Clotilde Vayer

Première du Lac des cygnes

Sans doute le ballet le plus attendu de la saison et le plus complet. Il fallait se battre un peu pour obtenir une place, puis ensuite jouer avec le jeu des distributions changeantes pour voir la soirée de rêve. Pour ma part j’ai pu assister à la répétition générale, avec une Emilie Cozette plutôt convaincante, mais un Stéphane Bullion plus fragile. On a pu lire ça et là dans la presse que Benjamin Millepied a choisi de changer la distribution pour une première qui en mette plein la vue. Et ce fut le cas. Retour sur une première soirée où j’ai retrouvé mes rêves d’enfant.

Lac des cygnes par Agathe Poupeney

Il y a toujours une hésitation à aller revoir un ballet. On vous pose d’ailleurs souvent la question : mais tu l’as vu combien de fois ? J’ai arrêté de compter, comme on arrête de compter les cigarettes quand on abandonne ses bonnes résolutions. Le « mais » qui précède toujours la question de mon interlocuteur insiste sur le côté addictif. Il n’en est rien. Il y a des ballets que je n’ai jamais revus, soit parce qu’ils étaient mauvais, soit parce qu’ils m’avaient tellement bouleversée que je voulais rester sur l’émotion unique. Quand le souvenir devient plus flou, je m’autorise à y retourner, pour me laisser éprouver une nouvelle émotion ou raviver les souvenirs les plus lointains. Le Lac des cygnes fait exception. Il faudrait être un balletomane fou pour ne pas s’acheter un billet pour voir ce chef d’oeuvre.

Certains penseront que la version de Noureev est mauvaise ou vieillissante. A voir Ludmila Pagliero, Mathias Heymann et Karl Paquette sur la scène de Garnier, on a vu toute la beauté de la chorégraphie. D’abord dans le jeu des danseurs. Karl Paquette l’habitué, nous a servi un très beau Rothbart. A la fois puissant et énigmatique, il incarne le personnage avec beaucoup de panache en alternant entre la noirceur et la séduction. C’est Mathias Heymann qui apparait en premier et tout de suite, on voit les grandes qualités du danseur. C’est un prince introverti à la danse merveilleuse. Il n’a rien perdu de son ballon d’antan et il a beaucoup gagné en délicatesse. Tout fait sens dans la danse de Mathias Heymann : il campe un personnage à la forte personnalité appuyée par une danse techniquement impeccable sans oublier la fragilité du jeune prince, avec de belles lignes et une finesse dans les réceptions comme personne. Son regard est fuyant, tant envers ses convives que le public. L’intériorité du personnage se construit sous nos yeux avec un belle subtilité. Au deuxième acte, l’entrée du cygne est le moment parfait de tension. A noter la belle performance de l’orchestre : la musique s’est parfaitement mariée à la danse pour nous faire frissonner de nombreuses fois. Ludmila Pagliero est un cygne tout en retenue. A l’instar de son prince, elle dessine un cygne tout en fragilité. Sa pantomime est très lisible et le couple fonctionne à merveille. Le corps de ballet entre et la scène semble s’étendre à l’infini. On admire ces cygnes déjà si bien réglés pour une première. Les lignes sont impeccables, les courbes s’entrelacent. C’est stupéfiant et le corps de ballet est la quatrième étoile de la soirée.

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L’acte trois laisse place aux traditionnelles danses du monde. La distribution de cette première est un régal : Alessio Carbone, Eve Grinsztajn, Mélanie Hurel, Emmanuel Thibault. Autant de premiers danseurs qui offrent un spectacle d’une très grande qualité. Ludmila Pagliero montre un cygne noir subtil ; elle séduit le prince du bout de la pointe. Rien n’est en excès, tout semble à sa juste place. C’est une vraie fête que de voir Mathias Heymann si en forme sur scène.

L’acte quatre fut sans aucun doute le plus beau et le plus émouvant. La musique devient sombre, les visages des cygnes se couvrent d’un voile de tristesse infinie. Leurs bras semblent gonflés d’eau. On entre avec les personnages dans la tragédie finale. Le pas de trois final est à couper le souffle. Une grande soirée !

