Virginie Kahn

Nouvelles du 03 décembre

Il serait bon que les journées durent plus longtemps, pour que j’ai le temps enfin de rédiger les chroniques en retard… Le mois de novembre était donc décidément bien chargé, mais que de belles choses découvertes.

La semaine dernière, j’ai vu la compagnie Circa à la Villette pour sa pièce Wunderkammer. Cette chambre des merveilles n’a pas tenu toutes ses promesses. On assiste à un spectacle avec de beaux interprètes, des acrobates assez géniaux, mais la mise en scène et la composition restent un peu pauvres et manquent cruellement de sens. Un peu décevant donc, même si très impressionnant.

La pièce de ma semaine fut sans aucun doute May B de Maguy Marin. Le souvenir de samedi est encore vibrant dans mon esprit, tant l’intelligence de cette oeuvre m’a parlé. Les personnages de Beckett incarné par ces danseurs complètement hallucinants, la construction de la pièce, tout m’a plu, tout m’a touché, c’était un moment très fort et on sentait le public entier vibrer au moindre mouvement de ces personnages de fin de monde.

La générale de la soirée Forsythe Brown vendredi remplit ses promesses. Une soirée pleine de peps, qui vous donne une énergie folle, avec sa touche de tendresse et de poésie avec O Zlozony/O Composite.  J’écoute Tom Willems en boucle depuis vendredi…

  • Les sorties de la semaine 
 La soirée magique à ne pas manquer c’est la soirée Forsythe/Brown à l’Opéra de Paris. Deux grands chorégraphes américains, quatre pièces dont trois de William Forsythe.
La soirée s’ouvre avec In The Middle, somewhat elevated, qui n’a pas pris une ride pour moi et qui au contraire a beaucoup changé. Forsythe n’a pas voulu refaire ce qu’il avait crée en 1987, mais bien retravailler l’oeuvre avec les danseurs actuels. vous y découvrirez (entre autres) Vincent Chaillet, dominant la scène, accompagné d’Aurélia Bellet, fascinante dans ce répertoire et Alice Renavand, toujours juste dans le sens de sa danse. Laurène Lévy y est elle aussi captivante. On entre ensuite dans un moment de poésies avec la pièce de Trisha Brown qui a beaucoup évolué aussi. O Zlozony/O Composite est une parenthèse onirique, dansée par deux hommes et une femme. Le Riche Bélingard Dupont, avouez que ça fait rêver.
Woundwork 1 est une pièce pour 4 danseurs qui dansent sans se voir deux pas de deux. Le regard du spectateur voyage de l’un à l’autre, comme dans un dialogue.
Pas./Parts clôture la soirée en beauté par une suite de solo, duo, trio, septuor, où on voit passer, Sébastien Bertaud, Jérémie Bélingard, Eleonora Abbagnato, Marie-Agnès Gillot, Yannick Bittencourt et d’autres qui vous saisissent du début à la fin. Le tout sur la musique de Tom Willems… J’adore !
A voir Ailleurs, toujours Cendrillon de Maguy Marin, mais cette fois ci il faut aller à la MAC de Créteil. Plus d’info et réservations, clic.
Pendant ce temps, au Théâtre de la ville ont lieu les dernières représentations de Ballet am Rhein. Je vais les voir mardi soir, malgré des critiques mitigées.
A Chaillot, Decouflé et Nosfell reviennent pour Octopus. Pour relire ma chronique c’est ici, clic.
Réservations, clic 
Au CND, le Ballet de Lyon se produit avec entre autres la pièce de Millepied, This part of Darkness. Plus d’infos et réservations, clic. Relire ma chronique sur ce pièce, clic.
Et toujours Don Quichotte à Bastille.
  • Le film de la semaine

Le grand saut réalisé par Virginie Kahn sera diffusé dimanche 9 décembre à 16h50 sur ARTE. Ce film raconte l’histoire de 12 enfants du CRR de Paris. J’ai déjà vu le film, c’est un très joli portrait de l’enfance et de la danse. J’ai aussi rencontré sa réalisatrice, passionnée et passionnante. Relire ma chronique, clic.

