opéra-dansé

Orphée & Eurydice avec Nicolas Paul et Alice Renavand

2011-12-ORPHE-174 aa0fe8

 

Quelle grande joie de voir Orphée et Eurydice pour la deuxième fois mardi soir. Dans ma deuxième loge de face, je suis entourée par une famille de touristes américains. Sympathiques mais ignorant le mythe d’Orphée, cela nous donne une occasion de discuter un peu avant le spectacle. Garnier, c’est aussi mieux que Bastille pour cela. Les loges sont un lieu d’échange souvent intéressant.

Pour la deuxième fois, j’ai passé un moment délicieux devant cet opéra-ballet. Je pense même avoir préféré cette distribution, car je l’ai trouvée plus équilibrée. Dans la première
(MAG/Paul/Zusperreguy), Marie-Agnès Gillot s’imposait tellement avec une interprétation si juste, qu’on en oubliait son partenaire, trop introverti à mon goût.

Ce soir-là, j’en ai encore pris plein les yeux. Au premier tableau, DEUIL, les danses de groupe sont tout ce qu’il y a de plus beau. Les prières et les lamentations des
pleureuses puisent leur énergie dans le sol, ce qui rend les mouvements très intenses. Ainsi, allongés sur le sol, les corps s’élèvent par une force qui semble venir du plus profond de leurs entrailles, aidés par le sol. Les danseurs sont habités par les chants du coeur, comme si des voix intérieures les guidaient. Les corps viennent se réfugier contre le mur blanc, la tête penchée vers le sol. C’est quelque chose qu’on retrouve beaucoup dans Café Müller, notamment. D’entrée, Nicolas Paul est un Orphée qui retient beaucoup mon attention.Il choisit de danser avec beaucoup de nuances. Il passe par plusieurs émotions, ce que je trouve très cohérent avec le chant qui l’accompagne. entre désespoir, colère et profonde tristesse, l’Orphée de Nicolas Paul prend une couleur intéressante. Je m’enthousiasme aussi beaucoup pour ce décor sobre et élégant. L’alliance du plexiglas avec les feuillages morts se marie à merveille avec les mousselines noires des robes. On voit déjà dans ce ballet, le goût de Pina pour les robes longues qui mettent en
valeur la féminité des danseuses.

L’amour apparaît sous les traits de Charlotte Ranson, qui vient apporter beaucoup de lumière à ce tableau. elle incarne l’idée qu’on peut se faire de l’amour à la perfection. Jeunesse, beauté, une danse aérienne et pleine d’espoir mènent Orphée vers la porte des Enfers avec une confiance renouvelée. Là encore Nicolas Paul montre une danse qui s’affirme, différente de celle du deuil, au début du tableau, plus triste.

P1050240.JPG

L’entrée dans les Enfers ne se fait pas sans VIOLENCE. Face à Cerbère, Orphée va devoir faire preuve de douceur.  Vincent Chaillet est la tête de ce chien qui s’impose le
plus. Il danse avec une énergie et une violence rare. Ses sauts écarts seconde se suspendent tellement, dans cet espace au plafond pourtant bas. Les trois danseurs à l’allure de bouchers sanguinaires tranchent par leurs mouvements avec les furies. Ces femmes vêtues de blanc, aveugles, reliées à des fils, comme pour ne pas se perdre, telles Ariane, traversent l’espace dans des courses qui s’arrêtent brusquement. Certaines tiennent des objets, d’autres dansent seules avec une douceur mélancolique. Quand Orphée passe la porte des Enfers, c’est avec de l’appréhension qu’il entre parmi ces personnages qui l’entourent. Elles s’approchent de lui, découvrant ce nouveau personnage, qui ne leur ressemble pas et à la danse si douce. Les bras d’Orphée sont plein de courbes, ils dessinent des vagues dans l’espace. Tout est très structuré dans ce décor, les chaises hautes, les fils des furies qui forment un quadrillage, le mur à jardin, le plafond très bas et, au milieu, danse cet être, plein de poésie.

Arrivé au plus profond des Enfers, Orphée va d’abord observer. On découvre un havre de PAIX, dans lequel dansent des créatures lentement. On retrouve une chorégraphie de groupe où les danseuses sont très proches, comme souvent dans le Sacre du Printemps. Puis, une danseuse s’échappe, on remarquera alors Ludmila Pagliero, absolument admirable. Les cercles se forment, réunissant les individus, montrant la force d’un groupe. On sent encore l’engagement du ballet dans cette oeuvre. C’est avec une autre âme qu’ils dansent cette pièce. Alice Renavand danse avec un engagement intense. Elle montre le dilemme d’Eurydice, arrivée enfin dans un repos, mais qui à la vue d’Orphée, renoue avec la passion qui l’habite. Ses bras s’ouvrent puis s’emmêlent. Je suis complètement absorbée par la proposition d’Alice Renavand. Elle rayonne dans ce rôle et on peut dire que le pari est réussi. La musique qui l’accompagne compte aussi beaucoup,
comme dans tout le ballet. On approche quelque chose de sublime dans ce troisième tableau. Tout est réuni, c’est un spectacle total, dont la danse est le langage visible.

P1050243.JPG

Sortir des Enfers est une opération périlleuse pour un couple qui n’a pas le droit à une regard. C’est chorégraphié avec une certaine minutie, les chanteuses étant très impliquées dans cette partie. Le couple Renavand/Paul  est bien accordé, elle suppliant Orphée d’une preuve d’amour, lui portant déjà la tragédie en lui. La MORT d’Eurydice est une des plus beaux moments de danse qui soit donné à voir. Si Marie-Agnès Gillot reste une Eurydice incroyable, Alice Renavand s’en sort avec une interprétation différente qui ne m’a pas déplu. Peut être plus intime sans doute, plus timide. J’ai adoré l’Orphée de Nicolas Paul, car je pense qu’il s’est vraiment approché de ce que doit être Orphée. Un héros, à la musique (et la danse) enchanteresse, dont l’amour pour Eurydice est indéfectible.

La scène finale qui fait revenir le groupe, habillé de noir, a un côté très solennel, marqué tout de même avec une certaine douceur. On ne peut pas échapper à la mort, même avec tout l’amour du monde. Pina Bausch montre malgré tout que l’amour est une forme d’espoir et d’espérance.

A lire, Danses avec la plume, Joël Riou, Palpatine, Mimy la Souris

Merci mille fois à JMC pour la place.

  • Distribution du 14 février 2012

 

Orphée Nicolas Paul
Eurydice Alice Renavand
L’Amour Charlotte Ranson

 

Maria Riccarda Wesseling Orphée
Yun Jung Choi
Eurydice
Zoe Nicolaidou L’Amour

 

Christoph Willibald Gluck Musique
Pina Bausch Chorégraphie et mise en scène
Rolf Borzik Décors, costumes et lumières