Costumes

Exposition « L’étoffe de la modernité  » Palais Garnier

Vendredi dernier, direction la Bibliothèque-Musée de l’Opéra Garnier pour voir l’exposition « L’étoffe de la modernité, costumes du XXème siècle à l’Opéra de Paris. » L’exposition présente l’évolution du métier de costumier à travers le XXème siècle. L’exposition se divise en quatre grandes périodes.

  • 1900-1914

Dans cette période, il y a un costumier officiel à l’Opéra de Paris. On découvre les dessins de Pichon (vous savez, celui qui a inventé Bécassine). Un seul costumes en exemple, très luxieux, qui montre le faste de l’Opéra de Paris. Quelques dessins sont montrés en parallèle des dessins de Bakst, peintre des Ballets Russes. Cela montre déjà l’influence que Les ballets russes vont avoir ensuite.

  • 1914 – 1945

L’Opéra change de directeur. A sa tête, Jacques Rouché. Fasciné par les Ballets Russes, il va utiliser un peu le même procédé. L’artiste va mener un projet jusqu’au bout, décors, costumes, lumières. Jacques Rouché fait appel aux même artistes que ceux des Ballets Russes. Souvent il les « récupère » quand Diaghilev les a mis à la porte. Ainsi, on a dans cette partie de l’exposition de nombreuses estampes de Léon Bakst, Fernand Léger, de Chirico, de Paul Colin. Jean Cocteau fait aussi partie des noms qui ont travaillé pour Rouché, notamment dans la création d’Antigone. On découvre de beaux costumes, issus des Ballets Russes, rachetés par l’Opéra et réutilisés dans diverses productions. Par contre je n’ai pas trop compris pourquoi on les avait mis derrière un grillage. C’était assez sombre et cela les mettait peu en valeur. Les vieux costumes du XIXème eux aussi réutilisés dans diverses productions sont bien mieux mis en valeur alors qu’ils présentent un moindre intérêt.

  •  1945-1972

J’ai sérieusement commencé à décrocher à ce moment là. Il faut dire que le guide avait une voix bien monocorde, qui me berçait debout. Ce que j’en ai retenu, c’est que Liebermann arrive et fait appelle à divers artistes, dont ceux de l’école italienne. On retiendra aussi l’arrivée de grands couturiers dans la maison de l’Opéra. C’est ainsi qu’Yves-Saint Laurent crée les costumes pour Notre-Dame de Paris, de Roland Petit. Cela lui donnera l’idée de la robe Mondrian ensuite.

  • 1973-2000

Notre guide désespère visiblement de la situation actuelle… Pourtant on trouve de très jolis dessins. Parmi eux, coup de cœur pour ceux de Kenzo Takada dans La Flûte enchantée de Bob Wilson. Les tutus de Christian Lacroix sont magnifiques.
De cette période, c’est l’ouverture à l’international. Les productions étant mondiales, le métier de costumier est en train de disparaître. Les dessins sont numériques pour plus de facilité, pour les refaire dans les autres théâtres.

L’exposition dure jusqu’au 14 octobre et de nombreux costumes sont visibles au rez-de-chaussée à Garnier.

Le site de la BNF clic

Le site de l’exposition clic

A lire, et à revoir sur Culture Box, clic.

Droits photos : ©Julien Benhamou, ©ONP, ©BNF

Balade aux ateliers Berthier

Lieux-1513.JPG Si la bâtisse peut sembler un peu triste, à côté du périphérique, il ne faut pas s’y tromper. A l’intérieur, des trésors regorgent. J’avais le souvenir, quand l’Odéon était fermé de venir souvent à Berthier pour voir les pièces. Les camions siglés Opéra de Paris embarquent et débarquent des décors, des costumes. On peut alors s’imaginer tous les spectacles qui se montent, les décors qui reprennent une vie, les costumes qui sont ressortis, triés, rangés. La vie du théâtre en somme, l’avant et l’après le spectacle, qui fait que cela rend les spectacles magiques.

