Sara Simeoni

Inanna de Carolyn Carlson

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© Agathe Poupeney

Si la déesse mésopotamienne a inspiré Carlson pour écrire cette chorégraphie pour sept femmes, il ne faut pas s’attendre à y voir raconter son histoire. Carlyn Carlson n’a pas pour habitude de faire une danse narrative. La chorégraphe, danseuse et poétesse donne à voir un spectacle qui met en valeur les différentes facettes d’une femme. Inanna fut une déesse complexe, hermaphrodite, régnant sur le ciel et voulant détrôner sa soeur régnant sur les Enfers, déesse de l’amour physique et de la guerre. Un personnage bien complexe à la mythologie peu connue, il n’en fallait pas moins pour s’emparer du sujet. On est loin d’une construction à la Siddartha, il s’agit plus d’une évocation.

La scène s’ouvre avec une femme à l’accent italien prononcé, vêtue d’une robe de velours rouge. Elle parle de ce qu’est une femme, comment on la perçoit, comment elle même se perçoit, comment on la caricature. Cela fait rire l’assistance, surtout quand elle dévoile son string à strass, d’un goût suspect et volontairement provocateur.

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© Agathe Poupeney

Dans le mythe d’Inanna, elle descend aux Enfers, en passant sept portes. A chaque porte, elle enlève un vêtement ou un bijou, se retrouvant ainsi nue face à sa soeur, démunie de tout pouvoir pour s’emparer des Enfers. Les sept femmes de cette pièce vont ainsi finir nues face au public. Avant, c’est un recueil de poésie, qui s’ouvrent sous nos yeux. Des tableaux se succèdent, qui prennent des couleurs différentes, qui parlent de choses différentes. Certains vous marquent, d’autres vous heurtent. Côté chorégraphie, rien de bien neuf sous le soleil. Carlson propose une danse fluide, comme une belle écriture calligraphique dans l’espace.

Parmi les tableaux qui m’ont particulièrement touchés, il y a celui où elles entrent en kimono. C’est un instant très intime, on presque l’impression d’entrer dans un gynécée
très privé. Les mouvements lents, dans les tissus de soie sont un passage très doux. Deux femmes dansent tandis que les autres sont allongées en bas d’une sorte de montagne. Le passage qui a suivi par contre m’a tapé sur le système. Des femmes, qui parlent, dans toutes les langues, le ton monte, chaque voix veut se faire entendre, et cela devient vite une cacophonie. On se sent un peu exclu de cette conversation incompréhensible, même si parfois entre deux langues inconnues on perçoit des mots familiers.

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© Agathe Poupeney

Il y a deux danseuses qui m’ont particulièrement marquée. Tout d’abord, la danseuse japonaise qui avait un regard très perçant et une danse à la technique exemplaire. Son solo m’a beaucoup touchée. C’est avec beaucoup d’énergie qu’elle déploie une danse dans laquelle les formes tournent, les bras s’enroulent et se déroulent. On est absorbé par le charisme de cette danseuse qui semble peindre sur une toile avec son corps. La scénographie met par ailleurs bien en valeur les corps. Lumières de couleurs chaudes ou froides, mais bien affirmées, la chorégraphie ressort aisément. Des clichés inspirés de la photographe Francesca Woodman apparaissent aussi parfois en fond. Dessus, des femmes, qui renvoient nécessairement à nos sept danseuses.

L’autre danseuse qui m’a complètement emportée est une brune aux cheveux noirs et longs (sur la photo des saluts, en kimono doré). Son solo est lui aussi un moment de grâce. Elle déploie une puissance dans sa danse, notamment dans ses tours et sauts.

Certains passages sont poétiques, d’autres plus humoristiques, comme celui des chaussures à talons. Elles entrent de dos, se tordant les chevilles, perchés sur des sandales ou escarpins trop hauts. Symbole de féminité mais aussi de souffrance (qui n’a jamais eu ampoules, d’entorses, de mal de dos en voulant rendre la jambe plus fine…), Carolyn Carlson se joue des clichés. De même avec de mystérieuses balles qui se baladent sous les vêtements. Tantôt poitrine, tantôt fesses, les formes féminines se déclinent, et parfois, cette balle prend même la place d’un pénis. Fantasme ? Ou bien renier sa féminité ? Carlson pose des problématiques sans forcément y répondre mais propose une vision de la femme, multiple certes, mais finalement assez
complète.

Les pétales de rose qui tombent sur cette sculpture, les rires, les pleurs, les faiblesses, tout est montré, de ce qui fait un individu. Finalement, les montrer à nu c’est peut être dévoiler ce qu’il y a au fond de leur âme, de les montrer sans artifice, seul un masque pour cacher quelque chose qui appartient à chacun.

A lire ailleurs : Blog à petits pas.

Le spectacle a été capté le 17/02/2012 par ARTE LIVE WEB, il sera donc bientôt disponible sur leur plate forme.

Merci à Emilie pour l’invitation.

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Chorégraphie pour 7 femmes

Hommage à Francesca Woodman

Chorégraphie Carolyn Carlson

Musique originale Armand Amar

Musique additionnelles Bruce Springsteen, Tom Waits

Lumières Rémi Nicolas

Scénographie Euan Burnet-Smith

Costumes Manue Piat

Masques Monique Luyton

 

Avec Chinatsu Kosakatani, Isida Micani, Sara Orselli, Sonia Rocha, Cristina Santucci, Sara Simeoni, Alessandra Vigna.