Alice Renavand

Wheeldon/McGregor/Bausch, Opéra Garnier

A la fin de l’année, côté ballet, il y a toujours un grand classique à Bastille et une soirée plus contemporaine à Garnier. A Bastille, les bayadères vous transportent dans un univers indien. A Garnier, il s’agit d’une autre ambiance. Soirée mixte, avec 3 chorégraphes : une entrée au répertoire, une création et la reprise d’un chef-d’œuvre. Comment s’articulent les 3 pièces ? Comment cette soirée se vit ? Retour du la soirée du 3 décembre.

Le Sacre Agathe Poupeney

Jamais facile d’associer le Sacre du Printemps de Pina Bausch, chef d’œuvre absolu, dont les mots manquent pour tarir d’éloges cette pièce. Puisqu’il faut toujours patienter avant de voir cette pièce, je commencerai donc ma chronique par elle. Vous pourrez donc vous passez de la suite de la lecture ! C’est la première fois que le Sacre est repris sans Pina. C’est Jo-Ann Endicott qui a mené les répétitions. Karl Paquette tient le rôle masculin avec beaucoup de poigne et de puissance. C’est définitivement dans ce registre qu’il brille de son titre. Quant à l’Elue, le rôle revient à Eleonora Abbagnato, dont on se réjouit de sa présence en scène. L’étoile italienne danse ce rôle pour la énième fois. Elle en connaît les secrets, les difficultés, les forces. Elle livre au public une danse incroyable, épurée de tout artifice. La danse de Pina ne permet de pas de tricher. Il ne s’agit pas là de faire semblant. Avec sa silhouette à la fois frêle et athlétique, Abbagnato est une élue possédée par la danse, dont les mouvements sont mues par une force intérieure très puissante, qui se ressent jusque dans la salle. Les yeux presque révulsés, le corps tremblant, elle sait maintenir la tension à l’instar de la musique qui nous tient aggrippés au rebord de la loge. Il y a un vertige dans le Sacre, un effet paroxystique qui vous attire de manière inconditionnelle. Le cœur bat, sur les barissements des cuivres. Le corps de ballet est somptueux, la transmission s’est faite. On admire la danse d’Alice Renavand, qui semble donner le rythme à l’ensemble du groupe.

Le Sacre du printemps Agathe Poupeney

Que dire alors des deux autres pièces ? Polyphonia de Wheeldon d’abord. C’est une composition de douze tableaux où 4 couples dansent. Duos, quatuor et ensembles se succèdent sur les pièces pour piano de Ligetti. L’ensemble n’est pas désagréable, on peut même dire que c’est plastiquement beau cette espèce d’épure, où les lignes des jambes cisaillent l’espace. La musique est sublime, admirablement jouée par Ryoko Hisayama et Michel Dietlin. Qu’en reste-t-il ? Pas grand chose, peut-être le passage de la valse et le style de Lydie Vareilhes. Un bon Robbins aurait sans doute fait mieux l’affaire.

Polyphonia Wheeldon Julien Benhamou

Alea Sands est un hommage à Pierre Boulez, puisque cette création est sur les Anathèmes II pour violon. Passé l’hommage, où la scénographie fait honneur à la musique, la chorégraphie de Mc Gregor est bien vide. Tous les éléments forts de la pièce sont autres que la danse. La servent-ils ? Pas franchement. Ils cachent une chorégraphie dont on se lasse. On en oublierait presque les merveilleux danseurs qui sont sur scène.

Audric Bézard Agathe Poupeney

Ce fut donc une soirée peu équilibrée, où l’on attend le Sacre avec beaucoup d’impatience. Deux entractes, c’est long aussi… Dommage qu’avec les nouvelles mesures de sécurité on ne puisse pas arriver juste au deuxième, pour assister au chef d’oeuvre de Pina.

Soirée Paul Rigal Millepied Lock

Du 3 au 20 février 2015, le ballet de l’Opéra de Paris présente une soirée mixte avec quatre chorégraphies. Retour sur cette soirée vu à la générale et le 6 février.

