Chaillot

Nouvelles de 2013 n°5

Cette semaine fut riche de lectures. Un gros rhume m’a clouée au lit j’ai dû annuler quelques sorties théâtrales, du coup les bouquins m’ont occupée. Rien de tel que de bons classiques, qui ne demandent pas de concentration (puisqu’on les a déjà lus). Je me suis replongée dans Féérie pour une autre fois, qui est vraiment un bijou littéraire, par sa langue, ses phrases infinies, ses méandres de mots qui se mélangent pour former une poésie infinie. Je suis tout de même allée voir Israël Galvan et je n’ai pas du tout accroché. A dire vrai, je ne suis pas restée jusqu’au bout du spectacle. La seule émotion que je ressentais était l’oppression des frappes des pieds sur le sol.
Toujours au Théâtre de la Ville, j’ai vu Tendre et Cruel dont j’adore le texte, mais dont la mise en scène m’a paru un peu lente et sans rythme par moment, alors que le désespoir de cette femme de soldat, son angoisse de ne pas revoir l’être aimé vivant, devrait faire monter la pièce en tension. Cette semaine on se dirigera vers la Villette pour voir de la danse.

  • Les sorties de la semaine

Made in WIP a commencé aujourd’hui à la Villette dure jusqu’au 2 mars. C’est un festival dont le programme change tous les jours ! Pas de quoi s’ennuyer ! Ce festival en est à sa 4ème édition et propose un vrai mélange des cultures autour du langage hip-hop. Avec des petits prix et le défilé du 2 mars libre d’accès, cela vaut vraiment le détour. Voilà le programme :

Lundi 18 et mardi 19 février
20h    Impure Compagny / Hooman Sharifi (Norvège)
Vendredi 22 et Samedi 23 février
20h    Panabria Gabriel Canda – CultureArte (Mozambique)
Time and Space : the Marrabenta Solos (Danse)
Mardi 26 et mercredi 27 février
20h    2 compagnies sur 1 plateau (Danse)
Raphaël Hillebrand (Allemagne) – 3 Brüder
Farid Berki & Serge-Aimée Coulibaly – Double je(u)
Samedi 2 mars
20h    Association Daïka / Sakina M’SA Défilé « Génération Leggins & Casquettes »

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Made in WIP contre danses

A partir de jeudi, il faut foncer à Chaillot pour découvrir La belle et la bête, par Lemieux Pilon 4D art. Ce spectacle rempli de magie enchantera les petits et les grands. avec des images de synthèse qui se mêlent avec le réel, le spectateur est emmené dans une expérience assez unique.
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La belle et la bête

  • En vrac

Benjamin Millepied, plus que Mr Black Swan? La réponse est dans les lignes de Philippe Noisette, clic

Marlène Ionesco prépare un film sur la dernière année d’Agnès Letestu, clic

Trisha Brown était dansé à Lyon, comme pour une dernière danse, clic.

Philippe Noisette révèle un peu le casting du Boléro de Cherkaoui qui aura lieu à Garnier : Aurélie Dupont, Jérémie Bélingard et Marie-Agnès Gillot.

Mathias Heymann a subi une longue rééducation, bientôt de retour sur scène ? Clic

Si vous n’êtes pas comme moi et qu’Israël Galvan vous tente, lisez la critique de Culturebox, clic

  • Bonus vidéo

Parce que j’aimerais tellement voir Crystal Pite à Paris… Pourvu que le NDT vienne avec une de ses pièces l’an prochain à Chaillot.

Nouvelles du 1er octobre

La semaine dernière a débuté avec l’ouverture de la saison à Garnier. Les balletomanes étaient au rendez-vous, sauf moi, mais comme j’avais vu la générale, je me consolais largement avec une soirée canapé.

Mardi, direction le Théâtre de la Ville pour voir La Résistible Ascension d’Arturo Ui, pièce de Bertolt Brecht, mise en scène mythique d’Heiner Müller. Soirée magnifique, j’ai adoré la mise en scène, un pur moment de théâtre. Génial ! Martin Wuttke m’a complètement subjuguée, je crois que je n’avais jamais vu un tel jeu, une telle implication dans un rôle. Le travail sur le corps, sur la voix est hallucinant, on est fasciné par ce comédien. Compte-rendu à venir dans la semaine (je l’espère!).

