Revivre en salle quelque chose qui a été conçu pour l’extérieur c’était un pari osé. Cela n’a d’ailleurs pas plu à tout le monde. La salle s’est vidée d’une centaine de ces spectateurs et ce parfois dès les 10 premières minutes. Prendre des places pour un spectacle sans même regarder de quoi il s’agit pour ensuite crier au scandale… enfin bref, les allusions à la lumière m’ont surprises alors que l’on savait que le spectacle commençait dans le noir.
Pour ma part, j’ai trouvé l’expérience sensorielle du noir, du flou plutôt intéressante. Dès le début, on perçoit des ombres, on croit voir du mouvement. Un homme s’avance sur le devant de la scène, il est nu. Il va crier d’une façon singulière. Cela ne ressemble pas à un cri humain, ça siffle presque. C’est très surprenant. Il est dans le seul espace de la scène un peu lumineux, mais pas suffisamment pour distinguer son visage. Peu à peu, on sent une foule qui arrive sur la scène. Une percussion résonne, un bruit presque métallique. Danseurs et chanteurs s’avancent en ligne. Les voix commencent à sortir des corps, mais on ne sait pas trop qui chante. Puis, des danseurs s’échappent, un court et se jette au devant de la foule avec une certaine violence. Il glisse et dérape sur le cercle de sable.
Si on est forcément dérouté, je décide de m’y laisser porter comme dans un rêve. En fait c’est la musique qui devient mouvement. Les voix sortent de l’obscurité comme des rubans qui se baladent dans l’espace. Ces chants médiévaux sont d’une beauté très précieuse. Cela vous emporte, cela ne s’arrête jamais. Il y a donc une énergie qui naît d’abord du chant et qui va peu à peu être relayé par la chorégraphie à mesure que la lumière apparaît. Les chants créent une enveloppe, un cadre presque rassurant à la danse. Comme ce cercle de sable au sol. Les mouvements sont portés par ces voix.
Si le silence n’existe presque pas dans la musique, les corps se suspendent dans l’espace. Ils s’arrêtent, mais sans cesser le souffle, cette énergie qui s’est créée entre les protagonistes du groupe. La lumière naturelle de l’aube est ici remplacée par un dispositif de néons, qui fonctionne mais je pense qu’on aurait encore pu trouver mieux pour reproduire les premiers rayons du soleil. On découvre peu à peu tous les interprètes, habillés de vêtements foncés, baskets de couleur aux pieds. La danse se dévoile quand les corps sont enfin visibles. Le mystère reste entier, car on ne perçoit pas qui est chanteur, qui est danseur. Pas de frontières dans le travail d’ATDK. Au contraire, ici, l’interprète est dans une union parfaite des éléments et des arts. Des miroirs, reflètent des cristaux de lumières sur les visages de certains.
L’espace se dévoile et va permettre des grandes traversées avec au bout un porté, ou une glissade sur le sable du cercle. Les mouvements commencent, puis se répètent, changent de rythme au gré des musiques. Un chanteur bat la mesure puis rentre dans la variation. Un se déchausse, l’autre interrompt un mouvement. Puis tous marchent, en changeant de direction tous ensemble. Une force se dégage car les corps s’unissent, cela en devient presque fusionnel. Un des moments les plus forts est l’avancée au devant de la scène des interprètes qui fixent le public en chantant. C’est très fort, on sent une âme qui émane de cette musique.
J’ai été emmenée par ce spectacle qui vous transporte ailleurs. On ne peut pas rester indifférent. La danse et la musique montent en puissance tout comme la lumière. On découvre alors un travail fabuleux, qui sait garder un mystère tant corps et voix se mêlent et s’emmêlent. Il y a de beaux moments de grâce dans ce spectacle, même si certains passages gagneraient à être plus dessinés, notamment dans le premier tiers de la pièce.
chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker direction musicale Björn Schmelzer scénographie Ann Veronica Janssens costumes Anne-Catherine Kunz
créé avec et interprété par Rosas & Graindelavoix
Olalla Alemán / Els Van Laethem, Haider Al Timimi, Bostjan Antoncic, Aron Blom, Carlos Garbin, Marie Goudot, Lieven Gouwy, David Hernandez, Matej Kejzar, Mikael Marklund, Tomàs Maxé, Julien
Monty, Chrysa Parkinson, Marius Peterson, Michael Pomero, Albert Riera, Gabriel Schenker, Yves Van Handenhove, Sandy Williams
Et voilà la saison s’est terminée à l’Opéra de 15 juillet dernier avec les adieux de José Martinez. Une soirée très forte en émotions dans la salle, un peu guindée dans le grand foyer pour la remise de la médaille de Commandeur des arts et des Lettres, ainsi que deux très beaux cadeaux, un siège d’Opéra à son nom et un costume Christian Lacroix offert par tous les danseurs, techniciens, machinistes et habilleuses (je dois en oublier), et très festive et dansante pour la dernière partie de soirée. La saison se finit en beauté, il faut maintenant assurer la relève, renouveler les danseurs, car José Martinez ouvre la voie du départ pour bien d’autres après lui… Osta, Letestu, Le Riche (ahhhhh), Dupont, Ciaravola..C’est un grand artiste qui nous quitte, un homme au cœur généreux. Je repense à cette soirée fabuleuse et j’ai encore des paillettes dans les yeux.
