Théâtre de la Colline

De l’ennui au spectacle

Certes, ce titre de chronique est un peu prétentieux. Certains diront que c’est mon caractère, d’autres, s’en amuseront je l’espère… Trois spectacles me trottent en tête depuis quelques jours, pendant lesquels je me suis ennuyée ferme.

Je ne sais pas vous, mais quand je m’ennuie au théâtre, le temps me semble insupportable. Cela commence généralement par une mauvaise entrée en matière : un décor, un costume peu seyant, ou pire un texte dans lequel je ne rentre pas. J’essaie toujours de m’accrocher un peu, disons que les vingt premières minutes sont cruciales. Après cela, je trépigne… Deux choix s’offrent alors pour moi : dormir ou rester au prix d’un énervement qui bout au fond de moi. Ah non, j’oublie un choix : sortir de la salle.

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Bon alors prenons d’abord cette dernière solution. C’est la solution indispensable dans certains cas. Comme hier soir. J’étais au théâtre de la Madeleine avec mon ami Y*** pour voir Le roi Lear avec Michel Aumont dans une mise en scène de Jean-Luc Revol (clic). Bon, on savait que ce ne serait pas exceptionnel, mais de là à ce que ce soit déplorable… La pièce est transposé dans les années 30, mais mis à part les jolis costumes, on ne comprend pas bien ce choix. Le rythme est lent, je commence à trépigner. Coup de grâce, les comédiens ne connaissent pas leur texte et on entend assez distinctement la souffleuse depuis la coulisse. Voilà 45 minutes ont suffi à me pousser vers la sortie de façon prématurée.

Pour les deux autres solutions, parfois elles se combinent très bien. Quand je suis allée il y a quelques semaines au théâtre de la Colline voir Les géants de la montagne de Pirandello, mis en scène par Stéphane Braunschweig (clic), je n’ai pas passé une bonne soirée. Là, le jeu était excellent, notamment Claude Duparfait et Dominique Reymond, admirables chacun dans leur rôle. Je n’ai pas compris la scénographie. Le gros blocos qui occupe la scène envahit l’espace, bloquait un peu le jeu des comédiens, qui sont de fait très statiques. Je n’ai pas non plus aimé les parties vidéoprojetées. Ce soir là, je ne suis pas entrée dans le texte. Pourtant le thème m’attirait plutôt : la place du poète doit-elle être dans le monde ou en dehors. Pas le bon soir sans doute. Je suis restée complètement en dehors et je n’ai pas été touchée par la poésie de la pièce.

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Quant à la danse, c’est encore pire. Quand je m’ennuie pendant un ballet, je me demande toujours ce qu’il en est pour les danseurs. Je me mets à regarder la technique comme une maniaque traquerait le grain de poussière sur un meuble. Un voile flou se glisse entre mes yeux et la scène. Je croise et je décroise les jambes. A Garnier, je regarde le plafond, en cherchant un détail que je ne connais pas encore. Je me suis ennuyée fortement pendant Clear, Loud, Bright, Forward, de Benjamin Millepied (clic). La musique ne m’a pas aidée. J’ai plutôt apprécié la scénographie, assez sobre et efficace. La chorégraphie m’a déplue. j’ai trouvé cela très fouilli, très gesticulant. On voyait bien ce que Millepied voulait faire : harmonie avec la musique, fluidité et féminité mise en avant. Quelque chose ne marchait pas. J’étais fatiguée de voir ces portés toujours plus vertigineux mais parfois peu élégants. Fatiguée aussi de voir les références de Millepied se succéder comme dans une copie bien rédigée. Cela manquait de folie, de pétillant. Pas chez les danseurs, la jeune génération du ballet s’est donnée à fond pour servir cette création. A revoir peut être en fin de série pour voir quelque chose de plus abouti.

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Solness le constructeur, mise en scène Alain Françon

Si les pièces d’Ibsen racontent toutes les interrogations intérieures d’un personnage torturé, Solness est sans doute celle, qui par sa construction rigoureuse et son langage, est la plus pertinente.
Trois actes, trois temps, trois lieux, trois femmes pour découvrir le raisonnement interne de ce constructeur qui va l’amener au suicide.

Solness le constructeur à la colline jusqu'au 25 avril

Au premier acte, on découvre l’intérieur du cabinet de cet homme, présenté d’emblée comme arrogant, sévère et méprisant. Le vieil architecte qui partage son cabinet, mourant, magnifié par le jeu de Michel Robin, aimerait qu’il cède à son fils, un projet, pour que celui-ci puisse avoir un avenir. Solness refuse, et laisse apparaître le côté le plus cynique sans doute du personnage. Il se sert de sa secrétaire Kaja, niaise et naïve, pour garder tout ce qu’il possède, sans céder une miette de son royaume.

