La deuxième journée à Bruxelles, pas de soleil ce matin. Le froid est glacial et si la ville a du charme, ses températures beaucoup moins. Réveil en douceur et balade dans le centre avec mes amis. On peut y voir le grand sapin électrique qui ne manque pas d’originalité. La nuit, c’est très joli. Admirez :
Après un petit tour dans le centre, direction le Théâtre de la Monnaie. L’experte ninja qu’est E*** me permet de me replacer au deuxième rang d’orchestre pour une vue imprenable sur ce spectacle fabuleux. J’ai adoré cette mise en scène, n’en déplaisent aux réactionnaires, qui m’ont gâché quelques instants avec leurs cris idiots.
Le premier acte s’ouvre sur un salon moderne. De grands fauteuils en cuir, du champagne, des rires, des hommes et des femmes aux regards sensuels, pas de doute la soirée semble être bonne. Derrière un grand store, on voit par transparence des femmes dans des cases. Elles sont dans des poses très sexys, très suggestives. Plastique parfaite, elles ressemblent à des poupées dans des vitrines. Elles sont prêtes à être consommées. Le ton est donné. Ce qui va différencier ces femmes et Violetta n’est pas grand chose. Si elle croit maîtriser son destin, parce qu’elle a la parole et le désir des hommes autour d’elle, elle sera elle aussi victime des décisions des hommes. Elle sera l’objet de l’amour d’Alfredo, l’objet du contrat de Germont, l’objet de désir et d’attention des fêtes parisiennes. Elle est incarnée par Simona Šaturová qui est d’une beauté débordante. Si sensuelle et féminine, j’ai adoré sa voix pure, suave et son jeu d’actrice. Alfredo en revanche ne m’a pas emballée d’un point de vue vocal. Son jeu, par contre, était très juste. Jeune, fougueux, il est presque raillé arrivant avec pour seul cadeau l’amour, pour une femme qui croule sous les diamants. C’était vraiment dommage, surtout au premier acte, car sa voix était étouffée sous l’orchestre. La partition fut magnifiquement interprétée, ce fut un vrai régal musical.
Quand l’orgie touche à sa fin, Alfredo peut enfin déclarer son amour infaillible à Violetta, qui est restée là, malade, crachant du sang de ses poumons. Annina, son amie, est la seule témoin, mais une témoin discrète plus préoccupée par son ivresse. Charmée par le discours, sans doute nouveau pour elle, de nouveaux sentiments naissent dans son coeur. Elle accepte de suivre son amant à la campagne. Changement de décor complet. Fini le vice, finie l’orgie, bonjour maison de campagne et camélias fleuris.
Au deuxième acte, l’histoire se corse. Le père d’Alfredo, le comte de Germont vient presser Violetta de quitter son fils. En effet, celui-ci doit marier sa fille et la réputation de Violetta nuit à cette alliance. La relation clandestine n’est pas du meilleur goût de son futur gendre. Par amour pour Alfredo, il lui faut donc le laisser. J’ai beaucoup aimé les échanges entre Violetta et le comte. La voix de Scott Hendrix a une belle épaisseur, symbolisant toute l’autorité d’un père.
L’acte III est celui qui a crée la polémique et la stupeur des néo-réactionnaires. On est plongé au milieu d’une orgie. Un homme porte une enfant, puis la recouvre de chocolat. Des femmes se baladent en guêpières de velours, bas noirs, chaines autour du cou et masques blancs sur le visage. Qu’est-ce qui choque les spectateurs ? La violence ? Oui moi aussi, elle m’a remuée. Voir ces femmes utilisées comme des chaises ou comme des urinoirs, cela me retourne le ventre. Ici, c’est du théâtre, ce n’est pas la réalité. Or cela existe bel et bien dans la réalité. Andrea Breth a construit un pont entre les femmes de l’époque de Verdi et d’Alexandre Dumas à celles d’aujourd’hui. Les enfants sont exposés à la violence, les femmes la subissent, les hommes en jouissent. C’est sublimement mené, et le début de cet acte III est d’une intelligence rare, car il allie une esthétique théâtrale, belle et léchée à une violence qui vous remue les entrailles. Le chant des matadors arrive avec une grosse tête de taureau sanguinolente. Les voix sont superbes, tout est dit avec cette mise en scène. Ceux qui pensent que cela est un « scandale » comme ils disent, feraient bien de regarder la réalité du monde tel qu’il est. Ceci est du théâtre, cela signifie quelque chose, cela dit quelque chose du monde. Ce n’est pas cette mise en scène qui est choquante. Ce sont ceux qui ne la comprennent pas.
A l’acte IV, Violetta a sombré dans la déchéance. Elle a été délaissée par ses anciennes amitiés, seule Aninna est restée fidèle et fait quelques passes pour gagner quelques billets. Une prostituée fait le trottoir, une toxicomane se pique à quelques mètres de Violetta qui crache son sang dans sa couverture en plastique. Abandonnée de tous, elle n’a plus qu’à mourir là, dans la rue sombre. Alfredo arrive trop tard, maintenant qu’il sait la vérité. La mort de Violetta est tragique.
C’est un spectacle magnifique, qu’il ne faut pas manquer même en vidéo. Ne ratez pas cet opéra, qui m’a fait frissonner du début à la fin, par sa mise en scène, sa musique si joyeuse et entrainante tout du long, puis si tragique à la fin, et ses artistes tous fabuleux.
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DIRECTION MUSICALE Ádám Fischer
Orchestre symphonique et chœurs du théâtre de la Monnaie
MISE EN SCÈNE Andrea Breth
DECORS Martin Zehetgruber
COSTUMES Moidele Bickel
DISTRIBUTION
Violetta Valéry: Simona Šaturová,
Flora Bervoix: Salomé Haller,
Annina: Carole Wilson,
Alfredo Germont: Sébastien Guèze,
Giorgio Germont: Scott Hendricks,
Gastone: Dietmar Kerschbaum
Barone Douphol: Till Fechner
Marchese d’Obigny: Jean-Luc Ballestra
Dottor Grenvil: Guillaume Antoine
Giuseppe: Gijs Van der Linden
Commissionario: Matthew Zadow
Domestico: Kris Belligh