Cette année, je n’ai pas beaucoup de temps. Un peu pour aller au spectacle, très peu pour écrire, d’autant que j’ai retrouvé un peu ma boulimie de lecture et je préfère passer mes soirées le nez dans les livres. Roméo et Juliette fait vraiment partie de mon top 10 des ballets. Une occasion pour revoir la version Noureev trois fois et passer des soirées très diverses sur le plan émotionnel. Retour sur 3 couples : Mathieu Ganio & Amandine Albisson (19 mars), Léonore Baulac & Germain Louvet (24 mars), Dorothée Gilbert & Hugo Marchand (15 avril).
J’appréhendais un peu cette série. Le remue-ménage à l’Opéra de Paris, avec tout le rabattage médiatique autour de Benjamin Millepied, ce n’est jamais une bonne chose pour l’unité qui est nécessaire à ce genre de grosses productions. Avant le ballet, j’avais très envie de voir Myriam Ould-Braham que j’avais trouvé lumineuse en Nikiya à Noël. Malheureusement, l’étoile s’est blessée quelques jours avant que je trouve enfin un billet pour la voir.
Pour le reste des distributions, j’avais plutôt hâte de découvrir de nouvelles Juliettes. Laëtitia Pujol m’avait laissé un souvenir mémorable. Avec Mathieu Ganio, ils formaient pour moi le couple parfait, fusionnel dans la danse comme dans le jeu. Je n’ai pas été déçue des nouvelles Juliettes découvertes sur cette série. Amandine Albisson a ouvert la série avec beaucoup de force. Je l’ai trouvée juste, parfois un peu timide dans le jeu, mais elle a cette finesse qui permet de ne pas en faire trop pour convaincre le public. Le couple fonctionne parfaitement, d’autant que le reste de la distribution brille par une certaine harmonie. François Alu et Fabien Révillon sont accordés comme deux frères de sang. Mathieu Ganio au milieu de ses deux compères a le visage angélique qu’on prête naturellement à Roméo dans l’imaginaire. La magie de la musique de Prokofiev accompagne les émotions et ajoute une note tragique qui manque un peu parfois dans cette distribution très léchée.
Léonore Baulac et Germain Louvet ont remplacé au pied levé MOB et Hoffalt qui ne pouvaient danser. Il était assez impressionnant de voir comment cette représentation, à qui il manquait sans doute un peu de préparation. Germain Louvet campe un Roméo juvénile et transi, à l’instar de sa Juliette, Léonore Baulac. Le couple incarne certainement cette jeunesse sans filtre, amoureuse, faisant fi du reste du monde, l’espace d’un instant, lors de la scène du balcon. On voit dès les premiers instants sur scène, la joie de Léonore Baulac d’incarner ce rôle. Elle est pétillante et très investie : elle montre beaucoup de charisme, elle parvient à attirer le regard en permanence sur elle. J’ai trouvé son interprétation un peu forcée, manquant de nuances parfois entre le bonheur et le tragique.
L’adhésion complète au personnage de Juliette a été offerte par Dorothée Gilbert, qui a réussi à mon sens à allier perfection technique, fusion avec son partenaire – Hugo Marchand prend une vrai maturité avec ce rôle et on oublie le côté lisse dû à sa jeunesse – et comédienne investie. J’ai été soufflée par le pas de deux du balcon : les deux danseurs sont parvenus à donner quelque chose de très fort au public, proche dans leurs gestes des mots de Shakespeare. La confiance que Gilbert accorde à son partenaire ne rend que l’histoire plus crédible. Elle se jette dans ses bras comme l’adolescente Juliette à corps perdu dans l’amour. Dorothée Gilbert passe par toutes les émotions, sans laisser de côté la danse. Elle transcende le rôle, comme si chaque pas, chaque tout petit pas que Noureev a chorégraphié, prenait sens au bout de ses chaussons. On redécouvre presque le ballet. C’est merveilleusement dansé, c’est admirable de justesse et cela nous laisse forcément dans une émotion nouvelle, que l’on avait pas ressentie avant.