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Il va falloir s’habituer aux soirées mixtes pour appréhender la prochaine saison à l’Opéra de Paris. Qu’est-ce qui fait du lien entre les chorégraphes convoqués lors d’une même soirée ? Souvent le style d’écriture, l’époque, l’origine, ou encore un même compositeur. Cette soirée mixte réunit quatre chorégraphes vivants. On ne peut pas dire que ce soit cela qui fasse sens dans la soirée. Néanmoins les pièces se répondent pas par la chorégraphie, mais plutôt par les choix scénographiques. La lumière est travaillée d’une manière particulière dans chaque pièce ; elle crée des espaces pour danser, les referme, cache ou montre les danseurs.

Dans Répliques, la lumière crée des effets de miroir. Elle isole peu à peu les quatre couples et transforme les corps en formes fantômatiques. La pièce de Nicolas Paul est parfaitement construite pour que l’œil du spectateur y voit les mouvements répétés et refletés dans les corps des autres. La pièce m’avait pourtant laissée un souvenir de complexité et de longueur, mais cette fois, sans doute parce que connue, elle m’a au contraire fait l’impression d’une belle lisibilité. Si l’exécution technique est difficile, c’est pour mieux rendre encore cette chorégraphie graphique. Les lignes des corps forment des obliques face au quadrillage de l’espace par les panneaux de mousseline et de la lumière. Dans les deux distributions, on retrouve des danseurs qui ont toutes les qualités pour une telle pièce. Chez les filles, j’ai particulièrement apprécié Letizia Galloni et Ludmila Pagliero. Leurs corps ont une fluidité sans pareille. Quant aux garçons, on admire leur puissance dans les portés et leurs dos dans les contractions du début de la pièce. Seul bémol de la pièce, la musique ; Ligeti n’est pas toujours aisé par son abstraction et ne se mêle pas facilement avec la danse.

Répliques Paul

Brigitte Lefèvre avait invité Paul Rigal à faire une création pour le ballet. Le titre Salut pouvait évoquer de nombreuses choses et me faisait rêver à des instants mystiques. Le rideau s’ouvre sur une scène jaune et un soleil lumineux. La pièce démarre avec une idée amusante : les danseurs saluent le public sur fond sonore d’applaudissements. Les danseurs sont comme des pantins, avec des mouvements très mécaniques. Quelques rires et applaudissements se mêlent au fond sonore qui se transforme peu à peu en musique électronique. De la lumière il y en a chez Rigal, mais le propos reste creux. Les tableaux se succèdent, le soleil change de couleur, le stromboscope nous laisse apercevoir quelques sauts, mais la scénographie ne fait pas tout. Côté chorégraphie, c’est assez pauvre. Les déshabillages et rhabillages semblent durer une éternité ; les courses à l’envers n’ont beaucoup de force dans cette semi-obscurité. Les danseurs semblent noyés dans ce marasme chorégraphique qui ne dit rien et dont l’esthétique est tout même assez vilaine. Le public s’est partagé en bravos et sifflets. Je suis vraiment restée à côté les deux fois.

Salut Rigal

Après l’entracte, on pouvait voir le pas de deux ajouté par Benjamin Millepied à cette soirée. Ecrit pour Aurélie Dupont et Hervé Moreau à l’origine, ce dernier s’étant blessé au bicep, il fut remplacé au pied levé par Marc Moreau. Sur une partition de Philip Glass, le pas de deux chorégraphié par Millepied, spécialiste es Pas de deux, marque par sa fluidité. Les corps s’enchevêtrent, se séparent, se rassemblent. Les deux artistes sont lumineux, c’est sans doute la force de la pièce. C’est joli et bien dansé, mais pas transcendant, ni mémorable.

