Agon

Soirées Balanchine

La soirée d’ouverture de la saison de ballets est un moment particulier. Il faut que tout le monde s’y retrouve, habitués, abonnés, touristes de passage et nouveaux arrivés. Proposer une soirée mixte est un compromis qui permet de contenter tout le monde. Si la soirée Roland Petit faisait l’unanimité, la soirée de l’an passé avait beaucoup déçu. L’opéra a fait le choix cette année du chorégraphe Balanchine, avec trois pièces très différentes des unes des autres. On ne peut pas ne pas aimer son écriture, crime de lèse-majesté dans le monde de la danse, et, pourtant, nombreux sont les balletomanes qui résistent à son charme. 3 ballets, 3 époques, 3 écritures car l’étendue de Balanchine ne s’arrête pas à un genre.

La mise en bouche du défilé réjouit la salle qui peut ensuite se plonger dans la vague bleue de Sérénade. Œuvre de jeunesse, sans cesse remaniée par le maître, j’en ai parfois ressenti les longueurs. La première partie, faite d’ensembles, est pour moi la plus belle. Les 19 filles volent sur scène, alternant les rythmes en suivant la musique de Tchaïkowsky. On retrouve les constructions chorégraphiques de Balanchine avec ces lignes qui se croisent et se décroisent, s’emmêlent et se démêlent. Le duo Pagliero/Moreau offre un doux moment de poésie. Mathilde Froustey rayonne sur scène, et s’amuse des difficultés techniques ; Laëtitia Pujol et Eleonora Abbagnato incarnent une féminité à la fois romantique et sensuelle.

On change d’univers dès la levée du rideau d’Agon. Regards perçants vers le public, quatre garçons alignés en fond de scène. Tuniques noires et blanches, et musique de Stravinsky aux rythmes irréguliers. Fini le romantisme, la délicatesse féminine exacerbée dans Sérénade, on assiste plutôt ici à un échange de joutes dansantes. La première distribution était fabuleuse. Myriam Ould-Braham est d’une sensualité sans pareille. Ses lignes sont d’une rare précision ; ses battements à la seconde sont impressionnants. Le duo Aurélie Dupont Nicolas Le Riche fait ma soirée ! C’est LE moment que je retiens de ces soirées. Le Riche est à son habitude merveilleux mais il a le don de vous surprendre en permanence. On imagine ce qu’il va être sur scène et puis il vous époustoufle encore ! J’aime ce ballet pour ces extravagances, ses décalés sur pointes qui casse le rectangle « épaules-hanches », ses larges attitudes et les regards complices entre les danseurs comme s’il se passait une électricité entre chacun d’entre eux. J’ai retrouvé l’électricité mercredi mais j’ai été moins emballée, le temps m’a paru bien long.

Troisième pièce, troisième ambiance… et quelle ambiance ! Je crois que je n’aime pas ce ballet. Et pourtant, il y a des variations qui me plaisent. J’aime beaucoup le pas de deux entre la sirène et le fils. Le duo des deux compagnons du fils ne me déplait pas non plus surtout dansé par Takeru Coste et François Alu. La musique est formidable. Il y a des passages qui durent, qui durent, qui durent… 20 minutes pour retourner chez son père et pour se faire bercer comme un bébé… c’est long, on gigote sur sa chaise. Voir Jérémie Bélingard presque nu a, certes raccourci, mon ennui, mais tout de même ! Les deux distributions sont bien équilibrées, proposant chacune des personnages différents. Bélingard campe un jeune homme fougueux, rebelle, plutôt positif dans cette envie d’ailleurs, alors que la fuite d’Emmanuel Thibaut apparaît plus comme une nécessité. Quand à nos grandes sirènes, Letestu et Marie-Agnès Gillot, elles sont séduisantes chacune à leur façon. Agnès Letestu est plus fourbe, plus ronde dans ses gestes au début de la rencontre, pour mieux tromper le naïf. Marie-Agnès Gillot est plus agressive, plus envahissante dans l’espace de l’autre, comme une mante-religieuse.

La soirée Balanchine continue à l’Opéra de Paris jusqu’au 18 octobre. Plus d’infos et réservations sur le site de l’Opéra de Paris, clic.

A lire ailleurs : Danses avec la plume, Blog à petits pas, Danse Opéra, Palpatine, La loge d’Aymeric.

Le JDD, Balanchine, créateur de stars, clic
Le Huffington Post, clic
Le Financial Time, clic
Alta Musica, clic

Copyright photo : Le petit rat, Laurent Philippe/Fedephoto, Blog à petits pas.

