Roméo et Juliette de Sasha Waltz, première !

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© JMC

Lundi soir, retour à Bastille, pour assister à la première de Roméo et Juliette de Sasha Waltz. Ayant vu la séance de travail et la générale, ce n’est pas avec un regard complètement neuf que j’assiste à cette représentation.

J’avais gardé un souvenir très mitigé à la création, et à vrai dire, je ne me souvenais pas de grand chose, hormis cette scénographie superbe, fait avec deux plate-formes qui se soulèvent, se détachent, transforment l’espace scénique dans lequel évoluent les danseurs.

On est plongé dans le conflit entre les deux familles. Les danseurs entrent en courant, blancs contre noirs comme dans un jeu d’échecs. La double plate forme est éclairée avec des lumières rasantes. La musique a un côté très solennel, très guerrier. Le choeur commence à chanter.

« D’anciennes haines endormies,

Ont surgi comme de l’enfer ;

Capulet, Montaigu, deux maisons ennemies,

Dans Vérone ont croisé le fer. »

Les corps, se posent, les uns contre les autres, comme des cathédrales vivantes. Cela crée une belle unité, une matière nouvelle. Les corps se collent les uns aux autres, les poids des corps sont interdépendants. C’est très graphique, les plates-formes créent des lignes, les assemblages des corps en créent d’autres.

Après cette entrée, on assiste à une danse très joyeuse. Les filles sont portées et courent à l’envers, en l’air. Les prises des portés sont surprenantes, souvent très naturelles et visibles, contrairement à d’autres. Déjà on aperçoit la silhouette de Juliette, dont le regard est différent des autres. Un regard enfantin, avec un sourire innocent, un état de grâce avant la tragédie. Roméo, de dos, en chemise, semble plus grave.

« Le jeune Roméo, plaignant sa destinée,

Vient tristement errer à l’entour du palais ;

Car il aime d’amour, Juliette…. la fille

Des ennemis de sa famille ! « 

Les jeunes femmes sont traînées, s’accrochant au cou des hommes. Les lumières sont douces, presque dorées. On distinguent les deux amants, qui sont chacun sur un praticable, comme pour marquer le rideau de fer qui existe entre les deux familles. Les lumières sont douces et dorées. On joue entre deux énergies, celle du poids du corps dans le sol ou des portés très suspendus. Les contrastes sont forts et marqués. Les corps sont dans une matière très élastique, très étirable.Les suspensions sont très belles, comme si les danseurs étaient eux aussi maintenus en l’air par des câbles.

Le son de la harpe, très douce coïncide avec Roméo qui se couche en forme foetale. Tout est fait pour rappeler l’âge des deux protagonistes, ce monde de l’enfance sacrifié pour une guerre. Roméo commence un solo très vif, dans lequel c’est l’occasion d’admirer Hervé Moreau de retour sur cette pièce. Il propose un Roméo fou d’amour, mené par ce sentiment dans ses actions. On admirera la fluidité de ses bras et de son buste qui emmènent toujours le mouvement. La douceur qui s’installe dans cette variation reflète le caractère bon et tendre du personnage de Sasha Waltz.

« Premiers transports que nul n’oublie !

Premiers aveux, premiers serments

De deux amants

Sous les étoiles d’Italie »

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© JMC

Deux amis de Roméo apparaissent et dansent en dehors des plates-formes. Ils se préparent à entrer au bal des Capulets.  Le tambourin annonce le début des festivités. On fait semblant de manger, on joue à avoir faim à se gaver, mais à la vue de Roméo, Juliette sort de cette tablée, attirée par la beauté du jeune homme. Aurélie Dupont parvient à rendre ce transport très fort, le mouvement part de sa poitrine, son regard malgré le masque semble troublé. Lui, reste assez statique, déjà gêné par le fait d’être l’imposteur au milieu de cette tablée. Elle l’emmène alors danser. Le bal peut commencer.

