Du 7 au 14 février, Krzysztof Warlikowski revient à Chaillot pour y présenter son Kabaret Warszawsky, une pièce fleuve de 4h30, qui aborde tous les sujets qui font les crises d’identité de nos sociétés actuelles. Son art de la mise en scène vous emmène dans un parcours des années 30 à nos jours, dézinguant toutes les formes d’intolérance, de sexisme et de racisme – le tout entrecoupé de superbes numéros de cabaret. Avec Claude Bardouil, Stanislawa Celinska, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dalkowska, Bartosz Gelner, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Wojciech Kalarus, Redbad Klijnstra, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska, Piotr Polak, Jacek Poniedzialek, Magdalena Poplawska, Maciej Stuhr et les musiciens Paweł Bomert, Piotr Maślanka, Paweł Stankiewicz, Fabian Włodarek.
La première partie du spectacle est inspirée du texte I am a camera de John Van Druten, qui a donné pour le grand public Cabaret avec Liza Minelli. On est plongé dans la leçon d’anglais entre Chris et une jeune berlinoise juive, Fraulein Schroeder. Sally Bowles entre, ivre de sa nuit, la jupe courte, le bout des fesses apparent. Elle perturbe la conversation bien établie. Exubérante, excitante, aguicheuse, elle prend tout l’espace. Magdalena Cielecka campe une Sally Bowles farouchement belle, très à l’aise sur ses talons de 15 cm, qui court et danse partout. Le champagne coule, mais les nazis sont déjà aux portes de la démocratie, prêts à la faire tomber. Les scènes sont entrecoupées de numéros de cabaret. Dans les scènes, la montée du nazisme, les compositeurs allemands, les stars de cinéma. L’obsession individualiste de Sally qui se rêve oscarisée à Hollywood montre à quel point elle semble peu se préoccuper du danger qui la guette dans cette ville où elle fait ses numéros. La vie est un cabaret, mais la réalité rattrape vite les autres personnages, notamment notre jeune berlinoise qui a crié dans la foule qu’elle était juive et que l’on a dévisagée.
Pendant les deux premières heures, Warlikowski reprend cette pièce en lui ajoutant l’éclat de la mise en scène pop. Trash. Le décor se module au gré des scènes, la musique pop-rock rythme les numéros de cabaret, qui ont une vraie touche d’humour. Tantôt satires, tantôt parodies, ces numéros émerveillent toujours par leur virtuosité. Au milieu les images des jeux de Munich ou les conversations sur la sexualité débridée, résonnent terriblement actuelles. On pourrait dire que le parallèle est facile, mais Warlikowski parvient à le rendre très juste. Dans ce décor de station de métro aux carreaux blancs, ou de salle de bain, on voit bien à quel point l’ordre moral, toujours, veut s’imposer. Et notamment pour aseptiser la société. Heureusement, il y a le cabaret : lui permet les folies, ne marginalise personne, et au contraire recueille les marginalisés.
Dans la deuxième partie, on fait un saut dans les années post 11 septembre. Le texte est un mélange entre le film Shortbus de John Cameron Mitchell et la biographie de Mx Justin Vivian Bond. On s’éloigne du cabaret dans le fond mais dans la forme, on reste dans une succession de numéros, de scènes électriques. La sexualité est au centre de cette deuxième partie. Toutes les sexualités. On pourra être mal à l’aise à cause des scènes de sexe, qui sont mimées par les comédiens, mais je crois qu’il faut y voir un symbole fort de la liberté des artistes et du propos. Comme icône de cette liberté au milieu de tous ces nouveaux personnages, Mx Justin Vivan Bond. On pense immédiatement à l’excellent Factory 2 de Krystian Lupa qui avait été donné à la Colline en 2010. Une icône prend la place d’une autre mais le message de liberté et d’amour reste le même. Que dire aujourd’hui de l’homophobie ambiante, de la tentation de réglementation de la vie privée ? De la liberté individuelle et de penser toujours menacée, de l’extrémisme d’où qu’il vienne ? C’est sur cette inquiétude que Warlikowski a construit sa pièce. On en ressort avec l’impression que le théâtre est bel et bien ce lieu de tous les possibles, de toutes les libertés, et qui ne nous dicte pas comment aimer. L’art est la réponse la plus forte à la tentation totalitaire : tel est le message que veut nous faire passer Warlikowski. D’aucuns auront pu juger que notre époque pouvait faire l’économie d’une telle leçon. L’outrance clinquante de Warlikowski vient opportunément rappeler qu’aujourd’hui – plus qu’hier ? – la vigilance reste de mise.