  • En vrac
Agathe Poupeney  exposera à Viry Chatillon du 19 janvier au 2 février.
A lire Don Quichotte et Carmen, deux grands d’Espagne, par Ariane Bavelier, clic.
 Danil Simkin a été nommé « principal » à l’ABT.
Charles Picq, fondateur de Numéridanse est décédé la semaine dernière.
La danse classique thérapie contre la morosité de l’adolescence? A lire ici, clic.
  • La vidéo de la semaine
In the Middle  by Sylvie… indémodable.

Le grand saut, rencontre avec Virginie Kahn

Le grand saut est un documentaire de 52 minutes qui sera diffusé sur Arte le 9 décembre, à 16H50.  Le film raconte la vie de douze jeunes danseurs au CRR de Paris.

Ce film, que j’ai eu la chance de voir, est un petit trésor. Les enfants sont filmés avec tendresse, les angles de vue dans les cours de danse sont différents de ce que l’on peut voir dans les habituels documentaires de danse. Les enfants racontent leur vie de danseur, leurs réussites, leurs déceptions, leurs blessures. C’est un film pétillant, qui raconte une histoire, une aventure. La lucidité des enfants sur leur art est incroyable, leur simplicité aussi. Un an au CRR, avec l’école, les déplacements, la vie de famille à gérer, on suit ces enfants dans cette expérience de vie. On les voit aussi dans des scènes dansées à l’extérieur, qui semblent des parenthèses de rêve. Bravo à tous ces enfants, qui ont fait un travail formidable ! A ne pas manquer !

Pour en savoir un peu plus sur l’envers du décor et ce joli projet, j’ai rencontré sa réalisatrice un soir de novembre. Nous avons eu une discussion passionnante, Virginie Kahn est une amoureuse de la danse, son émerveillement pour les enfants qui pratiquent cette passion, illumine ses yeux.

D’où est né ce film ?

C’était un projet personnel que j’avais depuis longtemps. J’avais déjà fait un film sur la danse : Danse, danse, danse et photographié un spectacle au Conservatoire : Le rêve d’Alice qui est à l’origine du film. j’avais été fascinée par l’investissement des enfants, leur implication, leur responsabilité assumée.
Je suis passionnée de danse depuis longtemps, j’ai voulu être danseuse. Ma fille aînée a fait de la danse au Conservatoire, mais après un an, elle n’a pas voulu continuer. C’était un univers trop professionnalisant à son goût. Elle aimait la danse, mais pas comme cela.

J’ai eu envie de comprendre ce qu’est s’investir dans une passion quand on est encore un enfant. Comment grandit-on avec la danse omniprésente dans sa vie, dans son corps ? Qui sont ces enfants passionnés ? D’où viennent-ils? Par quoi sont-ils motivés ?

Vous avez tourné au CRR. Comment avez-vous choisi les enfants ?

J’ai suivi une classe de douze enfants de 9-11 ans.  Ce n’est pas un film sur le CRR, sur l’institution. Ce qui m’intéresse, ce sont ces enfants.

J’ai choisi de filmer les plus jeunes d’entre eux, ceux qui entrent pour la 1re année au Conservatoire, alors qu’ils ont encore la tête pleine de rêves et d’illusions.

Comment s’est déroulé votre travail avec eux ?

Nous avons  travaillé pendant un an avec eux entre mai 2011 et juin 2012. Le tournage s’est effectué sur 39 jours, avec une toute petite équipe, le film a été tourné entièrement au Canon 5D Mark II de manière à avoir une image cinéma et une caméra peu intrusive.

