Il est des textes de théâtre qui font corps avec l’esprit d’un metteur en scène. C’est le cas de ce texte d’Anja Hilling avec la vision de Stanislas Nordey. Dans cette pièce au texte frappant, il est question d’un groupe d’amis qui partent en forêt pour faire un pique-nique. La scénographie est très belle : au sol, on trouve un entrelacement de fils électriques, dans le fond, une magnifique photo d’arbres, couleur de miel, avec des teintes ocres, une forêt idéalisée. Suspendu à la verticale, un tapis de mousse verte, avec différents éléments du pique-nique auquel vont se livrer nos six personnages. Le pique-nique occulte la forêt, elle est derrière. C’est un décor que les personnages vont vite oublier.
Les comédiens sont face à nous et nous découvrons les personnages grâce à la lecture des didascalies. Il y a peu de dialogue entre eux, la majorité de leurs actions est décrite par les notes de l’auteur. Peu de phrases, des mots, des verbes jetés. Beaucoup d’énumérations, sur les objets qui font du bruit dans la voiture, les conversations dans la Volkswagen. Il y a aussi peu de dialogue entre les personnages, en discours direct, Nordey utilise, comme à son habitude une déclamation frontale du texte. Ce dernier se suffisant à lui-même, la forme semble alors pertinente. Les personnages se dessinent, les types se distinguent. La forêt est très présente, elle est un personnage à part entière. Elle est recherchée par ce groupe d’amis, mais presque oubliée. Dans la voiture, seule Miranda admire le paysage et s’émerveille de cette nature luxuriante. Après le pique-nique gargantuesque (la liste des viandes présentes dans le coffre m’a presque donné la nausée), ils s’endorment, repus et très alcoolisés.
L’acte II commence avec l’incendie. Les fils électriques s’embrasent, les ampoules s’allument, la température de la salle chauffe. On sentirait presque l’odeur du bois brûlé. Plus de dialogues, simplement un récit. Un récit poignant, qui vous prend aux tripes. Le récit de cette mère qui tente d’échapper aux flammes avec son enfant déjà mort dans les bras. Le récit de deux d’entre eux qui s’enfuient, laissant les autres au milieu des flammes. Le récit de ce frère et cette sœur, qui tentent d’avancer malgré les brûlures. Le récit des corps, calcinés… Le feu envahit tout, tue, femme, enfant, pompier, cheval, porc, vaches, arbres, écosystème. Tout brûle et c’est après une pluie de cendres que se referme cet acte de la catastrophe.
Une boite blanche s’ouvre et des dialogues vont maintenant pouvoir naître entre les personnages. Après la catastrophe, comment y survivre. La pièce ne juge pas les personnages, le spectateur peut les condamner si il le souhaite, mais ce n’est pas le propos. On peut y lire un propos écologiste, où toute nature est voué à la destruction par la faute ou l’existence simple de l’homme. La pièce pose différentes façons de guérir d’un traumatisme, ou de ne pas en guérir d’ailleurs. Le décor est une sorte de cube aux murs blancs. C’est clinique, chirurgical, presque. On se passionne vite pour ces coups de téléphone laissé sans réponse. Comment vivre l’après ? Le texte prend une dimension universelle et cerne avec intelligence les séquelles d’une catastrophe.
Valérie Dréville, Vincent Dissez, Thomas Gonzalez, Moanda Daddy Kamono, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Laurent Sauvage, Lamya Regragui
Infos et réservations, clic
A lire, La terrasse, entretien avec Stanislas Nordey, clic.