Mercredi, détour par le musée Rodin pour une conférence présentée par la commissaire de l’exposition Rodin, la chair, le marbre. L’expo présente un parcours chronologique autour de cette thématique. On y voit l’évolution du sculpteur, qui commence par des bustes très traditionnels, qui vont peu à peu s’agrémenter de la technique du « non finito » où les visages semblent surgir du marbre, pour donner une autre illusion de la chair. L’expo a lieu dans la chapelle pendant que l’hôtel Biron refait peau neuve. Vous pouvez aussi aller faire un tour à Meudon, où se situe la maison de Rodin, qui fait aussi partie du musée.
Mercredi soir, retour à Garnier, où je retrouve Elendae, Aymeric et Laura Cappelle pour une deuxième soirée Balanchine. Je n’ai pas passé une aussi bonne soirée que lors de la générale. Agon est définitivement le ballet à voir dans cette soirée, car c’est celui qui a le plus de force chorégraphique.

Jeudi, je rejoins un ami pour aller voir le dernier film d’Alain Resnais, Vous n’avez encore rien vu. J’en ressors très mitigée, partagée entre l’objet cinématographique qu’il produit, qui n’est pas inintéressant, et certains ressorts, qui m’exaspèrent assez. La présence de Sabine Azéma m’est insupportable, elle surjoue, elle efface le rôle d’Eurydice pour en faire une femme hystérique. Je me serais concentrée avec bonheur sur le couple Anne de Consigny/Lambert Wilson. Ce que j’ai préféré c’est le film de Bruno Podalydès inséré dans le film de Resnais.

Vendredi, RAS. boulot, repos.

Samedi, journée sportive, pilates, danse classique. Puis je me dirige vers le théâtre de la colline pour voir la pièce d’Anna Rozière La Petite. Mon dieu que c’était mauvais. Nous avons tenu 40 minutes, moi et les copains collinards… Quelle angoisse ! Un texte dit par une voix off, répété par les comédiens. Un texte assez creux, sur cette petite, dont la mère est morte en couches, et elle, enceinte, dont le bébé ne grandit plus depuis le 5ème mois. Les comédiens hurlent, le texte aligne les clichés « oh je me souviens des cerisiers en fleurs »… N’est pas Tchekov qui veut ! Je vous la déconseille donc fortement !

  • Les sorties de la semaine

Direction Chaillot, pour découvrir Système Castafiore. J’avais manqué cette compagnie l’an passé qui était venu jouer un spectacle au Théâtre Sylvia-Monfort. Vous plongerez dans un univers complètement fantastique, aux lumières et à la mise en scène virtuelle, au milieu de laquelle Marcia Barcellos danse. Disciple d’Alwin Nikolais, on retrouve ces gestes, ces mouvements qui vous emmènent vers un instant de poésie. Les Chant de l’Umaï sera vous charmer. Trois dates, 4, 5, 6 octobre, à ne pas manquer donc.

Plus d’infos et réservations sur le site du Théâtre de Chaillot, clic.

