Tanztheater Wuppertal

Viktor, Pina Bausch, Théâtre du Châtelet

Quoi de mieux que de faire sa rentrée chorégraphique avec Pina Bausch ? Rien ma foi. C’est donc avec joie que je suis allée voir Viktor, dansé par le Tanztheater Wuppertal le dimanche 4 septembre. Viktor est une pièce qui date de 1986, créée juste après Two cigarettes in the dark. Retour sur une pièce sombre mais pas moins fascinante.

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Viktor Tanztheater Wuppertal Pina Bausch © Jochen Viehoff

Ce que j’aime avec les pièces de Pina Bausch, c’est qu’elles ont un nombre de degrés de lecture assez grands. A l’image de la terre qui entoure les personnages, on peut gratter et découvrir des couches invisibles. on entre alors à chaque fois dans un univers de plus en plus sombre, mais de plus en plus fascinant. On creuse quand un personnage tente d’enterrer les autres. Autour de la scène, une montagne de terre. Dessus un homme qui observe les autres et jette, à mesure des 3h de spectacle, des pelletées de terre. On est dans une tombe. On le sent tout de suite. On marie des morts, on enroule une femme dans un tapis.

Qui est Viktor ? La pièce porte ce nom, ce prénom, mais qui est Viktor ? Ce personnage à la canne, cet autre qui enterre les autres ? Ou Viktor, est-ce toutes ces femmes ? Viktor se cache dans chacun des personnages de la pièce.

Wuppertal, , 08.03.2007: Auffuehrung des Stuecks: Viktor; Tanztheater Wuppertal Pina Bausch [ (c) Uwe Schinkel / Fotografie, Schreinerstr. 13, 42105 Wuppertal, fon: 0177.2478361, uws.schinkel@fixierer.de ; STADTSPARKASSE WUPPERTAL, Konto 469718, BLZ 33050000 ; Veroeffentlichung nur gegen Honorar, Urhebervermerk und Belegexemplar! ; Verwendung des Bildes ausserhalb journalistischer Berichterstattung bedarf besonderer schriftlicher Vereinbarung. For any usage other than editorial, please contact photographer. ; Attention: NO MODEL-RELEASE! ]

 

Parmi la galerie de personnages, on s’attachera particulièrement à ceux des femmes. Pina Bausch poursuit dans cette pièce, son exploration du corps de la femme. Corps oppressé, corps montré, examiné, violé, manipulé. Pas de morale chez Pina Bausch, juste des faits qui se succèdent et des images qui frappent. Et puis la danse reprend le dessus, comme si la vie n’était qu’une farandole qui se répète à l’infini.

Il faut d’ailleurs bien flotter au-dessus de cette vie, quand on est déjà plongé dans la tombe. Alors les danseuses se balancent à bout de bras, laissant leurs sublimes robes vibrer dans les airs.

Viktor a été créée après un voyage à Rome et la vision de Pina Bausch est profondément sombre. Les personnages semblent déterminés à une fin tragique.

Malgré ses 3h30, Viktor est une grande pièce de Pina Bausch. Forte par ses images qui se superposent à d’autres, d’autres pièces – les jeux d’eau, le défilé des femmes, la distribution de thé au public – Pina réinvente une fois de plus le quotidien et nous permet de nous interroger sur le notre. Encore une pièce merveilleuse !

 

Nelken de Pina Bausch

Crée en 1982, Nelken revient à Paris pour le plus grand bonheur des amateurs de Tanztheater. Un parterre d’oeillets roses accueille les spectateurs, et va les emmener dans cette nouvelle fable de la reine de Wuppertal. Retour sur la soirée du 12 mai avec Regina Advento, Pablo Aran Gimeno, Andrey Berezin, Ales Cucek, Clémentine Deluy, Cagdas Ermis, Ruth Amarante, Scott Jennings, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Thusnelda Mercy, Cristiana Morganti, Breanna O’Mara, Franko Schmidt, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Alda Vainieri, Anna Wehsarg, Paul White, Ophelia Young, Tsai-Chin Yu.

Les oeillets Nelken

 

Les pièces de Pina Bausch sont des moments très précieux. Précieux parce qu’ils ne ressemblent à aucun autre, précieux parce qu’ils vous mettent dans une émotion particulière, précieux car les artistes qui sont sur scène ne ressemblent à aucun autre artiste. L’espace poétique de la scène va permettre des tableaux  où Pina Bausch développe les thèmes qui lui sont chers : solitude, enfance, domination, puissance, amour, et bien sûr la danse. La danse et le théâtre s’y mêlent, sans oublier ces musiques grésillantes, dont le très beau The man I love de Gershwinn doublé en langage des signes.

Ce qui fait la force de Nelken, c’est sans doute son intemporalité. D’abord parce que les jeunes ont admirablement repris les rôle du passé, n’en déplaisent aux nostalgiques, et d’autre part, que certains thèmes résonnent fortement avec l’actualité du monde. Ainsi, tous les tableaux avec le fameux « Passeport s’il vous plaît » sont à la fois drôles et grinçants. Il y a toujours ce point de tension chez Pina où la phrase, le geste fait sourire, puis, cela met mal à l’aise quand elle est répétée. Les scènes sur l’enfance vont aussi dans ce sens que ce soit le 1, 2, 3 Soleil où les rapports de force s’expriment ou la scène de gavage d’une enfant avec de l’orange.

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Les moments dansés sont divins. En peu de gestes, tout y est. Cela en est troublant. Cela s’oppose avec l’interpellation du public « C’est cela que vous voulez voir? » : Fernando Suels Mendoza en robe noire, reprend le rôle de Dominique Mercy avec brio. Les pas de danse s’enchaînent, au rythme des rires de la salle.

La délicatesse avec laquelle ils marchent au début  du spectacle pour ne pas écraser ces oeillets fait écho avec la finesse d’observation du monde de Pina Bausch. L’âme humaine y est montrée dans toutes ses contradictions, posée là devant nous. Son écriture n’a pas pris une ride et l’articulation entre les différents tableaux nous emporte sans cesse entre le questionnement, le rire le malaise ou l’émotion. On en ressort forcément transformé, parce que les pièces de Pina Bausch vous font cela, elles vous interpellent, pour appréhender le monde d’une autre manière. Si les danseurs ont du se confronter à eux-mêmes et à livrer une certaine intimité, ce qu’elle interroge en nous est du même ordre.

Nelken est un chef-d’oeuvre, « un moment d’amour pur ». C’est comme ça que je l’ai reçu ce soir-là.