Solness

C’est au deuxième acte , à l’intérieur de sa maison, de son foyer, que le noeud de la pièce se forme. La belle et jeune Hilde apparaît. C’est une jeune femme qu’il a rencontré dans la passé, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Il bâtissait des cathédrales, des tours à échelle surhumaine. C’est en haut d’une de ces tours qu’il a fait une promesse à la petit Hilde. Il lui construirait un royaume. Solness parait bien vieux à présent devant cette bulle de jeunesse qui a jailli sous ses yeux. Pétillante et bondissante, elle vit à mille à l’heure, croquant la vie avec un mordant particulier. Elle est incarnée avec brio par Adeline d’Hermy de la Comédie Française. Face à elle, Wladimir Yordanoff se révèle absolument brillant dans chaque mot qui sort de sa bouche, chaque souffle et chaque geste. Il campe un Solness plus sombre, plus complexe, qui se révèle plus touchant, par son histoire personnelle. Les échanges entre Hilde et Solness sur les constructions du passé, sur le parcours de cet homme, le drame de sa vie (la perte de ses enfants dans un incendie). Son parcours de vie est passionnant et son analyse par son personnage est sans aucun doute le moment le plus prenant de la pièce. On est suspendu aux lèvres de Solness qui se révèle à mesure que la pièce avance, tandis qu’Hilde bondit, rit, contrastant avec le sombre esprit de ce vieil homme.

Hilde et la femme de Solness

La mise en scène d’Alain Françon est sobre et élégante. Les lieux paraissent suspendus, sans nom, et le temps se serait comme arrêté. Au troisième acte, la femme de Solness, dans un dialogue avec Hilde, permet de mettre en lumière les dernières zones d’ombre du personnage de Solness. L’action s’accélère, le décalage entre Solness et les autres se creusent, tellement qu’on arrive au suicide évident final.

La pièce est admirablement jouée et c’est presque religieusement que l’on écoute ce texte, délicieusement accessible tout en étant truffé de subtilités. Les personnages y sont des figures. Parmi elles, c’est Hilde qui semble la plus irréelle. Souvenir ou fantasme, elle trouble Solness autant qu’elle le fascine et l’attire.
On regrettera le manque d’entracte qui permettrait peut être un peu plus de digérer le texte. La pièce reste rudement bien menée. Du grand Ibsen.

Infos et réservations, clic.

avec Gérard Chaillou, Adrien Gamba-Gontard, Adeline D’Hermy de la Comédie-Française, Agathe L’Huillier, Michel Robin, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff

Nouvelles de 2013 n°9

Quinze jours sans nouvelles, vite un récapitulatif !

Après la plage du sud, j’ai atterri il y a quinze jours, à Bruxelles, sous la neige, pour le plaisir des yeux, mais pas celui du reste de mon corps. Cela ne m’a pas empêché pour autant de me balader partout dans la ville. Pas de spectacle, mais de belles découvertes, à commencer par mon coup de cœur pour la maison de Victor Horta. Cette maison, entièrement dessinée par son propriétaire, regorge de trésors. On s’émerveille pour les lustres, en tulipes, délicats et très élégants ; ou encore pour le magnifique escalier de marbre qui rétrécit à mesure qu’on monte dans les étages. Mon coup de cœur va à la chambre de sa fille, petit havre de paix et de lumière, avec un très joli jardin d’hiver. Un chef d’œuvre. Je suis retournée au musée Magritte, qui reste un vrai plaisir, tant les œuvres sont bien mises en valeur. J’ai pris le temps aussi de découvrir le musée des instruments de musique. Le bâtiment vaut à lui seul le détour. A l’intérieur on découvre une collection magnifique d’instruments venant du monde entier. On les écoute grâce à un casque. J’ai été éblouie par la collection de piano et clavecins, tous plus beaux les uns que les autres. Balade au Parc du Cinquantenaire, au Parlement Européen, parcours BD, parcours art nouveau, je n’ai pas chômé et j’ai été charmée par cette ville, très agréable et aux visages multiples.