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On se dirige vers le bâtiment des costumes. Accueil chaleureux par une des gestionnaires de ce bâtiment. Elle nous explique que les costumes sont stockés ici, triés. Ceux qui ne sont plus en bon état sont mis de côté, mais non jetés. Les défauts sont signalés par une étiquette. Quand on reprend une production, on regarde l’état des costumes, et on décide d’en faire d’autre, souvent pour les rôles principaux. Beaucoup de costumes sont aussi stockés en Tourraine. On nous laisse découvrir trois étages de trésors, de vestes, de robes, de pantalons, de tutus, de paillettes, de plumes et autres sequins. Voici quelques photos de trois étages dans lesquels mes yeux ne savaient plus où donner de la tête ! Les costumes sont aussi régulièrement loués à des théâtres ou pour des films.

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Robes complètement délirantes. En s’approchant, on appréciera le travail des dentelles, des assemblages des corsets.

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Robes de Manon, l’Opéra de Massenet, pas dans la version punk de cet hiver.

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Robes en tulle de Giselle. Plusieurs fines couches de tulle se superposent, on devine les mouvements de légèreté que cela donne sur scène.

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Robe rose des courtisanes de Roméo et Juliette. Il faut admirer le travail de broderies des roses cousues sur le buste.

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Chaque costume est étiqueté, numéroté, avec le rôle, le nom de la ou les danseuses qui le portent, comme on peut le voir ci-dessus. Après le nettoyage en blanchisserie (il y en a une à Bastille, en cas de trop grand nombre, l’Opéra fait appel à des teinturiers extérieurs) les vêtements arrivent ici et sont rangés et triés, par acte, tableaux, scènes, dans un ordre précis pour faciliter le travail des habilleuses.

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Les robes du Parc sont très imposantes et les tissus sont magnifiques. Sur celle là, des cerises sont cousues. Sur une autre, le travail des dentelles est très soigné aux manches.

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Mon émerveillement atteint le summum quand j’aperçois les robes de La Dame aux Camélias, avec les noms des étoiles sur les étiquettes. Ciraravola, Letestu, Osta, Pagliero. Sublimes robes  ! La petite fille que je redeviens assez vite devant tous ces costumes, rêve d’enfiler une robe et de la faire tourner !

Après ce tour qui m’a mis des étincelles plein les yeux (mais quand a lieu la porchaine vente de costumes ???), direction les hangars de stockage, où on découvre de grands placards sans portes, des renfoncements en somme dans lesquels on met les boites de rangement.

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De même qu’à Bastille, il existe à Berthier un atelier de montage de décor, avec un
atelier menuiserie et deux ateliers de peinture. On voit alors de nouveau de grandes toiles peintes façon Renaissance. Dans une pièce, on tombe sur le décor d’Orphée et Eurydice qui s’est refait une beauté.

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Le lieu est calme et agréable. Aux murs des affiches de l’Opéra de Paris, des photos en noir et blanc des danseurs de l’Opéra sont suspendues. Jolie balade, merci à D*** de m’avoir fait découvrir ce lieu.

 