Il y a encore des choses à faire à Paris heureusement cette semaine ! Le Miami city ballet est là pour encore une semaine au Châtelet, il faut aller les voir, ça vaut vraiment le coup. Voilà le programme de la semaine.
Lundi 18 juillet
à 20h
Projection du film West Side Story
au Théâtre du Châtelet
en présence de GEORGE CHAKIRIS
Mardi 19 juillet
à 20h
Nine Sinatra Songs (Tharp-Arlen/Mercer/Cahn)
Afternoon of a Faun (Robbins-Debussy) Liturgy (Wheeldon-Pärt) Ballet Imperial (Balanchine-Tchaikovski)
Mercredi 20 juillet
à 20h
Theme and Variations (Balanchine-Tchaikovski)
Promethean Fire (Taylor-Bach)
Nine Sinatra Songs (Tharp-Arlen/Mercer/Cahn)
Jeudi 21 juillet
à 20h
Theme and Variations (Balanchine-Tchaikovski) In the Night (Robbins-Chopin) In the Upper Room (Tharp-Glass)
Vendredi 22 juillet
à 12h
Cours en public
Vendredi 22 juillet
à 20h
Western Symphony (Balanchine-Kay)
In the Night (Robbins-Chopin)
In the Upper Room (Tharp-Glass)
Samedi 23 juillet
à 15h
Western Symphony (Balanchine-Kay)
Afternoon of a Faun
(Robbins-Debussy)
Liturgy (Wheeldon-Pärt)
Nine Sinatra Songs (Tharp-Arlen/Mercer/Cahn)
Samedi 23 juillet
à 20h
Square Dance (Balanchine-Corelli/Vivaldi)
Afternoon of a Faun
(Robbins-Debussy)
Liturgy (Wheeldon-Pärt)
Ballet Imperial (Balanchine-Tchaikovski)
Sinonle Festival Paris d’été a commencé depuis jeudi 14 et se termine le 09 août. Il y a une belle programmation et beaucoup de manifestations gratuites. De la danse avec :
Fanny de Chaillé le 23 juillet (gratuit)
La compagnie Trafic de Style/ Sébastien François Obstacle du 26 juillet au 02 août (gratuit).
Compagnie Toujours après minuit/ Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna El como quieres du 17 au 26 juillet (gratuit).
Compagnie Toujours après minuit/ Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna Avant propos du 31 juillet au premier août (8€-14€-18€).
Ballet Preljocal/Angelin Preljocaj Empty moves (part I & II) du 22 au 24 juillet (8€-14€-18€).
Ballet Preljocal/Angelin Preljocaj Annonciation du 21 au 22 juillet (8€)
Emanuel Gat Dance/ Emanuel GatBrilliant Corner du 3 au 6 août (8€-14€-18€).
Malandain Ballet Biarritz/ Thierry Malandain Roméo et Juliette du 27 au 30 juillet (8€-14€-18€).
Côté expo le festival met à l’honneur Agathe Poupeney qui est la photographe officielle du festival. C’est l’oeil et la mémoire du festival. Le soirée de vernissage de l’expo a
lieu le 22 juillet et vous pourrez voir les photos jusqu’au 9 août. Je ne serai pas à la soirée de vernissage, mais je ne manquerai pas d’aller voir les photos d’Agathe.
Il y a aussi une belle programmation théâtrale et de musique alors ne manquez pas d’aller voir la programmation complète sur le site du festival. Il y a beaucoup de manifestations gratuites.
En vrac…
La création de Ratmansky a l’air super spéciale… Les garçons seront déguisés en animaux et les filles en fleurs.. Petite pensée pour un joli mouton… espérons que la chorégraphie soit géniale pour relever tout ça !
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Si vous êtes en province, vous pouvez aller voir Mathilde Froustey and friends aux Arènes du vieux Boucau ce soir. Au programme
En 1ère partie : Who Cares du chorégraphe américain Georges Balanchine Direction New York ! Les danseurs nous font vibrer sur les rythmes jazzy des années folles !
2ème partie : Don Quichotte ( 3ème acte ) en compagnie des danseuses de l’école Gillet-Lipszyc de biarritz et Choré-AM de Messanges ! Au cœur de Séville, DON QUIChOTTE et son fidèle Sancho Pança assistent au mariage de la malicieuse Kitri.
Si vous êtes encore à Avignon, faîtes un effort demain pour aller à 4h30 voir Cesana d’Anne Teresa de Keersmaeker.. Si si ça vaut le coup de se lever si tôt ! Vous
mangez ensuite à 14h vous enchaînez avec la projection de Rosa tanzt Rosas. Ce soir il y a Levée des Conflits de Boris Charmatz à 21h, ce week
end (24, 25, 26 juillet) encore du ATDK avec Fase. Il y a une expo de photos de danse à l’école des beaux arts. Ne manquez pas aussi cette semaine la performance de
William Forsythe, Unwort, tous les jours à 14h.
Voilà le lien vers le site, allez voir, il y aussi plein de supers pièces de théâtre, j’attendrais qu’elles passent à Paris pour les voir.
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A Montauban a lieu le festival DanseS en place du 19 au 24 juillet. La programmation est très belle, car vous pourrez y voirBoxe, Boxe de Mourad Merzouki, Roméo et
Juliette du Malandain Ballet Biarritz, Ensayos de Timeless d’Arantxa Sagardoy/Incidence Chorégraphique, un spectacle de clôture avec des extraits d’Esmeralda (Allister Madin/Kora Dayanova) , Delibes Suite, La Belle au bois dormant. Les élèves d’un stage organisé pendant la durée du festival danseront aussi lors du spectacle de fin de stage.