Samedi soir, c’est la nuit Blanche à Paris. Cette nuit faire de nombreuses manifestations un peu partout dans la capitale, est souvent victime de son succès, et il y a beaucoup de monde, parfois trop. Allez, on prend son courage à deux mains, il y a souvent des choses agréables à faire. Déjà les quais de Seine sont piétons et on nous promet un éclairage des berges. Julie Desprairies propose une performance avec 200 volontaires le long des berges. C’est une chorégraphe qui s’interroge sur les liens entre danse et architecture. Le travail sera performé 10 minutes toutes les heures.
Pour rire un peu direction le Théâtre du Rond-Point où on vous proposera des séances de psy éclair, 2 minutes pour résoudre vos problématiques !
A Chaillot, il faut découvrir The Clock, Lion d’or à Venise, horloge de 24h qui montre des extraits de films, pour nous faire prendre conscience de l’illusion de la réalité et du temps. Sur l’esplanade, Paul-André Fortier dansera son solo 30×30.
Profitez de la vue du Belvédère au musée du quai Branly pour admirer la ville Lumière, puis filez voir des films d’animations de Motochimi Nakamura à la maison de la culture du Japon.
Quoi de mieux qu’un peu de lecture, allez donc écouter Proust au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Véronique Aubouy a filmé des lecteurs lisant Proust. 105 heures de vidéos pour réentendre La Recherche.
Ensuite filez voir l’installation lumineuse Et Op ! au Palais Royal. cette installation gigantesque propose un parcours au cœur de l’œuvre. Cette œuvre ravira petits et grands. Toujours dans la lumière, ne manquez pas l’installation lumineuse Du Soleil dans la nuit, qui se trouvera sur le toit de la Samaritaine. Au théâtre du Châtelet, ne manquez pas le Light Movie, sorte de ballet de la lumière. On est dans de la peinture dansante, dans une réflexion sur le geste. A voir, cela doit être très beau, et captivant.
A la mairie du 4ème, Michel Blazy, présente une installation avec une mousse blanche. J’avais adoré ses caniches, je ne manquerai pas ce nouveau dispositif, car j’apprécie beaucoup sa réflexion sur la matière.
Pendant ce temps à l’amphi Bastille, on diffuse Die Nacht, puis le pianiste Jonas Vitaud proposera un récital de piano.
Il y tellement de choses à voir et à faire qu’on s’y perdrait. je vous conseille de faire une sélection et de vous y tenir, sinon, vous ne verrez rien. Tous les musées sont ouverts gratuitement à cette occasion. Cependant, je pense qu’il vaut mieux consacrer sa soirée à voir des installations, des projets ‘nuit blanche’, qui sont éphémères.
Pour vous aider à faire votre choix, voici le dossier de presse, clic

  • Le cours de danse de la semaine

Les danses partagées ont lieu ce week end au CND et comme toujours une étoile est l’invitée de ces deux jours. Jérémie Bélingard proposera donc un cours précédé d’un échauffement. Vous pourrez aussi vous initiez à d’autres styles de danse, avec Michel Kelemenis, Yuval Pick, Béatrice Massion ; l’occasion est de partager et d’échanger. Le soir, un petit spectacle présentera les créations des intervenants. Plus d’infos sur le site du CND, clic

  • News en vrac

C’est le magazine japonais Shinshokan Dance Magazine qui nous l’apprend et c’est la twitteuse Naomip qui nous relaie l’information, Aurélie Dupont fera ses adieux en janvier 2015 dans L’histoire de Manon. 

Dans la presse, Philippe Noisette consacre un article sur les pointes, toujours en vogue chez les chorégraphes, Marie-Agnès Gillot va beaucoup les utiliser dans sa création pour l’Opéra de Paris. Découvrez aussi la vidéo-interview de Marie-Agnès Gillot à propos de sa création sur le site de l’Opéra de Paris.

Fanny Gorse est en interview dans la fameuse rubrique Cupcakes and Conversation du site Ballet News.

Le Figaro s’interroge sur la succession de Brigitte Lefèvre. Entre anciennes étoiles ou chorégraphes venus d’ailleurs, le doute reste entier. Clic

Amis de l’AROP, il est temps de voter pour le prix de l’AROP.

Le Miami City Ballet a un nouveau directeur, Daniel Hagerty. A lire ici.

Ludmila Pagliero est l’étoile à suivre pour cette rentrée. Culturebox lui consacre un sujet ici, mais aussi Téléobs .

Réécouter la très bonne émission de France Culture consacrée à Dominique Bagouet, chorégraphe, c’est par ici.

Le 02 octobre la billetterie aux guichets ouvre pour la soirée Gillot/Cunningham. Sur internet, c’est pour Don Quichotte. Il risque d’y avoir la queue ! Prenez votre mal en patience.

  • Bonus vidéo

Vous reprendrez bien un peu de défilé ?