Visite de l’Opéra Bastille

P1050353.JPG Voici la vue que l’on a de la scène. D’ici la salle paraît petite. L’architecte Carlos Ott a voulu que cet opéra soit le plus confortable possible pour les artistes. En effet, le granit breton, cette pierre grise bleutée, crée un effet d’optique. Le fond de la salle parait moins loin qu’il n’y est. Si on parle matériaux, le bois est du bois de poirier qui vient de Chine, choisi pour sa couleur qui est proche de celle des instruments à cordes. Le velours noir a été choisi car c’est la couleur des musiciens les soirs de représentations. La salle est le trésor, le bijou dans la boite, même si celle ci ne représente que 5% du volume total. C’est le contraire de l’Opéra Garnier. L’Opéra Bastille occupe une surface de 22 000 mètres carrés au sol ! Avant lui, il y avait la Gare Bastille, qui n’était plus utilisée pour sa fonction première mais comme une lieu d’exposition. On a donc fait un concours en 1983 à la demande de François Mitterrand, 1700 architectes ont posé leur candidatures, 756 projets ont été analysés. C’est donc Carlos Ott qui remporte le concours en mars 1983. Les travaux ont commencé en octobre 1984 et on a inauguré l’Opéra le 13 juillet 1989. PAs le 14 comme prévu car on célébrait le centenaire de la Révolution Française. La première saison de Bastille était celle de 1990, ce qui fait donc que nous en sommes à la 22ème cette année. La construction a coûté l’équivalent de 427 millions d’euros.

Vous avez l’impression que les balcons sont incurvés et que les spectateurs des côtés vont tomber au centre ? Illusion d’optique, les balcons sont parfaitement rectilignes.

En guise de lustre, sous une bâche de verre, se cachent 2700 tubes fluorescents. Ils sont changés en une seule fois tous les trois ans. En comparaison, les ampoules de Garnier sont changées deux fois par an. De la salle, on a l’impression que les vagues se succèdent dans tours. En fait de la scène, le lustre accueille les rampes de projecteurs.

De la scène, on voit la fosse d’orchestre. Elle peut accueillir jusqu’à 130 musiciens. Elle est mobile car montée sur des podiums hydrauliques. Passons maintenant derrière le rideau.

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Sur les côtés de la scène, il y a deux scènes de 500 mètres carrés. Derrière la scène, il y a le même espace avec les petits espaces de 500 mètres carrés. Ah j’avais oublié, la scène fait 750 mètres carrés ! Trop de chiffres ! En tout il y a 5000 mètres carrés de scène, chaque espace étant isolé par des rideaux de fer anti incendie. Les décors se déplacent sur des rails, ainsi en 15 minutes on peut installer le décor sur la scène principale, le remettre derrière. L’isolement acoustique est aussi excellent, car pendant qu’il y a un spectacle sur scène, il peut y avoir une répétition derrière sans qu’on entende le moindre bruit. Ainsi, l’Opéra Bastille permet de nombreuses répétitions, et c’est pour cela que les spectacles tournent très vite. Un seul espace n’est pas utilisé. Il sert un peu de débarras, mais appartiendra bientôt à la Comédie Française, pour stocker ses décors.

Sous la scène, il y a la même chose, c’est à dire le même espace qui permet aux machinistes le montage des décors. Bref une véritable folie !

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Voir les décors de la Bayadère c’est un vrai moment d’émotion ! Si tout est faux, c’est tout de même rudement bien fait. Chaque détail est minutieux et on n’est pas déçu de voir cela de près. C’est aussi beau que de loin !

On peut observer ce travail minutieux dans les ateliers de menuiserie qui se situent derrière les espaces de scène. On découvre les décors d’un Opéra, en train de sécher. Des centaines de plaques de bois, prêtes à être découpées pour faire des décors toujours plus beaux. Au mur, des dessins ou des photos des décors, pour les menuisiers, pour savoir quoi faire.

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Au dessus de la menuiserie, il y a les costumes ! Mais c’est chasse gardée, impossible d’y aller. Dommage je serai bien allée faire un tour par là haut. La fabrication des
costumes, des tutus, des broderies est un véritable objet de fascination pour moi. Je rêve de voir ces petites fées aux doigts d’or travailler.