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La soirée s’achève par la pièce magistrale d’Edouard Lock. Des cercles de lumières apparaissent et disparaissent sur le sol. Dans ces espaces lumineux, une danseuse apparaît, puis deux, puis trois. Habillées de tuniques noires au buste laissant deviner les poitrines, les danseuses débordent de féminité. Les longues jambes se dessinent, les bras rapides tranchent l’espace, les pointes font trembler le sol comme les doigts des deux pianistes sur les touches noires et blanches. Si il y a certes quelques longueurs, la pièce est sans conteste la plus forte de la soirée. Les pas de deux, pas de trois, et les ensembles s’enchaînent. C’est assez hypnotisant. Les hommes se montrent en costume noir et chemise blanche dans des danses pleines de virtuosité. La musique répond à la danse et les deux pianistes s’intègrent dans la chorégraphie. La pièce s’achève sur un pas de deux d’Alice Renavand et Stéphane Bullion majestueux. Les regards, la force de Stéphane Bullion face à la sensualité d’Alice Renavand, c’est tout cela qui prend le spectateur à la fin de ce chemin tracé dans les cercles de lumière. Les pointes vibrent sur le sol, les cheveux d’Alice Renavand se balancent. On est emporté dans ce tourbillon, qui laisse force et fragilité se confronter.

André Auria

Cette soirée mixte ne fonctionne pas très bien malgré une bonne pièce en ouverture et une excellente en fermeture. Au milieu, on oscille entre rejet et indifférence. Dommage car les interprètes ne manquent pourtant pas de personnalités. On attend de les voir dans d’autres pièces plus intéressantes.

Soirée Birgit Cullberg / Agnès de Mille

L’Opéra de Paris présente sa deuxième soirée mixte avec un programme 100% féminin. Féminin par ses chorégraphes, Birgit Cullberg, la Suédoise, et Agnès de Mille, l’Américaine ; féminin par ses héroïnes – Lizzie Borden et Mlle Julie ; féminin dans son aspect politique, de ce que ces pièces disent de la difficulté d’acquérir sa liberté quand on est femme. Du 21 février au 13 mars, deux ballets des années 50, Fall River Legend, et Mlle Julie, sont à voir au Palais Garnier. Retour sur la première de cette série, le 21 février.

Fall River Legend, d’Agnès de Mille, avec Alice Renavand, Vincent Chaillet, Stéphanie Romberg, Laurence Laffon, Christophe Duquenne, Léonore Baulac et Sébastien Bertaud.

Alice Renavand Agathe Poupeney

Cette pièce est inspirée d’un fait réel, l’affaire judiciaire de Lizzie Borden. La jeune femme a été accusée du double meurtre à la hache de ses parents. La pièce d’Agnès de Mille nous plonge donc dans cet univers immédiatement. Les premières notes de la partition sont stridentes et le drame se dessine déjà. La pièce s’ouvre sur procès où le porte parole rend compte des faits. Sébastien Bertaud donne de la voix pour énoncer très distinctement « Les jurés se sont rendus…. ». On a tout de suite l’impression d’être dans un film américain. Alice Renavand joue le rôle de l’Accusée. A son procès, elle est soutenue par le Pasteur incarné par Vincent Chaillet. Le personnage va être replongé dans son enfance. L’Accusée jeune, jouée par Léonore Baulac, est une petite brune aux jupons blancs. On reconnait à peine la jeune femme sous ces traits de fillette, mais la pétillance de sa danse transparait. L’Accusée revit la scène avec son double enfant. C’est bien construit. Renavand campe une jeune femme déjà assez en colère ou dans une certaine inquiétude. Elle est à ce moment comme une voix off qui vient apporter l’émotion d’une scène qui serait filmée de façon très objective. La rage contre cette belle-mère, qui remplace une mère douce et aimante – Agnès de Mille continue d’apporter au mythe de la marâtre – se lit aisément dans la chorégraphie et dans le langage de l’Accusée : les chevilles tournent, la main va au ventre ou au plexus, les contractions du ventre se répètent.

