Michel Robin

Solness le constructeur, mise en scène Alain Françon

Si les pièces d’Ibsen racontent toutes les interrogations intérieures d’un personnage torturé, Solness est sans doute celle, qui par sa construction rigoureuse et son langage, est la plus pertinente.
Trois actes, trois temps, trois lieux, trois femmes pour découvrir le raisonnement interne de ce constructeur qui va l’amener au suicide.

Solness le constructeur à la colline jusqu'au 25 avril

Au premier acte, on découvre l’intérieur du cabinet de cet homme, présenté d’emblée comme arrogant, sévère et méprisant. Le vieil architecte qui partage son cabinet, mourant, magnifié par le jeu de Michel Robin, aimerait qu’il cède à son fils, un projet, pour que celui-ci puisse avoir un avenir. Solness refuse, et laisse apparaître le côté le plus cynique sans doute du personnage. Il se sert de sa secrétaire Kaja, niaise et naïve, pour garder tout ce qu’il possède, sans céder une miette de son royaume.

Solness

C’est au deuxième acte , à l’intérieur de sa maison, de son foyer, que le noeud de la pièce se forme. La belle et jeune Hilde apparaît. C’est une jeune femme qu’il a rencontré dans la passé, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Il bâtissait des cathédrales, des tours à échelle surhumaine. C’est en haut d’une de ces tours qu’il a fait une promesse à la petit Hilde. Il lui construirait un royaume. Solness parait bien vieux à présent devant cette bulle de jeunesse qui a jailli sous ses yeux. Pétillante et bondissante, elle vit à mille à l’heure, croquant la vie avec un mordant particulier. Elle est incarnée avec brio par Adeline d’Hermy de la Comédie Française. Face à elle, Wladimir Yordanoff se révèle absolument brillant dans chaque mot qui sort de sa bouche, chaque souffle et chaque geste. Il campe un Solness plus sombre, plus complexe, qui se révèle plus touchant, par son histoire personnelle. Les échanges entre Hilde et Solness sur les constructions du passé, sur le parcours de cet homme, le drame de sa vie (la perte de ses enfants dans un incendie). Son parcours de vie est passionnant et son analyse par son personnage est sans aucun doute le moment le plus prenant de la pièce. On est suspendu aux lèvres de Solness qui se révèle à mesure que la pièce avance, tandis qu’Hilde bondit, rit, contrastant avec le sombre esprit de ce vieil homme.

Hilde et la femme de Solness

La mise en scène d’Alain Françon est sobre et élégante. Les lieux paraissent suspendus, sans nom, et le temps se serait comme arrêté. Au troisième acte, la femme de Solness, dans un dialogue avec Hilde, permet de mettre en lumière les dernières zones d’ombre du personnage de Solness. L’action s’accélère, le décalage entre Solness et les autres se creusent, tellement qu’on arrive au suicide évident final.

La pièce est admirablement jouée et c’est presque religieusement que l’on écoute ce texte, délicieusement accessible tout en étant truffé de subtilités. Les personnages y sont des figures. Parmi elles, c’est Hilde qui semble la plus irréelle. Souvenir ou fantasme, elle trouble Solness autant qu’elle le fascine et l’attire.
On regrettera le manque d’entracte qui permettrait peut être un peu plus de digérer le texte. La pièce reste rudement bien menée. Du grand Ibsen.

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avec Gérard Chaillou, Adrien Gamba-Gontard, Adeline D’Hermy de la Comédie-Française, Agathe L’Huillier, Michel Robin, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff

Fin de partie, mise en scène d’Alain Françon

Il n’est pas besoin de grandes choses pour faire une mise en scène. Pour Fin de partie de Beckett, il s’agit d’en comprendre les subtilités, la langue, magique, de Beckett. Quand on lit ce texte pour la première fois, on est frappé par sa richesse, si bien que très vite une relecture s’impose. Les répétitions, les aphorismes, les bégaiements du texte, les pointillés, les questions, les réponses, Fin de partie contient tout ce qu’il y a de génial dans l’écriture de Beckett. Partie d’échecs entre des personnages, le roi, le fou, les pions s’affrontent et s’interrogent sur le sens du langage, de la narration et du théâtre.