Bonus vidéo de la semaine : José Martinez remercie son public
Moment très émouvant et très fort…
Spotted, les blogueuses sont filmées… saurez vous les retrouver? Déjà la semaine dernière Le Petit rat était caché dans une des photos…
C’est avec une grande joie que je suis retournée voir Rain, d’Anne Teresa de Keersmaeker dans une autre distribution que la première fois. J’ai essayé d’emmener Pink Lady avec moi, celle-ci a préféré tenter un Pass pour les Noces de Figaro, qui s’est soldé par un échec (ahaha rire maléfique!). J’ai tout de même réussi à convaincre mon photographe et sa pétillante petite soeur, qui venait à Garnier pour la première fois. Attendant désespérément un Pass, en bonne deuxième je n’en ai pas eu et ai filé à 19h59 au première étage pour me replacer. Après une ouvreuse particulièrement mal aimable à qui j’aurai bien mis un coup de griffe de rongeur après sa phrase pincée « Ah non Mademoiselle, vous ne pouvez pas être debout dans le fond de la grande loge, certainement pas, et en plus vous avez une trrrès bonne place! (fond de l’amphi..) « , sa collègue plus jeune et plus sympa, m’a de suite replacée sans dispute.
Entre la séance de travail et cette représentation j’ai eu le temps de lire le programme et de beaucoup repenser à ce ballet. C’est avec un regard différent que j’ai abordé la pièce ce soir là. Une fois encore je suis emballée par la scénographie. Ces cordes sont un jeu de transparence qui me plaît, car un doute persiste. Pleut-il dehors ou les danseurs dansent-ils sous la pluie? J’avais parlé la première fois d’un enclos et cela m’est apparu encore plus comme une évidence. Cette image de l’enclos comme un lieu rassurant est renforcé par les lignes au sol. On ne le voit pas immédiatement, mais les lignes forment des rectangles dans lesquels peuvent aller les danseurs, comme une sorte de maison.
La chorégraphie est plus lisible cette fois-ci, je vois clairement la phrase chorégraphique qui se démultiplie. Je vois les courses et les marches qui sont des silences face au mouvement. Je vois l’engagement sur la scène de ces danseurs merveilleux. Vincent Chaillet n’a plus rien à prouver, mais il montre une fois encore une danse incroyablement libre, fluide et nuancée. Nicolas Paul semble lui aussi très à l’aise sur cette scène et ses qualités sont mises en valeur. Son charisme lui donne une place bien particulière parmi les danseurs. Quant à Daniel Stokes, j’avais découvert ses qualités dans Kaguyahime de Jiri Kylian, il se confirme être un excellent danseur contemporain. Sa personnalité s’affirme aussi plus dans ce ballet. Je trouve qu’il a de très beaux sauts.
La répétition qui s’opère tant dans la musique que dans la danse. Les notes de xylophones résonnent sur les corps des danseurs. Les courses et les marches se font en miroir par rapport aux musiciens qui changent eux aussi de places. C’est d’accord le seul parallèle qu’il existe dans cette pièce, car les danseurs sont toujours dans des constructions irrégulières. Trois qui dansent, un assis, deux qui courent, etc. La répétition est poussée à l’extrême, tout comme la lumière qui passe du jaune au rose en passant par un sable argenté, la danse se remplit de nuances, change de rythme. Ainsi de la même manière, les costumes varient du chair au fushia, on ose même les paillettes sur une chemise pour rappeler les touches argentées qui émanent des lumières. Dans cette répétition permanente, il y a des point d’orgues, qui permettent de lier tous les éléments. Léonore Baulac, par ailleurs merveilleuse dans ce contre-emploi, est le point central, qui lie tous les éléments. Ses courses sont différentes, son énergie semble être la même pendant tout le ballet, ce qui tient pour moi de la véritable performance.
La simplicité de ce ballet réside dans la complexité de sa construction. Le fait de retrouver toujours les mêmes éléments familiarise peu à peu le spectateur avec le langage d’ATDK. Passionnée de mathématiques et de constructions géométriques, obsédée par le nombre d’or, la chorégraphie a l’air tellement difficile dans sa construction que je reste béate d’admiration devant le travail accompli. Et pourtant, la simplicité du langage, la facilité d’exécution des danseurs, est profondément bouleversante. Une fois encore, l’émotion est entière, toute comme celle des danseurs sur scène. Ce soir, la salle applaudit longtemps, le sourire des danseurs et celui de la chorégraphe laisse apparaître une joie sincère et partagée.
Ludmila Pagliéro Muriel Zusperreguy Vincent Chaillet Aurélia Bellet Valentine Colasante Miteki Kudo Nicolas Paul Daniel Stokes Amélie Lamoureux Léonore Baulac
Lundi, après avoir été assistée brièvement à la présentation de la saison 2011-2012 au Théâtre de la Ville, dont je vous ferai un compte rendu dans la semaine, j’ai filé à l’Opéra Garnier pour assister à la pré-générale de Rain. Tout comme celle deRoméo et Juliette, l’entrée des artistes est envahie par des groupes de scolaires.
