© Hermann Sorgeloos
Revivre en salle quelque chose qui a été conçu pour l’extérieur c’était un pari osé. Cela n’a d’ailleurs pas plu à tout le monde. La salle s’est vidée d’une centaine de ces spectateurs et ce parfois dès les 10 premières minutes. Prendre des places pour un spectacle sans même regarder de quoi il s’agit pour ensuite crier au scandale… enfin bref, les allusions à la lumière m’ont surprises alors que l’on savait que le spectacle commençait dans le noir.
Pour ma part, j’ai trouvé l’expérience sensorielle du noir, du flou plutôt intéressante. Dès le début, on perçoit des ombres, on croit voir du mouvement. Un homme s’avance sur le devant de la scène, il est nu. Il va crier d’une façon singulière. Cela ne ressemble pas à un cri humain, ça siffle presque. C’est très surprenant. Il est dans le seul espace de la scène un peu lumineux, mais pas suffisamment pour distinguer son visage. Peu à peu, on sent une foule qui arrive sur la scène. Une percussion résonne, un bruit presque métallique. Danseurs et chanteurs s’avancent en ligne. Les voix commencent à sortir des corps, mais on ne sait pas trop qui chante. Puis, des danseurs s’échappent, un court et se jette au devant de la foule avec une certaine violence. Il glisse et dérape sur le cercle de sable.
© Hermann Sorgeloos
Si on est forcément dérouté, je décide de m’y laisser porter comme dans un rêve. En fait c’est la musique qui devient mouvement. Les voix sortent de l’obscurité comme des rubans qui se baladent dans l’espace. Ces chants médiévaux sont d’une beauté très précieuse. Cela vous emporte, cela ne s’arrête jamais. Il y a donc une énergie qui naît d’abord du chant et qui va peu à peu être relayé par la chorégraphie à mesure que la lumière apparaît. Les chants créent une enveloppe, un cadre presque rassurant à la danse. Comme ce cercle de sable au sol. Les mouvements sont portés par ces voix.
Si le silence n’existe presque pas dans la musique, les corps se suspendent dans l’espace. Ils s’arrêtent, mais sans cesser le souffle, cette énergie qui s’est créée entre les protagonistes du groupe. La lumière naturelle de l’aube est ici remplacée par un dispositif de néons, qui fonctionne mais je pense qu’on aurait encore pu trouver mieux pour reproduire les premiers rayons du soleil. On découvre peu à peu tous les interprètes, habillés de vêtements foncés, baskets de couleur aux pieds. La danse se dévoile quand les corps sont enfin visibles. Le mystère reste entier, car on ne perçoit pas qui est chanteur, qui est danseur. Pas de frontières dans le travail d’ATDK. Au contraire, ici, l’interprète est dans une union parfaite des éléments et des arts. Des miroirs, reflètent des cristaux de lumières sur les visages de certains.
© Hermann Sorgeloos
L’espace se dévoile et va permettre des grandes traversées avec au bout un porté, ou une glissade sur le sable du cercle. Les mouvements commencent, puis se répètent, changent de rythme au gré des musiques. Un chanteur bat la mesure puis rentre dans la variation. Un se déchausse, l’autre interrompt un mouvement. Puis tous marchent, en changeant de direction tous ensemble. Une force se dégage car les corps s’unissent, cela en devient presque fusionnel. Un des moments les plus forts est l’avancée au devant de la scène des interprètes qui fixent le public en chantant. C’est très fort, on sent une âme qui émane de cette musique.
J’ai été emmenée par ce spectacle qui vous transporte ailleurs. On ne peut pas rester indifférent. La danse et la musique montent en puissance tout comme la lumière. On découvre alors un travail fabuleux, qui sait garder un mystère tant corps et voix se mêlent et s’emmêlent. Il y a de beaux moments de grâce dans ce spectacle, même si certains passages gagneraient à être plus dessinés, notamment dans le premier tiers de la pièce.
chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
direction musicale Björn Schmelzer
scénographie Ann Veronica Janssens
costumes Anne-Catherine Kunz
créé avec et interprété par Rosas & Graindelavoix
Olalla Alemán / Els Van Laethem, Haider Al Timimi, Bostjan Antoncic, Aron Blom, Carlos Garbin, Marie Goudot, Lieven Gouwy, David Hernandez, Matej Kejzar, Mikael Marklund, Tomàs Maxé, Julien
Monty, Chrysa Parkinson, Marius Peterson, Michael Pomero, Albert Riera, Gabriel Schenker, Yves Van Handenhove, Sandy Williams