Vendredi soir, direction Bruxelles alors que la neige tombait. Arrivée à la gare du midi, j’ai retrouvé des amis qui m’hébergeaient pour l’occasion. Nous arrivons avenue Louise, joliment décorée pour les festivités de fin d’année. Il fait froid mais j’aime les vraies ambiances de décembre.
Après un réveil sous le soleil qui inonde l’appartement, direction le musée Magritte. Nous commençons par prendre l’ascenseur qui dévoile un corps de femme à mesure que nous montons. Le décor est posé, bienvenue chez le maître du surréalisme belge. Le musée est sur trois étages, il faut commencer par le plus haut. Trois étages, trois grandes périodes de sa vie de peintre et d’homme. Le musée est assez sombre, sans fenêtre dans les salles d’exposition, mais présente un Magritte peu connu du public français. Nous avons eu une conférencière passionnante, qui a mené cette balade avec beaucoup d’amour pour le peintre.
Au premier étage, on découvre les débuts du peintre. Magritte est l’aîné d’une fratrie. Sa mère dépressive s’est suicidée dans une rivière avec un linge blanc autour de la tête, élément qu’on reverra beaucoup dans ses peintures, même si Magritte n’a jamais évoqué cet événement tragique. Magritte a étudié le dessin et la peinture et il débute tout naturellement en faisant des affiches publicitaires, des couvertures de magazines de mode, des couvertures de partitions. Lui même s’essaie à la musique sous le nom de René Georges. Ce pseudonyme, il le prend en hommage à sa femme Georgette, qu’il a rencontré à 20 ans. Les premières peintures de Magritte sont dans une technique lisse. On trouve des couleurs plutôt sombres, mais déjà les premiers thèmes de MAgritte qu’il utilisera plus tard, comme le grelot ou des lettres détournées.

Le deuxième étage est consacré à la période parisienne de Magritte. Celui-ci, adepte des idées d’André Breton décide de réunir ses économies pour partir s’installer à Paris. Magritte n’est pas un bourgeois et ne tient pas à vivre dans le centre de Paris. Il s’installe en Seine et Marne, avec Georgette. Il va beaucoup produire et cette période va être féconde. Magritte n’est pas un surréaliste comme Dali, qui donnait à voir son propre inconscient dans les tableaux. Magritte veut que le spectateur soit actif devant le tableau. Il utilise des éléments qui doivent suggérer des choses chez le spectateur. C’est au public d’avoir une démarche introspective ; il ne s’agit pas de chercher Magritte dans ses tableaux, il n’y est pas. Magritte se définit lui même comme un faiseur d’images et les tableaux les plus parlants en ce sens, sont ceux où l’on voit des formes informes dans lesquelles des mots sont écrits. Ainsi en voyant le mot « arbre », chaque personne va imaginer son arbre, chose impossible si un arbre était peint, tout le monde penserait au même mot.
Les titres des tableaux sont assez amusants, du moins surréalistes. Ils sont rarement choisis par Magritte, mais souvent par ses amis, qui passent voir ses tableaux. De fil en fil, de mots en mots ils trouvaient le titre. Magritte n’avait pas d’atelier. Il s’y refusait car il ne se définissait pas comme un peintre. Il peignait en costume trois pièces dans sa cuisine, sans faire de tâches pour ne pas fâcher Georgette.