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Après la menuiserie, nous prenons l’ascenseur direction les ateliers de peinture. Dans un bel atelier, à la lumière du jour, on entre dans un lieu, qui me fait une nouvelle fois
rêver. C’est amusant, certains pourraient penser que de voir l’envers du décor gâcherait le côté magique d’une représentation. Il n’en est rien. Découvrir tout le travail fait derrière, ne fait que renforcer ce rêve. En France, il y a 18 personnes qui savent peindre avec la technique Renaissance. 8 sont à l’Opéra de Paris. Cette technique consiste à peindre sur une grande toile, avec dans une main la peinture au format A4, et dans l’autre, un très grand pinceau pour reproduire à l’échelle la toile. Même la caméra au-dessus n’est jamais utilisée tant ils sont forts ! La plupart a fait les Beaux Arts et il faut ensuite 15 ans de formation pratique pour parvenir à peindre les décors des spectacles. Les peintres travaillent à la lumière du jour et dans un silence absolu. Très isolés, ils ont besoin de beaucoup de concentration pour réaliser leurs oeuvres.

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Quelques marches, une mezzanine plus tard, et nous arrivons dans les ateliers de sculpture. Là aussi, c’est un travail remarquable qui y est fait. Pour voir quelque chose de
vraiment impressionnant, il faut aller voir la saison prochaine Capriccio de Strauss dans lequel le petit foyer de la danse est reproduit à l’identique et tout en polystyrène ! C’est la matière première des sculptures qui servent des les productions. On aperçoit des maquettes, des projets en photos. C’est surprenant de réalisme. Avant de descendre sous la scène, nous passons par un couloir où les sculpteurs se sont amusés à mettre des têtes de taureaux. Ouh ça fait froid dans le dos !

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Fin de la visite sous la scène où l’on découvre le premier lieu de montage/démontage des décors. Certains sont en rangement, d’autres se montent. Lieu plein de vie, ce fut une balade délicieuse à travers les méandres et recoins de ce théâtre. Merci à l’Arop et à Patrick pour cette visite !

L’opéra Bastille sur le site de l’Opéra de Paris.

L’opéra Bastille sur Wikipédia

 

Rencontre avec Christian Lacroix et Jean-Guillaume Bart

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Rencontre AROP au salon Florence Gould, où je retrouve Palpatine et Amélie. Jean-Yves Kaced présente la rencontre en lisant la lettre d’une membre de l’Arop. Extrait de la lettre
de Catherine Corman Delagrange (aucune idée de l’orthographe…) :

 

« Par la grâce de Jean-Guillaume Bart, par la grâce de Christian Lacroix, par la grâce de Clément Hervieu-Léger, par la grâce d’Eric Ruf, par les grâce de tous les danseurs, nous avons assisté hier à un spectacle sublime, unique, magnifique. La Source est une révélation, qui nous transporte au coeur des plus fortes émotions, authentiques et parfois enfouies comme celles de votre enfance. Un moment de grâce inoubliable, de magnificence, éblouissant, féérique, incroyable. C’est le souffle coupé et des étoiles dans les yeux que nous quittons à regret Garnier. Non ce n’est pas beau c’est très au delà, mais les mots me manquent. « 

Jean-Yves Kaced plaisante sur le fait que si l’Opéra manque d’une attaché de presse, cette membre de l’Arop en serait une excellente. Voilà la suite de l’entretien.

Brigitte Lefèvre : Bonsoir à tous. J’ai un grand plaisir à être là ce soir. Alors vous savez que j’ai une voix très grave, mais j’ai un inconvénient supplémentaire, on m’a dit que c’était « L’après-midi d’aphone » (rires). Je n’ai pas compris quand on me l’a dit, après c’est monté au cerveau !

J’avais presque envie de dire, parce qu’on ne prépare jamais ces rencontres avec vous, parce que c’est une rencontre, on n’a pas envie d’imaginer comment les choses peuvent se passer.

