Samedi vingt-trois avril de l’an deux-mil-seize, la 32e Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris. La Chambre secrète, la Chambre de la Danse, siège exceptionnellement en audience publique, quoique le Palais soit quasi-vide, pour connaître de l’affaire qui remue danseurs, chorégraphes et spectateurs depuis un siècle et demi : enfin, le Prince Albrecht de Silésie va être jugé.
A titre liminaire, le Ministère public entend remarquer que, compte tenu de l’arrêt de mise en accusation rendu par la Chambre de l’instruction, suite à l’appel interjeté par le Parquet sur l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le magistrat instructeur, l’affaire sera appelée non pas devant la 32e Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, mais devant la Cour d’assises de Paris.
l’affaire qu’il vous appartient aujourd’hui de juger est d’une limpidité diaphane :
Comparaît aujourd’hui devant vous un jeune homme qui, Prince, a chu du pinacle où le portait sa haute naissance pour se comporter avec la perfidie qui sied à un misérable hobereau de province – si ce n’est au premier malandrin venu.
L’histoire est connue de tous, et il n’est guère besoin de la rappeler : Albrecht, moyennant un stratagème – rien moins qu’une promesse d’hymen – dont l’ignominie n’a d’égal que la noirceur de l’hideux dessein qu’il venait servir, a conquis l’âme et le coeur de la pauvre Giselle.
Sans doute était-ce pour s’amuser. Ou pour se rassurer peut-être, lui le grand Seigneur dont les dames de la cour s’éprennent de l’étiquette sans que jamais il ne lui faille les séduire.
Mais voilà : Giselle, elle, en est morte.
Les faits sont eux aussi notoires, nul besoin de s’y attarder : les armes dissimulées dans le cabanon, l’utilisation d’un faux nom, la promesse de mariage, la danse macabre qui s’ensuit…
Tous ces éléments, parfaitement établis par le dossier de l’instruction (qu’il s’agisse de l’enquête diligentée sur commission rogatoire de Monsieur Heine, ou de l’ordonnance de renvoi rendue par Monsieur Gautier), témoignent de manière irréfragable, et plus qu’à suffire, de la maxime qui invariablement semble présider aux actions d’Albrecht : « préméditation & lâcheté ».
A quoi bon tenter de démêler l’écheveau de cette méchante tête, dont ne sourd que le vice le plus abject, soutenu par la détermination la plus froide ?
Plutôt que de vaines condamnations morales, auxquelles les convulsions d’une époque malade ne sauraient manquer de trouver quelque contradicteur, je m’en tiendrai à présent, si vous le voulez bien, à exposer la qualification juridique des faits.
Car la loi, elle, ne ment pas.
Or, là aussi, l’accusation ne saurait souffrir la moindre contestation :
Usurpation d’identité, manoeuvres frauduleuses, voilà sans doute qui, de prime abord, nous ferait penser à l’escroquerie, dont il convient de rappeler qu’elle se trouve définie par l’article 313-1 du Code pénal comme « Le fait, soit par l’usage d’un faux nom, […], soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, […] de tromper une personne […] et de la déterminer ainsi, à son préjudice […], à fournir un service ou à consentir un acte… »
En l’espèce, la dissimulation des armes, l’utilisation du faux nom et finalement la promesse de mariage, en vue de la danse.
Or, Albrecht comparaît aujourd’hui devant votre Cour, et non devant le tribunal correctionnel. Pourquoi ? Parce que Giselle est morte.
Et c’est pourquoi la Chambre de l’instruction a, à juste raison et selon un arrêt parfaitement motivé en fait et en droit, considéré que les agissements d’Albert étaient constitutifs du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7 du Code pénal).
Cette qualification pourrait sembler surprenante aux profanes. En effet, « violences », me direz-vous, Mesdames et Messieurs les jurés, mais enfin, aucun coup n’a été porté !
Cependant, ce serait oublier l’article 222-14-3 du Code pénal, lequel dispose en son unique alinéa que « Les violences prévues par les dispositions de la présente section [i.e. celle dans laquelle est insérée l’article 222-7 relatif aux violences ayant entraîné la mort] sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques. »
En l’espèce, la promesse monstrueuse d’Albrecht a plongé Giselle dans un tourbillon mortifère de souffrances psychologiques insoutenables : c’est ce dont atteste, au besoin, le rapport d’expertise psychiatrique du docteur Mats Ek.
Et ces souffrances ont causé sa mort – peu important de savoir si celle-ci eut pour cause directe le coup de poignard suicidaire, ou l’effondrement physiologique d’un corps livré à la tyrannie de la démence.
En outre, et enfin, je requiers de votre Cour qu’elle fasse application de la deuxième circonstance aggravante prévue à l’article 222-8 du Code pénale, selon lequel « L’infraction définie à l’article 222-7 [i.e le crime de violences ayant entraîné la mort] est punie de vingt ans de réclusion criminelle [et non de quinze ans] lorsqu’elle est commise : […] 2° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur. »
En l’espèce, il est établi que Giselle était affectée d’une fragilité physique et psychique qu’Albrecht ne pouvait ignorer, la mère de Giselle s’étant précisément opposée à la danse en raison de l’état de santé de sa fille.
La circonstance aggravante liée à la particulière vulnérabilité de la victime doit donc être retenue.
PAR CES MOTIFS,
le Ministère public, au nom de la société danseuse toute entière et par le truchement de la procuration à lui accordé par la République balletomane, a l’insigne honneur de requérir qu’il plaise à votre Cour de :
Sur l’action publique,
– DECLARER Albrecht de Silésie coupable du crime de violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner, infraction prévue à l’article 222-7 du Code pénal ;
– DIRE ET JUGER que ce crime a été commis avec la circonstance aggravante liée à la particulière vulnérabilité de la victime, telle que prévue à l’article 222-8 2° du Code pénal ;
– CONDAMNER, en répression, Albrecht de Silésie à la peine de vingt ans de réclusion criminelle prévue par l’article précité et décerner, à cet effet, un mandat de dépôt à son encontre ;
Sur l’action civile,
– CONDAMNER Albrecht de Silésie à verser à la mère de Giselle, seule famille connue de la défunte, la somme de 1.000.000.000 d’euros (un milliard d’euros) en réparation du préjudice moral causé par la perte d’une enfant belle comme le jour et pure comme la vierge ;
SOUS TOUTES RESERVES,
ET CE SERA JUSTICE.
La parole est à la défense, ici
Un régal!
Amateur de ballet, juriste appelé à la barre trois fois par semaine mais pour danser, je lisais avec reconnaissance et une joie non dissimulée, les réquisitions contre M. Albrecht de Silésie. Apparemment, si la Cour a suivi les requêtes du Ministère Public et l’a condamné, elle ne l’a pas pas placé sous mandat de dépôt, ou sinon le juge d’application des peines s’est laissé(e ?) circonvenir par ce manipulateur, pire, la plaidoirie pour Albercht aurait-elle abusé les jurés ?
Car, les 16 et 17 novembre dernier, Albrecht récidivait sous les applaudissements complices de 2000 personnes en la salle Berlioz de Montpellier. Une nouvelle fois, Myrtha insuffisante malgré la raideur de son caractère (et malheureusement de ses bras), n’a pu mettre un terme au parcours de ce criminel.
PS: Gisèle, dans sa défense répété d’Albrecht, ne serait pas atteinte d’un syndrome de Stockholm