Compte-rendus scènes

Monsieur de Pourceaugnac, Théâtre de Caen

Clément Hervieu-Léger met en scène en collaboration avec les Arts Florissants, la comédie-ballet Monsieur de Pourceaugnac de Molière. Crée au théâtre de Caen, où j’ai pu le voir, la pièce tournera ensuite et sera à Paris, au théâtre des Bouffes du Nord en juin 2016. L’intrigue est simple : Julie, fille d’Oronte est amoureuse d’Eraste. Oronte a décidé de la marier à Monsieur de Pourceaugnac, un gentilhomme limousin assez âgé. Julie et ses amis vont se jouer de lui, lui tendre tous les pièges, pour que épuisé, il finisse par rentrer à Limoges.

Monsieur de Pourceaugnac Agathe Poupeney

Le plateau de cette pièce ressemble à un plateau de cinéma. Les décors sont mobiles, les coulisses sont à vue. A jardin, les chaises des musiciens, subtilement éclairées par de jolies ampoules dorées. A cour, rien. L’action va se concentrer au centre, où la lumière saura rappeler à l’œil du spectateur où il faut zoomer. Clément Hervieu-Léger nous installe dans un Paris des années 50. D’ailleurs, on ne sait plus bien si on est à Paris ou à Naples, mais peu importe au fond. Les plans varient avec les décors qui agrandissent ou réduisent la scène. Hervieu-Léger joue avec les plans, comme au cinéma. Les musiciens y sont aussi acteurs, ils sont complices des farces d’Eraste, aidé par Nérine et Sbrigani. Les changements d’ambiance, les passages musicaux, les danses (chorégraphiées par Bruno Bouché) sont subtilement menés et nous tient en haleine de farce en farce.

Qui dit Molière, dit rires. On rit beaucoup. Clément Hervieu-Léger ne dénature pas le théâtre de tréteaux qu’est celui de Molière. Accessoires, déguisements, accents : tout est là pour faire rire le public et cela marche. Le clou du spectacle étant la scène avec une superbe automobile qui servira de coffre à farces et attrapes. On se prend souvent d’empathie pour ce pauvre Monsieur de Pourceaugnac qui est malmené par tous les habitants de la ville. Gilles Privat campe un benêt à l’air ahuri de manière assez remarquable. Il nous touche et par là, on se permet de rire de lui. Après tout ce n’est qu’une farce !

© Brigitte Enguerand

© Brigitte Enguerand

Côté musique, on se réjouit de voir William Christie au clavecin et à la baguette. C’est un personnage de plus dans la pièce ! La musique de Lully se marie à merveille avec la mise en scène d’Hervieu-Léger. On se croirait presque dans une comédie musicale. Les déplacements sont savamment chorégraphiés, rythmés et le tout est un vrai ravissement. A ne pas manquer !

De l’ennui au spectacle

Certes, ce titre de chronique est un peu prétentieux. Certains diront que c’est mon caractère, d’autres, s’en amuseront je l’espère… Trois spectacles me trottent en tête depuis quelques jours, pendant lesquels je me suis ennuyée ferme.

Je ne sais pas vous, mais quand je m’ennuie au théâtre, le temps me semble insupportable. Cela commence généralement par une mauvaise entrée en matière : un décor, un costume peu seyant, ou pire un texte dans lequel je ne rentre pas. J’essaie toujours de m’accrocher un peu, disons que les vingt premières minutes sont cruciales. Après cela, je trépigne… Deux choix s’offrent alors pour moi : dormir ou rester au prix d’un énervement qui bout au fond de moi. Ah non, j’oublie un choix : sortir de la salle.

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Bon alors prenons d’abord cette dernière solution. C’est la solution indispensable dans certains cas. Comme hier soir. J’étais au théâtre de la Madeleine avec mon ami Y*** pour voir Le roi Lear avec Michel Aumont dans une mise en scène de Jean-Luc Revol (clic). Bon, on savait que ce ne serait pas exceptionnel, mais de là à ce que ce soit déplorable… La pièce est transposé dans les années 30, mais mis à part les jolis costumes, on ne comprend pas bien ce choix. Le rythme est lent, je commence à trépigner. Coup de grâce, les comédiens ne connaissent pas leur texte et on entend assez distinctement la souffleuse depuis la coulisse. Voilà 45 minutes ont suffi à me pousser vers la sortie de façon prématurée.

Pour les deux autres solutions, parfois elles se combinent très bien. Quand je suis allée il y a quelques semaines au théâtre de la Colline voir Les géants de la montagne de Pirandello, mis en scène par Stéphane Braunschweig (clic), je n’ai pas passé une bonne soirée. Là, le jeu était excellent, notamment Claude Duparfait et Dominique Reymond, admirables chacun dans leur rôle. Je n’ai pas compris la scénographie. Le gros blocos qui occupe la scène envahit l’espace, bloquait un peu le jeu des comédiens, qui sont de fait très statiques. Je n’ai pas non plus aimé les parties vidéoprojetées. Ce soir là, je ne suis pas entrée dans le texte. Pourtant le thème m’attirait plutôt : la place du poète doit-elle être dans le monde ou en dehors. Pas le bon soir sans doute. Je suis restée complètement en dehors et je n’ai pas été touchée par la poésie de la pièce.