Jean-Guillaume, je n’aime pas te rappeler cela, mais en même temps c’est formidable, dans la vie il n’y a rien de plus merveilleux que de transformer des évènements malheureux en évènements heureux. L’évènement heureux c’est que c’était un danseur magnifique, vraiment, avec un caractère très affirmé (rires), toujours juste, en tous cas par rapport à lui même, par rapport à sa pensée, à sa vision artistique, toujours intéressante pour sa directrice artistique, le grand plaisir d’avoir pu faire en sorte qu’il soit nommé étoile, un homme très joyeux, très travailleur. Moins joyeux le moment où Jean Guillaume a dit stop, il n’en parlera pas. J’avais été très triste, quand une année, au moment où nous présentions la saison, devant le public attentif et je me souviens d’une question qui m’avait été posée « Pourquoi il n’y a pas eu d’adieux pour Jean-Guillaume Bart ? ». Je ne vous dirai pas pourquoi, il y avait une véritable raison, qui n’était pas artistique. J’ai eu le plaisir de pouvoir lui confier le rôle de pédagogue à l’Opéra, qu’il a tenu avec beaucoup de passion, sans la moindre compromission par rapport à ce qu’un maître doit pouvoir apporter à des danseurs qui sont dans l’espace de la classe, des élèves. Ce n’est pas toujours facile à faire comprendre, à nos grands fauves que sont les danseurs de l’Opéra.

Et puis, il y a eu ce moment, il y a plusieurs années, je lui avais demandé si il avait des projets. Jean-Guillaume avait fait un ballet Le Corsaire, que j’ai vaguement vu, je n’avais
pas pu y aller à l’époque. Je lui demande donc si il a des projets et il me dit « La Source ». Il m’aurait dit le torrent ça aurait été pareil. Bon La Source, on connaît le tableau de
Degas, on connaît des musiques extraites de La Source, notamment Soir de fête. On a laissé un peu de temps, on a laissé la source couler – faut qu’on arrête les jeux de mots,
parce qu’avec le mot source c’est incroyable tout ce qu’il y a. On se regardait pour savoir quand est ce qu’on allait se décider et puis je pensais, bon on va voir. Et puis il y a deux
personnalités très fortes qui m’ont beaucoup accompagné dans ma décision, c’est d’abord Martine Kahane, femme absolument magnifique, à qui j’ai dit « tu sais que Jean-Guillaume a proposé ce ballet » on parle du tableau de Degas mais je vois que ce n’est pas là dedans qu’elle veut m’emmener. Et puis la deuxième c’est Chritian Lacroix, à qui j’ai voulu proposé tout de suite d’examiner cette possibilité là. Et je dois dire qu’il a été déterminant, il a participé à ma détermination, car il a trouvé ça formidable. Il a beaucoup aimé la personne de Jean-Guillaume, sa raison passionnée. Il a trouvé que c’était une idée magnifique que celle de Jean Guillaume.

Et voilà, on en est à la douzième représentation de La source. J’en suis très fière. Des fois on est trop pudique, on n’ose pas le dire. C’est prendre des risques que de proposer
des artistes aussi importants que Clément Hervieu-Léger pour la dramaturgie, qu’Eric Ruf pour la scénographie, que Chrisitan, le parrain de ce ballet et Dominique Bruger pour les éclairages. J’ai eu le plaisir de proposer à JG et de voir à quel point chaque personnalité a eu du plaisir à rencontrer JG, à travailler avec lui et comment chacun arrivait à apporter quelque chose d’essentiel.

J’ai envie de demander, pourquoi La source ?