La danse est très lisible, avec des expressions du visage très marquées. La trame narrative est ainsi très bien construite. Le rire à gorge déployée de l’Accusée quand ces parents prennent peur la voyant la hache à la main, les regards marqués, les gestes très dessinés, à la manière d’un film muet, tout cela contribue à une narration formidable. On suit l’intrigue avec un certain suspense. Alice Renavand porte le personnage avec une grande force, sans jamais perdre ses belles qualités techniques, comme on peut le voir dans le duo avec sa mère, après le meurtre. On la fait passer pour folle. Elle est une femme en dehors du monde, dont l’enfance s’est terminée trop brutalement. Elle ne connaît rien du monde, on l’empêche de vivre l’amour, elle est une femme recluse qui veut gagner un peu de liberté. De cette envie de liberté naît une rage, un désir fou, où Tathanos prend le dessus sur Eros. La mort comme une libération à une existence qui n’en a pas ? Une façon de rejoindre une mère tant aimée ? Ce sentiment de colère qui naît chez le personnage de l’Accusée, prend forme dans une danse circulaire où le groupe de villageois tournent et dansent autour d’une femme qui ne fait pas partie de cette ronde.

La chorégraphie m’a fait penser aux comédies musicales américaines – West Side Story évidemment. L’église américaine avec son pasteur – dansé par Vincent Chaillet au port de tête noble –  et les danses de groupe, notamment la prière, m’ont plongé dans une Amérique que l’on voit dans les vieux films. Rien d’étonnant quand on sait qu’Agnès de Mille était d’une famille de cinéastes. Les toiles peintes montrent des ciels de couleur qui reflètent l’âme du personnage principal. On pense aux grand studios d’Hollywood, où tout est complètement articifiel, y compris les ciels. La musique et son côté jazzy m’ont fait pensé à Berstein, à Gershwin, à ces musiques qui savent nous raconter quelque chose avec une mélodie rebondissante. Les pas s’y calent en contretemps, les hanches se décalent parfois, avec une belle subtilité.

On sort de la pièce comme à la fin de film à suspense. Agnès de Mille a fait le choix de faire condamner son héroïne à la mort, alors que Lizzie Borden avait été acquitté. Vidée, Alice Renavand a porté ce personnage avec brio pendant 50 minutes et la robe blanche tachée de sang, elle livre au public une dernière émotion, la sienne cette fois.

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Mlle Julie, de Birgit Cullberg, avec Aurélie Dupont, Nicolas Le Riche, Amélie Lamoureux, Alessio Carbone, Michaël Denard, Aurélien Houette, Takeru Coste, Charlotte Ranson, Andrey Klemm, Jean-Christophe Guerri, Richard Wilk.

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 » Un valet est un valet
– Et une putain est une putain »

Strindberg, Mlle Julie, 1888.

Mlle Julie, est à l’origine, une pièce de théâtre naturaliste de l’auteur suédois August Strindberg. Elle raconte comment, un soir de la Saint Jean, Mlle Julie, jeune aristocrate va séduire son valet Jean, jusqu’à passer la nuit avec lui, au dépend de Krisitin, cuisinière et fiancée de Jean. Julie regrettera son geste et se suicidera à l’aube. L’adaptation de Birgit Cullberg ajoute quelques personnages et rompt avec l’unité de lieu. Tout d’abord, Julie apparaît revenant de la chasse, devant son père et un jeune prétendant, interprété par Alessio Carbone. Des villageois deviennent des personnages à part entière, dont la personnalité définit la danse. Quatre scènes au lieu d’un lieu, Cullberg montre ensuite ce qui est caché, à savoir la fête de la Saint Jean. Elle nous fait enfin partager les questionnements coupables de Mlle Julie dans une danse au milieu de ses aïeux qui la mènent au suicide.

En regardant la pièce, on pense à de nombreux autres ballets. Ceux de Mats Ek évidemment, notamment Giselle, avec le langage chorégraphique des paysans, et la danse de Kristin quand elle est seule dans la cuisine. La maison de Bernarda est aussi en résonance dans la pièce, avec les trois vieilles du village à la fête de la Saint Jean. Un autre chorégraphe contemporain de l’époque de ce ballet apparaît comme un fantôme, c’est Roland Petit. Carmen n’est pas loin, on le voit dans les costumes, dans les scènes de séduction, où les hanches s’ouvrent érotiquement.