Il y a une photo de surréalistes sur laquelle apparaît Magritte. Les hommes sont debouts, les femmes assises, telles des prostituées et leurs maquereaux. Après cela, Magritte s’est fâché avec Breton. Ce dernier avait vu autour du cou de Georgette une croix, ce qui était inconcevable dans sa vision englobante du surréalisme. Magritte se sépare des surréalistes, retourne en Belgique et continue à peindre en revendiquant un surréalisme belge.
Pendant la guerre, Magritte est discret. Il fait bien sûr partie des peintres interdits par la dominance nazie. C’est là que commence son obsession pour les oiseaux. La colombe pour la paix, la liberté. Les hiboux et les chouettes, pour la puissance dominante.
Après la guerre, Magritte commence à être reconnu pour son talent. Lui qui avait été très décrié lors de son séjour à Paris, semble à présent intéresser les galiéristes parisiens. Une galerie veut organiser une rétrospective de son œuvre et pour un peu se venger Magritte peint à la hâte une quarantaine de tableaux avec une technique vulgaire. On appellera cette période la peinture « vache » en hommage à cette vacherie.
Magritte revient vers les impressionnistes tant détestés par Breton. Il se réapproprie les couleurs, cherche sans cesse. Il est de plus en plus connu et on commence à collectionner ses tableaux. Pour vivre Matisse fait encore beaucoup de portraits, mais il finit par accepter l’offre de celui qui veut lui ouvrir l’Amérique. Ironique non pour un ancien de Parti Communiste ? Cela marche, les portes de l’Amérique s’ouvrent et Magritte va désormais travailler presque que sur commande. Les surréalistes n’auront pas réussi à faire la révolution qu’ils souhaitaient, ils ne leur restent plus qu’à rire de ce monde. Magritte invente son petit personnage au chapeau melon, qui est le symbole du fonctionnaire belge. Des formes reviennent sans cesse dans ses tableaux ; le grelot, les nuages. Il fait des séries et des variations sur différents thèmes. La visite se clôt sur un magnifique tableau L’empire des lumières. Il en a fait 17 mais celui qui est exposé ici est sans aucun doute le plus beau. Sa construction est parfaite. L’œil plonge d’abord dans l’étang, puis on remonte sur le réverbère, qui a un halo bien plus grand que ce qu’il y aurait naturellement. On est attiré par la lumière chaude des intérieurs, puis le regard montre le long de l’arbre pour arriver dans un ciel bleu parsemé de nuages. On pourrait rester là des heures.

Balade dans la ville, pour ensuite se diriger vers le Théâtre National pour voir Cendrillon de Joël Pommerat. J’avais déjà vu ce spectacle l’an passé à l’Odéon et j’adore cet auteur/metteur en scène, c’est donc avec joie que je revoyais ce spectacle. Pommerat a l’habitude de travailler sur les contes et de les réécrire d’une plume pleine de poésie mais sans complaisance avec le monde. Il donne à voir avec facilité les différentes grilles de lecture d’un conte, sans en dénaturer l’histoire.
La mise en scène de Pommerat est comme à son habitude fabuleuse. Cela commence avec un homme au centre de la pièce. Au mur, des nuages qui défilent et des mots qui apparaissent. « Imagination, lointain, histoire, rêve », la narratrice évoque ces mots qui forment d’emblée le champ lexical du conte et nous abreuvent de tout un imaginaire. On replonge dans l’enfance qu’elle soit cauchemardesque ou enchanteresse. De nouveau chez Pommerat, on met du temps à avoir le nom de l’héroïne car le spectateur la connaît déjà. Sandra, Cendrier, Cendrillon, qu’importe. Elle a mal compris les derniers mots de sa mère mourrante et se jure de penser à elle à chaque instant. Plongé dans le ménage, et dans le souvenir de sa mère, elle n’a pas le temps de considérer sa condition. Les décors sont superbes. Tantôt la maison de verre, tantôt la cave de Cendrillon, les murs se transforment avec une certaine magie si bien que le spectateur ne sait pas comment il se forme.
L’intelligence de Pommerat transforme l’histoire en une leçon de vie. Se détacher de ses parents une fois qu’ils sont morts pour s’occuper de soi, ne pas laisser sa vie filer et regarder autour de soi, s’affirmer face aux prédateurs de la vie. Cendrillon évolue dans ce monde avec seule sa mère en tête, si bien que quand le bonne fée vient, elle l’envoie balader car elle trouble ses pensées. Les scènes avec la fée sont à mourir de rire. Cette grande folle totalement loufoque évoque les premières fois, dont ne devrait pas être blasée Cendrillon. Les lumières sont magiques, on est vraiment en plein rêve. On vit un grand moment de théâtre, que ce soit du point de la mise en scène, du texte ou de la scénographie. Magique…

Texte et mise en scène : Joël Pommerat | Scénographie et lumière : Eric Soyer | Assistant lumière : Gwendal Malard | Costumes : Isabelle Deffin | Son : François Leymarie | Vidéo : Renaud Rubiano | Musique originale : Antonin Leymarie | Interprétation : Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Deborah Rouach et Marcella Carrara : La voix du narrateur, Nicolas Nore (le narrateur),
Fin de soirée au restaurant, JoPrincesse V*** et E*** m’ont gâtée. J’ai hâte de prendre le temps de regarder le nouveau DVD qui trône dans ma bibliothèque, La danse au travail. Merci encore à ces trois gentilles fées.