Depuis mardi et jusqu’à samedi prochain a lieu à Chaillot le festival Sur les Frontières. L’occasion de découvrir de nombreux chorégraphes, dont Batsheva Dance Compagny, Ali Moini ou le plus connu du grand public, Abou Lagraa.
El Djoudour est le dernier opus d’une trilogie après Nya et Univers…l’Afrique. Il raconte à travers cette pièce sa culture mulsumane, faite de mélanges, que ce soit dans les styles, le langage corporel ou les artistes choisis.
Cela commence avec une splendide jeune femme, habillée en rouge, qui danse. Autour des bidons d’aluminium. Au fond, se prépare une chanteuse. La danse commence, seule. C’est danse fluide et qui semble parfois écorchée quand elle prend des teintes de hip-hop. La voix se met en route, les chants sacrés résonnent et la danse prend alors une autre dimension. Le corps devient marqué par ces chants. Il devient lui aussi sacré, bien que la danseuse reprenne des phrases déjà dansées dans le silence.
Ce qui occupe une place centrale dans cette pièce, c’est la question des genres. Les danseuses entrent en premier et dansent quelque chose d’assez doux où la gravité du sol a une place très importante. Les hommes ensuite, dans un genre bien plus marqué hip-hop.L’opposition entre les deux sexes est marquée dans l’espace par des tringles. A jardin, les hommes, à cour, les femmes. Les corps s’attirent, les regards se toisent, ils dansent d’abord chacun de leur côté. Puis, ils se défient avec une belle énergie. C’est rythmé, hip-hop et danse contemporaine se mêlent et signent le style de ce ballet. Le ton monte, les corps transpirent, les tringles valsent, les battles se multiplient. Tout s’arrête. Essoufflés, les danseurs viennent s’assoir sur le devant de la scène et nous observent.
C’est un univers très poétique dans lequel nous plonge Abou Lagraa. Les corps marchent dans des directions aléatoires, se rencontrent, comme se rencontreraient des mots sur la page blanche du poète. Ils provoquent des résonances chez les corps des autres.Ainsi un danseur est placé au milieu des autres en cercle. Il tente malgré tout d’intégrer ce cercle,sans y parvenir provoquant seulement des vibrations. Les passages de pas de deux sont un autre moment de poésie. Emmenés dans des rotations, comme des derviches, les corps s’emmêlent pour ne former plus qu’un. Leur danse signe l’union de ces deux corps. Des chants sacrés les accompagnent, ce qui là encore, donne une autre dimension.
Le rapport aux éléments clôt le voyage. Après une danse qui ressemble à un rituel, sur une musique marquant bien les temps de pause, de la terre est répandue sur le sol. Évocation parlante de ce que peut être une double culture, la terre devient l’élément avec lequel les danseurs vont devoir s’imprégner. On ne peut s’empêcher de penser au Sacre de Pina, d’autant que la terre colle à la peau et aux tissus, comme dans le chef d’œuvre de Bausch. L’eau fait son apparition, évocation là encore des rites d’ablutions ou de toilettes dans le monde oriental. Comment là aussi ne pas penser à Vollmond avec son rocher et sa pluie ? Les thèmes rappellent les origines du chorégraphes, quand la danse et l’esthétique s’imprègnent d’une autre culture. Le mélange des deux forme une harmonie cohérente. Lagraa ne tombe jamais dans les clichés et touche quelque chose de juste. Il nous retient à chaque fois par un soupçon de beauté, une suspension dans la danse, pour nous toucher tout le long de la pièce.
A lire :
Le Monde, Trois questions à Abou Lagraa, clic
RFI, Mes racines, cette double culture, clic
avec Nawal Ait Benalla-Lagraa, Ali, Brainis, Sarah Cerneaux, Nassim Feddal, Jocelyn Laurent, Oussama Kouadria, Bilel Madaci, Marion Renoux, Fanny Sage, Féroz Sahoulamide, Tanné Uddén, Angela Vanoni, Bernard Wayack Pambe, Zoubir Yahiaoui, Houria Aïchi (Chants)
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