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Quant à la danse, c’est encore pire. Quand je m’ennuie pendant un ballet, je me demande toujours ce qu’il en est pour les danseurs. Je me mets à regarder la technique comme une maniaque traquerait le grain de poussière sur un meuble. Un voile flou se glisse entre mes yeux et la scène. Je croise et je décroise les jambes. A Garnier, je regarde le plafond, en cherchant un détail que je ne connais pas encore. Je me suis ennuyée fortement pendant Clear, Loud, Bright, Forward, de Benjamin Millepied (clic). La musique ne m’a pas aidée. J’ai plutôt apprécié la scénographie, assez sobre et efficace. La chorégraphie m’a déplue. j’ai trouvé cela très fouilli, très gesticulant. On voyait bien ce que Millepied voulait faire : harmonie avec la musique, fluidité et féminité mise en avant. Quelque chose ne marchait pas. J’étais fatiguée de voir ces portés toujours plus vertigineux mais parfois peu élégants. Fatiguée aussi de voir les références de Millepied se succéder comme dans une copie bien rédigée. Cela manquait de folie, de pétillant. Pas chez les danseurs, la jeune génération du ballet s’est donnée à fond pour servir cette création. A revoir peut être en fin de série pour voir quelque chose de plus abouti.

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ROH au cinéma ! Romeo & Juliet de Kenneth MacMillan

Depuis quelques années, des productions ont eu l’idée de retransmettre en direct ou en différé, des ballets au cinéma. Mardi dernier, je me suis rendue au Publicis des Champs-Elysées pour assister au Roméo et Juliette chorégraphié par Kenneth MacMillan en direct depuis le Royal Opera House de Londres. Incarnés par Sarah Lamb et Steven McRae, Roméo et Juliette ont été très émouvants, malgré le truchement de la vidéo.

Steven McRae & SArah Lamb photo de Alice Pennefather

(c) Alice Pennefather

L’avantage de la vidéo, c’est qu’elle permet d’être au plus prêt des danseurs. Cela peut être un désavantage, quand on voit de trop près certains maquillages de scène, qui sont faits pour être vus de loin. Dans un ballet aussi narratif, et dans la chorégraphie qu’en a fait MacMillan, c’est certainement un avantage, car on vit le ballet comme un film. La caméra nous plonge au milieu de la place principale de Vérone, elle se fixe au fond des yeux de Juliette, désespérés, elle nous fait vibrer dans les pas de deux enflammés des deux protagonistes. De voir si près les interprètes permettait de voir la justesse du jeu des danseurs anglais. Tels de véritables comédiens, les visages portaient l’expression de la tragédie et dans la salle de cinéma, on sentait le public pris aux tripes.

Pour ce qui est de la chorégraphie que je ne connaissais pas, j’ai trouvé les pas de deux vraiment somptueux. La gradation de l’amour des jeunes amants, les portés vertigineux, l’élégance des lignes font ressortir les qualités techniques et artistiques des deux danseurs. Sarah Lamb est délicieuse ; ses grands yeux se remplissent de joie ou de désespoir selon l’avancement de l’histoire. Elle campe une Juliette juvénile à la danse impeccablement réglée. Quant à Steven McRae, il incarne la drôlerie de Roméo qui se remplace peu à peu par la passion pour Juliette. Ses sauts sont merveilleux et c’est un partenaire épatant.

Les ensembles et l’esthétique générale du ballet ne m’ont pas beaucoup plu. Les robes ocres, le décor un peu lourd, tout cela était peu élégant. Pour faire un ballet parfait, il faudrait mêler les ensembles de Noureev avec les pas de deux de MacMillan. J’ai la même réserve d’ailleurs pour L’histoire de Manon, dont je n’aime pas beaucoup les costumes et les décors, ainsi que les ensembles dont le fouillis m’a toujours un peu donné mal à la tête.

Une très belle soirée de manière générale, un vrai plaisir de découvrir l’oeuvre et les danseurs au cinéma. La prochaine soirée du ROH en live est Les Noces de Figaro pour l’opéra et pour la danse, une soirée mixte Liam Scarlett / Jerome Robbins / George Balanchine / Carlos Acosta qui crée un Carmen. A voir non ?

 

(c) Bill Cooper

(c) Bill Cooper

Plus de photos, d’infos, de vidéos sur le site du ROH, clic

Ne manquez pas le World Ballet Day, le 1er octobre en live depuis le Royal Ballet !

