Valérie Doucet

La grenouille avait raison, James Thierrée

Vu au Théâtre du Rond-point au début de mois de décembre, c’est le regard plein de paillettes que je suis sortie du spectacle de James Thierrée. J’avais détesté Tabac Rouge, paresseux d’un  point de vue chorégraphique et très fouillis à mon goût. La grenouille avait raison reprend des ressorts qui fonctionnent – que l’on a certes déjà vus dans les spectacles de Thierrée.

On a l’impression d’être sous un chapiteau, tout est de bric et de broc. Un vieux piano, un escalier qui se forme à mesure qu’on l’escalade, une espèce d’aquarium verdâtre où l’on imagine les grenouilles en jaillir. Le décor est posé, le conte peut commencer. Au milieu de ce décor mi-circassien, mi inquiétant, on n’attend que les animaux imaginaires de Victoria Chaplin. Cela ne tardera pas.

1h30 de James Thierrée avec tout ce qu’on attend dedans : des artistes géniaux, un montage musical qui nous transporte, Thierrée dansant (cet homme peut tout faire non ?) un peu de magie, de l’humour et le public est conquis.

Si on peut reprocher la facilité du « déjà-vu », on ne peut enlever l’émerveillement. Avec un regard naïf, on admire ce spectacle sans trame narrative évidente – personnellement je n’ai pas cherché à retrouver Grimm – mais où les scènes s’enchainent avec des liens invisibles. On suit les chamailleries fraternelles, les roulades acrobatique, les grimaces et les dialogues dans des langues imaginaires, avec beaucoup de délectation.

James Thierrée est fascinant et n’a pas fini de l’être…

PS : Je n’ai pas de photo de moi, rouge tomate au bar du théâtre, quand j’ai croisé le regard de Thierrée…. Fascinant je vous ai dit.

Tabac Rouge, James Thierrée

Pour sa nouvelle création, James Thierrée a décidé de mettre en scène les autres dans une fable nommée Tabac Rouge. Dans le programme, pas d’explication, il faut laisser place à l’imagination, juste ces quelques vers de Pier Paolo Pasolini :

Un enfant se regarde dans un miroir
Son œil rit noir
Mécontent, il regarde le revers pour voir
Si cette Forme est un corps

Mais il ne voit qu’un mur lisse
Ou la toile d’une araignée méchante
Sombre, il regarde de nouveau sa Forme
Dans le miroir, une lueur sur le verre.

Dans cette nouvelle aventure pour dix danseurs et comédiens, on est de nouveau plongé dans l’univers fantastique, au sens propre comme au figuré, de James Thierrée. Cauchemard ou rêve, chacun y projette sa vision personnelle. On est comme dans un film de Tim Burton, avec des personnages à la fois effrayants et terriblement attachants. Si on adhère à cet univers, on n’est pas perdu. On pense immédiatement à Raoul avec ce grand décor métallique, recouvert de miroirs, qui se tourne, se retourne, se désosse, se balance. Cette grande plaque coupe l’espace, le délimite, sert de mur d’escalade, de maison et crée à chaque fois un visuel différent.

Les choix musicaux de James Thierrée sont toujours aussi audacieux, car il prend toujours des grands classiques, mais qu’il parvient à y donner une autre énergie. Il y met sa patte, son ambiance et casse les rythmes dans la mise en scène du spectacle. On retrouve aussi ses effets sonores ; la musique qui s’arrête suite au mouvement d’un personnage, qui sort d’un autre endroit, parfois même du corps ou d’une partie du corps d’un danseur.

Tabac Rouge de James Thierrée, photo Agathe Poupeney

Au milieu de ce décor, on trouve des personnages, sortes de James Thierrée démultipliés par 10. Ce monsieur éreinté, assis sur son large fauteuil rouge, fait indéniablement penser à Hamm, le personnage de Becket, qui semble avoir une armée de Clov à son service, qui déboulent sur la scène en chaises à roulettes. Un personnage avec un éventail chinois en guise de tête fait penser à Victoria Chaplin, dans son numéro de la buveuse de thé (Cirque invisible, ndlr). La mère de James Thierrée, toujours présente, avec ses costumes, ses bêtes imaginaires, comme le poisson rampant ou la girafe lumineuse.

Tabac rouge de James Thierrée, photo Agathe Poupeney

Est-ce que tout cela fait un bon spectacle ? Pas franchement. La pièce reste assez pauvre chorégraphiquement. On remarquera le talent de cette jeune contorsionniste qui avance sur la scène avec n’importe quelle partie de son corps ou encore ce magicien qui se déhanche à la manière du chorégraphe, mais les ensembles sont encore un peu fouillis et peu lisibles pour le spectacle. Quand on pense aux brillants spectacles que sont Au revoir Parapluie et Raoul, on reste un peu sur notre faim devant Tabac Rouge. Les danseurs passent leur temps à courir, comme angoissés ou affolés mais on ne ressent pas grand chose devant cette folle agitation. Là où Thierrée mettait de la magie, elle semble avoir moins de place ici et on regrette de ne pas retrouver ce regard émerveillé qu’on a pu avoir devant les spectacles précédents. On rit parfois, presque de gêne. Il y a des longueurs, et aussi des vrais moments de génie. Il manque peut être le charisme de James Thierrée dans sa pièce, car il traîne sur scène comme un fantôme et on a un peu trop tendance à le chercher.

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Représentation du mercredi 3 juillet 2013

 

mise en scène, scénographie & chorégraphie : James Thiérrée
costumes : Victoria Thiérrée
assistante à la mise en scène : Sidonie Pigeon
assistantes à la chorégraphie : Kaori Ito, Marion Lévy

interprètes : Denis Lavant, Anna Calsina Forrellad, Noémie Ettlin, Namkyung Kim, Matina Kokolaki, Valérie Doucet, Piergiorgio Milano, Thi Mai Nguyen, Ioulia Plotnikova, Manuel Rodriguez

Tabac Rouge de James Thierrrée, photo Agathe Poupeney