« Bal divin ! Quel festin !

Que de folles paroles !

Belles Véronaises

Sous les grands mélèzes

Allez rêver de bal et d’amour, 

Allez rêver d’amour

Jusqu’au jour »

 

 Le bal est une chorégraphie qui se moque des danses traditionnelles, non sans humour. J’apprécie particulièrement la musique de ce passage. Les tutus aux épaisseurs
excessives sont mis en valeur dans des petits bonds. On se moque des codes, jusqu’à ce que tout ce petit monde soit ivre et décide de rentrer chez soi. Les rires résonnent, tandis qu’au fond de la plate-forme, on aperçoit Juliette chez elle, déjà rêveuse, qui se déshabille. De son côté, Roméo rêve aussi. Il rejoint sa belle, et ils dansent ensemble le fameux pas de deux.

Cela commence par un jeu de miroir, comme pour se deviner dans le noir. Il tente de s’approcher, puis il arrive par derrière en lui cachant les yeux. La variation commence et s’enchaîne avec une très belle fluidité. On a l’impression que les deux danseurs sont reliés par un fil invisible. Le jeu est omniprésent, avec des éloignements pour se rapprocher dans une certaine exaltation. C’est un des plus beaux passages du ballet, finement chorégraphié pour dépeindre la palette des sentiments qui traversent les coeurs des jeunes amants.

La plateforme monte, Roméo et Juliette se quittent. Juliette est à son balcon, un dernier baiser sur son pied et Roméo va se réfugier dans les songes. Le mariage secret va avoir
lieu, mais pendant ce temps, la vie de Vérone continue. Sasha Waltz explore l’utilisation de l’ouverture de la plate-forme supérieure. Les femmes et les hommes se glissent dessous, dansent, avec des gestes répétitifs qui reviennent. Au dessus, Père Laurence marie les deux enfants. Ils les portent, un dans chaque bras pour sceller leur union.

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© JMC

 

La plate-forme continue de s’ouvrir, un jet de peinture noire coule. Juliette boit le poison qui fera croire qu’elle sera morte. Roméo en exil ne le sait pas. Le plus beau passage arrive à ce moment là, Roméo est seul et sans musique il tente de gravir le mur qui le sépare de Juliette.Il monte, puis se laisse glisser pour montrer son désespoir et le tragique de cette situation. Son souffle résonne, il semble comprimé, comme manquer d’air. Il résiste à sa douleur, saute, court. Un silence religieux dans la salle admire le danseur qui à lui seul parvient à occuper l’espace avec un charisme naturel.

Juliette est mise au tombeau par sa famille et Père Laurence. Aurélie Dupont montre un véritable relâchement, et se laisse complètement emmenée. Les costumes sont très beaux dans cette pièce, il y a une belle réflexion sur les matières. Juliette en robe blanche est evanescente, son âme flotte déjà dans les coeurs de son clan. On la dépose dans un lit de pierre.

« Des fleurs ! jetez des fleurs sur la vierge expirée !…

Suivez jusqu’au tombeau notre soeur adorée !… »

Roméo, sorti de l’exil, accourt. Il découvre le corps froid de Juliette. Il pleure sur le corps de sa femme, après avoir bu un poison, quand la main de Juliette sort de son
engourdissement. Un silence se fait dans la musique, une pause, comme si ce geste n’était pas certain. Roméo découvre les mouvements de Juliette et la sort du tombeau. De nouveau on assiste à un joli pas de deux, avec beaucoup de portés qui sont repris. Aurélie Dupont et Hervé Moreau sont vraiment en osmose, c’est un superbe partenariat. Juliette rayonne, mais Roméo se raidit. Il tombe et meurt. Juliette par un baiser comprend qu’il a bu du poison. Elle se poignarde et meurt sur le corps de son amant.

« Je vais dévoiler le mystère

Ce cadavre, c’était l’époux

De Juliette ! Voyez-vous

Ce corps étendu sur la terre ?