J’attendais beaucoup de ce ballet, les danseurs avaient tous l’air très excités à l’idée de danser cette œuvre et d’y prendre beaucoup de plaisir. C’est la première grande œuvre que la chorégraphe belge donne à une autre compagnie que la sienne. Et quelle œuvre ! Moi qui adore la danse contemporaine, j’ai été servie. C’est exactement ce qui me donne envie de danser et qui me plaît.
La scène est entourée par un cercle de cordes. Quelques chaises transparentes au fond, et un sol sur lequel son tracés des lignes continues de couleurs ou des pointillés. Ce sol sert aux danseurs à évoluer dans l’espace, car les constructions d’Anne Teresa de Keersmaeker sont complexes. 7 filles, trois garçons. Les costumes sont très beaux et me plaisent beaucoup. Des dégradés du chair au rose de la jupe de Fumyo sont comme la palette de couleurs qu’il peut y avoir dans le ciel un jour de pluie. La pluie d’ATDK n’est pas triste, c’est plutôt une ode à la joie, un parcours ensoleillée sous de la pluie chaude. Les cordes qui encerclent l’espace sont plutôt rassurantes. J’ai aussi envie qu’elles s’animent, que les danseurs passent leurs bras ou leurs jambes dedans. Il faudra attendre un peu pour que l’orage se déclenche.
La chorégraphie est douce pour le regard. Les formes sont fluides, il y a beaucoup de balancés dans les bras, dans les jambes ou le corps tout entier. Les danseurs prennent leurs marques les uns par rapport aux autres. Ils courent, s’arrêtent. D’un coup, une force, comme un fil au milieu des omoplates vient les chercher et les fait reculer. Dans les formes de leurs bras, on imagine souvent qu’ils portent des objets imaginaires. Un joli ballon, une bulle de savon, un triangle. Tout un imaginaire se construit dans ce début de la pièce. Il y a des tensions avec le sol, il se passe quelque chose que l’on repousse pour se donner un nouveau élan ou bien qu’on enfonce pour se figer dans une attitude.
La lumière se modifie au fil du ballet, tout comme les costumes de certains personnages. D’un rose pâle on passe au fushia dans l’air, comme sur le sol. Il y a une fluidité dans les matières, dans la lumière. Tous les changements sont doux, comme une mousse ou une pluie d’été. Les xylophones, métallo-phones, piano et autres percussions forment un nuancier de sons et de gouttes de pluie. C’est un vrai spectacle que de regarder ces musiciens jouer. C’est une oeuvre complète, car le choix de cette musique est très pertinent. La musique comme la danse envahit tout les sens, la vue et l’ouïe ne peuvent se détourner de ce qui se passe sur scène. Il y a d’ailleurs aussi des changements de lumières pour la fosse d’orchestre pour que les musiciens soient parfaitement
intégrés à cette envolée. Ils sont debout, se déplacent, c’est une partition très vivante. La musique, les courses, les mouvements qui se décalquent et se transforment à l’infini, les tissus qui semblent flotter sur les corps, tout cet ensemble harmonieux forme une image démultipliée de la pluie.
Beaucoup de rebonds se mettent en place. Au début de la pièce, les pieds semblaient se plonger dans se sol, et maintenant, cela rebondit plus. Les résonances se font plus fréquentes. Le rythme de la chorégraphie s’accélère. Et toujours des courses circulaires qui viennent comme briser un cycle d’espaces géométriques plus complexes. Les échos se font dans le corps, on voit souvent des parallèles entre les bras et les jambes, mais aussi entre les danseurs entre eux. Les danseurs sont d’ailleurs très investis dans cette pièce. L’effort n’est pas visible. Ici, pas d’histoire, et pourtant les personnages ont des prénoms. Ils n’ont pas que des prénoms. Des personnalités apparaissent clairement. Ce que je ne sais pas c’est si ils viennent avec leur propre personnalité ou si un jeu leur est imposé. Ce qui est sûr, c’est que si c’est la deuxième option, Brigitte Lefèvre a fait un remarquable travail de sélection. Je retrouve les danseurs que j’aime, que l’on peut que
trop rarement apercevoir dans les grands ballets classiques. Sarah Kora Dayanova éblouit la scène, Charlotte Ranson redouble de beauté, Amandine Albisson domine sa danse à la perfection. Les sept filles s’accordent bien tout en laissant une place à chacune. Elles sont sept caractères, sept personnalités à part qui dansent ensemble, qui se regroupent dans quelques pas pour se séparer ensuite dans des solos qui se sont nourris des autres. Les regards sont complices, les sourires sont plus ou moins évocateurs d’un certain bonheur. Les tensions et les relâchés qui sont présents dans toute la chorégraphie traduisent ces regroupements qui sont des moments de tensions, d’énergies mises en commun, tandis que les solos, les trajectoires solitaires vont être ces relâchés. Chaque danseur apporte sa danse, sans jamais dénaturer la chorégraphie.
Tout n’est pas sans cesse en mouvement dans Rain. Il y a des pauses, des respirations, des parenthèses. Les garçons s’assoient sur les chaises et attendent que l’espace se libère pour danser. Je n’ai pas parlé plus haut des danseurs hommes. Si j’ai souvent vu Adrien Couvez dans des ballets contemporains, ce n’est pas le cas pour les deux autres. Marc Moreau montre une belle technique et un relâché du dos que je ne lui connaissais pas. Quant à Florian Magnenet, cette danse lui va bien mieux que les rôles de prince à mèche (clin d’oeil à Fab’) dans lesquels on veut l’enfermer. Là, sa danse respire, vit.
