Le Parc

Réveillon dans le parc

Depuis plusieurs années, je passe mon réveillon de la Saint-Sylvestre à l’Opéra. Me voilà donc dans l’entrée, au pied du grand escalier paré de ses plus belles décorations. L’émerveillement est déjà là, les spectateurs ne se pressent pas, les appareils photos sont de sortie et il n’y a pas que les touristes qui immortalisent ce dernier jour de 2013.

Garnier en habits de fête

Je m’assieds dans ma loge, je regarde le public qui s’est mis sur son 31. Grandes robes, fourrures, bijoux clinquants, tout cela c’est bien trop pour moi mais j’aime les regarder, observer cette vieille dame, sur qui le maquillage ne peut plus rien et pourtant, on est à l’Opéra c’est soir de fête, alors cela vaut bien un peu de poudre aux yeux. Le noir est pour moi couleur de lumière, alors j’ai juste enfilé ma plus jolie petite robe noire, des escarpins assortis et j’ai ouvert grand les yeux quand le rideau s’est levé.

Les jardiniers taillent la carte où les jeux amoureux vont se dérouler. Les gestes sont précis, rapides. Comme des chirurgiens de l’amour, ils ne laissent aucun geste au hasard. Nos quatre héros sont très précis, la musique électronique les porte, leur donne une certaine énergie que j’apprécie tout particulièrement. Leurs mouvements, sophistiqués,  écho aux chemins que vont parcourir les sentiments des acteurs de ce jeu amoureux.

Le Parc Agathe Poupeney

Un homme entre dans l’ombre, son chapeau sur la tête. Il marche. Il est rejoint par d’autres. Les femmes entrent. Regards. On se scrute, on s’observe discrètement. Les époques changent mais les codes ne changent pas, peut être est ce le message de Preljocaj dans ce ballet. On se dit des secrets (il paraît que celui ci change tous les soirs), on montre quelques bas de jambe, comme on dévoilerait un peu de son intimité. Les jeux d’approche, sont de petits moments délicieux, que l’on savoure comme des gourmandises. On sait bien ce qui se passe quand on ne joue plus, et quand les chaises musicales n’amusent plus, il est peut être temps d’avouer que ce regard qu’on a eu, que ce sentiment était loin de l’indifférence. Ce premier regard entre Nicolas Le Riche et Aurélie Dupont est fort ; il semble être le tout premier. Rencontre de deux âmes, sur la musique de Mozart, qui sait justement si bien en parler. Premier pas de deux. Les deux sexes dansent la même partition, les mouvements s’imitent et se répètent. Ils entrent chacun dans l’univers de l’autre. Ce ballet est un discours sur les sens, qui se mettent en éveil, au contact de celui vers qui on s’épanche.

« Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le Roi et la Reine se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. »
Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves.

 Les jardiniers reparaissent pour continuer leur travail. Ils tracent par le mouvement, un quadrillage, alternent leurs places, déploient une énergie plus forte. Sous les arbres, les jeux vont se montrer plus malicieux. Les femmes s’évanouissent avec beaucoup d’érotisme. Le même peut être qui fait entrer les hommes lascivement au sol, tels des fauves. C’est le moment de montrer son désir. Les couples s’embrassent et s’embrasent. Les corps débordent de sensualité. Ma voisine en serait presque choquée. Pourtant les mouvements, identiques chez tous les couples, regroupent tout ce qu’il se fait de mieux en amour. De belles courbes, une tendresse non dissimulée, les yeux à demi ouverts, chacun entre dans la découverte du corps de l’autre, en tâtonnant à peine. Après la conquête, la résistance, il ne faudrait point montrer trop de transport vers cette nouvelle passion. C’est avec encore plus de transport que pour ma part, je suis touchée par ce nouveau pas de deux entre Nicolas Le Riche et Aurélie Dupont. J’aime cette farouche affection avec laquelle il la porte, et ce timide coup de tête, avec lequel elle repousse des gestes déjà bien trop intimes.

« Je voudrais vous pouvoir cacher des sentiments qui sont assurément les plus emportés du monde. […] Que cet état est insupportable et qu’il me laisse peu espérer de repos et de joie ! Que de troubles, de fâcheuses réflexions, que de sensibles reproches et que de résolutions différentes, mais que de transports et que d’amour ! S’il est des moments où je souhaite de ne vous voir plus, il est des heures où je meurs d’envie de vous voir. »Mlle Desjardins, Lettres et billets galants.

La nuit, les jardiniers taillent même les rêves. Transforment-ils le sentiment amoureux? L’inconscient se multiplie par quatre et fait cheminer l’esprit endormi de la belle amoureuse. Qu’en restera-t-il au réveil ?
Je reste plus en retrait pendant les quelques tableaux qui suivent. Je n’en aime pas les costumes que je trouve vulgaires. Les femmes se lamentent, tandis que les hommes ont de l’ardeur… Cela me laisse perplexe. On arrive à la pamoison, mais là encore, je suis en reste. Même ma danse n’est pas aussi finement dessinée que dans les autres tableaux. Moment d’évasion, où l’on peut penser à autre chose puisque le ballet en est moins captivant.

Le Parc Aurélie Dupont: Nicolas Le Riche: Agathe Poupeney

L’abandon… Aux premières notes, on tremble déjà. Aurélie Dupont fixe Nicolas Le Riche. Le regard a changé, il a traversé tout un tas de sentiments. Sur la carte, les amoureux sont passés par de nombreux lieux-dits. S’abandonner à l’autre, lui laisser tous les chemins de son corps. On plonge dans l’intimité des corps et des âmes. Il y a une alchimie entre ces deux êtres, qui envahit toute la salle. La musique porte les baisers et les envolés dans les cœurs des spectateurs. On regarde, on écoute, on n’a pas le temps de penser que le langage de ces deux corps nous touchent dans ce qu’il y a de plus profond de nous mêmes. On s’abandonne nous aussi à la poésie des mouvements, et les souvenirs remontent et viennent se superposer aux images de la scène.

« Le cœur d’une femme se donne sa secousse à lui-même ; il part sur un mot qu’on dit, sur un mot qu’on ne dit pas. »Marivaux, La surprise de l’amour

Beaucoup d’émotions dans cette belle soirée, l’émotion aussi de voir deux immenses artistes, danser ensemble, sur la scène de Garnier, peut être pour la dernière fois. Le champagne en apothéose, non vraiment les réveillons à Garnier, sont ce qu’il y a de plus réjouissant.

Salut 2 Dupont Le Riche