Ce ballet est bien construit. La trame narrative est, là aussi, très lisible. Les personnages sont aussi complexes que dans la pièce. Mlle Julie apparaît très hautaine, froide, autoritaire. Aurélie Dupont campe à merveille cette noblesse, dans une tenue de cavalière très seyante. Dominatrice, de par son rang et sa personnalité, elle ne ménage pas son fiancé, qui la fuit, ne supportant pas le combat homme-femme qu’elle lui impose. Mlle Julie c’est une femme seule. Cette solitude va la pousser à aller danser avec ses serviteurs à la fête de la Saint Jean. Son serviteur, Jean, incarné par le sublime Nicolas Le Riche, est un serviteur obéissant. Jambes serrées, tête baissée, les bras le long du corps, respectant son rang de domestique. Il est attaché à ce dernier, aux principes de classe. On le voit bien dans la scène où il se moque de Julie devant Kristin. Il se joue de cette femme qui est sortie de son rang. Aurélie Dupont montre une femme fragile à la carapace faussement solide. Elle passe par de nombreux états.

« C’est toujours avec de belles paroles qu’on attrape les femmes »

La scène centrale du ballet est à mon sens celle de la séduction après la fête de la Saint Jean. Le désir est la domination de l’autre sont les deux éléments centraux qui vont faire basculer Julie dans une situation irréversible. Elle se laisse séduire par le beau jeune homme, tout en essayant de conserver son rang. D’une Julie froide, Aurélie Dupont montre un tout autre visage dans cette scène. Elle est outrageusement sensuelle, provocante, presque vulgaire. Jean en profite, tant qu’il peut, revenant parfois à la raison. Nicolas Le Riche est brillant, tellement, que parfois, il en écrase le jeu de sa partenaire. Sauts vertigineux, jeu impeccable, arabesques majestueuses, sa danse est superbe. On n’a d’yeux que pour lui. La domination de l’homme prend le dessus, et Julie est prise au piège. Le jeu de maître/valet est allé trop loin, il ne reste que la mort comme solution.

« Tu me reproches d’être grossier ? Jamais je n’ai vu une des nôtres se conduire comme tu t’es conduite cette nuit. « 

 Le ballet m’a beaucoup plu, d’autant que c’est une pièce que j’apprécie et dont j’ai vu de nombreuses versions. J’ai trouvé cette version chorégraphiée très juste, très proche de l’écriture de Strindberg. La tension dramatique monte bien, les danseurs sont merveilleux. Une belle soirée.

Saluts Mlle Julie Aurélie Dupont Nicolas Le Riche  © IKAubert

Alice Renavand, nouvelle étoile de l’Opéra de Paris

La belle Alice… La voilà qui rejoint la voie lactée. Ce soir, à l’issue de la représentation du Parc d’Angelin Preljocaj, la direction de l’Opéra de Paris a nommé Alice Renavand danseuse étoile et ainsi, de reconnaître tout son talent et de la faire s’envoler dans une nouvelle galaxie.

Alice Renavand dans l'envol du Parc

Alice Renavand est une danseuse à côté de laquelle on ne peut pas passer. Visage enchanteur, un regard d’une grande force, si la danseuse est reconnue pour son talent dans les rôles contemporains, elle a su montrer à plusieurs reprises qu’elle est une danseuse brillante en classique. La preuve au concours où elle est passée première danseuse avec une variation de Kitri, qui montrait son talent technique et artistique.