Des pauses dans le mouvement, on passe au ralenti, à la répétition. Ces effets sont très visuels, très cinématographiques presque. Les cordes qui encerclent l’espace donne l’impression d’un enclos, d’un refuge apaisant.
Des liens se tissent entre les personnages. Ils se touchent plus qu’au début, dansent parfois ensemble ou marchent dans la même direction. Ils s’entrechoquent, les rapports en deviennent violents. Des têtes viennent de cogner, ou s’enfoncer dans des ventres. Je ne peux m’empêcher à ce moment de penser à Café Müller de Pina Bausch où les corps s’attirent et s’aimantent parfois violemment. Cette violence des corps qui chutent, qui se rencontrent va de paire avec les variations de rythme dans la chorégraphie. On oppose un groupe à une duo ou un solo, dans l’espace mais aussi dans l’énergie des gestes.
Le groupe se retrouve dans une vague qui défile. Ce passage tranche encore avec le reste et permet de relancer les danseurs dans une nouvelle énergie. La couleur sable envahit l’espace. Les pas deviennent très sensuels. Tout se colore de la chaleur de cette ambiance. Cette sensualité des corps va être suivie d’un instant givrée, où tout devient bleuté, où les corps se reflètent sur les cordes qui forment présent un mur de glace.
Un lumière circulaire éblouit la scène et la salle. Réveil d’un rêve éveillé, la musique cesse. Les danseurs effectuent quelques pas, comme des réminiscences de ce qu’ils viennent de danser. Ils sortent en courant derrière les cordes. La dernière a le privilège de laisser traîner ses mains dans ces fils de pluie.
Je suis restée bouche bée devant ce spectacle, tant par la chorégraphie, la scénographie que par la musique. C’est un superbe cadeau qu’a fait Anne Teresa de Keersmaeker à l’Opéra de Paris. Les danseurs lui rendent bien. Il faut à tout prix que je revois cette pièce qui m’a happée de bout en bout. Il n’y a pas de mots suffisamment intenses pour en décrire la beauté.
Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.
La rencontre a lieu au salon Florence Gould, à l’Opéra Garnier. Je retrouve Amélie et E***. La chorégraphe et Brigitte Lefèvre mettent du temps à arriver.
Jean -Yves Kaced présente la rencontre qui commence en retard car la répétition n’était pas terminée. Il présente l’entrée au répertoire de cette pièce de la chorégraphe belge, Rain, créée en 2001, sur une musique de Steeve Reich, Music for 18 musicians.
Brigitte Lefèvre : Je crois que Jean-Yves Kaced a tout dit ! C’est très important pour le public de l’Opéra d’avoir Anne Teresa de Keersmaeker ici, avec nous. C’est une chance, je lui fais beaucoup de compliments, mais aussi quand elle n’est pas à mes côtés. Je le pense très sincèrement et je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas ce que
je pense. Elle participe de quelque chose d’important. Nous sommes une compagnie dite classique mais pas une compagnie classée ou déclassée. Nous sommes très heureux de faire des ballets du répertoire. Cela donne un contraste encore plus fort pour la danse d’avoir de grands chorégraphes. On n’est pas là pour faire une collection de chorégraphes, il faut bien les choisir avec beaucoup d’attention, de ferveur, après les avoir vus, connus à travers leurs oeuvres et de choisir le moment où c’est possible de leur demander. Un journaliste belge m’a demandé l’autre jour :
« Alors vous vous êtes battus pour avoir Anne Teresa de Keersmaeker? » Je lui ai dit que non. C’est une collaboration. On a réussi à se convaincre. Je crois que ce ballet, Rain, c’est un très beau ballet de danse. C’est un challenge incroyable pour la compagnie, je n’avais même pas réalisé quand je lui avais demandé. Je ne sais pas par quoi commencer, on peut te demander pourquoi et comment t’avais envie de faire de la danse quand tu étais petite ?
Anne Teresa de Keersmaeker : euh..
Brigitte Lefèvre : D’accord (rires). Bon ben on ne saura jamais pour Anne Teresa a fait de la danse quand elle était petite ! Je sais que tu as
étudié la danse à Mundra .Quand on voit la qualité de la danse d’Anne Teresa, on peut rendre un hommage supplémentaire à Maurice de là où il est, et à cette école.
Comment as-tu eu envie de faire Rain ?
Anne Teresa de Keersmaeker : C’est une pièce qui date de janvier 2001. C’était mon troisième rendez-vous avec Steeve Reich. En 1983,j’ai commencé
avec Far of the 4 mouvement, c’était sa toute première composition. C’est un compositeur américain vivant. La pièce qui a suivi, Drumming. Ce qui était exceptionnel c’est que mon parcours s’est fait en mariage avec la musique et avec les compositeurs vivants ou non vivants, la plupart sont morts que ce soit Bach, Beethoven, Mozart, Montoverdi. Il y en a quelques uns qui sont encore vivants, comme Reich. La composition de Reich est une pièce qui fait 65 minutes. C’est rare de trouver des oeuvres courtes qui permettent de construire une danse, un défi chorégraphique. C’est avant tout une danse de groupe. C’est vraiment danser ensemble, mais en même temps, qui unit cette notion d’harmonie entre eux, où chaque danseur a un trajet individuel qui es très articulé, très spécifique. Pour moi Rain c’est un peu comme une jubilation. C’est tout le travail que j’ai fait pendant des années sur l’organisation de l’espace, les patrons sous jacents de géométrie, un vocabulaire qui est en même temps très féminin et très masculin. Comment à partir d’une phrase chorégraphique on peut faire des transformations sans fin. C’est des
phrases très abstraites, très formelles, mais en fait qui visent quelque part, presque une narration sous jacente et je suis convaincue que les idées les pus abstraites peuvent être
incorporée par la danse. Quelque chose qui dévoile une très grande forme émotionnelle. Ce n’est pas la forme comme un but en soi, mais comme une ouverture possible vers une émotion simple et vraie.