Droits photos : JMC, Karl Biscuit, CND, Capucine Bailly

Saburo Teshigarawa Mirror and Music à Chaillot

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Choc esthétique, cette pièce de Teshigarawa m’a absorbée du début à la fin. J’avais déjà eu cette même sensation avec Air et Glass Tooth. Le chorégraphe a l’habitude de régler tout dans les moindres détails lui même. C’est un scénographe hors pair et j’apprécie énormément son travail de la lumière. Dans cette pièce, il revient à la base, le miroir et la musique comme muses de création. Dès le début, on est plongé dans une atmosphère de conte merveilleux. On a l’impression d’être au milieu d’une forêt. Au milieu des personnages, un passe, en glissant le ventre couché sur une planche à roulettes. Un chemin se trace au sol avec de la lumière. tout est très graphique, et emmène votre oeil dans un imaginaire qui se déploie peu à peu. Teshigarawa va casser les
ambiances, les rythmes. Après une danse de groupe, le voilà dans un solo, avec une chorégraphie qui engage beaucoup les bras. Les mains sont animalières, la tête bouge comme si elle se détachait du reste du corps. Le corps semble être dans du chewing gum; l’air ne lui laissant pas beaucoup d’espace pour la rapidité des enchaînements. Puis, petit à petit, ce corps va plonger dans une matière plus aquatique, plus épaisse, mais plus douce aussi. On a la sensation de le voir manipuler des objets imaginaires, comme des boules ou des fils de soie.

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Après dix minutes d’envoûtement par Saburo, qui est un danseur fabuleux, on est surpris par la course d’une danseuse. Si les pieds sont très dans le sol, les bras s’agitent et ressemblent assez vite à des ailes. On a envie de courir avec eux. Les mouvements sont courbes et ronds, comme le reflet des corps dans un miroir. Teshigarawa crée des contrastes volontaires entre la musique et le mouvement. A musique lente, mouvement rapide. Tout se retourne, comme quand on est face au miroir. La réalité est inversée. Elle se dédouble aussi, et pour cela, la chorégraphie se répète, déteint, se multiplie comme si on se trouvait dans une galerie des glaces. Teshigarawa imprime des images dans nos têtes mais tout est très furtif, le stroboscope jouant avec le spectateur.

Chaque solo est une petite histoire, peint un portrait, un moment de vie, raconte quelque chose. C’est plein de poésie, les phrases se répétant dans des directions différentes, comme un texte qu’on vous souffle à l’oreille.

Face à cette poésie, un choc, une violence musicale. Des bruits d’usine, le stroboscope, une lumière rasante sur un visage qui devient comme un masque. On ne peut pas, ne pas penser aux visages que l’on voit dessinés dans les mangas. Les costumes noirs avec des touches très discrètes de gris, font penser aux peintures de Soulages. Le jeu avec les lumières permet de rendre ce noir couleur de lumière. Les éclairages se reflètent et offre une palette visuelle incroyable.

Des plaques dorées sur lesquelles la lumière se reflète. Dessus, des corps. Un spectacle d’une beauté simple mais qui vous frappe et qui reste en mémoire. Des tableaux vivants en somme. Choc visuel, mais aussi choc musical. Les musiques s’enchaînent pour former des atmosphères différentes. Les musiques baroques succèdent aux musiques électroniques. On passe de l’autre côté du miroir, c’est comme un sablier qui se renverse. La plaque de miroirs incurvés joue avec ce principe. Les reflets des danseurs qui courent en manège accentuent l’effet de passage, de renversement.

La fin de la pièce est forte. Les danseurs sautent sur place, les bras le long du corps. Douze minutes, douze minutes où ils sautent toujours avec le même regard droit, la même nonchalance. On dirait des gouttes de pluie qui glissent le long de la scène. Ils tombent et se redressent, puis disparaissent un par un dans une lumière noire. Les reflets du danseur s’en vont, il reste seul, face à lui même quand le miroir disparaît.

Une image forte, les corps plongés dans le noir, seuls les visages vous fixent. Pas prête d’oublier cette puissance.

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© Laurent Philippe

J’ai vraiment eu un choc visuel devant tant de beauté. J’ai mis du temps à revenir à mes esprits. J’ai vu ce spectacle des coulisses avec l’équipe d’ target= »_blank »>Arte Live Web.

J’ai vu un travail fascinant en plus du spectacle. Les réalisateurs subliment le spectacle par une captation faite avec un oeil avisé sur la danse et la scénographie. Merci à Luc, Farid, Rachel, Emilie et ceux que j’oublie pour m’avoir laissé regarder leur travail. La captation sera disponible dès le 15 avril sur le site d’Arte Live Web et ce pendant six mois.

