Voilà un titre prometteur pour ce nouveau documentaire que l’on vient de voir sur Canal plus ce soir. Après un live-tweet enflammé de la balleto-twittosphère, voici le moment d’en écrire une petite synthèse. Mais pour cela, il faut donc répondre à la question : c’est qui, la relève ?
La relève c’est d’abord, puisque c’est présenté ainsi dans le documentaire, Benjamin Millepied. Jeune directeur de la danse, fraîchement arrivé dans ce « paquebot » comme il se plaît à l’appeler avec son directeur Stéphane Lissner, Benjamin Millepied est un personnage enthousiaste, débordant d’énergie, qui veut tout changer à l’Opéra. Cela commence par les sols dont la dureté le choque, puis la médecine, il faut bien le dire quasi inexistante à l’Opéra de Paris. Il bouleverse les codes, a envie de créer un ballet avec des jeunes. Il veut découvrir sa génération, celle qui représentera le style de danse qu’il défend. Pour Millepied, tout commence par la musique. On le voit en studio, écouter la musique au casque pour ne se concentrer que sur cela. Il commence à esquisser quelques pas. La musique a une place centrale : on le voit souvent avec le brillant Maxime Pascal à qui il a confié la direction d’orchestre. Peu à peu, les grandes lignes viennent. Des passages sont mieux pour des groupes, d’autres que pour les filles, d’autres pour un pas de deux. Millepied introduit sa nouvelle équipe : Jannie Taylor, Sébastien Marcovici (qui n’est pas inconnu des danseurs car il a fait l’école).
La relève c’est avant tout cette jeunesse, ce groupe de 16 danseurs. Cette fameuse « génération Millepied » que l’on a vue dans tous les magazines. Léonore Baulac, Axel Ibot, Letizia Galloni, Hugo Marchand… Ces danseurs sont jeunes, fabuleux et regorgent de talent. Benjamin Millepied sait les repérer, les faire émerger. Il les met en valeur, ne cesse de les féliciter, les chouchoute pour qu’ils ne se blessent pas. Il les regarde avec une émotion non feinte lors de la première et laisse simplement un « wahou » sortir de sa bouche. Il leur promet un destin d’étoile en les faisant monter au concours de promotion.
Du point de vue de la réalisation, le documentaire offre de jolis moments de répétition, quoiqu’un peu rapides à mon goût (et pas toujours bien cadrés… mais pourquoi donc couper les extrémités…). Les ralentis sont un peu clichés, on s’en passerait aisément. Le film est rythmé par les jours restants à Millepied pour finir sa création, comme pour créer un suspens. On se croirait dans un film politique, vous savez ce genre de film sur les campagnes des candidats à la présidentielle. Cela dit, Millepied est presque en campagne. Il veut mener une révolution à l’Opéra : caster les jeunes, mettre en avant la diversité, imposer son style. De belles promesses de campagne en somme. Les chorégraphes contemporains ont toujours casté. Pina Bausch a bien entendu choisi ses danseurs pour donner son précieux Sacre et Orphée & Eurydice. Les pièces contemporaines sont ainsi prisées car elles permettent de voir des talents qu’on connaît moins qu’avec les pièces plus classiques. Quant au débat sur la diversité… vaste débat, si complexe. D’abord, il y a des danseurs d’origines diverses dans le ballet. Jean-Marie Didière, Raphaëlle Delaunay, Eric Vu-An ou Charles Jude ont bien existé, dansé des premiers rôles. Qui sont les élèves qui entrent à l’école de danse ? Des élèves blancs, en majorité, issus de classes sociales élevées. C’est peut-être par là qu’il faut commencer si on souhaite changer le visage de l’Opéra de Paris. L’école de danse en prend pour son grade par de minces remarques, mais assez acerbes. Le style Millepied ? Un néo-classique, fortement inspiré par Balanchine et Robbins. Ce sera au public de juger si il aime ce style ou non.
Le documentaire nous laisse un peu sur notre faim. Est-ce un documentaire sur le processus de création ? On n’apprend pas grand chose sur le travail de chorégraphe de Millepied (écrit-il avant, fait-il des workshop, travaille-t-il l’improvisation sur des thèmes?) mis à part l’utilisation de son smartphone. Est-ce un portrait de ces 16 danseurs ? En quelque sorte, même si finalement, ils sont presque absents. Au milieu du documentaire, on leur laisse enfin la parole, c’est une vraie respiration dans le rythme effréné de Millepied. Que dire du reste de la compagnie ? Rien visiblement, mais on ne peut pas tout traiter dans un film. Ceci-dit, cette absence flagrante pose une vraie question sur la façon dont Millepied gère sa troupe. Relève c’est avant tout un portrait de Benjamin Millepied. Ce qui reste en suspens, c’est comment parviendra-t-il à faire sa révolution ? Clear, Loud, Bright, Forward n’est qu’une étape. La suite reste à écrire.