexandrova se montre
complètement absorbée par le rôle. J’ai adoré les fois où elle brandit le drapeau et l’agite. Son visage était illuminé. J’ai complètement été sous le charme de son sourire, par lequel elle donne beaucoup. Chacun de ses saluts sont une vraie révérence au public.
Le passage très rythmé, après le petit pas de deux entre Jérôme et Adeline, où les danseurs frappent des pieds emmenés par une Jeanne hystérique de bonheur de faire cette révolution, est un de mes préférés. La salle se réchauffe un peu d’ailleurs à ce moment-là et le public semble y prendre plus de plaisir.
La danse basque laisse entrevoir les qualités des garçons de cette compagnie, avec une série de sauts en l’air et autres pirouettes.
Retour des comédiens du premier acte, qui dansaient pour la noblesse, les revoilà mais cette fois pour danser pour le peuple. Véritable fresque, le tableau n’a pas
d’intérêt chorégraphique. C’est un défilé d’odalisques au bonnet phrygien, on pourrait presque renommer le passage la liberté guidant le peuple, même si le tableau me fait beaucoup plus d’effet que ce passage là. Arrive enfin le fameux pas de deux, où les étoiles russes peuvent nous éblouir par leur technique qui défie les lois de la gravité. Maria Alexandrova est délicate, tout en finesse dans ses mouvements, sans jamais perdre son énergie. Elle nuance beaucoup ses mouvements, ce qui donne des qualités différentes. Quant à Lantratov, c’est impeccable. Que j’ai hâte de voir Vasiliev dans ce pas de deux qui va forcément en rajouter des tonnes (pour le plaisir du public) ! Lantratov montre une aisance technique, avec une belle amplitude et des retombées impeccables. Le couple fait monter la sauce assez vite et enfin la salle s’enthousiasme ! Ouf il était temps de faire un accueil convenable à cette compagnie.
Un dernier pas de deux entre Jérôme et Adeline très beau, avec des transferts de poids du corps de l’un vers l’autre, des portés assez intéressants. L’adage est joli, sort du vacarme de la révolution pour mieux nous y replonger ensuite, quand Adeline décide de rejoindre son père sur l’échafaud. La guillotine fait tomber la tête d’Adeline, recueillie dans les bras de Jérôme qui se lamente, tandis que les révolutionnaires continuent leur marche sur Paris, Jeanne et Philippe en tête.
En résumé, une très bonne soirée, un ballet qui a ses faiblesses chorégraphiques, mais un vrai divertissement, plein de réjouissances. Le ballet ne peut être dansé que par une compagnie comme le Bolchoï, de part son côté exubérant. Je retourne voir Vasi/Osi dans Flammes le 15 mai, j’ai hâte de voir ce que ça donne. Je ressors très impressionnée par la danse des Russes, que je trouve généreuse, et très communicative. Il y a une âme dans cette danse qui donne des émotions très particulières.
Merci encore à JMC pour la place de gala.
Boris Asafiev
Musique
Alexei Ratmansky
Chorégraphie
D’après Vasily Vainonen
Ilya Utkin, Evgeny Monakhov
Décors
Yelena Markovskaya
Costumes
Damir Ismagilov
Lumières
Distribution du 05 mai 2011 19h30
Jeanne, fille de Gaspard et de Lucille : Maria Alexandrova
Jérôme, son frère : Denis Savin
Philippe, un Marseillais : Vladislav Lantratov
Le marquis Costa de Beauregard : Iouri Klevstov
Adeline, sa fille : Anna Rebetskaya
Mireille de Poitiers, une actrice : Nina Kaptsova
Antoine Mistral, un acteur : Artem Ovcharenko
Jarcasse, une vieille femme : Yuliana Malkhasyants
Gilbert, le capitaine des Marseillais : Alexandr Vodopetov
Le roi Louis XVI : Ruslan Skvortsov
La reine Marie-Antoinette : Olga Suvorova
Gaspard, un paysan : Alexandr Petukhov
Lucille, sa femme : Natalia Novikova
Amour : Anastasia Stashkevich
L’apparition de la fiancée : Olga Kishneva
Les amies d’Arminde : Yulia Grebenshchikova, Olga Marchenkova, Maria Zharkova, Angelina Vlashinets.
Les furies : Anastasia Meskova, Victoria Osipova, Victoria Litvinova, Anna Tikhomirova, Anna Okuneva, Anna Leonova.
Des chasseurs, amis du marquis : Batyr Annadurdyev, Yan Godovsky, Maxim Surov, Igor Tsvirko
Danse auvergnate : Anna Antropova, Krisitina Karaseva, Alexandr Vodopetov, Alexeï Kostin.
Danse marseillaise : Alexeï Matratov, Dmitry Zagrebin, Igor Tsvirko
Le président de la Convention : Alexandr Fadeechev