La spatio-temporalité est d’emblée troublée. Murs gris, crayonnés de mots illisibles, au centre est Hamm, ce roi dans son bunker, paraplégique aveugle, qui commande en sifflant. La question du corps est omniprésente chez Beckett. Dans ce décor, les corps sont enfermés comme dans le ventre maternel, mais ils sont meurtris. La question de la naissance est elle aussi une souffrance. Hamm hurle sur Nagg, son présupposé géniteur ; il insulte de fornicateur. Clov souffre d’acathisie, le comédien tourne en rond, il se déplace mais cela ne sert à rien. Le monde est réduit à ce que nous voyons et le décor met très bien en valeur cela. Les deux petites fenêtres offrent un mince espoir, mais en réalité la mer, que l’on voit à travers, ne bouge pas, elle est comme morte. De l’autre côté, la terre est sans vie, il n’y a pas de lumière. Les objets disparaissent peu à peu – dragée, bouillie, bicyclette, roue, calmant – et la vie aussi. Les personnages tuent tout ce qu’il peut rester de vivant – Nell, puce, enfant, rat. Cette écriture, qui peut sembler glauque, questionne l’existence, et le sens de la vie. Comment vivre quand le monde est incertain, quand on ne sait pas quand arrivera la fin, mais que la certitude reste que « ça va finir ».

Fin de partie de Samuel Beckett mise en scène d'Alain Françon

Les comédiens sont d’une précision incroyable. Les pas de Clov, l’immobilité de Hamm, cette opposition est très claire dans le jeu de Serge Merlin et Gilles Privat. Ils se font souffrir l’un l’autre, sans relâche et c’est de cette façon que leur couple se construit. Tantôt maître-valet, tantôt père-fils, parfois maître-disciple, ces personnages vivent au présent et espèrent la mort et la fin de leur relation. La mort est cette délivrance désirée mais elle semble presque inaccessible, inimaginable. Le duo suit les indications de Beckett avec beaucoup de rigueur. La fidélité au texte est impressionnante, la pièce n’en est que mieux jouée.

Le texte est dit avec une clarté qui en fait ressortir tout l’humour. « Rien n’est plus drôle que le malheur » dit Nell. On rit beaucoup. La pièce a une force comique indéniable malgré son univers lugubre. On rit de la dégradation des corps, ceux de Nell et Nagg, enfermés dans leur poubelles. On rit de l’enfer de la temporalité, du quotidien. On rit des petits incidents, de la relation tendre entre Nell et Nagg, de la relation houleuse de Hamm avec le monde entier.

La fin du texte, la fin de partie, quand le jeu est fini, quand il n’y a plus de rôle à jouer, est saisissante. Clov va quitter ce lieu sans porte de sortie. Il ne parle plus. Il ne répond plus au sifflet de Hamm. Il est comme mort, puisque le personnage théâtral est vivant parce qu’il parle. Hamm a plus de difficulté à arrêter de parler, à affronter la mort. Il se dépouille, de la gaffe, du chien, du sifflet, renonçant ainsi à son pouvoir de domination sur les autres personnages. Seul le linge, tâché du sang de ses yeux, est gardé, comme un linceul posé sur le visage.

Courez voir Fin de partie, le texte est un chef d’œuvre, les comédiens sont fabuleux (et c’est peu de le dire), la mise en scène est très belle. Infos et réservations, clic.

Fin de partie de Samuel Beckett mise en scène d'Alain Françon

Toutes les photos d’Agathe Poupeney, clic.
Michel Robin ( Nagg ) , Isabelle Sadoyan ( Nell ) Serge Merlin ( Hamm ) et Gilles Privat ( Clov ) mise en scène Alain Françon , décors et costumes Jacques Gabel , lumière Joël Hourbeigt , assistant à la mise en scène Nicolas Doutey