1ère distribution (22/09/2012)

Sérénade
Ludmila Pagliero, Laëtitia Pujol, Eleonora Abbagnato
Hervé Moreau, Pierre Arthur Raveau
Agon
Pas de 2 Aurélie Dupont
Pas de 2 Nicolas Le Riche
1er Pas de 3 Muriel Zusperreguy, Nolwenn Daniel
1er Pas de 3 Mathieu Ganio
2ème Pas de 3 Myriam Ould Braham
2ème Pas de 3 Alessio Carbone, Christophe Duquenne
Fils prodigue (Le)
Le Fils Jérémie Bélingard
La Courtisane Marie-Agnès Gillot

 

2ème distributioN (26/09/2012)

 

Sérénade
Eleonora Abbagnato, Myriam Ould Braham, Mathilde Froustey
Florian Magnenet, Pierre Arthur Raveau
Agon
Pas de 2 Eve Grinsztajn
Pas de 2 Stéphane Bullion
1er Pas de 3 Muriel Zusperreguy, Mélanie Hurel
1er Pas de 3 Karl Paquette
2ème Pas de 3 Nolwenn Daniel
2ème Pas de 3 Christophe Duquenne, Stéphane Phavorin
Fils prodigue (Le)
Le Fils Emmanuel Thibault
La Courtisane Agnès Letestu

 

Séance de travail Balanchine

Retour à Garnier pour la première fois de la saison, cela ne pouvait pas se passer facilement ! Outre le défilé des Galeries Lafayettes qui occupait le quartier, mes lunettes sans qui je suis complètement dans le flou, avaient décidé de divorcer. Chouette, aller voir un spectacle sans lunettes…. Certes, il n’y a pas de sur-titres, et je connais les chorégraphies, mais quand même ! Bref, j’ai passé une soirée dans le flou ou les yeux collés à mes jumelles seul moyen pour moi de voir la danse ! Chers danseurs, hier dans mes yeux vous étiez tous doublés, ce qui avait un effet grandiloquent. Parlons plutôt des ballets que vous pourrez voir à partir de lundi prochain au Palais Garnier.

Le programme est composé de trois ballets, tous trois très différents.

Le premier est Sérénade. C’est un ballet qui a été créé en 1934. C’est une des premières créations « outre-atlantique », peu de temps avant la fondation du NYC Ballet. Pas d’argument dans cette petite pièce sur une musique de Tchaïkowsky. Balanchine a fait avec les moyens du bord. Premier jour de répétition, il y avait une vingtaine de filles, le surlendemain, plus que six. Qu’à cela ne tienne, il écrit la chorégraphie, le mouvement doit continuer. Une fille entre en pleurant dans le studio ? On conserve alors cette entrée. C’est cela qui fait la douceur de pièce. Elle regorge de petites pépites, d’intentions dissimulées ça et là. Balanchine n’a eu de cesse de modifier cette pièce, en ajoutant ou retirant des détails, des regards, parfois même des gestes entiers. On peut s’inventer une histoire alors qu’il n’y en a pas. Les longs tulles bleus renforcent cette idée romantique, peut être d’une passion entre un danseur et cette jolie blonde qui arrive au cours en retard. Il n’en est rien, mais rien ne vous empêche de laisser aller votre imagination.

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Dans mes jumelles, j’ai tout de même aperçu Eleonora Abbagnato, pour ma plus grande joie. Mathilde Froustey et Myriam Ould Braham ont aussi déjà offert du spectacle !

Le deuxième ballet proposé est de loin mon préféré. Il s’agit d’Agon, ballet de 1957. Sur une musique de Stravinsky, qui peut vous sembler sans mélodie, Balanchine construit une chorégraphie qui ne manque pas d’innovation. Ce « combat » est plus une « battle » entre la danse et la musique, car il ne faut jamais en perdre le rythme. La virtuosité technique exigée par Balanchine rappelle la complexité de la partition et il se construit un dialogue entre les deux qui m’emmène dans un imaginaire fabuleux. On peut dire qu’Agon fait partie des ballets en noir et blanc au même titre que Les 4 Tempéraments (que j’adore!), où les pas de deux succèdent aux pas de quatre, sans transition et pourtant on n’en perd pas pour autant le fil.

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Le dernier ballet est Le Fils Prodigue. Il a été écrit pour Serge Lifar, dans Les Ballets Russes de Diaghilev, en 1929. La version présentée date de 1957, Balanchine avait l’habitude de remanier ses ballets. L’argument est fort simple. Un fils veut plus de liberté, et quitte le foyer familial. Il se fait voler par ses deux compères, puis il rencontre un bande de lutins, qui le mettent dans les bras d’une femme envoutante et dominatrice qui finit de le ruiner. Il se retrouve seul et en guenilles. Il rentre alors chez son père, qui est heureux d’enfin le retrouver. La chorégraphie ressemble beaucoup à du Roland Petit et on ne peut pas s’empêcher de penser au Jeune Homme et la Mort. On est dans une écriture assez fine, résolument contemporaine avec un langage néoclassique. La musique de Prokofiev sert la narration, car elle l’accompagne et insiste sur les moments forts de la vie de ce jeune homme. En même temps, cette musique offre au chorégraphe des changements de rythme fabuleux pour monter une chorégraphie d’une grande modernité. Hier soir, Je n’ai pas quitté des yeux, des jumelles Agnès Letestu… Quelles jambes !

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Les distributions sur le site de l’Opéra de Paris

Allez je m’en vais me racheter des yeux pour y voir quelque chose à la première de lundi !