Crée en 1982, Nelken revient à Paris pour le plus grand bonheur des amateurs de Tanztheater. Un parterre d’oeillets roses accueille les spectateurs, et va les emmener dans cette nouvelle fable de la reine de Wuppertal. Retour sur la soirée du 12 mai avec Regina Advento, Pablo Aran Gimeno, Andrey Berezin, Ales Cucek, Clémentine Deluy, Cagdas Ermis, Ruth Amarante, Scott Jennings, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Thusnelda Mercy, Cristiana Morganti, Breanna O’Mara, Franko Schmidt, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Alda Vainieri, Anna Wehsarg, Paul White, Ophelia Young, Tsai-Chin Yu.
Les pièces de Pina Bausch sont des moments très précieux. Précieux parce qu’ils ne ressemblent à aucun autre, précieux parce qu’ils vous mettent dans une émotion particulière, précieux car les artistes qui sont sur scène ne ressemblent à aucun autre artiste. L’espace poétique de la scène va permettre des tableaux où Pina Bausch développe les thèmes qui lui sont chers : solitude, enfance, domination, puissance, amour, et bien sûr la danse. La danse et le théâtre s’y mêlent, sans oublier ces musiques grésillantes, dont le très beau The man I love de Gershwinn doublé en langage des signes.
Ce qui fait la force de Nelken, c’est sans doute son intemporalité. D’abord parce que les jeunes ont admirablement repris les rôle du passé, n’en déplaisent aux nostalgiques, et d’autre part, que certains thèmes résonnent fortement avec l’actualité du monde. Ainsi, tous les tableaux avec le fameux « Passeport s’il vous plaît » sont à la fois drôles et grinçants. Il y a toujours ce point de tension chez Pina où la phrase, le geste fait sourire, puis, cela met mal à l’aise quand elle est répétée. Les scènes sur l’enfance vont aussi dans ce sens que ce soit le 1, 2, 3 Soleil où les rapports de force s’expriment ou la scène de gavage d’une enfant avec de l’orange.
Les moments dansés sont divins. En peu de gestes, tout y est. Cela en est troublant. Cela s’oppose avec l’interpellation du public « C’est cela que vous voulez voir? » : Fernando Suels Mendoza en robe noire, reprend le rôle de Dominique Mercy avec brio. Les pas de danse s’enchaînent, au rythme des rires de la salle.
La délicatesse avec laquelle ils marchent au début du spectacle pour ne pas écraser ces oeillets fait écho avec la finesse d’observation du monde de Pina Bausch. L’âme humaine y est montrée dans toutes ses contradictions, posée là devant nous. Son écriture n’a pas pris une ride et l’articulation entre les différents tableaux nous emporte sans cesse entre le questionnement, le rire le malaise ou l’émotion. On en ressort forcément transformé, parce que les pièces de Pina Bausch vous font cela, elles vous interpellent, pour appréhender le monde d’une autre manière. Si les danseurs ont du se confronter à eux-mêmes et à livrer une certaine intimité, ce qu’elle interroge en nous est du même ordre.
Nelken est un chef-d’oeuvre, « un moment d’amour pur ». C’est comme ça que je l’ai reçu ce soir-là.