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Avant-goût de Dances at a gathering

Du 19 juin au 7 juillet, l’Opéra de Paris présente une soirée mixte, faite de Dances at a gathering de Jerome Robbins et de Psyché d’Alexei Ratmansky. De retour 3 ans après, Psyché est un ballet féerique sur la musique de César Franck. La pièce de Robbins a été crée en 1969. C’est un ballet qui ne raconte rien, c’est un dialogue entre la danse et la musique de Chopin. Samedi 31 mai, dans le cadre des Convergences, nous avons pu assister à une répétition publique menée avec humour et pédagogie par Clotilde Vayer. La maître de ballet qui remplacera bientôt Laurent Hilaire dans son poste d’associé à la direction de la danse dirigeait ce samedi, Héloïse Bourdon et Pierre-Arthur Raveau pour le pas de deux entre la « jaune » et le « vert », puis Sabrina Mallem qui dansera la « verte ».

Dans ce ballet sans histoire, on désigne les personnages par leurs couleurs de costumes. Ainsi, on a vert, jaune, brique, bleu, rose, mauve, violet. Il n’y a donc pas d’argument. Pour Robbins, ce ballet est un peu comme les Sylphides. C’est par la musique que les gens ont envie de danser.

La répétition commence. Clotilde Vayer insiste sur la bonne humeur qui doit émaner de ce ballet. C’est comme une grande journée ensoleillée, un beau jour d’été. Le sourire d’Héloïse Bourdon illustre à merveille ce bonheur de danser et de partager pour la première fois ce jour-là la scène avec P-A Raveau. Clotilde Vayer demande à plusieurs reprises que « ça bouge ». Le pas de deux, comme tous les autres du ballet est une conversation entre deux danseurs. C’est un jeu de questions de réponses et la chorégraphie de l’un et de l’autre se répondent. « C’est un jeu intimiste entre vous deux ». La maître de ballet insiste sur les intentions et sur les regards, mais aussi sur le jeu qu’il faut faire avec la musique. « Il n’y a pas plus musical que Robbins ». Pierre-Arthur Raveau montre à nouveau de très belles qualités aussi bien techniques qu’artistiques. Héloïse Bourdon quant à elle est une partenaire délicieuse, qui dégage une grande délicatesse. La grande exigence de Clotilde Vayer, les pousse à se surpasser, à tout donner, si bien qu’en 30 minutes les danseurs sont déjà en nage. Il est alors temps de les laisser souffler, puisqu’ils dansent le soir même dans Palais de Cristal.

 

Clotilde Vayer, Héloïse Bourdon et Pierre-Arthur Raveau, photographie d'IKAubert

La répétition se poursuit avec Sabrina Mallem qui interprétera la verte. C’est une variation qui a été crée par et pour Violette Verdy, que Clotilde Vayer a aussi dansé, coaché par M. Robbins lui-même. Clotilde Vayer nous explique que c’est une variation qui paraît très facile, parce qu’il y a peu de technique, mais qui en réalité ne l’est pas du tout. C’est une variation sur la musicalité. Toute cette variation est faite pour le public, contrairement aux autres, où les danseurs dialoguent entre eux de manière presque intime. La verte entre et elle regarde tout le public. Elle ouvre ses bras, et hop, c’est comme si quelqu’un lui marchait sur la robe. Elle ne fait pas les pas en entier, c’est une danseuse qui a de la maturité, elle ne montre pas en pas en entier. « C’est la mort d’un coupé jeté ». Il y a de nombreux pas empruntés au folklore ou à la comédie musicale. Clotilde Vayer donne tout son savoir à Sabrina Mallem qui ne ménage pas ses efforts. « tu vois là c’est salut Ghislaine Thesmar ». La maître de ballet est aussi bonne pédagogue avec ses danseurs qu’avec le public à qui elle ne manque pas d’expliquer chaque détail, chaque nom spécifique. Le salut Ghislaine Thesmar, c’est parce que Thesmar avait cette manière très particulière de faire sa révérence, en se prosternant devant son public. Clotilde Vayer passe ensuite à la deuxième partie, là où la verte va tenter d’établir un dialogue avec les hommes qui se baladent sur le plateau. « Tu fais tout pour qu’on te remarque », mais personne ne la voit. « Joue des coudes », elle s’agite devant un homme, on pense au Concert. Clotilde Vayer insiste sans cesse sur la musicalité et l’espace tout en faisant des rappels sur la technique « attention à tes bras en couronne, pas de petit chapeau… pousse des talons en avant ». Elle encourage, ne lâche pas sa danseuse pour lui faire parvenir à ce point d’équilibre où la variation est juste. Sabrina Mallem, écoute refait, avec beaucoup d’humilité et de talent. Elle se montre toutes ses qualités, notamment de très jolis bras et un beau port de tête. La répétition se termine. Clotilde Vayer nous dévoile la fin du ballet. « On regarde ». Mais on ne regarde rien, juste on regarde. On célèbre tout simplement la musique avec la danse.