Brigitte Lefèvre : Alors justement parlons de ta connaissance et ton amour pour la musique. Tu as fait une pièce avec Jérôme Bel, Abschied, absolument magnifique. C’est une histoire de danse. La manière dont la pièce a été construite a fait que tu as souhaité que la plupart de tes danseurs soient là. Chaque danseur (6 femmes et 3 hommes) qui a dansé cette pièce, a été là. C’est un vrai privilège de voir cette espèce d’échange d’artistes, la chorégraphe étant là. C’est du coup à la fois fatigant précis et comme disait Anne Teresa, très jubilatoire. Cela va donner quelque chose de très particulier. Cela me fait penser aux conversations avec Pina Bausch, dans le sens où ces des personnalités qui partagent quelque chose. Il y a un partage de quelque chose d’indispensable, cette structure, ce socle de danse. De ce socle il y a une construction, ensuite il y a une
pensée de la danse, il y aussi quelque chose de poétique, d’émotionnel. On n’est pas là pour jouer au jeu des comparaisons, si vous vous le faîtes c’est votre problème, mais nous c’est pas le notre. La compagnie d’Anne Teresa est magnifique. L’intérêt c’est une extrême transmission, une transformation. C’est une œuvre très singulière. Quand on parle de répertoire, ce serait dommage de ne pas faire vivre notre répertoire académique mais d’être mutilé d’oeuvres contemporaines ce serait dommageable. Quand tu vois Rain, qu’as tu eu envie de dire aux danseurs, qu’est ce que tu leur as dit ?
Anne Teresa de Keersmaeker : On en est pas encore là. C’est une question difficile. On est dans le concret, je leur demande plus de ceci ou de
cela. Il y a une série de règles générales, comme je le disais qui sont faites pour êtres dansées ensemble. C’est une danse faite pour danser ensemble. Il faut être précis et généreux par rapport aux autres. Il faut être rentré et en soi et en même temps avoir un regard qui prend tout l’espace, et le public, et les musiciens.
Brigitte Lefèvre : Peut-on dire que c’est une danse de solistes ensemble ?
Anne Teresa de Keersmaeker : Oui, on peut dire ça. Il n’y a pas de hiérarchie dans cette danse. C’est 10 solistes ensemble. C’est quelque chose de très beau vis-à-vis de cette grande vague qui dure 65 minutes, très éprouvante physiquement, pleine de grace et de jubilation. Il y a une très grande complexité. Je suis allée dans un délire très complexe. L’espace se ferme et s’ouvre constamment, en avant plan en arrière plan. Ce sont des variations infinies.
Brigitte Lefèvre : Il y a une forme philosophique de l’espace pour toi ? C’est toujours très touchant quand on regarde de la danse, c’est la décalcomanie de la soliste par le corps de ballet qui intensifie le trait. Là, on peut suivre l’un puis l’autre, puis il se retrouvent ensemble, un peu comme un jeu finalement ?
Anne Teresa de Keersmaeker : Oui. C’est comme ça que je travaille. Les danseurs sont là parce que j’en suis un peu amoureuse. Il y a une harmonie
entre eux. Les gens sont là dans leur spécificité. Je travaille beaucoup sur l’organisation de l’espace. Je travaille sur la spirale, c’est une forme qui s’ouvre et se ferme.
Brigitte Lefèvre : Dans la scénographie il y a beaucoup d’inscriptions, de marques au sol, vous verrez enfin pas bien si vous êtes à
l’orchestre. Est-ce que ce serait envisageable que ça puisse se faire sans ces marques quand les danseurs connaissent bien la pièce ?
Anne Teresa de Keersmaeker : Non, ce serait trop compliqué. C’est trop concret.
Brigitte Lefèvre : Parlons un peu des costumes. Toi tu es très élégante.
Anne Teresa de Keersmaeker : Ah bon, tu as vu mes bottines [elle porte des chaussures de marche]?
Brigitte Lefèvre : Mais oui ! C’est très beau ça sent le feu de bois (rires). Tu as réussi à convaincre Dries. C’est un compagnon de route.
Anne Teresa de Keersmaeker : Dans cette période là oui. J’ai beaucoup travaillé avec lui. C’est un grand maître qui a un grand savoir faire. Il vient d’une grande famille de tailleur à Anvers. Il a horriblement bon goût. C’est une telle élégance de travailler avec lui, parce qu’il est très flexible. Il a un regard d’aigle. Il sait très bien accompagner, il sait donner un coup de pouce. tu as l’idée et puis il dit « ah bon ». Je voulais de la couleur chair pour les costumes. Il est parti de là puis il est allé au rose puis de pousser jusqu’au fushia exubérant, moiré, argenté. C’est très naturel. Il travaille sur les couleurs, les matières, les reflets. Il a une expérience exceptionnelle. Il y a eu tout autant de travail avec le scénographe. L’espace de cordes crée un mouvement, un espace fermé et ouvert.