C’était très important pour moi d’impliquer au maximum les enfants. Je voulais qu’ils se reconnaissent dans le film, qu’ils comprennent ma démarche, pourquoi je filmais de telle manière ou telle autre. Nous avons donc mené des ateliers sur le cinéma avec eux. Le Conservatoire avait accepté d’inclure ce projet dans l’emploi du temps des enfants. Ils ont appris à tenir la caméra, à écrire des interviews, à utiliser une perche pour la prise de son. Nous avons créer des espaces de confiance, où les enfants parlaient de leur amour pour la danse, de leur rapport à la danse. Au début, ils avaient du mal à dire cela avec des mots.

Les enfants étaient tous hyper impliqués dans le projet. C’est aussi leur film, une aventure commune. Les textes des voix-off sont les leurs. Au départ, je ne souhaitais pas qu’il y ait de commentaire, mais à la demande d’Arte j’ai du en composer un pour plus de lisibilité. Je l’ai imaginé en me mettant à la place d’un des enfants, avec ses mots. C’est l’une d’entre eux qui nous racontent leur histoire.

Quels sont les mots qui revenaient le plus à propos de la danse ?

S’évader, rêver, s’envoler. La danse est un échappatoire qui leur procure un bonheur et un plaisir intenses au delà de tout.

Vous avez déclenché des vocations ?

Oui ! Deux enfants ont dit que si ils ne réussissaient pas dans la danse, ils se verraient bien derrière une caméra.

Quelle trame avez-vous choisie pour le film ?

J’ai choisi de les filmer dans trois aspects de leur vie d’enfant. L’école, le conservatoire, et leur vie de famille. Ils ont des emplois du temps chargés. Ils font de la musique, du dessin, parfois les deux et dansent encore en dehors du Conservatoire. Ce n’était pas facile de greffer mon projet.

Comme ce sont des enfants qui dansent partout, tout le temps. C’est pourquoi j’ai aussi imaginé des scènes de danse en extérieur. Pour ces scènes, ils ont repris les danses d’Isadora Duncan qu’ils avaient travaillées pour une conférence dansée encadrée par Elisabeth Schwartz. Ce sont ces chorégraphies que l’on retrouve à la plage, sur la passerelle des Arts et à Montmartre. Je me suis aussi servie de ce qu’ils étaient capable d’apporter, comme cette chorégraphie qu’ils avaient eux-même créée et que j’ai adapté dans un square, place Dauphine.

Et puis j’ai du choisir des personnages, ce qui n’était pas aisé, car cela a créé des rivalités entre les enfants.

Qui sont ces enfants ? Sont-ils tous dans le même moule ?

Non, mais il y a des points communs, d’où mon choix de personnages. Ils sont tous ultra déterminés. Il y en a plusieurs qui n’habitent pas Paris, qui font une à deux heures de transports matin et soir et un qui vit en famille d’accueil.
Certains viennent de milieux culturels – parents danseurs ou musiciens – mais ce n’est pas le cas de tous. Certaines familles ont découvert la danse avec leur enfant, avec sa passion. Une fois de retour dans leur milieu familial, tous ne baignent pas dans l’univers de la danse, comme ce jeune garçon dont les deux frères aînés sont fous de rugby.

Leur histoire personnelle avec la danse est chaque fois différente, mais leur implication reste presque toujours la même. Ils sont dans une ambiance pré-professionnelle. La plupart d’entre eux participe à des concours, l’Opéra est souvent LE rêve ultime à atteindre. D’ailleurs, quatre des douze enfants de la classe y sont aujourd’hui entrés en stage !

Au final, vous avez répondu à votre interrogation d’avant tournage ?

Oui en quelque sorte. Ces enfants sont des amoureux de la danse. Peut-être n’exerceront-ils pas le métier de danseur plus tard, il est trop tôt pour le dire, mais aujourd’hui c’est là qu’est leur rêve. Le plaisir et la passion sont plus forts que tout et c’est ce que je voulais montrer. Ceux qui partent, qui quittent ce cursus, sont ceux pour qui les contraintes ont pris le dessus.
J’espère que les gens qui verront mon film auront envie d’aller danser !

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