Jean-Guillaume Bart : Tout vient de mon goût pour l’histoire du ballet. Quand j’étais adolescent je passais pas mal de mes week ends à la bibliothèque de l’Opéra. Au fil de mes recherches et lectures de livrets du 19 ème je suis tombé sur la source, par hasard, en sachant que une partie de la musique est connue grâce à Soir de Fête. On l’entend beaucoup dans les classes de ballet. Et puis dans les années 90 est paru un enregistrement complet. J’ai trouvé que la partition de Minkus, qui était jusque là
murée,  n’est pas si mauvaise, que l’on peut le prétendre (on peut avoir des appréhensions ! ).  J’ai trouvé que c’était une musique extrêmement narrative où il y avait beaucoup de poésie. Ce que j’aime avant tout dans le ballet classique c’est la poésie que cela génère, au delà des choses acrobatiques qui maintenant ne me font plus grand effet. Les choses qui perdurent dans le temps,  les plus belles  sont les plus poétiques. Quand je vois Ulyana Lopatkina danser, hier, aujourd’hui c’est quelque chose qui me nourrit au quotidien. Je nomme Ulyana, parce que j’ai dansé avec elle, je pense aussi à Baryshnikov ou des danseurs de la maison, je ne vais pas tous les citer. C’était important pour moi que ce soir un ballet à la fois festif et poétique et aussi dramatique. Je pensais que dans ce livret là, à la fois conte de fée improbable, qu’on puisse avoir des thèmes qui soient un peu intemporels et qui puisse amener une humanité importante.

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© Opéra de Paris

Brigitte Lefèvre : Tu parles de conte de fées. Ce n’est pas un conte de fée ?

Jean-Guillaume Bart : Ce n’est pas un conte de fée, mais quand je le raconte aux enfants, c’est « alors et la princesse? Et pourquoi la fée elle meurt?  » ils en parlent comme d’un conte. Je pense que tout le monde a envie qu’on lui raconte encore des histoires aujourd’hui. On a besoin d’histoires pour se nourrir. aujourd’hui, pour traverser le quotidien. Dans cette histoire, il y a des choses proches du quotidien. Je trouve que Djémil est un personnage assez attachant, parce qu’il  se trouve pris entre deux femmes et que tout à coup l’une lui dit « mais je t’aime », finalement il extrêmement mal, il ne sait pas quoi choisir. Je pense que c’est des choses qui arrivent encore aujourd’hui. C’est tout ces choses là, à côté des paillettes qu’on peut me reprocher, je pense qu’il y a aussi des des choses intemporelles. On peut mettre des choses profondes dans des choses légères.

Brigitte Lefèvre : C’est plutôt à Christian qu’on peut reprocher les paillettes (rires). Alors précisément, quand tu as commencé à travailler, tu avais imaginé les costumes ?

Jean-Guillaume Bart : pas du tout, mais j’avais un parfum, un canevas dans la tête et puis c’est vrai que moi j’ai des références traditionnelles. Ce qui était extraordinaire avec Christian c’est qu’il état à l’écoute de ça et en même temps  il a apporté tout son imaginaire, son goût pour le faste. J’ai laissé une porte ouverte à chacun. L’important, c’est que la source prenne. C’est un peu comme en cuisine. On avait le même projet de faire un beau spectacle.

Christian Lacroix : J’avais rencontré Jean-Guillaume pour la première fois dans Joyaux. C’est quelqu’un avec un profil très dessiné, quelqu’un d’énigmatique, avec beaucoup de charme. C’était le plus drôle, le plus caustique, celui qui avait le plus d’esprit. Il avait de l’intérêt pour les costumes.

A un déjeuner, avec Brigitte Lefèvre (c’est une femme formidable !) j’ai trouvé la proposition audacieuse. J’admire cela dans son travail, elle pourrait se contenter de transmettre la bonne parole, de faire des choix, de diriger avec une main de fer (ou non) cette maison, avec tout ce que cela comporte. Brigitte Lefèvre était l’alchimiste en générant des projets comme celui là. Et avant celui là c’était la carte blanche donnée à Jérôme Bel.

Brigitte Lefèvre : Je m’étais beaucoup fait critiquée là dessus.

Christian Lacroix : Oui mais c’était un soir d’Arop, la première était juste après le défilé. J’avais un peu mal au coeur, j’étais membre de l’Arop, je ne le suis plus par manque de temps. Je connaissais le plublic et je trouvais assez téméraire de mettre Jérôme Bel juste après le défilé. Et finalement on a tous applaudi.

