La semaine dernière, l’AROP proposait à ses membres une rencontre avec Ludmila Pagliero et Josua Hoffalt, jeunes étoiles nommées l’an passé. Récit de ce portrait en questions de ces deux jeunes danseurs.
Brigitte Lefèvre : Nous fêtons nos 300 ans. Le 11 janvier 1713, Louis XIV fondait l’académie nationale de danse. Et voilà nos deux nouvelles étoiles. J’ai une admiration pour quelque chose qui se fait à la Comédie Française, ils numérotent les sociétaires. J’aurais bien aimé savoir les combientièmes étoiles sont Ludmila et Josua. A l’Opéra, chacun sait qui je dois nommer, qui je n’aurais pas du, etc… J’ai été intéressée par l’artiste singulier qu’est Josua Hoffalt. Il a une personnalité très affirmée. Sa nomination était très attendue. Ce qui est évident c’est que Josua est porteur d’une nouvelle génération. Laurent Hilaire qui le préparait sur la Bayadère était heureux de voir l’enthousiasme que ça provoque.
J’ai une énorme admiration pour Ludmila. D’abord parce qu’elle vient de l’extérieur. Elle a un courage absolu. Elle a fait le choix de l’Opéra de Paris, en restant elle-même. J’ai trouvé formidable qu’elle danse Bayadère au pied levé.
Pourquoi avez-vous fait de la danse ? Quel est votre parcours ?
Josua Hoffalt : C’était un peu le hasard. Je faisais du tennis, de la gymnastique, du piano. Et puis je suis allé voir le gala de fin d’année d’une copine. J’ai trouvé ça nul. A la rentrée suivante, c’est ma grand-mère qui m’a inscrit au cours de danse avec mes cousines, avec qui je m’entendais super bien et du coup, ça ne me dérangeait pas si c’était pour passer du temps avec elle. J’avais 8 ans. On me rabâche (très humblement) que j’ai du talent. Je suis le seul garçon. Les cours ne sont pas hyper drôles. Cela ne me plaît pas forcément.
Puis, j’ai commencé à regarder des vidéos de Baryshnikov. En le voyant, je me suis dit que ça pouvait être sympa. Du coup, j’ai tenté l’école de l’Opéra. Cela se passe plutôt bien. Je ne suis plus le seul garçon. Mes camarades sont Vincent Chaillet, Alexandre Labrot, Emilie Hasboun, Laura Hecquet et Mathilde Froustey. Je suis resté 4 ans à l’école sans redoubler. Mon entrée dans le corps de ballet a été rapide. L’accès aux rôles est très motivant. Mes blessures m’ont servi. J’ai pris du recul, j’ai regardé les autres. C’est très instructif. Quand je suis devenu premier danseur, j’ai véritablement changé de métier. J’ai du répartir mes efforts différemment. Ma nomination est arrivée au meilleur moment.

Ludmila Pagliero : Au début, quand j’ai commencé la danse, j’étais déçue. La prof avait un bâton pour nos jambes, il n’y avait pas de piano. Je disais à ma mère que j’avais « besoin de m’exprimer avec mon corps » mais ce cours ne me plaisait pas. J’ai fait du jazz et là ça a été le bonheur. La prof est allée voir ma mère et lui a dit qu’il fallait que je fasse du classique. J’ai donc repris et après 3 mois, j’ai intégré l’école de danse du théâtre Colon. J’y suis restée 8 ans. Au début c’était dur, il y avait ds examens et moi je n’avais pas les bases. Je me faisais engueuler. Puis les félicitations ont commencé à venir, assez rapidement en fait. Le ballet de Santiago m’ a proposé un contrat à 15 ans et demi. C’était un peu la panique chez moi. J’étais triste de quitter ma famille, si jeune, mais tellement heureuse d’être sur scène. J’y suis restée trois ans, ils m’ont nommée soliste, ce qui était une façon de tester mes capacités. C’est un petit ballet, on danse toujours la même chose, il n’y avait pas de chorégraphe, pas de danse contemporaine. Du coup, je décide de partir à New-York, dans le but qu’un directeur me voit. J’ai passé un concours j’ai gagné le grand prix et l’American Ballet Theater m’a proposé un contrat d’un an. Dans le même temps, un ami m’a dit d’essayer l’Opéra de Paris. J’y suis allée, sans pression, parce que personne ne me connaissait. Je rentre chez moi. Et là dans la nuit, le téléphone sonne, l’Opéra me propose un contrat de trois mois. Il fallait que je décide tout de suite. J’ai choisi Paris. On dansait Ivan Le Terrible. Je me suis demandée si j’allais être renouvelée, on m’a dit oui pour la saison. J’ai travaillé beaucoup, beaucoup plus. J’ai observé beaucoup, j’ai été très humble. Je n’ai jamais senti que je perdais mon temps ici. C’est une maison où on ne s’ennuie jamais.
