Jeanne Vallauri

May B de Maguy Marin

Fini… c’est fini…ça va finir… ça va peut être finir… 

Les mots de Fin de partie résonnent après une introduction des personnages. Sur scène, une dizaines de personnages caverneux. Maquillés d’une terre blanche, qui  donne l’aspect d’un masque, ils avancent en groupe en marmonnant des paroles incompréhensibles. Les pantoufles qu’ils ont aux pieds scandent le rythme de groupe. L’un s’essouffle, le groupe reste uni et attend pour repartir. Ils avancent au rythme du sifflet, comme dans la pièce de Beckett où le sifflet de Hamm retentit pour appeler Clov son valet. Ils sont assujettis à un maître invisible, qui ordonne le mouvement qui semble presque douloureux tant les corps semblent endoloris. La caverne dont ils sortent est sombre et toutes les sensations sont associés à une violence sur le corps.

Sur une musique de cirque, les corps commencent à se délier, ils répètent les mêmes mouvements, les mêmes enchaînements. Ainsi, comme dans le texte de Beckett « Toute la vie les mêmes questions, les mêmes réponses« . Les évènements se répètent et ne font qu’une boucle. Les chemins du groupe sont d’ailleurs circulaires, chacun revient toujours à sa place d’origine.

On retrouve tout le théâtre de Beckett, les phrases obsédantes de Hamm comme « ça gratte » ou « Si elle se tenait coïte, nous serions baisés » , reviennent dans la danse  et se matérialisent par une chorégraphie répétitive. La danse traduit la poésie du dramaturge.

Les personnages vont sembler gagner en humanité. Ils se vêtissent, rajoute une couche ; vestes, chapeaux, lunettes. Là encore tout le théâtre de Beckett est là. Hamm et ses lunettes blanches, derrière lesquelles se cachent probablement deux billes blanches, que personne n’ose aller regarder. Ce même personnage pourrait être Godot qui attend qu’on lui souffle ses bougies d’anniversaire. Le gâteau d’anniversaire est la marque du temps qui passe, mais dans cet intérieur sans meuble et sans lumière, les personnages ne semblent pas bien savoir combien de temps s’est écoulé. Les rapports entre eux sont confus ; maître/valet, père/enfant, est-ce une famille ? chacun sert de père à un autre à un moment. Le combat entre les deux femmes rappellent indéniablement les querelles de Nell et Nagg. On lit sur les mouvements les lignes du texte de théâtre sans jamais tomber dans une illustration futile d’un texte qui en aurait besoin. Maguy Marin atteint une forme de théâtre sublime où les corps nous jettent les mots. Tout y est, le biscuit, la peur du manque, l’horloge sans heure, le mouchoir que l’on garde (« le vieux linge »), les jambes douloureuses de certains protagonistes, leur enlisements sans mourir, parce que ça va peut être finir, mais quand ?

La comédie du quotidien peut être morose mais la réalité rattrape le spectateur. Les personnages partent avec des valises mais pour aller où ? Ils reviennent inlassablement sur la scène, en boucle, si bien que le spectateur peut lui aussi parfois se demander, « Vous n’allez donc jamais finir ? Mais cela ne va donc jamais finir?« . Maguy Marin montre à sa manière que l’espoir est pour les dupes, que l’homme vit dans une obscurité qu’il croit lumineuse, mais que peut-il encore attendre de ce monde? Même la mort ne vient pas. Les personnages s’effacent peu à peu comme un texte qu’on effacerait avec clavier, pour qu’il n’en reste qu’un.  Saisissant…

Fini… c’est fini…ça va finir… ça va peut être finir… 

 

dans le cadre de Festival d’Automne à Paris

chorégraphie Maguy Marin
 danseurs Ulises Alvarez, Romain Bertet, Kaïs Chouibi, Laura Frigato, Françoise Leick, Mayalen Otondo, Lia Rodrigues, Ennio Sammarco, Jeanne Vallauri, Adolfo Vargas
musiques originales Franz Schubert, Gilles de Binche, Gavin Bryars
costumes Louise Marin

durée 1h30

Plus de photos d’Agathe Poupeney, clic.