Brigitte Lefèvre : On a vraiment de la chance d’avoir ce travail. C’est une autre façon de faire. C’est d’ailleurs une danse qui est techniquement très dure. C’est un série de questionnements auxquels le corps et l’esprit doivent répondre. C’est une autre façon de faire, ils sont d’ailleurs très courageux. Tu danses des fois dans tes pièces ?
Anne Teresa de Keersmaeker: Celui-ci je ne l’ai pas dansé, c’est trop difficile.(rires)
Brigitte Lefèvre : Les danseurs sont très différents, tant par rapport à l’âge qu’à d’autres choses. Pour revenir aux costumes, je suis allée aux ateliers de costumes. J’ai jeté mon oeil, mon nez pendant les essayages. C’était très touchant de voir ces costumes et en même temps pour le responsable, il n’y avait plus les tissus choisis au
départ. Tout ce qu’il y a autour, avec, est important quand un ballet entre au répertoire. Pour les costumes, il fallait trouver d’autres matériaux, aussi beaux, mais différents. Cela m’a beaucoup intéressée. Parfois on retrouve la même chose avec la danse.
C’est une pièce de 2001, donc il y a une dizaine d’année. Comment tu la situes dans ton travail ?
Anne Teresa de Keersmaeker : C’est une pièce clé. On ne fait pas tous les jours des pièces comme cela. C’est une pièce majeure. La musique est une invitation à la danse. Il y a un sens mélodique et harmonique qui est incroyable. C’est le point d’orgue sur tout le trajet que j’avais fait. C’était un peu comment combiner des procédés abstraits à une certaine notion de narration, un vocabulaire que j’ai construit moi même et le fusionner avec celui des danseurs. C’était un moment de grâce, en tout modestie.
Brigitte Lefèvre : Nous avons donc une grosse responsabilité ! Là maintenant, tu vas à nouveau participer au festival d’Avignon. L’année passée tu avais présenté En atendant. Tu es souvent à des moments où on t’attends pas. Comment on peut de l’univers foisonnant de Reich passer à quelque chose de plus minimaliste avec En atendant ?
Anne Teresa de Keersmaeker : Pour faire une longue histoire courte, c’était un gros moment de remise en question. J’ai eu un trajet si intense avec la musique, j’ai eu besoin de me poser des questions simples. Qu’est ce que c’est pour moi la danse, du rapport de la danse avec la musique. Le rapport au corps aussi. C’est très beau, mais ça
peut être encore plus beau avec moins. Que peut faire le corps quand on est démuni de tout, quelle est sa force d’expression la plus radicale possible. C’est une question esthétique et presque écologique. C’est difficile de trouver une musique. J’ai fait un travail sur Bach et après cela c’était difficile de trouver une musique.
Tu sais chanter Bach toi ?
Brigitte Lefèvre fredonne.
Anne Teresa de Keersmaeker : mais d’autres musiques tu sais chanter?
Brigitte Lefèvre : Je ne connais que les chansons réalistes !
Anne Teresa de Keersmaeker: Tu connais Edith Piaf?
Brigitte Lefèvre fredonne Non rien de rien
Brigitte Lefèvre : Personne n’a applaudi c’est dur je me défonce!(rires)
Anne Teresa de Keersmaeker : et les beatles?
Brigitte Lefèvre : non ! (rires)
Anne Teresa de Keersmaeker: donc j’avais envie de silence. J’allais à Avignon, alors je me suis renseignée. J’ai été fascinée, challenged. Toute la musique avant Monteverdi, je me suis sentie très proche, très éblouie par la beauté de cette musique. Le rien. On se demande dans ce passé lointain ce qui nous unit encore avec ce monde là.
Les traces de l’humanité sont elles marquées dans notre corps ?
Brigitte Lefèvre : La danse est un art majeur, porteur de ces problématiques. Pour toi la danseur est un art porteur, par rapport aux autres formes d’art?
Anne Teresa de Keersmaeker : Oui, la danse est plus que d’autres arts, ancrée dans ce qui nous est le plus interne. Le corps, cette chose la plus concrète, peut intégrer les idées les plus abstraites. Il reste toujours le même. On est tous là avec le même corps, avec des différences, d’âge de sexe de vécu. Tout se marque dans notre corps.
C’est ce à quoi on tient le plus. On sait qu’il va disparaître, c’est notre seule certitude. On doit laisser aller le corps.
Brigitte Lefèvre : La danse n’est pas toujours considérée comme un art majeur. C’est un art fragile. Par comparaison au lyrique, où il y a beaucoup de public. Même sur un plan politique, il y a peu de théâtres dirigés par des danseurs. Tu comprends sans rentrer dans une polémique, pourquoi ?
Anne Teresa de Keersmaeker : J’ai une fascination pour l’Opéra, parce que c’est lié à la voix. La voix c’est la danse la plus intérieure, c’est très intime. La voix reflète l’intérieur du corps. On ne peut rien masquer. C’est tellement intime. D’un autre côté, c’est un art coûteux, c’est l’art le plus bourgeois, depuis ces deux derniers siècles. Il y a énormément d’emballage cadeau. L’opéra c’est un art total, quand c’est beau, il n’y a rien de tel mais souvent c’est chiant. On s’endort !