A lire Toute la culture, Danses avec la plume.

Site officiel de Saburo Teshigarawa

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© Laurent Philippe

 

Chorégraphie, scénographie, lumières, costumes Saburo Teshigawara

Sélection musicale Saburo Teshigawara, Izumi Nakano

Coordination technique, régie lumières Sergio Pessanha

Son Tim Wright

Régisseur plateau Markus Both

Avec Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Eri Wanikawa, Kafumi Takagi, Riichi Kami, Nana Yamamoto, Jeef, Mie Kawamura


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© Chaillot

 

Sider de Forsythe

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© Dominik Mentzos

 

Sider est une pièce qui déroute, qui dérange, qui interpelle. Elle m’a personnellement beaucoup oppressée. C’est une scène ouverte comme dans le théâtre élisabethain. Au sol des grandes planches de carton. Au plafond des néons qui vont s’éteindre, s’allumer. Le fond sonore, une ambiance de fin de monde, une usine, bref un bruit. En réalité c’est la bande-son d’un film sur le théâtre élisabethain. Des personnages entrent et sortent de l’espace avec ou sans carton dans les mains. Quand ils n’ont pas de cartons, la danse est souvent virtuose et frôle quelque chose d’à peine croyable. Les corps se disloquent, se figent, ont des énergies presque futuristes. Les pliés sont d’une grande souplesse. Les cous semblent pouvoir tourner dans tous les sens.

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© Dominik Mentzos  

Les cartons d’une grande taille semblent difficiles à manipuler. L’utilisation intuitive transforme vite ces papiers rigides en instruments à percussions. Le sol crisse, on tape
dans les cartons. On glisse sous les cartons, on les jette, on enferme un personnage à l’intérieur. Parmi les danseurs, presque tous encagoulés, un se distingue par ses cartons avec des écritures. « Is isn’t ». Il est habillé de rose, il débite dans un anglais inaudible un monologue. Le ton change, on suppose qu’il s’énerve ou qu’il raconte une histoire. Ici, peu importe le texte, c’est le geste et la situation dans laquelle il se trouve. Il arrive à faire rire avec son ton. Des personnages se dessinent. Des dominants, des dominés, des forts, des faibles. Chacun se distingue par une personnalité.

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© Dominik Mentzos

Je ne déconseillerai pas la pièce, qui interpelle et peut déranger. Il y a quelque chose d’assez génial dans ce spectacle, une unité, une ambiance, des pas qui captent votre regard. Loin de ce qu’on peut voir dans une pièce comme Artifact, Sider est une pièce qui a aussi le génie de vous marquer, de ressortir de la pièce avec une impression que quelque chose a changé dans votre regard.

Merci à Pink Lady pour la place.

Une pièce de William Forsythe et The Forsythe Company

Musique Thom Willems

Objets lumineux Spencer Finch

Lumière Ulf Naumann, Tanja Rühl

Costumes Dorothee Merg

Conception sonore Niels Lanz

Assistants à la dramaturgie et à la production Billy Bultheel*, Freya Vass-Rhee, Elizabeth Waterhouse

 

Avec Yoko Ando, Esther Balfe, Dana Caspersen, Katja Cheraneva, Brigel Gjoka, Amancio Gonzalez, Josh Johnson, David Kern, Fabrice Mazliah, Roberta Mosca, Jone San Martin, Riley Watts, Ander Zabala

Créé à HELLERAU – Europäisches Zentrum der Künste, Dresden le 16 juin 2011

Coréalisation Festival d’Automne à Paris / Théâtre National de Chaillot

Artifact… sublime…

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© Johan Persson

Des moments suspendus comme j’en ai vécus hier soir, il y en a peu… Sortir d’un ballet avec une telle sensation de plénitude et de joie, c’est quelque chose de formidable. Artifact de Forsythe est un enchantement et je garde encore en mémoire, la musique et quelques unes des deux milles combinaisons de mouvements qui composent le ballet.