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Alice Renavand est née en 1980. A dix ans, elle entre à l’école de danse de l’Opéra. A 17 ans, elle intègre le corps de ballet de l’Opéra de Paris. Elle met du temps à gravir les échelons, puisque ce n’est qu’en 2004 qu’elle devient coryphée. A partir de ce moment là, on commence à la voir beaucoup plus, les chorégraphes, Nacho Duato, Wayne Mc Gregor, Sidi Larbi Cherkaoui, William Forsythe, entre autres,  veulent tous l’avoir dans leurs productions. En 2005, elle devient sujet. En 2008, elle reçoit le Prix de l’AROP et c’est en 2012 qu’elle devient première danseuse. Alice Renavand danse aussi avec la troupe de Bruno bouché dans Incidence chorégraphique. Elle a aussi dansé dans la chorégraphie de Julien Meyzindi lors de la dernière soirée des Danseurs-chorégraphes.

Pour ma part, j’ai toujours apprécié cette danseuse que je trouve particulièrement lumineuse. Ce soir je me suis faufilée aux saluts du Parc pour assister à la nomination de cette danseuse que j’aime tant, je suis très heureuse pour elle, et j’espère qu’elle va continuer de nous faire vibrer sur la scène du Palais Garnier ou ailleurs. J’ai en tête son personnage de La mort dans Le jeune homme et la mort, ou dans Manon celui de la maîtresse de Lescaut. On lui souhaite plein de belles choses et on la félicite pour cette belle nomination !

Principaux rôles :

Agon (Balanchine), La Chanteuse de caf’conc’ / La Petite danseuse de Degas (Bart), Eurydice / Orphée et Eurydice, L’Elue / Le Sacre du printemps (Bausch), La Jurée japonaise / Le Concours, L’Elue / Le Sacre du printemps (Béjart), Glacial Decoy (Brown), La Servante / La Maison de Bernarda (Ek), The Vertiginous Thrill of Exactitude, Approximate Sonata, In the Middle Somewhat Elevated (Forsythe), Nosferatu (Gallotta), rôle-titre / Kaguyahime, Bella Figura (Kylián), Suite en blanc, Œnone / Phèdre (Lifar), Nathalie / Les Enfants du paradis (Martinez), La Femme du Meunier / Le Tricorne (Massine), La Maîtresse de Lescaut / L’Histoire de Manon (MacMillan), Genus (McGregor), La Danseuse de rue et Kitri / Don Quichotte, La Troisième ombre / La Bayadère, Une Sœur / Cendrillon (Noureev), La Mort / Le Jeune homme et la mort (Petit), Creüse / Le Songe de Médée, Sujata et l’Eveil / Siddharta (Preljocaj), Vénus / Psyché (Ratmansky), La Prostituée / Les Sept Péchés capitaux (Scozzi).

Variations pour une porte et un soupir (Béjart, 2006), White Darkness (Duato, 2006), L’Allegro (Orlyn, 2007), Troisième Symphonie de Gustav Mahler (Neumeier, 2009), Yasodhara / Siddharta (Preljocaj, 2010), L’Anatomie de la sensation (McGregor, 2011), Sous Apparence (Gillot, 2012), Boléro (Cherkaoui-Jalet, 2013).

Vidéo de la nomination

 

Convergences Le Boléro Cherkaoui/Jalet

En pleine semaine sur le Tricentenaire, pause contemporaine à l’amphi Bastille pour découvrir les premiers mouvements de ce nouveau Boléro.

Brigitte Lefèvre avait la volonté de proposer un nouveau Boléro. Quand on pense Boléro à l’Opéra, on visualise celui de Maurice Béjart, avec sur la table un sensuel Nicolas Le Riche. On peut aussi penser à celui d’Ida Rubinstein. L’Opéra avait donc envie d’une nouvelle chorégraphie. Sisi Larbi Cherkaoui a donc été convié, avec son acolyte Damien Jalet. Les deux chorégraphes ont eu l’envie de travailler avec Marina Abramovic. Le trio formée il ne restait plus qu’à créer.

Il a fallu choisir les danseurs. Ils seront onze sur scène. Parmi eux, ceux que l’on va voir répéter aujourd’hui, Alice Renavand, Adrien Couvez, Alexandre Gasse et Marc Moreau. On retrouvera aussi Marie-Agnès Gillot, Vincent Chaillet, Aurélie Dupont.