Brigitte Lefèvre : Bon on ne va pas froisser Nicolas Joël ! Mais la mise en scène d’Opéra ça ne t’intéresse pas?
Anne Teresa de Keersmaeker : oui mais c’est pas ma priorité. Il y a une question de répertoire et tout le répertoire n’est pas intéressant. J’aime Bach mais j’aime aussi beaucoup Mozart, mais l’opéra est tellement incrusté dans un codage de traditions. C’est un gros emballage cadeau ! Et c’est difficile d’enlever tout le papier cadeau et en
plus ça coûte cher.
Brigitte Lefèvre : Il n’y a pas une oeuvre d’opéra qui t’intéresserait?
Anne Teresa de Keersmaeker : Toutes ! Mais ça coûte beaucoup d’argent et le temps pour pouvoir chercher est très réduit.
Brigitte Lefèvre : pas une en particulier?
Anne Teresa de Keersmaeker : en ce moment je travaille avec rien de vocal, je suis dans le minimalisme, je suis là dedans. Je suis avant l’Opéra, sans rien de vocal. J’aime beaucoup être là dedans.
Brigitte Lefèvre : Quand on voit du ballet très abouti avec la musique avec la respiration des danseurs, on a aussi la sensation, comme dans
l’Opéra, que quelque chose est rassemblé. Pour toi, tu imagines qu’un danseur aille au delà, par exemple dans l’expression vocale?
Anne Teresa de Keersmaeker : Je cherche là dessus. Mais il ne faut pas tout mettre d’un coup. Le jambon, le fromage, etc.. sinon c’est un sandwich pas une création.
J’ai chanté et j’ai dansé avec Jérôme Bel , mais c’était un peu différent.
Brigitte Lefèvre : Tu as dit plusieurs fois que la pièce durait 65 minutes. Je me suis posée la question si il fallait présenter la pièce avec une autre pièce ou non. Et puis c’est une pièce tellement forte, tellement dense qu’on ne peut pas y ajouter autre chose.A 8h30 vous êtes sortis, vous pouvez aller au restaurant, la baby sitter sera ravie. J’entends parfois des réflexions comme quoi c’est trop court.
Anne Teresa de Keersmaeker : en effet on ne peut pas combiner cela avec autre chose. Ni pour les danseurs, ni pour le public. C’est très intense. C’est juste pour une soirée. Et puis avec la musique live, on reçoit beaucoup.
Question : Quelle difficulté avez vous rencontrée pour la transmission aux danseurs de l’Opéra de Paris, ils sont très classiques?
Anne Teresa de Keersmaeker : On ne va pas changer l’écriture. C’est surtout un défi. C’est un matériel physique très intense, surtout pour les filles je crois. Il y a beaucoup de chutes au sol. Il faut comprendre la notion d’auto-organisation. Chaque danseur a un trajet individuel, il y a besoin d’être très alerte avec les autres. C’est un triangle, il y a moi, ma danse, moi par rapport aux autres et moi par rapport au public. J’ai du bâtir cette inspiration. A travers ma danse je supporte, j’accompagne celle des autres. L’articulation avec la musique live aussi c’est un gros travail. J’ai fait un gros travail sur le vocabulaire, sur le relâchement.
Brigitte Lefèvre : Le savoir d’Anne Teresa apporte son langage, mais c’est un nouveau langage. Les danseurs de l’Opéra apprennent s’adaptent, s’approprient. C’est un autre formalisme c’est tout. Ils sont attentifs.
Question : D’abord une remarque. Vous avez dit qu’il n’y aurait pas d’autres oeuvres qui accompagneraient Rain. Je trouve ça très bien. C’est vrai
que des œuvres comme celle là ou le Sacre c’est important de les voir seules.
Brigitte Lefèvre : ah mais moi j’ai adoré la soirée des 3B.
Question : moi aussi ! Mais il serait intéressant de voir le Sacre seul. Je voulais vous demander comment vous aviez choisi les danseurs, il y en a beaucoup, quels ont été vos critères?
Anne Teresa de Keersmaeker : Brigitte a fait une présélection. Ensuite on a fait quatre jours d’audition où je les ai regardé, puis on a choisi 2 casts.
Brigitte Lefèvre : oui je les connais bien. Il faut aussi sentir leur désir. D’ailleurs c’est drôle parce que ce n’est pas forcément ceux qui avaient le plus envie qui s’en sortent le mieux. Mais c’est bien c’est des aventures de vie. Etre danseur c’est vraiment spécial.
Question : vous avez parlé de la mort comme seule certitude, sur la conscience de notre corps. Comment la danse vous permet de réfléchir, de gérer cette conscience?
Anne Teresa de Keersmaeker : Le travail sur la danse est une réflexion, sur la nature de notre corps, la nature de notre esprit. et comment l’un se manifeste dans l’autre et vice-versa. Je pense que le corps est une matérialisation de notre esprit. C’est cela qui m’intéresse, comment concrétiser par le corps? Il y a un très beau poème Amor constante de Quevedo dont la dernière phrase est « les poussières seront mes poussières amoureuses ».
Avec Rain, une des oeuvres majeures d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra. Ancrée dans la musique minimaliste de Steve Reich, la gestuelle organique dessine une pièce forte et d’une grande sensibilité.