Première de la soirée Roland Petit, j’ai espéré avoir une place, j’étais bien optimiste ! Samedi soir j’ai vu le ballet Eifman danser Rodin et son éternelle idole, j’ai passé une excellente soirée. Je repense encore à ces lignes et ses courbes que le chorégraphe a gravé dans l’espace. Un spectacle plein de beauté. Le reste de mon week-end était fait de répétitions de danse, assez intense, mais qu’il est bon de danser…

La semaine a été ensuite chargée du côté de mon travail, j’ai tout de même trouvé le temps, mercredi, d’aller voir l’exposition Noëlla Pontois à Elephant Paname. J’ai été très émue lors de cette visite, il y avait tant d’objets personnels, tant de photos émouvantes, les costumes la faisait redanser sous nos yeux. J’ai passé un très bon moment, la scénographie était vraiment très agréable. Relire ma chronique, clic.

Mercredi soir, on se pressait à l’entrée de la Briqueterie et pour cause, ce nouveau lieu de création chorégraphique fêtait son ouverture. On assiste à une première performance en plein, danse contact, que j’ai beaucoup apprécié. Simple, contemporain, efficace, cela a mis tout de suite le public dans l’ambiance du lieu. Parlons-en du lieu, qui est tout simplement magnifique. C’est une belle réhabilitation, avec un très beau studio de danse et un studio scène qui saura accueillir des performances nouvelles, à la manière de ce qui se fait au CND. Après les discours politiques, un peu longs surtout quand c’est dehors, on discute autour d’un buffet sympa. Des danseurs circulent autour de nous, dansent au milieu des conversations dansantes. C’est un lieu à découvrir. Plus d’infos sur leur site internet, clic

Studio de la Briqueterie

Vendredi soir, je file à la Colline pour voir Solness le constructeur d’Ibsen mis en scène par Alain Françon. Solness n’est pas le texte qui me touche le plus chez Ibsen , mais en voyant cette pièce, je me suis rendue compte qu’elle était plein de subtilités. La mise en scène de Françon est sobre, mettant le texte en valeur. Les comédiens sont très bons.J’ai passé une bonne soirée dans les méandres de l’esprit de Solness. j’essaierai de revenir dessus cette semaine.

Samedi soir, après une longue répétition de danse, je n’étais qu’à demi motivée pour accompagner Youssef voir Roméo et Juliette. Je n’ai pas regretté mon élan de motivation, car ce fut une très jolie découverte. Relire ma chronique, clic.

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Dimanche, après la danse, le cinéma semblait le meilleur endroit au monde. The place beyond the pines, ne m’a pourtant pas emballée et je me suis ennuyée. C’est très bien joué, le début du film est plutôt prometteur, mais très vite, j’ai trouvé le temps long.

Cette semaine, je vais enfin voir la soirée Roland Petit par deux fois.

  • Les sorties de la semaine

Solness le constructeur, d’Henrik Ibsen, mise en scène d’Alain Françon, du 23 mars au 25 avril 2013, au théâtre de la Colline. La pièce d’Ibsen est remarquablement jouée. La mise en scène est sobre, élégante. Sollness raconte l’histoire d’un constructeur, qui par le passé a brillé, par la construction de grandes églises. Après un drame dans sa vie personnelle, il a construit des foyers pour des ménages heureux. Suite à la rencontre d’Hilde, il lui pousse des ailes, comme si la vie pouvait être comme avant et se remet à construire une tour grandiose. La pièce est concentrée autour de son personnage principal qui fait son introspection grâce à Hilde. Il se confronte à la vérité, jusqu’à en avoir le vertige. Wladimir Yordanoff y est excellent, chaque mot est finement dit et prend sens dans l’action de la pièce.

avec Gérard Chaillou, Adrien Gamba-Gontard, Adeline D’Hermy de la Comédie-Française, Agathe L’Huillier, Michel Robin, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff

Infos et réservations, clic

Solness

Évidemment je vous recommande vivement le Roméo et Juliette que j’ai vu samedi soir. J’espère que ma chronique saura vous convaincre, clic.

Et toujours, la soirée Roland Petit à l’Opéra de Paris, qui est donnée encore pour quelques représentations. A noter que la soirée de Gala Arop a lieu le mardi 26 mars 2013. Infos et réservations, clic

  • Le shopping de la semaine

La semaine dernière, la boutique Repetto de la rue de la Paix a fait peau neuve ! Un joli petit clip a été réalisé pour l’occasion par Jérôme Cassou. L’occasion d’aller refaire un petit tour dans cette jolie boutique où on trouvera désormais chaussons, vêtements de danse, mais aussi leurs jolies ballerines et leur nouvelle garde robe.

  • L’égérie de la semaine

Myriam Ould-Braham est la nouvelle égérie de la marque Bloch.

