Michèle Anne De Mey

Elena’s Aria d’Anne Teresa de Keersmaeker

Une femme perchée sur des talons entre et s’installe dans un fauteuil, sors un livre et lit. Elle murmure parfois ses mots, c’est une histoire d’amour. Une histoire d’amour d’un point de vue féminin. Elle se lève tout comme le rideau, et le décor apparaît. Des chaises, de toutes les couleurs, rouges, bleues, noires, jaunes, vertes. Au sol, un cercle tracé à la craie au sol. Gare à celui qui voudrait y mettre du sens. 5 femmes sur scène, perchées sur de beaux escarpins noirs, s’observent. Avachies élégamment, de dos, certaines observent les autres qui glissent, dans une chorégraphie douce, d’une chaise à une autre.

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Elena’s Aria est une pièce qui se mérite. Il faut aimer le silence et décrypter les micros mouvements qui se révèlent par touches. Ils vont construire peu à peu une phrase qui ne sera révélée qu’au bout de deux heures. La pièce est comme impressionniste, les mouvements apparaissent, sont repris plus tard. Ils ressortent comme les touches de couleurs d’un tableau. Les couleurs des chaises semblent s’activer. La musique est elle aussi donnée par petits touches. Elle semble venir de loin, du fond de la coulisse de jardin. Puis le silence s’installe, une femme retourne lire un livre.

Elena's Aria

La pièce force le respect et la fascination. Les danseuses semblent entrer en transe, l’espace devient un terrain de jeu. Sur quelles chaises vont-elles aller ? Comment la chorégraphie va t-elle s’agrandir ? Va-t-on à nouveau ressentir ce frisson quand elles tournent sur le cercle ? Voir évoluer Anne Teresa de Keersmaeker est totalement captivant. Sa manière de bouger, la précision de ses gestes, la fluidité de son corps, ainsi que ceux de ses partenaires sont marqués par un langage très riche, très nuancé, qui implique le sol et quelque chose de plus aérien.

La fin de la pièce est extrêmement forte. La phrase chorégraphique est reprise et enchaînée. On entre avec les danseuses comme  dans une transe. Une soufflerie retentit et le rideau se baisse, comme si tout ce qu’on venait de voir était emporté par le vent. Cela a saisi la salle, cela se sent dans l’atmosphère. Les cinq danseuses s’avancent avec des chaises et s’assoient. La sonate en ut majeur de Mozart résonne, comme une petite cantate de l’enfance. Elles dansent sur les chaises, en bougeant seulement leurs bras et leurs bustes. C’est très émouvant car chaque millimètre de peau met quelque chose en jeu. On ressort de la pièce un peu rêveur, avec la sensation d’avoir vécu un voyage en apesanteur.

Avec Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey, Nadine Ganase, Roxane Huilmand, Fumiyo Ikeda.