Clotilde Vayer et Sabrina Mallem

A savoir, l’Opéra de Paris a récemment reçu le Prix Jerome Robbins décerné par la fondation Robbins.

Réserver des places pour la soirée Robbins Ratmansky (les soirées du 19 et du 21 sont précédées du défilé du ballet) , clic


Robbins – Ratmansky par operadeparis

Convergences Don Quichotte Rudolph Noureev

Amphithéâtre Bastille, samedi 16h, Karl Paquette Ludmila Pagliero Clotilde Vayer et Elena Bonnay entrent sur le plateau pour répéter Don Quichotte. On rentre très vite dans le vif du sujet, Clotilde Vayer n’a pas de temps à perdre, il faut corriger par rapport à ce qu’elle a vu la veille.

Elle ne va pas ménager les deux danseurs. Souvent le maître de ballet prend le temps de raconter aux spectateurs l’histoire, mais là c’est fait en vitesse TGV. Elle va leur faire répéter les variations des trois actes, presque en entier.

L’acte I présente les deux personnages principaux. Kitri est la fille de l’aubergiste Lorenzo, que ce dernier veut marier au riche Gamache. Hors de question pour cette Barcelonnaise au caractère bien trempé, qui est amoureuse de Basilio. On commence par voir l’entrée de Kitri. Elle arrive en courant sur la place de Barcelone. « Quand tu cours Ludmila, j’ai besoin de voir que tu cherches Basilio ».  Le regard doit aller partout. Clotilde Vayer a noté toutes ses corrections sur une feuille, elle vérifie que ses conseils ont été bien compris. J’ai apprécié le travail de Ludmila, qui dès l’entrée montre une Kitri forte, à la tête haute. Sa technique de pointes est assez remarquable. Son délié de pied quand elle fait le grand développé est très joli. Karl Paquette doit retravailler son manège surtout les fouettés arabesque. Kitri et Basilio se retrouvent, ils jouent de séduction. Ils s’embrassent derrière l’éventail. Clotilde Vayer les arrête à ce moment là, Karl Paquette n’en perd pas son humour « C’est plus long normalement le baiser », ce à quoi la maître de ballet (devrais-je dire maîtresse ? ça sonne mal..) lui répond que là « c’était un peu téléphoné ». Il faut que ça arrive sans que l’on s’y attende. Clac l’éventail s’ouvre et hop, Basilio renverse Kitri pour l’embrasser.
L’adage de l’acte I est très difficile. « Karl tu peux avoir plus de contact avec elle » dit Clotilde Vayer au danseur, qui se montre un partenaire très puissant. Il s’adapte complètement à la danseuse, ce travail a du être fait auparavant, car il n’y a pas de problème au niveau des prises dans les portés. Si Karl Paquette doit être proche de sa partenaire, Ludmila doit prendre plus de risques « ça doit être dangereux » dit elle à propos d’un développé à la seconde qu’elle doit garder le plus possible avant que le danseur lui fasse faire le fouetté arabesque. L’exigence de Clotilde Vayer est élevée, et elle ne laisse rien passer, « là je suis de profil, c’est très intéressant ». De profil, on voit mieux si les jambes sont au maximum de l’en-dehors. « Quand tu lèves la jambe, le poids du corps doit aller vers le bas, pour permettre d’alléger le haut ».
On passe à la variation des castagnettes. « Ludmila ce ne sont pas des vagues, mais des castagnettes que tu dois faire avec tes mains ». Sur cette variation, l’étoile rencontre un problème de musicalité, « écoute la musique une fois d’abord ». « Ce n’est pas que je ne comprends pas, c’est que c’est trop rapide ». Clotilde Vayer demande à Elena Bonnay d’accélérer le rythme de la variation pour que Ludmila se surpasse, ce qu’elle fait à merveille. La diagonale de tours cinquième est exemplaire, elle enfonce à chaque fois le talon dans le sol dans une cinquième parfaite. Pas assez pour la répétitrice, il faut que les tours avancent, ils sont trop sur place. Elle remet l’étoile au travail qui n’a pas eu le temps de reprendre son souffle. Clotilde Vayer explique ensuite au public que le premier acte de Don Quichotte est le plus cardio, car les deux solistes ont très peu de temps pour reprendre leur souffle et ils sont toujours en scène, donc dans leurs personnages. Par ailleurs le premier acte et le passage des Dryades est ce qui reste du travail de Marius Petipa. Fin de l’acte I, pas de deux de Kitri et Basilio avec les portés très impressionnants où la danseuse est portée à bout de bras. « Ludmila tu es trop lente à monter, Karl il faut la monter en 1 temps. Attention, ne la monte pas autant, tu es fort, et tu la gères, mais c’est dangereux. »