Dancing Teen Teen, Eun-Me Ahn

L’année France Corée a commencé sous la bannière de la jeunesse, ce mercredi au théâtre de la Ville. La chorégraphe coréenne est à l’honneur puisqu’elle vient avec trois pièces dont la lecture des titres évoque immédiatement Pina Bausch : Dancing Teen TeenDancing Middle-Aged Men et Dancing Grandmothers. Trois générations, comme pour dire quelque chose de la société d’aujourd’hui et de la danse d’aujourd’hui. Un titre prometteur, une surprise étonnante.

Dancing Teen Teen

 

En donnant la parole à ces jeunes ados, Eun-Me Ahn a transformé la scène en boîte de nuit sud-coréenne. Ambiance pop, couleurs acidulées, défilé de costumes toujours plus déjantés, chaussettes hautes, perruques blondes platines, détournement de l’uniforme scolaire, musique techno allant jusqu’à la K-pop, on peut dire que ça bougeait au Théâtre de la Ville. On se dandinait sur nos sièges en regardant ces ados se déhancher comme en club. C’est bien cela le style de cette pièce : chorégraphie de vidéos-clips, hip-hop de rue, tecktonik, petits pas qui rythment simplement la musique. Le ton est donné. On regarde ces ados se  déhancher, courir, sauter, chacun dans sa bulle. Comme on dit en Asie « same, same, but different ». On danse ensemble mais sans l’être.

La danse s’arrête net pour laisser place à un film un peu long (quinze fois trop long) où des adolescents dansent dans la rue. Le public, oscille entre la gêne et la moquerie. Il rit des pas de danse un peu gauches. Ou des observateurs dans la rue. Je me suis assez ennuyée pendant ce long moment. J’ai repensé à une conférence de Jean-Luc Nancy qu’il avait intitulé « Pas de danse ». Il parlait des lieux où l’on ne danse pas habituellement, comme la rue par exemple. Amusant de voir à quel point les rires se multipliaient en voyant les mêmes pas de danse que dans la première partie, certes plus maladroits, mais les mêmes, comme si cette succession de pas de danse avaient composé la chorégraphie principale.

C’est avec soulagement que la scène reprend le dessus. Un moment très bauschien où les adolescents se succèdent au micro, défendant une sorte de « 10 commandements de la jeunesse ». Toute l’adolescence est sous nos yeux, dansant, embrassant le public, jouant à des batailles d’oreillers et ne sachant que faire de l’avenir qui s’offre devant elle. La fête bat son plein, le public rejoint les danseurs sur scène. Folle soirée !

Dancing Teen Teen c’est jusqu’au 25 septembre, au Théâtre de la Ville, clic

U Theatre, au Châtelet

U theatre est une troupe taïwanaise qui mêle percussions, danse et arts martiaux. Cette troupe protéiforme existe depuis 1988. Pour Liu Ruo-Yu, la fondatrice de ce collectif, «le spectacle vivant est une représentation de ce que l’existence a de meilleur». Les membres vivent de manière ascétique, dans des montagnes et pratiquent leurs arts quotidiennement. Un spectacle dont cette énergie positive se ressent avec beaucoup de force. Retour sur la première, ce lundi 14 septembre.

© Lin Shengfa

© Lin Shengfa

Le spectacle est une suite de tableaux, aux ambiances très différentes. On passe ainsi de grands moments de percussions, où les rythmes enivrent, à des instants très sereins, très lents, où le temps se suspend. Le tout est un voyage spirituel où l’on est absorbé par la vision de ces corps.

Les premiers tableaux donnent le ton : des vidéos servent de décors, où se succèdent des gouttes de pluie, des vortex ou des planètes. Le sol reflètent les corps, les jupes qui tournent, comme celles des dervishs turcs, les tambours ceinturés au dos des artistes. Les gestes sont minutieusement réglés qu’ils frappent avec énergie les peaux tendues des instruments ou qu’ils bougent avec la plus grande lenteur. Tout le spectacle est impressionnant de précision, tout est chorégraphié. J’ai beaucoup apprécié le travail des mains, d’une grande beauté.

Côté danse, le travail de tours est épatant. Le haut du haut utilise surtout les bras et l’avant du buste. Les pieds permettent des déplacements lents ou ultra rapides. On a parfois la sensation qu’ils marchent sur un fil ou sur une surface très fragile. La retenue dans ces tableaux lents vous suspend à la pointe des pieds des artistes. Cela est renforcé par les instruments à cordes et les voix qui semblent venir de très loin. Quand les danseurs s’envolent dans les airs, avec leurs grandes jupes blanches, du volume se crée. La danse change d’esthétique, elle devient comme plus libre et prend plus d’espace.

Il y a de très beaux tableaux dans ce spectacle, comme celui où des gongs descendent sur scène et où une dizaines d’artistes viennent les frapper. Les sons sont absolument incroyables, ils tournent dans la salle comme les hommes autour de ces grosses lunes d’or. La danse continue en tourbillon pour s’arrêter net, et repart dans une lenteur. Tout s’étire et se retracte, grandit  et meurt avec beaucoup de poésie.

© Hsu Ping

© Hsu Ping

Le U Theatre est au Châtelet jusqu’au 18 septembre, clic. Durée du spectacle 1h15