Question du public : Avez-vous suivi des études ? Quand fait-on le choix d’être danseur, plutôt que de faire des études ?
Brigitte Lefèvre : je vous rappelle que les élèves de l’école de danse suivent un cursus scolaire et que la plupart ont le bac.
Josua Hoffalt : J’ai le bac. Pour ma part, j’ai décidé de devenir danseur quand j’ai vu un documentaire sur Nicolas Le Riche. Je me suis identifié à ce mode de vie.
Ludmila Pagliero : En Argentine, c’est compliqué. Il n’y a pas ce que vous avez en France. J’allais à l’école l’après-midi, mais c’était tout séparé. J’ai du prendre la décision de faire l’école par correspondance. Ma mère était très angoissée pour cela. Je ne voulais pas arrêter mes études même si la danse c’était ma priorité.
Question du public : On parle beaucoup du tricentenaire de l’école de danse. Comment vivez -vous cet héritage ? Et comment vivez-vous l’héritage de Noureev ?
Ludmila Pagliero : Rudolf Noureev a laissé quelque chose de très grand pour le monde entier, pas seulement à Paris.
Josua Hoffalt : L’opéra ne se réduit pas à Rudolf Noureev. J’ai envie pour ma part, d’avoir notre époque, avec nos chorégraphes, nos créateurs.
Brigitte Lefèvre : C’est important d’équilibrer les propose. Je ne veux pas qu’on enferme la génération actuelle dans ce qu’il y a pu avoir avant. Il faut garder de Rudolf la passion qu’il avait de la danse. C’est un héritage qu’il ne faut pas vivre comme un poids mais comme un élan et un choix. Ce n’est pas une obligation.
Ludmila Pagliero : Nous sommes des danseurs classiques et contemporains, dans notre corps et notre tête.

Question du public : Quel conseil donneriez-vous à un jeune enfant qui voudrait faire de la danse ? Comment savoir si c’est une vocation ?
Josua Hoffalt : C’est sûr qu’il faut le physique, mais le mental est très important aussi. A 8 ans on est jeune, je ne sais pas si on peut déjà parler de vocation. Il faut s’armer, car c’est un métier très injuste.
Ludmila Pagliero : J’ai rencontré des petites filles parfois très déterminées. Il faut savoir que l’adolescence est un moment compliqué. Il faut avoir besoin de le vouloir. Il faut beaucoup de force pour ne pas souffrir.
Question du public : Ludmila, est-ce que cela fut difficile de se faire une place ? Vous sentez vous « attachée » à la maison ? Avez-vous l’intention de partir ?
Ludmila Pagliero : Cela a été difficile, mais pas simplement à l’Opéra. Je trouvais Paris difficile à vivre. J’ai eu des gros coup de blues. Je venais pour apprendre, ma place s’est faite petit à petit. Partie ? Si il n’y a pus rien à apprendre je partirais… mais aujourd’hui j’apprends et je ne m’ennuie pas à l’Opéra.
Brigitte Lefèvre : Un artiste est par définition libre.
Question du public : Avez-vous conscience d’être d’une génération différente ?
Josua Hoffalt : Oui bien sûr. Mais cela va vite, il y a déjà des plus jeunes, d’autres qui sont prêt plus tôt. C’est court en fait une génération.
Ludmila Pagliero : Il y a la responsabilité qui grandit avec le départ des générations précédentes. Mais on commence déjà à donner, à transmettre. On est en mouvement constant.