Artifact, pièce maîtresse du chorégraphe, commence comme dans un songe. Une femme, moitié vieille sorcière, moitié fée, parle. Step inside, step ouside, see, saw, do
you remember, will you forget, the rocks, the dust…
Ces mots vous hantent encore quand vous en sortez. Un autre personnage étrange fait son apparition, un homme avec un mégaphone, qui parle mais on ne comprend pas tout ce qu’il dit. Au milieu des deux conteurs, une figure lunaire, va donner le pas. Elle est une sorte d’idéal, avec son vocabulaire qu’elle va dicter à la troupe. Elle est intouchable dans son habit de Lune. On ne sait pas où l’on est, on ne connaît pas l’histoire que l’on va nous raconter. On se laisse porter par une scénographie surprenante, aux lumières tantôt éblouissantes, tantôt trop faibles pour distinguer les corps. Forsythe joue avec les codes du théâtre et de la danse, il fait répéter à ses deux acteurs les règles du ballet. Il crée cet univers dans lequel les corps deviennent des objets, des productions d’une activité humaine, des « artefact ». Les corps se transforment sous l’influence de cette danse, qui pousse la technique classique à son paroxysme.

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© Pascal Gély CDDS

Les mouvements d’Artifact se déclinent à la fois sur un plan collectif, où le groupe fait corps, et produit un mouvement général et sur les individus eux mêmes, qui sont
soumis à des mouvements parfois violent et exceptionnels en même temps. Les lignes se font et se défont. Forsythe casse les rythmes, les reforment, poursuit le piano, bouscule le violon. Le rideau s’ouvre et se ferme, dérange le regard du spectateur, qui ne sait plus où regarder, sans éprouver pour autant une sensation désagréable, mais plutôt un manque, l’envie terrible d’être derrière ce rideau et de continuer de voir ces corps bouger. Le bruit des chaussons sur le sol, qui eux aussi s’accordent parfaitement, donne l’impression d’une seule unité. Les danseurs sont liés par cette chorégraphie, pas un ne peut se détacher de cette énergie. On sent d’ailleurs le bonheur des danseurs à être sur scène avec avoir ces gestes dans leurs corps. La danse de Forsythe est merveilleuse car elle sait utiliser le langage classique en le brisant complètement, en le rendant exponentiel. Les dos se meuvent, les muscles bougent, c’est une ode à la beauté du corps qui est faite sur scène. Après la Chaconne de Bach, on est complètement ébahi au fond de son siège, un grand sourire aux lèvres. Y*** et moi ne bougeons pas de notre premier rang, enchantés et
émerveillés de notre soirée.

Après l’entracte (on aurait franchement pu s’en passer…), retour dans notre univers magique, mais cette fois, les danseurs sont encore en tenue de répétition, notre
sorcière-fée s’essouffle à répéter les mots, notre homme au mégaphone tente d’en placer une et un décor se construit et se déconstruit. Les corps sont comme des électrons libres, et vont ça et là avec un vocabulaire de gestes qui rappellent les deux premières parties. Tout se détruit une fois encore et se reconstruit. Le décor bâti, les danseurs peuvent à nouveau évoluer dans cet espace, où les corps vont devenir des ombres sur un fond blanc.

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© Johan Persson

Les mains qui claquent, le piano de Margot Kazimirska, pianiste exceptionnelle qui donne la pulsation, qui joue elle aussi à poursuivre les mouvements ou à les esquiver. Encore des lignes, mais toujours différentes, et ce personnage lunaire, qui dicte des ports de bras, qui évolue librement dans ce groupe habité par son énergie interne.

Le rideau se referme, avec une poésie rare. Seule la danse peut procurer de telles émotions, seule la danse sait me faire entrevoir l’intangible. Artifact est un ballet fabuleux, dansé avec une belle maîtrise par le Ballet Royal de Flandres. J’espère qu’à l’Opéra on aura la chance de revoir Artifact Suite, qui est au répertoire, et qui reprend en partie la chorégraphie du premier ballet. C’est un bonheur infini de voir de telles oeuvres dans sa vie.

 

 

Chorégraphie William Forsythe

Décor, lumière, costumes William Forsythe

Musique Eva Crossmann-Hecht, Jean-Sebastien Bach et montage sonore de William Forsythe

Avec les danseurs du Ballet Royal de Flandre

Et les artistes invités Margot Kazimirska, Kate Strong, Nicholas Champion

Production Ballet Royal de Flandre

Coréalisation Festival d’Automne à Paris