On passe à l’acte II. Kitri et Basilio ont fuit Barcelone, Lorenzo, Gamache, Don Quichotte et ses hallucinations dans lesquelles  il confond Kitri avec Dulcinée, un amour passé. Ils sont au camp des gitans. Dans la version de Marius Petipa, il y avait cinq actes. Le pas que nous allons voir n’existait pas. Les corrections vont vite, Clotilde Vayer les fait avant qu’ils refassent ce pas de deux. « Il ne faut pas perdre du temps à remonter quand vous êtes au sol. » Le pas de deux se file, Clotilde Vayer corrige ensuite les ronds de jambe à la seconde qui doivent être plus généreux et plus ensemble. Elle se demande aussi si le début du pas de deux était clair… « Vous avez compris ce qu’ils font? » Karl Paquette lance la boutade « on a fait un bébé ». Oui je pense que tout le monde avait compris…

Dans l’acte II, Kitri se transforme en Dulcinée car on plonge au milieu du rêve de Don Quichotte. Bienvenue au monde des Dryades, les nymphes de bois qui habitent ce monde merveilleux. Ludmila Pagliero passe la variation qui avait la veille des problèmes de musicalité. Clotilde Vayer nous dit de compter dans notre tête « 1, 2, 3, 4, 5 ». C’est assez terrible de nous avoir dit ça, car à chaque équilibre on a cela en tête…

On arrive au IIIème acte. Les danseurs commencent par répéter l’adage. « Karl ne sois pas en retard sur la musique, Ludmila ne décale pas la jambe mais seulement le haut du corps. » La fatigue commence à se sentir, ils n’ont pas bu et ils n’ont pas eu une minute de répis. Les pointes de Ludmila Pagliero cassent, on les voyaient se courber de plus en plus à mesure que l’heure de répétition avance. « Je voudrais que les pirouettes aillent crescendo ». Elle corrige les regards, les bras des partenaires qui bougent.
On enchaîne avec la coda, et franchement chapeau à Ludmila Pagliero qui fait ses tours fouettés avec des pointes cassées ! Karl Paquette doit refaire ses tours, Clotilde Vayer veut en voir trois au lieu de deux dans les tours suivis.

Répétition intéressante, comme d’habitude, qui nous a éclairé sur des détails techniques. Ludmila Pagliero promet d’être une Kitri flamboyante, pleine de fougue. Rendez-vous le 16 novembre !

Don Quichotte, plus d’infos et réservations sur le site de l’Opéra de Paris, clic.
A lire ailleurs : A petits pas, Danses avec la plume.