Le jour où on s’est retrouvé pour parles des prémices du projet de la source, Jean Guillaume était très timide. Il me dit qu’il n’avait pas d’idée de costumes, le premier mot  prononcé était le mot « nervures ». Cela m’était resté dans la tête, ce qui fait que nous avons fait ces corselets. Avec un mot, un seul cela avait déjà fait beaucoup.

Jean-Guillaume Bart : J’avais envie que tout le monde de l’invisible soit une représentation de la nature. A travers ses costumes, héritages du tutu romantique, on puisse avoir des feuilles, des nervures. Il fallait que ce soit en relation avec la nature, cela me tenait à coeur.

Christian Lacroix : Oui il voulait du végétal. J’ai aimé travailler avec Jean-Guillaume. Au début j’avais peur que le choix de Brigitte ne soit pas le choix de Jean-Guillaume. Je pensais que Jean-Guillaume voudrait aller dans un classicisme et comme je suis le roi du kitch et de l’espagnolade (rires). J’aime bien être entre deux univers, minimal et maximal. J’étais un peu angoissé. Autant quand j’étais couturier, j’étais le seul écrivain du défilé, le seul maître, le seul chorégraphe, autant là, je suis au service de quelqu’un. Pour moi c’est un rêve d’enfant. Je suis là presque tous les soirs, je suis sur un nuage. J’espère que ce ballet sera repris. J’ai l’impression d’avoir accompli mon rêve d’enfant.

Je reviens à Jean-Guillaume, j’aime sa précision. Je déteste quand un metteur en scène ou un chorégraphe me dit « fais ce que tu veux, tu es libre ». J’aime qu’on me dise non et il
sait très joliment dire non. Au moins, on avance. J’ai eu l’expérience, cet hiver à Cologne pour un Aïda, où le metteur en scène me disait « tu fais ce que tu veux », il n’assistait d’ailleurs jamais aux essayages. Il était heureux à la fin, mais moi je n’étais pas satisfait.

Alors que là, je suis parti, sur l’idée du contes de fée. Cela m’a fait penser à une expo à Londres qui s’appelait « Fayries » sur toute la peinture du 18ème. La source s’inscrivait dans cette mode. Il y avait cet univers de la nature.

Brigitte Lefèvre :  Le résultat est vraiment beau, puisqu’il y a même des gens qui aiment et qui ont l’air embêté d’aimer…

Christian Lacroix : Tu parles du Monde… (rires) qui a écrit « A quoi bon? »

Brigitte Lefèvre : Je ne sais plus qui a dit ça mais « L’art est absolument inutile et c’est pour cela qu’il est indispensable ». Je crois que c’est vrai.

Christian Lacroix : Ça me fait penser à cette citation « L’art c’est ce qui rend la vie plus belle que l’art ». C’est une pirouette qui ne veut rien dire, mais je l’apprécie.

Ciaravola et Chaillet à l'acte II La Source

© Opéra de Paris

 

Brigitte Lefèvre :  Il y a eu plusieurs documentaires, et ce qui est formidable c’est la présence de JG tout le temps. Et cela c’est possible parce que cela se passe ici. C’est une justification extraordinaire pour dire ce qu’est l’opéra.

J’ai choisi les personnalités pour travailler avec Jean-Guillaume en fonction du lui, de sa personnalité.

Jean-Guillaume Bart : J’ai eu une équipe formidable qui avait le souci de travailler sur le même projet. Marc-Olivier Dupin m’a aidé à moderniser la musique, à ajouter à couper, à créer les passages pour les nymphes, mais aussi pour les hommes. Si j’avais fait une reconstitution, cela voulait dire pas de danse pour les hommes, beaucoup de pantomime, qui n’en finissait plus, cela voulait dire un espace pour danser extrêmement réduit, car il y avait de l’eau en scène qui coulait.

