Pour sa nouvelle création, James Thierrée a décidé de mettre en scène les autres dans une fable nommée Tabac Rouge. Dans le programme, pas d’explication, il faut laisser place à l’imagination, juste ces quelques vers de Pier Paolo Pasolini :
Un enfant se regarde dans un miroir
Son œil rit noir
Mécontent, il regarde le revers pour voir
Si cette Forme est un corps
Mais il ne voit qu’un mur lisse
Ou la toile d’une araignée méchante
Sombre, il regarde de nouveau sa Forme
Dans le miroir, une lueur sur le verre.
Dans cette nouvelle aventure pour dix danseurs et comédiens, on est de nouveau plongé dans l’univers fantastique, au sens propre comme au figuré, de James Thierrée. Cauchemard ou rêve, chacun y projette sa vision personnelle. On est comme dans un film de Tim Burton, avec des personnages à la fois effrayants et terriblement attachants. Si on adhère à cet univers, on n’est pas perdu. On pense immédiatement à Raoul avec ce grand décor métallique, recouvert de miroirs, qui se tourne, se retourne, se désosse, se balance. Cette grande plaque coupe l’espace, le délimite, sert de mur d’escalade, de maison et crée à chaque fois un visuel différent.
Les choix musicaux de James Thierrée sont toujours aussi audacieux, car il prend toujours des grands classiques, mais qu’il parvient à y donner une autre énergie. Il y met sa patte, son ambiance et casse les rythmes dans la mise en scène du spectacle. On retrouve aussi ses effets sonores ; la musique qui s’arrête suite au mouvement d’un personnage, qui sort d’un autre endroit, parfois même du corps ou d’une partie du corps d’un danseur.

Au milieu de ce décor, on trouve des personnages, sortes de James Thierrée démultipliés par 10. Ce monsieur éreinté, assis sur son large fauteuil rouge, fait indéniablement penser à Hamm, le personnage de Becket, qui semble avoir une armée de Clov à son service, qui déboulent sur la scène en chaises à roulettes. Un personnage avec un éventail chinois en guise de tête fait penser à Victoria Chaplin, dans son numéro de la buveuse de thé (Cirque invisible, ndlr). La mère de James Thierrée, toujours présente, avec ses costumes, ses bêtes imaginaires, comme le poisson rampant ou la girafe lumineuse.

Est-ce que tout cela fait un bon spectacle ? Pas franchement. La pièce reste assez pauvre chorégraphiquement. On remarquera le talent de cette jeune contorsionniste qui avance sur la scène avec n’importe quelle partie de son corps ou encore ce magicien qui se déhanche à la manière du chorégraphe, mais les ensembles sont encore un peu fouillis et peu lisibles pour le spectacle. Quand on pense aux brillants spectacles que sont Au revoir Parapluie et Raoul, on reste un peu sur notre faim devant Tabac Rouge. Les danseurs passent leur temps à courir, comme angoissés ou affolés mais on ne ressent pas grand chose devant cette folle agitation. Là où Thierrée mettait de la magie, elle semble avoir moins de place ici et on regrette de ne pas retrouver ce regard émerveillé qu’on a pu avoir devant les spectacles précédents. On rit parfois, presque de gêne. Il y a des longueurs, et aussi des vrais moments de génie. Il manque peut être le charisme de James Thierrée dans sa pièce, car il traîne sur scène comme un fantôme et on a un peu trop tendance à le chercher.
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Représentation du mercredi 3 juillet 2013
mise en scène, scénographie & chorégraphie : James Thiérrée
costumes : Victoria Thiérrée
assistante à la mise en scène : Sidonie Pigeon
assistantes à la chorégraphie : Kaori Ito, Marion Lévy
interprètes : Denis Lavant, Anna Calsina Forrellad, Noémie Ettlin, Namkyung Kim, Matina Kokolaki, Valérie Doucet, Piergiorgio Milano, Thi Mai Nguyen, Ioulia Plotnikova, Manuel Rodriguez