Damien Jalet s’avance et le moleskine dans les mains, commence à nous raconter cette aventure. C’est une danse de groupe, contrairement à celui de Béjart. Chacun a son rite par rapport à cette musique. Et là, il faut que chaque danseur prenne part au rituel. La musique est une œuvre imposante, c’est une montagne. Le trio a commencé par écouter l’œuvre de Ravel, de nombreuses fois. La problématique était « comment traduire cette musique physiquement ? ». La première image qui leur est apparue fut la spiral. Spirale ascendante, spirale descendante, car cette musique peut être pour certains apocalyptique. Il fallait donc trouver une gestuelle, qui traduirait cette spirale et en même temps quelque chose de constant. Au centre, rien, du vide, mais ce vide est magnétique. Les danseurs tournent autour d’un axe, mais cet axe se déplace, ainsi on est pas tout le temps dans une verticalité.

L’autre question qui s’est posée est celle de la transe. Vous avez plusieurs façons d’y parvenir, sauter sur place par exemple, mais là Cherkaoui et Jalet sont restés sur l’idée de la spirale, donc tourner. Comme la musique, qui peut amener à cet état, tourner amènera à une transe.

L’exposé de Jalet s’interrompt pour laisser place à la danse. On découvre une première phrase chorégraphique dite « de base ». C’est très beau, très fluide, on voit assez clairement la pâte de Cherkaoui avec cette souplesse dans les membres sans cesse exigée. On reste le regard figé sur James O’Hara, danseur de Cherkaoui, absolument sublime. Les corps sont attirés tantôt par le sol, tantôt par le ciel, tournant autour de cet axe imaginaire à la fois dans leur corps et au centre de la scène.

Boléro Sidi Larbi Charkaoui Damien Jalet

Derrière cette danse, Jalet et Cherkaoui ont eu la volonté d’y mettre une forme de mythologie. au début, les danseurs sont comme des dieux immatériels, chacun dans son univers (ils ne se regardent pas d’ailleurs au début), puis ces dieux se matérialisent dans l’extase provoquée par la danse. Au début, c’est calme d’ailleurs, la danse ressemble à des volutes de fumée.

Les danseurs doivent essayer d’être dans une forme d’opposition dans le corps, pour créer une force d’amortissement.

A partir de la phrase principale, les chorégraphes ont crée des phrases complémentaires appelées « orbite ». Les phrases vont résonner entre elles, et vont s’absorber, comme une émulsion. Ainsi la 3ème phrase, on trouve un premier contact physique, dos à dos. Un peu comme le discours d’Aristophane, dans Le Banquet de Platon, les danseurs sont collés dos à dos, c’est le début de la fusion entre deux personnes.

Jalet commence à corriger les danseurs, même si visiblement ce n’est pas son propos aujourd’hui. Il veut nous donner les clefs pour profiter pleinement du spectacle. Il leur dit d’essayer d’utiliser le minimum d’énergie possible. Il faut jouer sur une forme de résistance, notamment quand on danse avec le corps de l’autre. Il faut penser au dessin de la spirale dans l’espace, il faut que le corps se prolonge.

Si il n’y a pas de solistes dans le ballet, il y a tout de même des formes d’isolations. Un peu comme dans le Sacre de Pina, il y a toujours une personne qui ne fait pas partie du groupe. Un couple qui se scinde et hop un solo démarre. Là encore, cela crée des oppositions par rapport aux phrases déjà existantes. Ce qui intéresse les chorégraphes, ce n’est pas la forme du vase, mais comment le liquide se déplace dans le vase. On voit bien avec les extraits montrés aujourd’hui, que le geste est exploité dans toutes ses configurations, dans toutes ses orientations, décliné et transformé pour former un tout harmonieux, qui va nous faire entrer en transe.

Boléro de Damien Jalet & Sidi Larbi Cherkaoui Aurélie Dupont en répétition

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Marina Abramovic tiendra une conférence publique (en anglais) mercredi 24 à 20h. Gratuit, sur réservation, clic