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Vortex temporum Anne Teresa de Keersmaeker #2

Anne Teresa de Keersmaeker est de retour au Théâtre de la Ville avec Vortex Temporum, présenté du 28 avril au 7 mai. La pièce est la suite de la traversée de l’histoire de la musique que fait Anne Teresa de Keersmaeker depuis quelques années. Cette fois-ci, elle explore la musique contemporaine de Gérard Grisey, qui évoque dès les premières notes de nombreuses images, des nuances, du mouvement. On comprend le choix de la chorégraphe belge, qui donne à voir de nouveau, une petite merveille chorégraphique. Avec Bostjan Antoncic, Carlos Garbin, Marie Goudot, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Julien Monty, Chrysa Parkinson, Michael Pomero, pour les danseurs et l’ensemble Ictus, dirigé par Georges-Elie Octors. Retour sur la soirée du 29 avril.

Vortex Temporum

 

L’entrée dans la salle du théâtre me rappelle le premier programme de la saison. Partita 2 était présenté à l’automne. Cette conversation dansée entre Boris Charmatz et Anne Teresa de Keersmaeker suivaient des cercles de craies tracés au sol. Là encore, on retrouve les cercles magiques et on imagine déjà de longues courses qui se feront et de déferont.

Le spectacle commence par la musique. Les musiciens s’installent – ici pas de cérémonie, on s’assoie et la musique démarre. Dès les premières minutes, la musique est très forte et très évocatrice. Elle est changeante, elle bouge en se diffusant à travers la salle. Les tonnerres du piano oscillent au milieu des souffles intenses des vents. Le public est captivé. La musique devient orageuse, l’archet s’étire sur les cordes tandis que les flûtes piaillent. Les musiciens quittent la scène, le pianiste reste. Seul, quelques dernières notes avant de quitter la scène à son tour.

 

Vortex Temporum ATDK

Les danseurs entrent. Habillés de noir et en basket, ils débarrassent les chaises. Ils ’emparent de l’espace et se placent en demi-cercle. Un demi-cercle de plus. Anne Teresa de Keersmaeker a un sens très particulier de la scène et tout prend une signification à chaque mouvement. Le silence qui les entoure semble mystique. Les corps sont ancrés dans le sol et bougent de façon presque imperceptible. Puis, un danseur plie ses jambes très rapidement. Il se redresse, puis un autre prend le relais. La danse prend place, dans ce silence, et on n’attend plus que le retour de la musique pour voir et entendre les tourbillons.

La réunion des deux univers forme une ensemble très fascinant. Les danseurs entrent peu à peu dans une sorte de transe circulaire, où ils vont d’avant en arrière, puis d’arrière en avant. On ne peut pas suivre une logique particulière tant leur chemin semble complexe. Le courbe des dos se reflètent dans les courbes du sol. On sent la tension du groupe, qui marche dans une sens, puis dans un autre. Les corps se frôlent sans jamais se toucher, les pieds se tordent sur le sol, les appuis sont un prétexte à toujours trouver un autre sens de course. Les corps tournent, vrillent, se détournent, s’attirent et se repoussent, dans une danse si épurée qu’elle en est fascinante. Dans la suite de pièces comme Elena’s Aria ou Cesena, Anne Teresa de Keersmaeker poursuit son travail d’exploration de la musique. Sa danse devient nécessaire pour une nouvelle lecture de ces œuvres musicales. Pure, sans fioriture, Anne Teresa de Keersmaeker touche de très près la perfection du geste, qui met tout le public en émoi. Vortex Temporum est sans doute l’une de ses plus belles créations.

Elena’s Aria d’Anne Teresa de Keersmaeker

Une femme perchée sur des talons entre et s’installe dans un fauteuil, sors un livre et lit. Elle murmure parfois ses mots, c’est une histoire d’amour. Une histoire d’amour d’un point de vue féminin. Elle se lève tout comme le rideau, et le décor apparaît. Des chaises, de toutes les couleurs, rouges, bleues, noires, jaunes, vertes. Au sol, un cercle tracé à la craie au sol. Gare à celui qui voudrait y mettre du sens. 5 femmes sur scène, perchées sur de beaux escarpins noirs, s’observent. Avachies élégamment, de dos, certaines observent les autres qui glissent, dans une chorégraphie douce, d’une chaise à une autre.

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Elena’s Aria est une pièce qui se mérite. Il faut aimer le silence et décrypter les micros mouvements qui se révèlent par touches. Ils vont construire peu à peu une phrase qui ne sera révélée qu’au bout de deux heures. La pièce est comme impressionniste, les mouvements apparaissent, sont repris plus tard. Ils ressortent comme les touches de couleurs d’un tableau. Les couleurs des chaises semblent s’activer. La musique est elle aussi donnée par petits touches. Elle semble venir de loin, du fond de la coulisse de jardin. Puis le silence s’installe, une femme retourne lire un livre.

Elena's Aria

La pièce force le respect et la fascination. Les danseuses semblent entrer en transe, l’espace devient un terrain de jeu. Sur quelles chaises vont-elles aller ? Comment la chorégraphie va t-elle s’agrandir ? Va-t-on à nouveau ressentir ce frisson quand elles tournent sur le cercle ? Voir évoluer Anne Teresa de Keersmaeker est totalement captivant. Sa manière de bouger, la précision de ses gestes, la fluidité de son corps, ainsi que ceux de ses partenaires sont marqués par un langage très riche, très nuancé, qui implique le sol et quelque chose de plus aérien.

La fin de la pièce est extrêmement forte. La phrase chorégraphique est reprise et enchaînée. On entre avec les danseuses comme  dans une transe. Une soufflerie retentit et le rideau se baisse, comme si tout ce qu’on venait de voir était emporté par le vent. Cela a saisi la salle, cela se sent dans l’atmosphère. Les cinq danseuses s’avancent avec des chaises et s’assoient. La sonate en ut majeur de Mozart résonne, comme une petite cantate de l’enfance. Elles dansent sur les chaises, en bougeant seulement leurs bras et leurs bustes. C’est très émouvant car chaque millimètre de peau met quelque chose en jeu. On ressort de la pièce un peu rêveur, avec la sensation d’avoir vécu un voyage en apesanteur.

Avec Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey, Nadine Ganase, Roxane Huilmand, Fumiyo Ikeda.