Du 27 décembre au 3 janvier, le Théâtre de la Ville a invité le ballet de Lyon pour danser Giselle de Mats Ek, qui est à leur répertoire depuis 2009. Cette relecture du ballet romantique date de 1982. Je n’avais pas vu la pièce depuis juillet 2004, à l’époque la pièce était au répertoire de l’Opéra de Paris. C’est avec une certaine attente que je suis allée au Théâtre de la Ville, car j’avais en tête un excellent souvenir. Retour sur la représentation du 30 décembre 2013 avec dans les rôles principaux Elsa Monguillot de Mirman, Denis Terrasse et Yang Jiang.
Rappelons-nous d’abord l’argument de Giselle. A l’origine, Giselle est une jeune paysanne qui tombe amoureuse d’un beau garçon venu d’ailleurs. Il dit s’appeler Loys mais il est en réalité le noble Albrecht. L’ami de Giselle, le garde-chasse Hilarion lui dit de se méfier de ce garçon. Giselle préfère l’aimer et danser, malgré sa santé fragile. Quand les seigneurs du coin viennent au village, Giselle découvre qu’Albrecht est fiancé à Bathilde. Elle sombre dans la folie et meurt. A l’acte II, Giselle est devenue une Wili, un esprit évanescent délaissé par un amant infidèle, qui se venge en attirant des jeunes hommes dans la mort. Quand Albrecht vient sur la tombe de Giselle, Myrtha, la reine des Wilis veut le tuer. Giselle supplie la reine et danse avec Albrecht qui peut ainsi s’enfuir à l’aube.
Mats Ek relit cet argument et en garde presque intégralement l’acte I. En revanche, dans sa version, Giselle ne meurt pas de folie, mais est enfermée dans un hôpital psychiatrique. Dans le style, on est très loin du ballet romantique. Deux toiles peintes aux allusions sexuelles explicites constituent le décor. Quelques accessoires, comme le cœur de Giselle symbolisé par un petit coussin rouge, les fourches des paysans, des œufs, maigre nourriture des paysannes et les draps de l’hôpital psychiatrique qui ont remplacé la légèreté des tulles.
La chorégraphie est toute dans le style Ekien. Les mouvements s’ancrent profondément dans le sol, avant de s’élever dans les airs. Les positions pliées sont privilégiées, en sixième et en seconde. Ainsi les lignes se brisent. Giselle s’enferme toute seule en pliant son buste sur ses cuisses, jambes pliées. Elle sombre dans la folie, les jambes en écart pliées. Tout se brise à mesure que le ballet avance. Quand elle exprime sa joie de danser, les lignes se font plus courbes, plus douces et se matérialisent dans des sauts plus légers.
Les intentions sont toutes aussi importantes que dans la version « classique ». Dès l’ouverture du rideau, on voit Giselle au sol, en pleines convulsions, attachée par le ventre à une corde. Tout se joue déjà là. Il faut capter le spectateur, qui va suivre le cœur de cette petite paysanne. La proposition d’Elsa Monguillot de Mirman est brillante. Elle campe une Giselle pleine de jeunesse et d’entrain au premier acte. Sa danse est juste, expressive mais de façon très intelligente. Son regard joue une grande importance, elle sait varier son intensité pour partager ses sentiments. Giselle est déjà une marginale. Elle ne travaille pas, elle danse de façon différente des autres. L’acte II montre une autre facette de sa personnalité, une Giselle plus sensuelle avec Albrecht. Son jeu de séduction du premier acte était enfantin, placé sous le signe du jeu. Là, elle se montre plus aimante. Les danses des internées sont dansées avec beaucoup de précision. On retrouve les traversées des Wilis par des grand jetés plus écorchés. La frustration de ces femmes enfermées transparaît et met certains spectateurs dans l’embarras. Parmi elles, Giselle, frustrée comme les autres, semble cependant trouver un apaisement entre les murs de l’asile et la bienveillance de Myrtha. Elle continue d’éprouver son amour pour Albrecht, mais à présent contrôlé, et impossible ce n’est plus un danger pour sa santé. Elle peut se replier sous son drap, peut être son linceul et laisser Albrecht, nu, repartir pour une nouvelle vie. Mats Ek offre une vision plus humaine, moins fantastique. Giselle a perdu la tête, peut être même la mémoire, Albrecht est pardonné, il peut recommencer sa vie.
Mats Ek signe une œuvre riche, forte, qui n’a pas pris une ride. Le Ballet de Lyon, toujours aussi excellent dans son répertoire contemporain, le sert avec une grande dignité. Excellente soirée, quel grand plaisir de revoir ce chef d’œuvre du chorégraphe suédois ! Un grand bravo aux artistes !
« Le ballet n’a jamais vraiment osé tremper les pieds dans les eaux froides qui nous entourent. J’ai envie de refléter l’image de la réalité. »
Mats Ek 1999.
Les photos sont celles que l’on peut voir sur le site du ballet de Lyon
Savez-vous ou cette œuvre est rediffusée au cinéma ? Merci
Pas que je sache. En revanche, on le trouve facilement en DVD dansé par Ana Laguna