C’était la femme hélas ! de Roméo ! C’est moi

Qui les ai mariés ! »

Pas le temps de se laisser aller à l’émotion, les deux familles arrivent en courant. Père Laurence va raconter l’histoire d’amour des deux amants. Hormis la double variation chant/danse du prêtre qui fonctionne bien, parce qu’elle a une vraie force, tant d’un point de vue lyrique que chorégraphique. Nicolas Paul est excellent et s’impose de façon autoritaire au milieu de ces hostilités familiales. La fin est la réconciliation des familles, on retrouve les « cathédrales » humaines, comme une sorte d’harmonie, de paix retrouvée. Au centre, les deux corps gisants avec une certaine beauté cadavérique. Sasha Waltz a la maîtrise de la composition scénographique.

Applaudissements très chaleureux et émotions du couple principal. Joie pour Aurélie Dupont de retrouver son partenaire, émotion non dissimulée d’Hervé Moreau de retrouver
la scène. Pour ma part, j’ai adoré la scénographie, les pas de deux et la variation solo de Roméo. Les danses de groupe m’ont plutôt ennuyées, même si la musique à ces moments là prend le relais et apporte une force à la pièce. Il manque encore un petit quelque chose pour me faire basculer dans une émotion complète.

Très belle soirée qui se termine par le cocktail de première au foyer panoramique. Sasha Waltz, pétillante, et très chic (point mode : superbes escarpins…) évoque son bonheur de revenir monter cette pièce, car elle représente pour elle l’idéal à atteindre, d’ouvrir les portes entre les arts, et de les lier ensemble dans une oeuvre. Brigitte Lefèvre dans un court discours partage elle aussi son goût pour l’oeuvre et remercie un à un les acteurs qui ont permis cette reprise. Elle finit par un touchant « Hervé, on t’aime », que toute l’assemblée applaudit chaleureusement.

Encore merci à JMC pour la place.

Le livret de l’Opéra de Berlioz

Roméo et Juliette sur le site de l’Opéra

Les photos d’Agathe Poupeney

A lire dans la presse

Le Point Roméo et Juliette, l’amour Waltz à Bastille

Le Figaro Sasha Waltz à Vérone

Notulus Roméo et Juliette, version Sasha Waltz

Newspress Trois questions à Aurélie Dupont et Hervé Moreau

Res Musica Le Roméo et Juliette épuré de Sasha Waltz

Opéra de Paris, En Scène Trois questions à Sasha Waltz
Les Echos Le ballet de Berlioz sur un air de Waltz

TF1 reportage dans le JT sur le ballet Roméo et Juliette

Le Canard Enchaîné Une grande Waltz


A lire sur les autres blogs

Danses avec la plume

Blog à petits pas

Joël Riou

  • Distribution du 07 mai 2012

 

Juliette Aurélie Dupont
Roméo Hervé Moreau
Père Laurence Nicolas Paul

 

2 réflexions au sujet de “Roméo et Juliette de Sasha Waltz, première !

  1. elendae says:

    Très jolie critique et belle analyse ! Je rejoins complètement ton ressenti. Je crois aussi que c’est un ballet qui a besoin de se laisser découvrir et « digérer », j’ai davantage apprécié la
    chorégraphie en elle-même en le voyant une 2ème fois au cinéma, que le soir de la première ou j’étais surtout focalisée sur les interprètes.

    J’ai cru comprendre que tu étais à Bastille le 15 au soir, tu nous raconteras comment c’était ? je regrette de n’avoir pas pu aller voir Vincent Chaillet et Mélanie Hurel, donc je suis curieuse
    de ton avis !

  2. flora says:

    Superbe spectacle ! J’ai adoré voir Aurélie Dupont au sommet de son art, le décor minimaliste est sublime … Et musicalement que du bonheur avec les 3 chanteurs… Merci pour vos articles !!!!

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