Brigitte Lefèvre : On est très fiers aussi quand on voit le travail des ateliers de couture, de décors qui appartiennent à cet opéra. Il faut défendre cela. On est moins retenu par le passé qu’on ne le croit. On a un socle. Regardez les décors de La Source. On a les racines, le tronc, puis à un moment cela s’élève. C’est très représentatif de l’Opéra et de la Comédie Française.

C’est un ballet incroyablement cinématographique. Je l’ai vu au cinéma. C’est digne des grands ballets d’Hollywood.

Jean-Guillaume Bart : Je suis un grand fan du cinéma américain des années 50. J’avais effectivement des plans de cinéma dans la tête quand j’imaginais à la fin tout le huit-clos, Zaël qui traverse toute l’oeuvre comme un spectateur. Il est possible que mon goût pour le cinéma transparaisse à travers l’oeuvre.

Christian Lacroix : Je découvre qu’on a les mêmes goûts en matière de cinéma !

Quand on crée des costumes, les choses changent vite, les matières changent. Dans ce ballet j’ai essayé d’être intemporel. Il y avait bien sûr en filigrane, ces films là, ces costumes là, que l’on voyait dans la années 50. C’est important qu’on voit la poésie. Pour moi, ce mot n’est pas de l’eau sucrée. C’est quelque chose dont on a tous besoin. C’est de la dentelle, le travail de Jean-Guillaume,  ce n’est pas terrible de dire cela pour un couturier. En lisant les documents autour de l’oeuvre, j’ai lu un critique de l’époque, peut être pas Théophile Gautier, a dit en sortant de La source que c’était de la dentelle.

Brigitte Lefèvre : J’aime beaucoup le ballet Emeraudes de Balanchine. Tu m’avais dit que tu partirais de cela. J’ai trouvé cela intéressant, car on sait qu’il y a Petipa, Balanchine, Forsythe et qu’au lieu de redémarrer à Petipa, on prend Balanchine pour socle. J’aurais aimé que tu nous parles de cela.

Jean-Guillaume Bart : Il y a très peu de ballet concret chez Balanchine. Il y a surtout une relation avec la musique. Je voulais que cela soit important, cette relation avec la musique. Je m’en suis beaucoup inspiré pour certains tableaux de La Source. J’ai eu aussi en tête des ballets de Fokine.

Question du public : J’avais une question sur le personnage du chasseur, du point de vue du costume comme de la danse. Par rapport à Zaël, qui a un costume luxuriant, lui il a vraiment un costume fade.J’ai pas eu la sensation que le rôle permettait de se faire remarquer. Tous les applaudissements sont pour l’elfe.

Jean-Guillaume Bart : Déjà vous avez vu Matthias Heymann, qui est formidable. Djémil est un hermite. Il est asocial, il n’ a pas besoin d’avoir un beau costume. C’est pour cela que son costume est sale. Il n’y a pas le côté paillette, mais d’un point de vue dramaturgique cela n’avait aucun sens de mettre un beau costume. C’est un personnage humain, terrestre, donc il n’est pas aussi bondissant que l’elfe. Il a quand même dans ses variations plus ahtlétiques. Il danse sur des trois temps alors que Zaël danse sur
des deux temps. Ce sont deux personnages diamétralement opposés. Pour moi c’est important d’avoir une dramaturgie cohérente au delà du numéro de danse.

Un hermite n’est pas habillé en Christian Lacroix ! (rires). On a eu beaucoup de plaisir avec Clément Hervieu-Léger à créer des personnages. Ces deux personnages ne racontent pas du tout la même chose.

La première variation de Djémil est une ode à la nature. Il a cru voir un elfe. C’est comme quand on est dans la forêt qu’on croit voir une biche. Zaël c’est le côté champagne, il vient d’un autre monde.

Brigitte Lefèvre : Je voulais aussi rendre un hommage à Swarovsky qui nous a accompagné pendant cette aventure.