Myriam Ould-Braham pour Bloch

  • En vrac

Indiscrétion sur Twitter, Julien Meyzindi travaille déjà à une nouvelle chorégraphie. La soirée danseurs chorégraphes lui a donné des idées ? Si c’est aussi bien que sa première création, on en redemande !

Evgenia Obraztsova viendra danser La Sylphide en juin à Garnier avec Mathias Heymann.

Dimanche 31 mars, est retransmis dans les cinémas Pathé et Gaumont Esméralda, dansé par le ballet du Bolshoï. Plus d’infos, clic

  • La vidéo de la semaine

Voici un petit court-métrage de Frédéric Leschallier qui est une balade urbaine dansée.

Sans gravité from Leschallier on Vimeo.

Nouvelles de 2013 n°4

La neige retombe sur la capitale. Cela m’a bloquée pour aller au cinéma hier. Ce n’était pas plus mal j’ai pu vous écrire quelques chroniques des nombreux spectacles que j’ai vus les deux dernières semaines. Petite review rapide.

Côté théâtre, je me suis sortie mitigée (et endormie aussi) de la Colline. Les Criminels de Bruckner mis en scène par Brunel, m’a laissée un peu de côté. La pièce raconte la vie d’un immeuble sous la République de Weimar ; un meurtre, un crime de jalousie, des secrets. Les appartements tournent avec des pièces qui nous semblent toujours cachées. La tension monte de façon aussi efficace qu’un bon polar. Au 2ème acte, on assiste au procès des différents personnages et on commence à perdre le fil. Cela manque d’émotions, le tension du 1er acte retombe comme un flan. Le troisième acte montrait la vie qui continue après, de façon plus ou moins sordide, mais j’avais déjà décroché.
Autre pièce vue au Théâtre de la Colline, dans un tout autre registre,  Le Cabaret Discrépant, d’Olivia Grandville. Si la première partie était déroutante, par son aspect décousue, la seconde m’a complètement emballée. La pièce présentait ce texte exquis Le ballet ciselant de Maurice Lemaître, qui se veut être un manifeste, pour renouveler l’art chorégraphique. Oublier les conceptions de la danse classique, notamment la pantomime, voilà pour le fond, quant à la forme, elle peut être diverse et variée. C’était très drôle, admirablement dansé et très intelligemment mis en scène.
Vendredi soir, malgré la fatigue Youssef a réussi à me vendre un spectacle en Japonais surtitré. Direction le quai Branly pour découvrir Mahabharata. Inspiré d’un conte indien, très présent dans la culture nippone, la scène est divisée en deux. Autour des tambours japonais et autres percussions rythment la pièce. Un récitant, des comédiens danseurs qui évoluent à travers ce conte d’orient en jouant, dansant, avec des masques, des accessoires plus fous les uns que les autres, comme ces têtes d’éléphants en papiers ou les chevaux en carton. C’est beau, très beau, jamais on ne se lasse de ce ballet où tous les arts se rencontrent. A voir assurément si cela passe près de chez vous.

Côté danse, le gala des étoiles qui avait lieu au Palais des Congrès ne m’a convaincue hormis les deux fabuleuses prestations de Svetlana Zakharova. Ma chronique est à relire ici. J’ai aussi assisté à la première de Kaguyahimé, très belle soirée avec un ballet très investi et à qui ce ballet réussit. Ma chronique est .

Point pub, j’ai acheté un justaucorps sur Dansea.fr, et j’ai été très satisfaite. Commandé le mercredi, livré le vendredi, au cours de classique le samedi. Ça vous remonte le moral des petits riens comme ça !

  • Les sorties de la semaine

Israël Galvan s’installe au théâtre de la Ville avec Le Réel / Lo Real / The Real  qui est une nouvelle création. Cette pièce traite à travers le langage du flamenco, l’oppression des gitans par les nazis. Cela commence mardi 12 février et cela dure jusqu’au 20 février.
Plus d’infos et réservations, clic. A lire dans Le Monde, clic

Trois soirs seulement pour voir Alban Richard et l’ensemble Abrupt au Théâtre de Chaillot avec Pléiades. La musique faite de percussions se superposent à la chorégraphie, qui est comme une deuxième partition.
Plus d’infos et réservations, clic.

Pleiades,  Alban Richard, ensemble l Abrupt et Jean-Paul Bernard, Les Percussions de Strasbourg

A l’Opéra de Paris , Kaguyahimé continue. Plus d’infos et réservations, clic.
Relire mes chroniques, ici et .

  • En vrac

Le ballet de l’Opéra de Paris était en tournée en Australie. Voici une revue de presse rapide de cette tournée :
Dancelines.com, If you see only one Giselle in your lifetime, make it the Paris Opera Ballet’s, clic
ArtsJournal.com, Review Giselle, clic
D
eborah Jones Blog Three Giselle, clic
SMH.com, Portfolio, clic
ArtsJourbnal.com, A ballet romance, clic
The Wall street Journal, The Paris effect, clic
The New-York times, A Faraway Story Performed Anew, clic
Turn M Out blogspot, clic

Sergei Polunin revient au Royal Ballet, clic.

Pressés de voir la nouvelle création de James Thierrée au Théâtre de la Ville en juin ? Selon le Figaro ce ne serait pas réussi…à lire clic

La prochaine création de Benjamin Millepied s’inspirera des bijoux Van Cleef et Arpels. A lire dans le nouvel Obs, clic

  • La vidéo de la semaine

Evgenia Obraztsova. La Bayadère

Tristesse animal noir

Il est des textes de théâtre qui font corps avec l’esprit d’un metteur en scène. C’est le cas de ce texte d’Anja Hilling avec la vision de Stanislas Nordey. Dans cette pièce au texte frappant, il est question d’un groupe d’amis qui partent en forêt pour faire un pique-nique. La scénographie est très belle : au sol, on trouve un entrelacement de fils électriques, dans le fond, une magnifique photo d’arbres, couleur de miel, avec des teintes ocres, une forêt idéalisée. Suspendu à la verticale, un tapis de mousse verte, avec différents éléments du pique-nique auquel vont se livrer nos six personnages. Le pique-nique occulte la forêt, elle est derrière. C’est un décor que les personnages vont vite oublier.

Les comédiens sont face à nous et nous découvrons les personnages grâce à la lecture des didascalies. Il y a peu de dialogue entre eux, la majorité de leurs actions est décrite par les notes de l’auteur.  Peu de phrases, des mots, des verbes jetés. Beaucoup d’énumérations, sur les objets qui font du bruit dans la voiture, les conversations dans la Volkswagen. Il y a aussi peu de dialogue entre les personnages, en discours direct, Nordey utilise, comme à son habitude une déclamation frontale du texte. Ce dernier se suffisant à lui-même, la forme semble alors pertinente. Les personnages se dessinent, les types se distinguent. La forêt est très présente, elle est un personnage à part entière. Elle est recherchée par ce groupe d’amis, mais presque oubliée. Dans la voiture, seule Miranda admire le paysage et s’émerveille de cette nature luxuriante. Après le pique-nique gargantuesque (la liste des viandes présentes dans le coffre m’a presque donné la nausée), ils s’endorment, repus et très alcoolisés.

Tristesse animal noir, photo du théâtre de la Colline

L’acte II commence avec l’incendie. Les fils électriques s’embrasent, les ampoules s’allument, la température de la salle chauffe. On sentirait presque l’odeur du bois brûlé. Plus de dialogues, simplement un récit. Un récit poignant, qui vous prend aux tripes. Le récit de cette mère qui tente d’échapper aux flammes avec son enfant déjà mort dans les bras. Le récit de deux d’entre eux qui s’enfuient, laissant les autres au milieu des flammes. Le récit de ce frère et cette sœur, qui tentent d’avancer malgré les brûlures. Le récit des corps, calcinés… Le feu envahit tout, tue, femme, enfant, pompier, cheval, porc, vaches, arbres, écosystème. Tout brûle et c’est après une pluie de cendres que se referme cet acte de la catastrophe.

Une boite blanche s’ouvre et des dialogues vont maintenant pouvoir naître entre les personnages. Après la catastrophe, comment y survivre. La pièce ne juge pas les personnages, le spectateur peut les condamner si il le souhaite, mais ce n’est pas le propos. On peut y lire un propos écologiste, où toute nature est voué à la destruction par la faute ou l’existence simple de l’homme. La pièce pose différentes façons de guérir d’un traumatisme, ou de ne pas en guérir d’ailleurs. Le décor est une sorte de cube aux murs blancs. C’est clinique, chirurgical, presque. On se passionne vite pour ces coups de téléphone laissé sans réponse. Comment vivre l’après ? Le texte prend une dimension universelle et cerne avec intelligence les séquelles d’une catastrophe.

Répétition Tristesse animal noir, photo Théâtre de la colline

avec
Valérie Dréville, Vincent Dissez, Thomas Gonzalez, Moanda Daddy Kamono, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Laurent Sauvage, Lamya Regragui

Infos et réservations, clic
A lire, La terrasse, entretien avec Stanislas Nordey, clic.